Vu 1° sous le n° 51 283, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 13 juin 1983 et 23 juillet 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société EMERY, dont le siège social est ... à Marseille 13000 , représentée par son président-directeur général en exercice et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du 12 avril 1983 par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à garantir Gaz de France des condamnations prononcées à son encontre en réparation des dommages causés à la plateforme de la voie ferrée Lyon-Marseille du fait de travaux d'installation d'une canalisation de gaz effectuée en octobre 1972 ;
- rejette l'action en garantie contre elle présentée par Gaz de France, et la demande présentée par la S.N.C.F. devant le tribunal administratif de Marseille ;
- décide qu'il sera sursis à l'exécution de ce jugement ;
Vu 2° sous le n° 52 614, la requête sommaire, enregistrée le 22 juillet 1983, au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, et le mémoire complémentaire, enregistré le 22 novembre 1983, présentés pour l'établissement public Gaz de France, dont le siège est ... , représenté par son directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
- réforme le jugement du 12 avril 1983 par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamné à verser à la S.N.C.F. une indemnité de 454 485,41 F ; qu'il estime excessive, en réparation des dommages causés à la plateforme de la voie ferrée Lyon-Marseille à l'occasion des travaux d'installation d'une canalisation de gaz effectués en octobre 1972 ;
- limite au tiers du préjudice l'indeminité dûe par Gaz de France à la S.N.C.F., et ordonne à la S.N.C.F. le remboursement des sommes versées en trop par Gaz de France en exécution du jugement attaqué ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de Mme Lenoir, Maître des requêtes,
- les observations de la S.C.P. Lyon-Caen, Fabiani, Liard, avocat de la société EMERY, de Me Odent, avocat de la société nationale des chemins de fer français et de Me Coutard, avocat du Gaz de France, service national,
- les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la société EMERY et de Gaz de France sont relatives à la réparation des conséquences d'un même sinistre ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société EMERY a présenté, à l'issue des opérations d'expertise, deux mémoires en défense, enregistrés au greffe du tribunal administratif les 22 et 23 mars 1983, dans lesquels elle a soulevé des moyens nouveaux, tirés notammen de l'existence de fautes qui seraient imputables à Gaz de France ; que le tribunal administratif n'a pas visé lesdits mémoires et n'a pas répondu aux moyens ainsi présentés ; que son jugement a, dès lors, été rendu dans des conditions irrégulières et doit, par suite, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société nationale des chemins de fer français devant le tribunal administratif et sur l'appel en garantie de Gaz de France ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'au cours du mois d'octobre 1972 Gaz de France a fait procéder à des travaux d'installation d'une canalisation de gaz dans la plate-forme de la voie ferrée de la ligne Lyon-Marseille ; qu'il résulte de l'instruction qu'une brèche importante s'est ouverte sous les rails à l'endroit des travaux en raison de l'affouillement produit sous le talus de la voie ferrée par les eaux pluviales recueillies par le puits situé au pied du talus et par la galerie passant sous la voie ferrée et qui avaient été creusés pour la pose de ladite canalisation ; qu'ainsi il existe entre ces travaux et le dommage supporté par la société nationale des chemins de fer français un lien direct de cause à effet ;
Considérant que l'acte, en date du 16 janvier 1970, en vertu duquel la société nationale des chemins de fer français a autorisé Gaz de France à occuper le domaine public ferroviaire pour la réalisation de ces travaux constitue une permission de voirie et ne revêt pas un caractère contractuel ; que, par suite, les travaux ainsi entrepris par Gaz de France, qui ont le caractère de travaux publics bien qu'ils ne fussent pas entrepris dans l'intérêt du domaine public ferroviaire, engagent la responsabilité de Gaz de France à l'égard de la société nationale des chemins de fer français sur le terrain du risque et que cette responsabilité se trouve engagée dès lors que les dommages dont il est demandé réparation sont directement imputables à ces travaux et n'ont pas été provoqués par un événement de force majeure ; que Gaz de France ne peut utilement invoquer, pour atténuer cette responsabilité, la circonstance, imputable à un tiers, que les dommages auraient été aggravés par le déversement dans son ouvrage d'un volume d'eau accru par le mauvais fonctionnement du système de drainage des eaux de pluie ruisselant sur l'autoroute A7 voisine de la voie ferrée ; qu'il suit de là que la société nationale des chemins de fer français est fondée à demander que Gaz de France soit condamné à l'indemniser de l'intégralité du préjudice que lui a causé ce sinistre ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il résulte du rapport de l'expert commis par les premiers juges que le montant du préjudice supporté par la société nationale des chemins de fer français s'élève à 454 485,41 F hors taxes ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de Gaz de France, cette somme majorée des taxes y afférentes ;
Sur les intérêts :
Considérant que l'autorisation d'occupation du domaine ferroviaire accordée le 16 janvier 1970 à Gaz de France dispose, en son article 4 qu'au cas où les mémoires de dépenses exposées par la société nationale des chemins de fer français pour la remise en état de ses installations, ne seraient pas payés dans les trois mois de leur présentation, des intérêts moratoires, calculés au taux d'escompte de la Banque de France majoré d'un point sont dus de plein droit sans aucune mise en demeure ; que la société nationale des chemins de fer français ayant présenté à Gaz de France le décompte des frais qu'elle a exposé le 9 mars 1973, les intérêts sont dus au taux ainsi défini, à compter du 9 juin 1973 ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 17 juillet 1974, 13 février 1976, 17 novembre 1981 et 25 novembre 1982 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur l'action en garantie présentée par Gaz de France contre l'entreprise EMERY :
Considérant qu'aux termes du contrat conclu entre Gaz de France et l'entreprise EMERY, l'entrepreneur demeure seul responsable de tous dommages matériels ou corporels résultant directement ou indirectement de ses travaux ... notamment aux ouvrages publics ; qu'en vertu de ces stipulations, Gaz de France est fondé à demander à être garanti par l'entreprise EMERY des condamnations mises à sa charge ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions du rapport d'expertise versé au dossier, que les dommages litigieux sont imputables à parts égales, aux travaux entrepris par Gaz de France et à l'insuffisante capacité du dispositif d'évacuation des eaux de ruissellement de l'autoroute A7 longeant la voie ferrée ; qu'il y a lieu, par suite, de limiter la garantie due par l'entreprise EMERY à la moitié des condamnations mises à la charge de Gaz de France et de rejeter le surplus des conclusions de la demande de Gaz de France ;
Considérant que si la société EMERY soutient également que le montant de la garantie mise à sa charge doit être réduit compte tenu des fautes qu'auraient commises la société nationale des chemins de fer français, d'une part, en n'informant pas Gaz de France et l'entreprise de l'état défectueux du dispositif d'évacuation des eaux de ruissellement de l'autoroute et, d'autre part, Gaz de France, en édifiant à proximité du lieu du sinistre une buse et un ouvrage en béton pour la protéger, il ne résulte pas de l'instruction et notamment du rapport de l'expert qui n'en fait pas état, que ces circonstances, à les supposer établies, aient eu, avec les dommages litigieux, un lien de cause à effet ; qu'il ressort d'ailleurs de ses déclarations non contestées que Gaz de France n'a pas édifié les ouvrages qui lui sont ainsi, à tort, attribués ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter le surplus des conclusions de la requête de la société EMERY ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 12 avril 1983 est annulé.
Article 2 : Gaz de France est condamné à payer à la société nationale des chemins de fer français la somme de 454 485,41 F, majorée des taxes correspondantes.
Article 3 : Cette somme due portera intérêt au taux d'escompte de la Banque de France, majoré d'un point, à compter du 9 juin 1973. Les intérêts échus aux 17 juillet 1974, 13 février 1976, 17 novembre 1981 et 25 novembre 1982 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'entreprise EMERY garantira Gaz de France de la moitié des condamnations mises à sa charge.
Article 5 : La requête de Gaz de France et le surplus des conclusions de la requête de la société EMERY, de la demande présentée par Gaz de France devant le tribunal administratif de Marseille sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société EMERY, à Gaz de France, à la société nationale des chemins de fer français et au ministre de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports.