Vu la requête, enregistrée le 21 mars 1990 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société à responsabilité limitée Entreprise Bouthiaux, dont le siège social est à Villotran, (60390) Auneuil, représentée par son gérant en exercice ; la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger les dispositions de l'article 8 du décret du 27 juillet 1967 codifiées à l'article 237 de l'annexe II au code général des impôts ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu le décret n° 67-604 du 27 juillet 1967 ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le traité instituant la communauté économique européenne ;
Vu la VIe directive du conseil des ministres des communautés européennes du 17 mai 1977 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Meyerhoeffer, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Chahid-Nouraï, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux, qui est spécialisée dans les travaux de levage et de manutention effectués au moyen d'hélicoptères, est dirigée contre la décision implicite du Premier ministre résultant du silence gardé par celui-ci sur la demande de la société tendant à l'abrogation, pour incompatibilité tant avec les objectifs définis par la sixième directive du conseil des communautés européennes du 17 mai 1977 qu'avec les dispositions du traité du 25 mars 1957, de l'article 8 du décret du 27 juillet 1967, codifié à l'article 237 de l'annexe II au code général des impôts, qui exclut du droit à déduction la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé "les véhicules ou engins, quelle que soit leur nature, conçus pour transporter des personnes ou à usages mixtes, qui constituent une immobilisation ou, dans le cas contraire, lorsqu'ils ne sont pas destinés à être revendus à l'état neuf" et, également, "les éléments constitutifs, pièces détachées et accessoires de ces véhicules et engins" ;
Sur la compatibilité de l'article 237 de l'annexe II au code général des impôts avec les objectifs de la 6ème directive :
Considérant qu'il ressort clairement des stipulations de l'article 189 du traité du 25 mars 1957 que les directives du conseil des communautés économiques européennes lient les Etats membres "quant au résultat à atteindre" ; que si, pour atteindre ce résultat, les autorités nationales qui sont tenues d'adapter leur législation et leur réglementation aux directives qui leur sont destinées, restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l'exécution de ces directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire leurs effets en droit interne, ces autorités ne peuvent légalement, après l'expiration des délais impartis, ni laisser subsister des dispositions réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis par les directives dont s'agit, ni édicter des dispositions réglementaires qui seraient contraires à ces objectifs ;
Considérant, d'une part, que l'article 1er de la sixième directive adoptée par le conseil des communautés européennes le 17 mai 1977 fixait comme objectif aux Etats membres de prendre avant le 1er janvier 1978 les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour adapter leur régime de taxe sur la valeur ajoutée aux dispositions figurant dans cette directive ; que la neuvième directive du 26 juin 1978 a toutefois repoussé au 1er janvier 1979 le délai ainsi imparti ;
Considérant, d'autre part, que l'article 17 paragraphe 2 de la sixième directive prévoit la déduction par l'assujetti de la taxe ayant grevé les biens et les services utilisés par lui "dans la mesure" où ils le sont "pour les besoins de ses opérations taxées" ; qu'il résulte de cette disposition que la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée payée en amont par un assujetti concerne la taxe due ou acquittée pour les biens qui lui ont été livrés et les services qui lui ont été rendus dans le cadre de ses activités professionnelles ;
Considérant, enfin, que l'article 17 paragraphe 6 de la même directive dispose que : "Au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation. Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les Etats membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive" ; qu'il résulte clairement de ces dispositions, d'une part, qu'elles visent les exclusions du droit à déduction particulières à certaines catégories de biens, de services ou d'entreprises et non pas les règles applicables à la définition même des conditions générales d'exercice du droit à déduction et, d'autre part, que si elles fixent comme objectif aux autorités nationales de ne pas étendre, à compter de l'entrée en vigueur de la directive, le champ des exclusions du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée prévues par les textes nationaux applicables à cette date, elles laissent à ces autorités la possibilité de les maintenir jusqu'à ce que le conseil des communautés européennes ait déterminé "les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction" ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux n'est fondée à soutenir ni qu'en n'intervenant pas dans le délai de quatre ans qu'il s'était imparti pour ce faire, le conseil des communautés européennes a entendu refuser toute exclusion du droit à déduction et, par là, interdit le maintien des exclusions particulières existant à l'expiration de ce délai dans les différents Etats membres, ni qu'en raison du caractère réglementaire des dispositions de l'article 237 de l'annexe II au code général des impôts, l'exclusion prévue par cet article n'est pas au nombre de celles visées par le deuxième alinéa de l'article 17-6 de la directive et devait, par suite, être supprimée à l'expiration du délai de quatre ans susmentionné ;
Sur la contrariété de l'article 237 de l'annexe II au code général des impôts aux dispositions des articles 95 et 96 du traité de Rome :
Considérant que si la société requérante soutient que les articles en cause feraient obstacle à ce qu'un Etat membre institue une exclusion du droit à déduction qui n'existe pas dans certains autres Etats membres, il résulte clairement des termes de ces articles qu'ils ont pour seul objet, l'un d'interdire aux Etats de taxer de manière discriminatoire les produits en provenance des autres Etats membres, et l'autre de leur interdire l'octroi d'avantages fiscaux discriminatoires aux produits fabriqués ou fournis dans l'Etat concerné ; qu'il suit de là que la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux ne peut utilement se prévaloir de l'un ou de l'autre de ces articles à l'appui de sa demande tendant à l'abrogation de l'article 237 de l'annexe II au code général des impôts ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ;
Article 1er : La requête susvisée de la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la S.A.R.L. Entreprise Bouthiaux, au Premier ministre et au ministre délégué au budget.