Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 9 juin 1988 et 10 octobre 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'association des médecins pour le respect de la vie, dont le siège social est ..., représentée par son directeur en exercice et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule pour excès de pouvoir le décret n° 88-327 du 8 avril 1988 relatif aux activités de procréation médicalement assistée ;
2°) décide qu'il sera sursis à l'exécution de ce décret ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 modifiée par la loi n° 87-575 du 24 juillet 1987 ;
Vu la loi n° 75-626 du 11 juillet 1975 ;
Vu le décret n° 75-755 du 7 août 1975, modifié par le décret n° 84-426 du 6 juin 1984 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Maugüé, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Delaporte, Briard, avocat de l'ASSOCIATION DES MEDECINS POUR LE RESPECT DE LA VIE et de la S.C.P. Tiffreau, Thouin-Palat, avocat de l'association des praticiens de procréation médicalement assistée (APPMA) et l'association groupe d'étude de la fécondation in vitro en France (G.E.F.F.),
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;
Sur les interventions de l'association des praticiens de procréation médicalement assistée et de l'association groupe d'étude de la fécondation in vitro en France :
Considérant que l'association des praticiens de procréation médicalement assistée et que l'association groupe d'étude de la fécondation in vitro en France ont intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi leurs interventions sont recevables ;
Sur la régularité de la consultation du Conseil d'Etat :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 9 du décret du 30 juillet 1963 : "les affaires ressortissant aux différents départements ministériels sont réparties entre les sections administratives du Conseil d'Etat conformément aux dispositions d'un arrêté du premier ministre, pris sur la proposition du garde des sceaux, ministre de la justice" ; qu'en vertu de l'arrêté du 28 octobre 1986, les affaires dépendant du ministre délégué auprès du ministre des affaires sociales et de l'emploi, chargé de la santé et de la famille sont examinées par la section sociale ; que le décret attaqué relatif aux activités de procréation médicalement assistée a été valablement pris par le Conseil d'Etat (section sociale) entendu ; que ce décret ne contient aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet soumis par le gouvernement au Conseil d'Etat et de celles qui ont été adoptées par le Conseil d'Etat ; que, dès lors, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la consultation du Conseil d'Etat sur le décret attaqué a été entachée d'irrégularités ;
Sur la consultation du conseil supérieur des hôpitaux :
Considérant que le moyen tiré de ce que la composition du conseil supérieur des hôpitaux, lors de l'examen du projet de décret, n'aurait pas été régulière, n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Sur le moyen tiré de la violation de l'article 34 de la Constitution :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 45 de la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière : "les conditions d'implantation, les modalités de fonctionnement et de financement de certains services ou organismes hospitaliers de haute technicité dont les activités de soins et de diagnostic se situent dans des domaines de pointe d'un coût élevé sont fixées par voie réglementaire" ; que les activités de procréation médicalement assistée, qui se caractérisent par un taux d'échec important, nécessitent fréquemment plusieurs tentatives et sont d'un coût financier élevé, constituent des activités de haute technicité, même si leur pratique tend à se banaliser ; que le gouvernement a pu légalement se fonder sur les dispositions de l'article 45 de la loi susvisée du 31 décembre 1970 pour réglementer, par le décret attaqué, l'installation desdites activités dans les établissements d'hospitalisation publics et privés et soumettre la création ou le maintien des activités de cette nature aux procédures d'autorisation définies aux articles 34 et 48 de ladite loi ; que, par suite, l'association requérante ne saurait utilement soutenir que les dispositions du décret attaqué empièteraient sur le domaine réservé au législateur par l'article 34 de la Constitution ;
Considérant que les activités de procréation médicalement assistée étant un aspect de la cure médicale de la stérilité et n'étant contraires à aucun texte législatif en vigueur, le gouvernement pouvait, sur le fondement de l'article 45 précité de la loi du 31 décembre 1970, réglementer cette activité sur le seul plan technique, sans que le législateur ait, au préalable, défini des conditions ou limites dans lesquelles ces techniques médicales pouvaient être mise en oeuvre ni déterminé les conséquences qui peuvent en résulter sur le plan de la filiation et de la famille ; que ce décret ne traitant pas de ces aspects de la procréation, le moyen tiré de ce que ces matières relèvent du domaine de la loi, en vertu de l'article 34 de la Constitution, est inopérant ;
Sur la méconnaissance des articles L. 753 et suivants du code de la santé publique :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 753 du code de la santé publique résultant de la loi du 11 juillet 1975, les analyses de biologie médicale sont "les examens biologiques qui concourent au diagnostic, au traitement ou à la prévention des maladies humaines ou qui font apparaître toute autre modification de l'état physiologique" ; qu'à l'exception de quelques opérations très ponctuelles, les activités de procréation médicalement assistée sont distinctes des analyses ci-dessus définies, même lorsqu'elles n'ont pas un caractère clinique ;
Considérant, d'autre part, que si, en vertu des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 761 du code de la santé publique, les directeurs et directeurs adjoints de laboratoires d'analyses de biologie médicale "ne peuvent exercer une autre activité médicale, pharmaceutique ou vétérinaire", le sixième alinéa du même article dispose que : "des dérogations à l'interdiction du cumul d'activités peuvent être accordées par le ministre de la santé ... en tenant compte notamment de la situation géographique, des moyens de communication qui desservent la localité, de la densité de la population et de ses besoins. Elles peuvent aussi être accordées pour tenir compte des nécessités inhérentes à certains moyens de diagnostic ou à certaines thérapeutiques" ; que, dès lors, le gouvernement a pu, sur le fondement des dispositions dudit article L. 761, autoriser les laboratoires d'analyses de biologie médicale, sous réserve de l'obtention de la dérogation susmentionnée, à effectuer les actes définis au deuxième alinéa de l'article 1er dudit décret ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association des médecins pour le respect de la vie n'est pas fondée à soutenir que le décret attaqué, du 8 avril 1988, est entaché d'excès de pouvoir ;
Article 1er : Les interventions de l'association des praticiens de procréation médicalement assistée et de l'association groupe d'étude de la fécondation in vitro en France sont admises.
Article 2 : La requête de l'association des médecins pour le respect de la vie est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association des médecins pour le respect de la vie, à l'association des praticiens de procréation médicalement assistée, à l'association groupe d'étude de la fécondation in vitro en France et au ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale et au Premier ministre.