Vu la requête, enregistrée le 8 novembre 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le président de la COMMISSION NATIONALE DE LA COMMUNICATION ET DES LIBERTES (CNCL), sur le fondement de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 et tendant à ce que le Président de la section du contentieux du Conseil d'Etat :
1°) ordonne à la société T.F.1 de respecter au cours de son second exercice d'activité et pour l'avenir les dispositions de l'article 5 du décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 selon lesquelles les oeuvres audiovisuelles annuellement incluses dans les programmes mis à la disposition du public doivent, pour 50 % au moins d'entre elles, être d'expression originale française ;
2°) ordonne à la société T.F.1 de respecter au cours de son second exercice d'activité et pour l'avenir l'article 24 de la décision du 4 avril 1987 aux termes duquel la société doit réserver aux oeuvres télévisuelles en provenance des pays de la communauté économique européenne une part d'au moins 70 p. 100 dans le total des heures diffusées de ces oeuvres ;
3°) assortisse ces injonctions du versement d'une astreinte égale à 174 000 F par heure manquante ;
4°) ordonne à la société T.F.1 de respecter ses obligations de diffusion d'oeuvres d'expression originale française et d'oeuvres en provenance de la communauté économique européenne dans des programmes autres que ceux qui sont diffusés de 1 heure à 6 heures trente du matin,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 30 novembre 1986 et par la loi du 17 janvier 1989 ;
Vu le décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Aubin, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Moreau, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes des sixième et septième alinéas de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : "En cas de manquement aux obligations de la présente loi et pour l'exécution des missions de la COMMISSION NATIONALE DE LA COMMUNICATION ET DES LIBERTES, son président peut demander en justice qu'il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l'irrégularité ou d'en supprimer les effets. La demande est portée devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qui statue en référé et dont la décision est immédiatement exécutoire. Le président peut prendre, même d'office, toute mesure conservatoire et prononcer pour l'exécution de son ordonnance une astreinte versée au Trésor public" ; que, par requête du 8 novembre 1988, le président de la COMMISSION NATIONALE DE LA COMMUNICATION ET DES LIBERTES, a, sur le fondement de ces dispositions, saisi le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat d'une demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société T.F.1, par injonction assortie d'une astreinte, de respecter au cours de son second exercice d'activité et pour l'avenir, dans des programmes autres que ceux qui sont diffusés de 1 heure à 6 heures 30 du matin, d'une part, les dispositions de l'article 5 du décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 selon lesquelles les oeuvres audiovisuelles annuellement incluses dans les programmes mis à la disposition du public doivent, pour 50 p. 100 au moins d'entre elles, être d'expression originale française, d'autre part, les dispositions de l'article 24 de la décision du 4 avril 1987 désignant le groupe cessionnaire de 50 p. 100 du capital de la société nationale de programme Télévision française 1 selon lesquelles la société doit réserver aux oeuvres télévisuelles en provenance des pays de la communauté économique européenne une part d'au moins 70 % du temps consacré à la diffusion de ces oeuvres ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, reprises à l'article 42-10 de la même loi dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 1989 que l'exercice de la compétence attribuée par lesdites dispositions au Président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qui a transmis à cette section l'examen de la demande, comporte nécessairement le pouvoir de constater les manquements allégués dans la demande de la CNCL ; qu'il lui appartient non seulement de prescrire des mesures à caractère conservatoire, mais également, après avoir tranché le cas échéant les questions de fait ou de droit dont la solution est nécessaire à cette fin, d'ordonner toute mesure visant à ce que le responsable du manquement mette fin à l'irrégularité ou en supprime les effets ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 14 du document annexé au décret du 30 janvier 1987 fixant le cahier des charges imposé au cessionnaire de la société Télévision française 1 : "Pour la diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, la société est soumise aux règles fixées par le décret n° 87-36 du 26 janvier 1987 pris pour l'application des articles 27-I et 70 de la loi du 30 septembre 1986 et fixant, pour certains services de télévision le régime de diffusion des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles" ; qu'en vertu de l'article 5 de ce décret les oeuvres audiovisuelles annuellement incluses dans les programmes mis à la disposition du public doivent, pour 50 p. 100 au moins d'entre elles, être d'expression originale française et, pour 60 p. 100 au moins d'entre elles, être d'origine communautaire ;
Considérant, d'autre part, que la décision du 4 avril 1987 désignant le groupe d'acquéreurs conduit par la société Bouygues comme cessionnaire de 50 p. 100 du capital de la société nationale de programme Télévision française 1, prise au vu des "engagements supplémentaires souscrits par ce groupe", dont elle ne méconnaît pas la portée, dispose en son article 24 que "la société s'engage à réserver aux oeuvres télévisuelles en provenance des pays ... de la communauté économique européenne une part d'au moins 70 p. 100 dans le total des heures diffusées de ces oeuvres" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions susrappelées que, dès son premier exercice d'activité, la société T.F.1 était tenue de faire en sorte que les oeuvres audiovisuelles annuellement incluses dans les programmes mis par elle à la disposition du public soient pour 50 p. 100 au moins d'entre elles, d'expression originale française et, pour 70 p. 100 d'origine communautaire ;
Sur l'existence des manquements allégués :
Considérant que, pour apprécier la manière dont la société T.F.1 s'est acquittée des obligations que lui imposent l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 et l'article 24 de la décision du 4 avril 1987, la commission a pu légalement estimer que constituaient des oeuvres audiovisuelles au sens de la loi du 30 septembre 1986 et de ses textes d'application, qui ne définissent pas les oeuvres audiovisuelles par référence à la loi du 11 mars 1957 modifiée par la loi du 3 juillet 1985 sur la propriété littéraire et artistique, les oeuvres de fiction de toute nature, les documentaires et les oeuvres dites "vidéomusiques scénarisées" ; qu'il ne résulte pas des pièces du dossier qu'elle ait exclu de ses calculs des programmes qui, tout en n'appartenant à aucun des trois genres ci-dessus énumérés, auraient présenté dans leur conception ou leur réalisation une part de création de nature à les faire regarder comme des oeuvres audiovisuelles ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier qu'au cours de l'année 1987, dont la société T.F.1 a accepté qu'elle constitue son premier exercice d'activité, les oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et d'origine communautaire qu'elle a diffusées ont représenté respectivement 34 p. 100 et 39,2 p. 100 du total des oeuvres audiovisuelles diffusées ; qu'un manquement de la société T.F.1 à ses obligations était ainsi établi au cours de son premier exercice d'activité et que, d'ailleurs, pendant la période de 12 mois qui s'est écoulée depuis la date d'effet de la décision du 4 avril 1987, ces pourcentages ne se sont élevés respectivement qu'à 31,3 p. 100 et à 35,3 p. 100 ; que, par suite et en tout état de cause, le président de la CNCL a pu, sans attendre la fin de l'année 1988, demander au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat d'ordonner, en application de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, à la société T.F.1 de se conformer aux dispositions fixant les quotas de diffusion des oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et d'origine communautaire ;
Sur les conclusions du président de la CNCL tendant à ce qu'il soit enjoint à la société T.F.1 de respecter en 1988 les règles fixées par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 et l'article 24 de l'autorisation du 4 avril 1987 :
Considérant que, l'année 1988 étant révolue, les conclusions du président de la CNCL tendant qu'à ce que des injonctions soient adressées à la société T.F.1 au titre de cette année ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à ce que des injonctions soient adressées pour l'avenir à la société TF 1 :
Considérant, d'une part, que la société T.F.1 n'allègue aucune circonstance de droit ou de fait qui soit de nature à la dispenser, au cours de l'année 1989 et des exercices ultérieurs, de respecter les obligations qui lui sont imposées par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 en ce qui concerne la diffusion d' oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et par l'article 24 de la décision du 4 avril 1987 en ce qui concerne la diffusion d' oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit aux conclusions du président de la CNCL tendant à ce que soit prononcée à l'encontre de la société T.F.1 une injonction assortie d'une astreinte d'avoir à respecter les obligations susrappelées ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte des pièces du dossier que la société T.F.1 a décidé à partir du 1er juillet 1988 d'assurer des émissions sans interruption de 0 h à 24 h ; qu'à compter de cette date elle a programmé entre 1 heure et 6 heures 30 du matin 80 p. 100 du total des oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et 77 p. 100 du total des oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire qu'elle a diffusées ; que si aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune disposition de la décision du 4 avril 1987 ne précise les heures auxquelles il doit être procédé à la diffusion des oeuvres en cause, il résulte de l'objet même des dispositions susrappelées, qui tendent à ce que soit mise à la disposition effective du public une part minimale d'oeuvres d'expression originale française et d'origine communautaire, que cette obligation ne saurait être regardée comme respectée si les pourcentages fixés pour lesdites oeuvres n'étaient atteints que par des diffusions ayant lieu au cours des programmes de nuit, à des heures où l'audience est quasi-nulle et si le respect de ces pourcentages n'était pas assuré aux heures normales d'écoute c'est-à-dire entre 6 heures 30 et 1 heure du matin ; que, dans ces conditions, le président de la CNCL est fondé à demander que l'injonction faite à la société T.F.1 de respecter les pourcentages de diffusion des oeuvres d'expression originale française et d'origine communautaire comporte injonction de procéder à la diffusion de ces oeuvres de façon que les quotas fixés par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 et par l'article 24 de la décision du 4 avril 1987 soient atteints pour les oeuvres audiovisuelles diffusées dans des programmes mis à la disposition du public entre 6 heures 30 et 1 heure du matin ;
Article 1er : Il est enjoint à la société T.F.1 de se conformer au cours de l'exercice 1989 et des années suivantes, aux obligations fixées par l'article 5 du décret du 26 janvier 1987 en ce qui concerne la diffusion des oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et aux obligations fixées par l'article 24 de la décision du 4 avril 1987 en ce qui concerne la diffusion des oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire, les pourcentages d'oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et d'oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire que lui imposent ces dispositions, devant être atteints dans les programmes diffusés de 6 heures 30 à 1 heure du matin.
Article 2 : Les manquements constatés au terme de l'exercice 1989 et des exercices suivants donneront lieu à une astreinte calculée pour chaque exercice de la façon suivante : - 20 000 F par heure manquante si les pourcentages de diffusion constatés entre 6 heures 30 et 1 heure du matin atteignent entre 45 et 50 p. 100 pour les oeuvres d'expression originale française, entre 63 et 70 p. 100 pour les oeuvres d'origine communautaire. - 40 000 F par heure manquante si les pourcentages de diffusion constatés entre 6 heures 30 et 1 heure du matin atteignent entre 35 et 45 p. 100 pour les oeuvres d'expression originale française, entre 49 et 63 p. 100 pour les oeuvres d'origine communautaire. - 60 000 F par heure manquante si les pourcentages de diffusion constatés entre 6 heures 30 et 1 heure du matin sont inférieurs à 35 p. 100 pour les oeuvres d'expression originale française, à 49 p. 100 pour les oeuvres d'origine communautaire.
Article 3 : Le surplus de la demande du président de la COMMISSION NATIONALE DE LA COMMUNICATION ET DES LIBERTES est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMISSION NATIONALE DE LA COMMUNICATION ET DES LIBERTES, à la société anonyme Télévision française T.F.1. et au ministre de la culture, de la communication, des grands travaux et du Bicentenaire.