Vu la requête enregistrée le 20 mai 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Y... FIDAN, actuellement détenu à la maison d'arrêt de Besançon et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule un décret en date du 10 avril 1986 accordant son extradition comme suite à une demande du gouvernement turc ;
2° ordonne le sursis à l'exécution dudit décret ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 10 mars 1927 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Wahl, Auditeur,
- les observations de la S.C.P. Waquet, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant qu'en vertu de la loi du 9 octobre 1981 la peine de mort a été abolie en France ; qu'aux termes de l'article 1er du protocole n° 6 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales introduit dans l'ordre juridique interne à la suite de sa ratification, autorisée par la loi du 31 décembre 1985 et de sa publication ordonnée par le décret du 28 février 1986, "La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté" ; que l'application de la peine de mort à une personne ayant fait l'objet d'une extradition accordée par le gouvernement français serait contraire à l'ordre public français ;
Considérant que la demande d'extradition présentée par le gouvernement turc à l'encontre de M. Y... FIDAN était fondée sur les faits d'homicide, de tentative d'homicide et d'infraction à la législation sur les armes ; que si l'article 448 du code pénal turc dispose que la peine encourue en cas d'homicide est de 24 à 30 ans de réclusion, il ne ressort pas des pièces du dossier que la peine capitale ne puisse être encourue par M. X... en raison de la mention dans les actes de procédure émanant des autorités turques de la qualification d'homicide avec prémédidation ;
Considérant que si, par le décret attaqué, le gouvernement français n'a accordé l'extradition que "sous réserve que les faits motivant la demande d'extradition conservent les qualifications visées selon lesquelles ils ne sont pas punissables de la peine capitale", cette réserve, en l'absence de convention entre la France et la Turquie, n'a pas pour effet de lier les juridictions turques en ce qui concerne la qualification des faits pour la poursuite desquels l'extradition est accordée ;
Considérant enfin que le gouvernement français n'a pas obtenu des autorités turques l'assurance que la peine de mort ne serait pas exécutée au cas où elle serait prononcée ; que, par suite, M. X... est fondé à soutenir que le décret attaqué est entaché d'excès de pouvoir ;
Article 1er : Le décret du 10 avril 1986 est annulé.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Y... FIDAN au Premier minstre et au Garde des sceaux, ministre de la justice.