Vu 1°) sous le n° 73 923 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 9 décembre 1985 et 27 janvier 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la commune d'Eguilles, (13510) représentée par son maire en exercice, demeurant à la mairie ; la commune demande que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du 3 octobre 1985 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé, à la demande du commissaire de la République du département des Bouches-du-Rhône, la délibération du 30 novembre 1984 par laquelle le conseil municipal d'Eguilles a autorisé son maire à vendre à la société foncière et immobilière provençale (SOFIP) une parcelle de terrain sise ... qui avait été léguée à la commune par Mlle X... ;
- rejette la demande présentée par le commissaire de la République du département des Bouches-du-Rhône devant le tribunal administratif de Marseille ;
Vu 2°) sous le n° 82 498, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 6 octobre 1986, présentée pour la commune d'Eguilles (13150) représentée par son maire en exercice, demeurant en mairie ; la commune demande que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du 17 juillet 1986 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé, à la demande du commissaire de la République du département des Bouches-du-Rhône, la délibération du 20 janvier 1986 par laquelle le conseil municipal d'Eguilles a autorisé le maire de la commune à vendre à la société foncière et immobilière provençale (SOFIP) une parcelle de terrain, cadastrée section A.T. sous le numéro 243, à Eguilles ;
- rejette la demande présentée par le commissaire de la République du département des Bouches-du-Rhône devant le tribunal administratif de Marseille ;
- ordonne la jonction avec sa précédente requête enregistrée le 27 janvier 1986 sous le numéro 73 923 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code civil et en particulier ses articles 900-2 à 900-8 ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée par la loi n° 82-623 du 22 juillet 1982 ;
Vu la loi n° 84-562 du 4 juillet 1984 ;
Vu la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mlle Pineau, Auditeur,
- les observations de Me Pradon, avocat de la commune d'Eguilles et de la SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la société foncière et immobilière provençale (SOFIP),
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées de la commune d'Eguilles présentent à juger la même question ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur a recevabilité des déférés du préfet des Bouches-du-Rhône :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 2 mars 1982 modifiée : "Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés au paragraphe II de l'article précèdent qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission" ; que, par suite, bien que l'action en révocation d'un legs pour inexécution d'une charge ne soit ouverte qu'à ceux qui profiteront de la révocation et bien que la méconnaissance de la volonté du testateur ne puisse pas être utilement invoquée au soutien d'un recours pour excès de pouvoir, le préfet des Bouches-du-Rhône était recevable à déférer au juge administratif, sans demander la révocation du legs et en se fondant sur la violation des articles 900-2 à 900-8 du code civil, les délibérations du 30 novembre 1984 et 20 janvier 1986 par lesquelles le conseil municipal d'Eguilles a décidé, d'une part, de vendre à la société foncière et immobilière provençale le terrain sis au quartier des Fourches que Mlle X... avait légué à la commune et, d'autre part, d'autoriser la signature de l'acte de vente de ce terrain ;
Sur la légalité des délibérations du conseil municipal d'Eguilles en date du 30 novembre 1984 et 20 janvier 1986 :
Considérant qu'aux termes des articles 900-2 à 900-8 du code civil dans la rédaction résultant de la loi du 4 juillet 1984 permettant la révision des conditions et charges apposées à certaines libéralités, laquelle est applicable en vertu de son article 7 "même aux donations et aux legs antérieurement acceptés" : "Article 900-2 : Tout gratifié peut demander que soient révisées en justice les conditions et charges grevant les donations ou legs qu'il a reçus, lorsque, par suite d'un changement de circonstance, l'exécution en est devenue pour lui soit extrèmement difficile, soit sérieusement dommageable ... Article 900-4 : Le juge saisi de la demande en révision peut, selon les cas et même d'office, soit réduire en quantité ou périodicité les prestations grevant les libéralités, soit en modifier l'objet en s'inspirant de l'intention du disposant, soit même les regrouper avec des prestations analogues résultant d'autres libéralités. Il peut autoriser l'aliénation de tout ou partie des biens faisant l'objet de la libéralité en ordonnant que le prix en sera employé à des fins en rapport avec la volonté du disposant ... Article 900-5 : La demande n'est recevable que dix années après la mort du disposant ... La personne gratifiée doit justifier des diligences qu'elle a faites, dans l'invervalle, pour exécuter ses obligations " ;
Considérant que l'article 2 de la loi du 4 juillet 1984 dispose que "les articles 900-2 à 900-8 du code civil sont applicables aux personnes morales de droit public sous réserve des dispositions particulières concernant l'Etat, les établissments publics de l'Etat et les établissements hospitaliers" ; qu'enfin l'article 8 de la loi du 4 juillet 1984 abroge notamment les articles L. 312-8 à L. 312-12 du code des communes ainsi que la loi du 20 mars 1954 sur les donations, legs et fondations faits à l'Etat, aux départements, communes, établissements publics et associations reconnues d'utilité publique ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des dispositions précitées que la modification des charges et conditions grevant un bien légué à une commnue ou l'aliénation de ce bien ne peuvent avoir lieu que dans les conditions et selon la procédure définies par les articles 900-2 à 900-8 du code civil issus de la loi du 4 juillet 1984, sans que la commune bénéficiaire du legs puisse utilement se prévaloir des dispositions des articles 954, 955 et 1046 du code civil relatifs à la révocation des donations entre vifs ou testamentaires, ni faire état de l'accord éventuel du légataire universel sur la modifications des charges et conditions grevant le legs fait à la commune ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que par testament daté de 1975, Mlle X... a légué "à la mairie d'Eguilles le terrain des Fourches pour y construire une maison de retraite pour les habitants d'Eguilles" et que ce terrain est entré en 1980 dans le patrimoine de la commune ; que, dès lors, et même s'il avait obtenu l'accord de la personne instituée comme légataire universel par Mlle X..., le conseil municipal ne pouvait légalement, sans respecter la procédure prévue par les articles 900-2 à 900-8 du code civil, décider les 30 novembre 1984 et 20 janvier 1986 de vendre le terrain légué à la commune à une société qui se serait engagée à y construire quarante six pavillons et d'utiliser le produit de cette vente à la construction d'un foyer du troisième âge au centre de la commune ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Eguilles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Marseille a annulé les délibérations du conseil municipal en date des 30 novembre 1984 et 20 janvier 1986 ;
Article 1er : Les requêtes de la commune d'Eguilles sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Eguilles, à la société foncière et immobilière provençale et au ministre de l'intérieur.