Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 19 mai 1983 et 19 septembre 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour :
1° M. Henry C... et associés, architecte demeurant ... 92100 ,
2° M. Philippe Z..., demeurant ... 92100 ,
3° M. Jacques D..., demeurant ... 92100 ,
4° la société anonyme "Séchaud et Bossuyt Engineering", dont le siège est ... à Paris 75010 ,
5° la société anonyme "bureau d'études techniques Baulieu" dont le siège social est ... 92420 ,
6° la société anonyme "Teta" dont le siège social est ... à Le Raincy 93340 ,
7° la société anonyme "bureau d'études Sailly" dont le siège social est ... à Paris 75012 ,
8° M. Pierre X..., demeurant ... à Paris 75015 ,
9° M. Henri F..., demeurant ...
Y... Martin 06180 ,
10° M. Jean A..., demeurant ... à Paris 75019 ,
11° la société à responsabilité limitée "Eric Lieure-Patrick E..." dont le siège est ... à Paris 75001 ,
12° la société à responsabilité limitée "Atelier d'Ingénierie et de Sécurité, département sécurité COGES Méditerranée" dont le siège social est ... à Nice 06100 ,
13° M. Jean-Claude G..., syndic au règlement judiciaire de la société à responsabilité limitée "Atelier d'Ingénierie et de Sécurité" demeurant ... à Nice 06000 ,
et tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1° annule le jugement du 18 mars 1983 par lequel le tribunal administratif de Nice a partiellement rejeté leur demande tendant à ce que la ville de Cannes soit condamnée à leur payer une somme de 3 775 880 F en règlement des prestations qu'ils ont rendues en exécution d'un marché d'études conclu le 4 juillet 1978 en vue de la construction d'un nouveau palais des festivals et des congrès à Cannes ;
2° condamne la ville de Cannes à leur verser la somme demandée de 3 775 880 F en plus de celle de 936 000 F que prévoyait le marché, et subsidiairement dise que la responsabilité de la ville est engagée dans la proportion de 80 % et en conséquence la condamner à leur verser une somme de 2 612 670 F en plus de celle de 936 000 F ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le décret n° 73-207 du 28 février 1973 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M. Leulmi, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Spinosi, avocat de M. C... et autres et de la S.C.P. Martin-Martinière Ricard, avocat de la ville de Cannes,
- les conclusions de M. Lasserre, Commissaire dugouvernement ;
Considérant qu'à la suite d'un concours que la ville de Cannes a lancé par voie d'appel public à la concurrence en vue de la réalisation de l'ouvrage dit "Palais des Festivals et des Congrès", M. C..., architecte, s'est porté candidat au nom d'un groupement de concepteurs, et s'est engagé par un marché du 4 juillet 1978 à exécuter, pour une même rémunération que l'article 6 du marché arrêtait forfaitairement à 936 000 F, un ensemble de prestations consistant en l'établissement "d'un avant-projet détaillé", d'un "dossier d'impact de l'ouvrage sur l'environnement", et d'une "maquette de qualité à l'échelle 1/100ème..." ; que, statuant sur des demandes de M. C..., qui tendaient à ce que la ville de Cannes lui versât une somme totale de 3 775 880 F en rémunération de ses travaux, le tribunal administratif de Nice a décidé, par jugement du 18 mars 1983, que la rémunération forfaitaire due en application de l'article 6 du marché devait être portée à 1 008 000 F pour tenir compte de modifications que le maître de l'ouvrage avait apportées dans la consistance de son projet en cours d'exécution du marché d'études, et a accordé à M. C... un complément de rémunération de 72 000 F ;
En ce qui concerne la rémunération de "l'avant-projet détaillé" :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret n° 73-207 du 28 février 1973, relatif aux conditions de rémunération des missions d'ingénierie et d'architecture, les contrats par lesquels les collectivités locales et leurs établissements publics confient à des prestataires des missions d'ingénierie et d'architecture ayant pour objet d'apporter au maître d'ouvrage un concours pour la programmation des équipements et leur définition "sont soumis à la réglementation des marchés publics. Les missions objet de ces contrats sont rémunérées conformément aux dispositions du chapitre II pour les missions dites complètes et du chapitre III pour les missions dites partielles. Le maître de l'ouvrage doit, dans le contrat, décrire l'objet de la mission, en préciser le contenu et, corrélativement, indiquer si elle est complète ou partielle" ;
Considérant que, dans la mesure où le groupement de concepteurs était chargé d'établir un avant-projet détaillé dont le marché précise qu'il est l'élément constitutif d'une mission partielle au sens du décret du 28 février 1973, l'article 10 de ce décret rendait obligatoire le mode de rémunération que définit la disposition du a dudit article 10 aux termes de laquelle : "La rémunération est fixée forfaitairement. Dans le cas d'une mission composée d'éléments de missions normalisés, le montant forfaitaire résulte du barême prévu à l'article 8 ci-dessus, appliqué en remplaçant le coût d'objectif par un coût prévisionnel de réalisation fixé, ainsi que la note de complexité, par le maître de l'ouvrage. Dans ce cas, les taux de ce barême sont diminués de 10 %" ;
Considérant qu'en vertu de l'article 6 du marché, "La rémunération attribuée au mandataire représentant le groupement de concepteurs est égale à 40 % du coût de l'avant-projet détaillé barême E2 calculée par rapport à un coût d'objectif de 130 000 000 F et à la note de complexité 8" ; qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que le marché ne pouvait pas légalement stipuler un mode de rémunération différent de celui que prévoit la disposition du a de l'article 10 du décret du 28 février 1973, et qu'ainsi le groupement de concepteurs est fondé à soutenir que la clause contractuelle de rémunération est entachée de nullité en tant qu'elle opère sur les taux du barême auquel elle se réfère, un abattement supérieur à 10 % ;
Considérant que le juge du contrat n'a pas le pouvoir d'annuler ou de modifier ce contrat pour le rendre conforme à la réglementation en vigueur, et doit seulement rechercher si l'illégalité qui affecte en l'espèce la clause contractuelle de rémunération a été commise dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité au profit du titulaire du contrat ; que si la ville de Cannes, en insérant cette clause dans le contrat, a commis une faute qui engage sa responsabilité, le groupement de concepteurs a lui aussi commis une faute en acceptant cette même clause dont il ne pouvait ignorer l'illégalité ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en laissant à la charge du groupement la moitié du préjudice que lui a causé la fixation par l'article 6 du marché d'une rémunération inférieure à celle qui lui était légalement due ; que la ville de Cannes ne conteste pas que le préjudice subi s'élève à la somme de 1 282 680 F, et qu'elle doit dès lors payer au groupement une indemnité de 641 340 F ;
En ce qui concerne l'indemnisation des autres prestations :
Considérant, d'une part, que les travaux ayant consisté en l'établissement d'un "dossier d'impact" et d'une "maquette à l'échelle 1/100ème" étaient compris dans la mission que le groupement de concepteurs avait acceptée pour la rémunération que stipulait le marché ; que, par suite, ledit groupement, qui ne pouvait se méprendre sur la portée de son engagement, n'est pas fondé à demander, pour l'exécution de ces deux prestations, une indemnité venant s'ajouter à celle à laquelle il a droit en réparation du préjudice que lui a causé l'illégalité de la clause contractuelle de rémunération ;
Considérant, d'autre part, qu'en signant le marché qui lui demandait la fourniture d'un "avant-projet détaillé", le groupement de concepteurs s'engageait par là-même à prendre en charge tous les travaux nécessaires à la bonne exécution de sa mission contractuelle ; qu'il ne peut, dès lors, réclamer aucune indemnité en paiement d'un "avant-projet sommaire" qu'il aurait établi pour servir de base à la mise au point de l'avant-projet détaillé ;
Sur la demande d'intérêts et de capitalisation des intérêts :
Considérant que le groupement de concepteurs a droit aux intérêts afférents à l'indemnité de 641 340 F que lui accorde la présente décision, à compter du 29 mars 1979, date d'enregistrement de sa demande d'indemnité devant le tribunal administratif ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 19 mai 1983 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : Outre la somme de 72 000F qu'elle doit en exécution de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nice en date du 18 mars 1983, la ville de Cannes est condamnée à payer au groupement de concepteurs une indemnité de 641 340 F avec les intérêts au taux légal à compter du 29 mars 1978. Les intérêts échus le 19 mai 1983 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 18 mars 1983 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C..., M. Z..., M. D..., la Société "Sichaud et Bossuyt Enginecring", la Société "Bureau d'études techniques Baulieu", la Société "Téta", la Société "Bureau d'études Sailly", M. X..., M. F..., M. A..., la Société "Eric B... - Patrick E...", la Société "Atelier d'Ingénierie et de sécurité, département Sécurité Méditerranée", M. G..., et à la ville de Cannes et au ministre de l'intérieur et de la décentralisation.