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11/04/2013 | FRANCE | N°2013-666

France | France, Conseil constitutionnel, 11 avril 2013, 2013-666


Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, le 13 mars 2013, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, Philippe BAS, René BEAUMONT, Christophe BÉCHU, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Jean BIZET, Pierre BORDIER, Mme Natacha BOUCHART, M. Joël BOURDIN, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, Jean-Pierre CANTEGRIT, J

ean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉ...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, le 13 mars 2013, par MM. Jean-Claude GAUDIN, Pierre ANDRÉ, Gérard BAILLY, Philippe BAS, René BEAUMONT, Christophe BÉCHU, Michel BÉCOT, Joël BILLARD, Jean BIZET, Pierre BORDIER, Mme Natacha BOUCHART, M. Joël BOURDIN, Mme Marie-Thérèse BRUGUIÈRE, MM. François-Noël BUFFET, Jean-Pierre CANTEGRIT, Jean-Noël CARDOUX, Jean-Claude CARLE, Mme Caroline CAYEUX, MM. Gérard CÉSAR, Pierre CHARON, Alain CHATILLON, Jean-Pierre CHAUVEAU, Marcel-Pierre CLÉACH, Christian COINTAT, Gérard CORNU, Raymond COUDERC, Jean-Patrick COURTOIS, Philippe DALLIER, Mme Isabelle DEBRÉ, MM. Francis DELATTRE, Robert del PICCHIA, Gérard DÉRIOT, Mmes Catherine DEROCHE, Marie-Hélène DES ESGAULX, MM. Éric DOLIGÉ, Philippe DOMINATI, Michel DOUBLET, Mme Marie-Annick DUCHÊNE, MM. Alain DUFAUT, André DULAIT, Ambroise DUPONT, Louis DUVERNOIS, Jean-Paul EMORINE, André FERRAND, Louis-Constant FLEMING, Michel FONTAINE, Bernard FOURNIER, Jean-Paul FOURNIER, Christophe-André FRASSA, Yann GAILLARD, René GARREC, Jacques GAUTIER, Patrice GÉLARD, Bruno GILLES, Mme Colette GIUDICELLI, MM. Alain GOURNAC, Francis GRIGNON, François GROSDIDIER, Charles GUENÉ, Pierre HÉRISSON, Michel HOUEL, Alain HOUPERT, Jean-François HUMBERT, Benoît HURÉ, Jean-Jacques HYEST, Mmes Sophie JOISSAINS, Christiane KAMMERMANN, MM. Roger KAROUTCHI, Marc LAMÉNIE, Mme Élisabeth LAMURE, MM. Gérard LARCHER, Daniel LAURENT, Jean-René LECERF, Antoine LEFÈVRE, Jacques LEGENDRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Jean-Claude LENOIR, Philippe LEROY, Gérard LONGUET, Roland du LUART, Michel MAGRAS, Philippe MARINI, Jean-François MAYET, Mme Colette MÉLOT, MM. Alain MILON, Albéric de MONTGOLFIER, Philippe NACHBAR, Jackie PIERRE, Xavier PINTAT, Rémy POINTEREAU, Christian PONCELET, Ladislas PONIATOWSKI, Hugues PORTELLI, Mmes Sophie PRIMAS, Catherine PROCACCIA, MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, André REICHARDT, Bruno RETAILLEAU, Charles REVET, Bernard SAUGEY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Bruno SIDO, Mme Esther SITTLER, M. André TRILLARD, Mme Catherine TROENDLE, MM. François TRUCY, Hilarion VENDEGOU et Jean-Pierre VIAL, sénateurs ;

Et le même jour, par MM. Christian JACOB, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Benoist APPARU, Julien AUBERT, Olivier AUDIBERT TROIN, Jean-Pierre BARBIER, François BAROIN, Jacques-Alain BÉNISTI, Xavier BERTRAND, Jean-Claude BOUCHET, Xavier BRETON, Dominique BUSSEREAU, Yves CENSI, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Eric CIOTTI, François CORNUT-GENTILLE, Edouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Gérald DARMANIN, Bernard DEFLESSELLES, Rémi DELATTE, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Mme Marianne DUBOIS, MM. Daniel FASQUELLE, Yves FOULON, Marc FRANCINA, Laurent FURST, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Mme Annie GENEVARD, MM. Bernard GÉRARD, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Mmes Anne GROMMERCH, Arlette GROSSKOST, MM. Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Michel HEINRICH, Michel HERBILLON, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Guénhaël HUET, Sébastien HUYGHE, Mme Valérie LACROUTE, MM. Marc LAFFINEUR, Jean-François LAMOUR, Mme Laure de LA RAUDIÈRE, M. Alain LEBOEUF, Mme Isabelle LE CALLENNEC, MM. Marc LE FUR, Bruno LE MAIRE, Dominique LE MÈNER, Pierre LEQUILLER, Philippe LE RAY, Mmes Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, MM. Lionnel LUCA, Thierry MARIANI, Hervé MARITON, Olivier MARLEIX, Philippe MARTIN, Alain MARTY, François de MAZIÈRES, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Jean-Luc MOUDENC, Jacques MYARD, Mme Dominique NACHURY, MM. Yves NICOLIN, Edouard PHILIPPE, Jean-Frédéric POISSON, Axel PONIATOWSKI, Mme Josette PONS, M. Bernard REYNÈS, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Martial SADDIER, Paul SALEN, François SCELLIER, Mme Claudine SCHMID, MM. André SCHNEIDER, Fernand SIRÉ, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Lionel TARDY, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Jean-Marie TETART, Dominique TIAN, Mme Catherine VAUTRIN, MM. Patrice VERCHÈRE, Jean-Pierre VIGIER, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Mme Marie-Jo ZIMMERMANN, députés

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de l'énergie ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ;

Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 27 mars 2013 ;

Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 3 avril 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes ; que les sénateurs requérants contestent la procédure d'adoption de son article 2 ainsi que la conformité à la Constitution de cet article et des articles 24, 26 et 29 de la loi ; que les députés requérants contestent la procédure d'adoption des articles 24, 26 et 29 ; qu'ils contestent également la conformité à la Constitution de ses articles 2, 14, 24, 26 et 29 ;

- SUR L'ARTICLE 2 :

. En ce qui concerne la procédure :

2. Considérant que les sénateurs requérants font valoir que l'adoption de l'article 2 de la proposition de loi dans une rédaction entièrement nouvelle introduite par amendement en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale n'a permis d'examiner le dispositif législatif finalement adopté qu'à l'occasion d'une seule lecture, alors que ces dispositions « auraient mérité, du fait de leur technicité et de leur nouveauté, un examen plus approfondi » ; qu'aurait ainsi été méconnue l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires ;

3. Considérant qu'il ressort de l'économie de l'article 45 de la Constitution et notamment de son premier alinéa aux termes duquel : « Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique », que les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ; que, toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ;

4. Considérant que l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi en première lecture le 4 octobre 2012 et que le Sénat a rejeté le texte en adoptant le 30 octobre 2012 une motion opposant l'exception d'irrecevabilité à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale ; qu'à la suite de l'échec de la procédure de la commission mixte paritaire le 19 décembre 2012, l'Assemblée nationale a été saisie en nouvelle lecture de la proposition de loi dans le texte qu'elle avait précédemment adopté ; que la commission permanente compétente a alors adopté un amendement de réécriture globale de l'article 2 de la proposition de loi ; que cet amendement avait pour objet de modifier une disposition restant en discussion à ce stade de la procédure ; qu'il s'ensuit qu'il a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution et n'a pas porté atteinte à l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires ;

. En ce qui concerne le fond :

5. Considérant que l'article 2 insère dans le code de l'énergie un nouveau titre II bis intitulé « Bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau », comprenant les articles L. 230-1 à L. 230-30, et qui, selon l'article L. 230-1, crée, à compter du 1er janvier 2015, un « dispositif de bonus-malus » ; que l'article L. 230-3 définit, pour chaque énergie de réseau et pour chaque site de consommation résidentiel qui est une résidence principale ou une résidence occasionnelle, la formule de calcul de la quantité annuelle d'énergie appelée « volume de base » ; que le même article prévoit un bonus, appliqué à la fraction de consommation d'énergie de réseau en deçà de ce volume de base, et un malus, appliqué à la fraction de consommation d'énergie de réseau au-delà de ce volume ; que l'article L. 230-4 procède de même pour les immeubles collectifs affectés en tout ou partie à l'usage d'habitation ; que l'article L. 230-5 confie à un organisme le soin de collecter et de mettre à jour les données nécessaires au calcul des volumes de base, à la détermination des taux des bonus et des malus et à l'attribution du bonus-malus ; que l'article L. 230-6 définit les modalités de calcul et les conditions d'exigibilité du malus ainsi que celles du versement du bonus ; que cet article prévoit également l'encadrement des taux des bonus et malus applicables aux fractions de consommation d'énergie de réseau ; que l'article L. 230-7 prévoit une minoration des taux des malus pour les consommateurs ayant droit à certaines tarifications spéciales ; que l'article L. 230-10 définit les conditions de fixation annuelle des taux des bonus et des malus ; que l'article L. 230-11 crée un fonds de compensation du bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau ; que les articles L. 230-12 à L. 230-26 organisent les conditions dans lesquelles les fournisseurs d'énergies de réseau assurent sous le contrôle de l'État la collecte du malus et le versement du bonus ;

6. Considérant que les sénateurs et les députés requérants soutiennent, en premier lieu, qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition de certains coefficients utilisés pour le calcul des volumes de référence ainsi que la fixation annuelle des taux des malus et des bonus, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; que le dispositif instauré par l'article contesté serait une source d'insécurité juridique en ce qu'il ne permettrait pas aux consommateurs de connaître à l'avance le seuil de consommation à partir duquel une fraction de leur consommation d'énergie cessera de bénéficier d'un bonus et fera l'objet d'un malus, non plus que le montant effectif du bonus qu'ils recevront et du malus qui sera exigible selon leur consommation effective d'énergies de réseau au cours de l'année civile ; qu'il porterait atteinte à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui résulte des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que, selon les sénateurs requérants, l'absence de création d'un compte d'affectation spéciale alors qu'est instaurée une recette fiscale nouvelle assurant le financement d'une dépense déterminée méconnaît les exigences de l'article 21 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

7. Considérant que les sénateurs et les députés requérants font valoir, en deuxième lieu, que le dispositif de bonus-malus institué par l'article 2 méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques ; qu'il conduirait en particulier à rompre l'égalité entre les consommateurs d'énergie en fonction de leur localisation au sein d'une même commune, de leur situation personnelle selon qu'ils demeurent ou non à leur domicile en raison de leur activité ou de leur absence d'activité professionnelle, de la nature et la surface de leur logement ou encore du type de consommation d'énergie employée pour le chauffage ; qu'ils font valoir que le législateur ne pouvait réserver l'application de ce dispositif aux seules énergies de réseau consommées par les particuliers, en excluant ainsi, d'une part, la consommation d'autres énergies polluantes, tels le fioul, le gaz de pétrole liquéfié ou le bois et, d'autre part, les consommations d'énergie des secteurs agricole, industriel et tertiaire ; que le principe d'égalité devant les charges publiques serait également méconnu par la différence de traitement instituée pour les résidences situées dans des immeubles collectifs selon qu'il est possible ou non de mesurer la consommation individuelle de chaque résidence et selon que ces immeubles comprennent ou non des résidences secondaires ;

8. Considérant que les requérants soutiennent, en troisième lieu, que le dispositif de l'article 2 implique la mise en oeuvre d'un traitement de données à caractère personnel enregistrant, pour près de 35 millions de personnes, des informations relatives à l'adresse, aux modalités de chauffage, au nombre de personnes présentes dans le logement et au caractère principal ou occasionnel de la résidence ; qu'ils font valoir que les dispositions prévoient la mise en oeuvre de ce traitement de données à caractère personnel par un organisme sans encadrer les conditions de cette mise en oeuvre ni fixer les garanties de protection de la vie privée des personnes dont les données seraient ainsi enregistrées ; qu'il en résulterait une atteinte disproportionnée au droit à la protection de la vie privée ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés » ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

10. Considérant que, conformément à l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles les contribuables doivent y être assujettis ; que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d'inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, pourvu que les règles qu'il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ;

11. Considérant qu'il ressort de l'article L. 230-1 du code de l'énergie dans la rédaction que lui confère l'article 2 de la loi déférée, que le dispositif de bonus-malus poursuit l'objectif « d'inciter les consommateurs domestiques à réduire leur consommation d'énergies de réseau » ;

12. Considérant que, selon le paragraphe I de l'article L. 230-2 du code de l'énergie créé par le même article 2, le dispositif de bonus-malus n'est applicable qu'à la consommation des énergies de réseau que sont « l'électricité, le gaz naturel et la chaleur en réseau » ; que, par le dispositif qu'il a adopté, le législateur a entendu prendre en compte, d'une part, les coûts élevés d'investissement nécessaires au développement tant de la distribution de ces énergies que, pour l'électricité, des nouvelles capacités de production et, d'autre part, les modalités particulières selon lesquelles ces énergies sont distribuées ; que le principe d'égalité devant les charges publiques n'impose pas que le dispositif prévu par l'article 2 soit étendu aux autres énergies qui ne présentent pas ces caractéristiques ;

13. Considérant, en premier lieu, que le dispositif de bonus-malus prévu par les dispositions de l'article 2 est réservé aux seules consommations domestiques ; que, d'une part, l'exclusion de toutes les consommations professionnelles est sans rapport avec l'objectif de maîtrise des coûts de production et de distribution des énergies de réseau ; que, d'autre part, l'exclusion du secteur tertiaire est de nature à conduire à ce que, en particulier dans les immeubles à usage collectif, des locaux dotés de dispositifs de chauffage et d'isolation identiques, soumis aux mêmes règles tarifaires au regard de la consommation d'électricité et de gaz et, pour certains, utilisant un dispositif collectif de chauffage commun, soient exclus ou non du régime de bonus-malus du seul fait qu'ils ne sont pas utilisés à des fins domestiques ; que ni les dispositions de l'article 2 ni aucune autre disposition ne prévoient, à l'égard des professionnels, un régime produisant des effets équivalents à un dispositif de tarification progressive ou de bonus-malus qui poursuive l'objectif que s'est assigné le législateur d'inciter chaque consommateur à réduire sa consommation d'énergies de réseau ; que l'article 6 de la loi déférée se borne à prévoir le dépôt d'un rapport sur « les modalités suivant lesquelles le dispositif de bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau pourrait. . . être appliqué au secteur tertiaire » ; qu'au regard de l'objectif poursuivi, les différences de traitement qui résultent du choix de réserver le dispositif prévu par l'article 2 aux seules consommations domestiques méconnaissent l'égalité devant les charges publiques ;

14. Considérant, en second lieu, que l'article 2 fixe, à l'article L. 230-4 du code de l'énergie, les modalités selon lesquelles le bonus-malus est calculé et réparti dans les immeubles collectifs pourvus d'installations communes de chauffage alimentés par une énergie de réseau ;

15. Considérant que, d'une part, l'article L. 241-9 du code de l'énergie prévoit que tout immeuble collectif pourvu d'un chauffage commun doit comporter, quand la technique le permet, une installation destinée à déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie à chaque local occupé à titre privatif ; que le paragraphe III de l'article 2 de la loi déférée avance au 1er janvier 2015 la date limite d'entrée en service de ces installations de comptage ; que le paragraphe V de l'article L. 230-4 est applicable en cas d'impossibilité technique d'installation d'un dispositif permettant de déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie à chaque local occupé à titre privatif ; qu'il prévoit que, dans ces immeubles, la répartition du bonus-malus est faite en principe au prorata de la participation à la catégorie des charges incluant le chauffage collectif ; que, toutefois, près de 90 % des logements situés dans des immeubles collectifs équipés de chauffage collectif, soit plus de 4 millions de logements, ne sont actuellement pas équipés d'un tel dispositif de comptage ; que, pour les logements situés dans des immeubles collectifs qui ne seraient pas dotés au 1er janvier 2015 d'un dispositif de comptage alors qu'ils ne sont pas concernés par l'impossibilité technique précitée, la répartition du bonus-malus entre les logements n'est pas déterminée en fonction de l'objectif poursuivi ;

16. Considérant que, d'autre part, le b) du paragraphe I de l'article L. 230-4 prévoit que, pour la détermination du volume de base entrant dans le calcul du bonus-malus dans de tels immeubles, il est tenu compte de la somme du nombre d'unités de consommation sur l'ensemble des logements alimentés par les installations communes et qui constituent des résidences principales ainsi que des volumes de base auxquels donnent droit les logements correspondant à des résidences occasionnelles ; que, toutefois, aux termes du paragraphe IV de ce même article : « La répartition du bonus-malus entre les logements de l'immeuble. . . tient compte des niveaux de consommation individuels de chaque logement, telle que mesurée par les installations mentionnées à l'article L. 241-9 » ; qu'ainsi, dans ces immeubles collectifs, pour les logements dotés de ces installations de comptage, à la différence du régime applicable aux sites de consommation résidentiels individuels en application de l'article L. 230-3 du code de l'énergie, la répartition du bonus-malus ne tient compte ni des unités de consommation de chaque logement ni, en ce qui concerne l'octroi d'un bonus, de la distinction entre les résidences principales et les résidences occasionnelles ;

17. Considérant que, par suite, dans des immeubles collectifs d'habitation pourvus d'installations communes de chauffage, les dispositions de l'article 2 de la loi ne fixent pas des conditions de répartition du bonus-malus en rapport avec l'objectif de responsabiliser chaque consommateur domestique au regard de sa consommation d'énergie de réseau ; que ces dispositions n'assurent pas le respect de l'égalité devant les charges publiques, d'une part, entre les consommateurs qui résident dans ces immeubles collectifs et, d'autre part, avec les consommateurs domestiques demeurant dans un site de consommation résidentiel individuel ;

18. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 2 de la loi méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution ; que les autres dispositions du titre Ier, qui n'en sont pas séparables, doivent également être déclarées contraires à la Constitution ; qu'il en va de même des deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 8 et des deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 12 ; que, par voie de conséquence, au dernier alinéa du paragraphe III de l'article 12, la référence « aux articles L. 232-1, L. 232-2 et L. 232-3 du code de l'énergie » doit être remplacée par la référence « à l'article L. 232-1 du code de l'énergie » ;

- SUR L'ARTICLE 14 :

19. Considérant que l'article 14 est relatif à l'effacement de consommation d'électricité ; que le 1° de son paragraphe I introduit un nouvel article L. 271-1 dans le code de l'énergie notamment pour permettre aux opérateurs d'effacement « de procéder à des effacements de consommation, indépendamment de l'accord du fournisseur d'électricité des sites concernés, et de les valoriser sur les marchés de l'énergie ou sur le mécanisme d'ajustement mentionné à l'article L. 321-10, ainsi qu'un régime de versement de l'opérateur d'effacement vers les fournisseurs d'électricité des sites effacés » ;

20. Considérant que, selon les députés requérants, en permettant aux opérateurs d'effacement de procéder à des effacements de consommation indépendamment de l'accord du fournisseur d'électricité, les dispositions de l'article L. 271-1 du code de l'énergie instituent une procédure de dépossession autoritaire par une personne privée sans aucune intervention d'une personne publique ; qu'il serait ainsi porté atteinte au droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que cette disposition attribuerait aux opérateurs d'effacement, sans qu'intervienne une personne publique, un pouvoir de police de l'alimentation en électricité ; que le législateur ne saurait confier un tel pouvoir à une personne privée sans méconnaître les exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration de 1789 ; qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de fixer la méthodologie utilisée pour établir les règles permettant la valorisation des effacements de consommation d'électricité, le législateur aurait enfin méconnu l'étendue de sa compétence ;

21. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux « du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales » ;

22. Considérant que l'article L. 271-1 du code de l'énergie renvoie à un décret en Conseil d'État pris sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie la « méthodologie utilisée pour établir les règles permettant la valorisation des effacements de consommation d'électricité sur les marchés de l'énergie et sur le mécanisme d'ajustement mentionné à l'article L. 321-10 » ; que cet article prévoit que ces règles doivent comprendre un régime de versement aux fournisseurs d'électricité des sites effacés « établi en tenant compte des quantités d'électricité injectées par ou pour le compte des fournisseurs des sites effacés et valorisées par l'opérateur d'effacement sur les marchés de l'énergie ou sur le mécanisme d'ajustement » ; que le législateur a ainsi défini et encadré les mécanismes financiers instaurés par les dispositions contestées pour garantir la rémunération des fournisseurs d'électricité des sites dont la consommation est effacée ; qu'il n'a donc pas méconnu l'étendue de sa compétence ;

23. Considérant, en deuxième lieu, que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété au sens de l'article 17, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

24. Considérant que l'électricité est un bien d'une nature particulière, non stockable et dont les flux acheminés sur le réseau doivent être en permanence à l'équilibre ; que l'effacement, qui permet de corriger les écarts entre la production et la consommation d'électricité, n'a pas pour effet de faire obstacle à la consommation effective d'électricité par les clients des fournisseurs d'électricité des sites concernés mais uniquement d'éviter une consommation plus importante en particulier en cas de déséquilibre ; que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de priver un fournisseur d'électricité de rémunération au titre de l'électricité qu'il a injectée sur le réseau et qui a été consommée ; qu'il résulte de tout ce qui précède que ces dispositions ne portent aucune atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ;

25. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions contestées n'ont pas pour objet d'investir les opérateurs d'effacement de compétences de police administrative ; que le grief tiré de la méconnaissance de l'article 12 de la Déclaration de 1789 doit, en tout état de cause, être écarté ;

26. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du 1° du paragraphe I de l'article 14, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

- SUR LES ARTICLES 24, 26 ET 29 :

27. Considérant que les articles 24, 26 et 29 modifient des dispositions du code de l'énergie, du code de l'environnement et du code de l'urbanisme relatives aux installations éoliennes en métropole et dans les départements d'outre-mer afin de faciliter l'implantation de celles-ci ;

28. Considérant que les députés requérants soutiennent que les articles 24, 26 et 29 insérés par amendement lors de la première lecture ne présentent aucun lien avec le texte initial et doivent être déclarés inconstitutionnels au regard de l'article 45 de la Constitution ; que les députés et les sénateurs requérants soutiennent, en outre, que l'article 24 porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et que les articles 26 et 29 méconnaissent la Charte de l'environnement, notamment son article 6 ;

. En ce qui concerne la place des articles 24, 26 et 29 dans la loi déférée :

29. Considérant qu'aux termes de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » ;

30. Considérant que la proposition de loi comportait initialement huit articles lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, première assemblée saisie ; que ces huit articles étaient répartis en deux titres, le premier étant relatif à la tarification progressive de l'énergie, le second aux mesures d'accompagnement ;

31. Considérant que les articles 24, 26 et 29 ont été insérés par amendements en première lecture à l'Assemblée nationale ; que ces articles, destinés à faciliter l'implantation d'éoliennes sur le territoire métropolitain et dans les départements d'outre-mer, tendent à accélérer « la transition vers un système énergétique sobre » dans un contexte de « hausse inéluctable des prix de l'énergie » ; qu'ils présentent ainsi un lien avec la proposition de loi initiale ; qu'ils ont été adoptés selon une procédure conforme à la Constitution ;

. En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales :

32. Considérant que l'article 24 de la loi déférée a pour objet de supprimer les zones de développement de l'éolien créées par la loi du 13 juillet 2005 susvisée et de modifier les dispositions relatives aux obligations de rachat de la production d'électricité éolienne ; que le paragraphe I de l'article 24 abroge l'article L. 314-9 du code de l'énergie relatif aux modalités de définition des zones de développement de l'éolien et modifie les articles L. 314-1 et L. 314-10 du même code ; que le paragraphe II de l'article 24 complète en outre le dernier alinéa de l'article L. 553-1 du code de l'environnement par une phrase prévoyant que l'autorisation d'exploiter des éoliennes « tient compte des parties du territoire régional favorables au développement de l'énergie éolienne définies par le schéma régional éolien mentionné au 3° du I de l'article L. 222-1, si ce schéma existe » ;

33. Considérant que, selon les requérants, les dispositions de l'article 24 de la loi portent atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales en ce qu'elles mettent en place une « quasi tutelle » des conseils régionaux sur les conseils communautaires et les conseils municipaux et en ce qu'elles privent les communes des recettes fiscales liées à l'implantation des éoliennes ;

34. Considérant que l'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ; que, si, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », elles le font « dans les conditions prévues par la loi » ;

35. Considérant que les dispositions de l'article 24 de la loi déférée, en supprimant les zones de développement de l'éolien, ont pour effet de ne plus subordonner l'obligation d'achat de l'électricité produite à l'implantation des éoliennes dans de telles zones, ce qui n'affecte pas en soi les recettes des communes ; que la suppression des zones de développement de l'éolien n'a pas pour effet de porter atteinte aux compétences des communes et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont le territoire est compris dans le périmètre des schémas régionaux éoliens ; qu'elle n'a pas davantage pour effet d'instaurer une « quasi tutelle » de la région sur les communes, alors que les éoliennes peuvent toujours être implantées hors des zones définies par le schéma régional éolien ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales doit être écarté ;

. En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de la Charte de l'environnement :

36. Considérant que l'article 26 de la loi déférée, relatif à des dérogations au principe de l'extension de l'urbanisation en continuité avec le bâti, remplace le premier alinéa de l'article L. 156-2 du code de l'urbanisme applicable au littoral dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Réunion et de Mayotte afin de faciliter l'implantation d'éoliennes dans les communes littorales de ces départements ;

37. Considérant que l'article 29, en abrogeant la seconde phrase du premier alinéa du 3° de l'article L. 341-1 du code de l'énergie, supprime la règle selon laquelle seules les unités de production d'éoliennes comprenant au moins cinq mâts peuvent bénéficier d'une obligation d'achat ;

38. Considérant que, selon les requérants, en assouplissant les conditions d'implantation d'éoliennes dans les communes d'outre-mer, les dispositions de l'article 26 de la loi déférée conduiront à un développement accru des éoliennes dans les départements d'outre-mer ; que celles de l'article 29, en supprimant la règle dite des « cinq mâts » et en favorisant « le mitage visuel du territoire » risquent de porter atteinte aux paysages ; que ces dispositions porteraient atteinte à la Charte de l'environnement et notamment à son article 6 ;

39. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Charte de l'environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social » ; qu'il appartient au législateur de déterminer, dans le respect du principe de conciliation posé par ces dispositions, les modalités de sa mise en œuvre ;

40. Considérant qu'en prévoyant, par l'article 26 de la loi déférée, qu'il puisse être dérogé au principe de l'extension de l'urbanisation en continuité avec le bâti et en supprimant par l'article 29 la règle selon laquelle seules les unités de production d'éoliennes comprenant au moins cinq mâts peuvent bénéficier d'une obligation d'achat, le législateur a entendu favoriser l'implantation des éoliennes et le développement des énergies renouvelables ; que l'implantation des éoliennes reste en particulier assujettie aux autres règles d'urbanisme et à la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ; que le législateur n'a pas méconnu les exigences de l'article 6 de la Charte de l'environnement ;

41. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles 24, 26 et 29 de la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

42. Considérant qu'il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office une question de conformité à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes :

- le titre Ier comprenant les articles 1er à 6 ;

- les deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 8 ;

- les deux derniers alinéas du paragraphe I de l'article 12.

Par voie de conséquence, au dernier alinéa du paragraphe III de l'article 12, la référence « aux articles L. 232-1, L. 232-2 et L. 232-3 du code de l'énergie » est remplacée par la référence « à l'article L. 232-1 du code de l'énergie ».

Article 2.- Le 1° du paragraphe I de l'article 14 et les articles 24, 26 et 29 de la même loi sont conformes à la Constitution.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 avril 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Valéry GISCARD d'ESTAING, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.


Synthèse
Numéro de décision : 2013-666
Date de la décision : 11/04/2013
Loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Réponse des députés du Groupe UMP aux observations du Gouvernement sur le recours contre la loi « visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes »

1) Concernant l'atteinte au principe d'égalité

Sur les critères de mise en oeuvre du dispositif:

Le Gouvernement affirme que « Le seul correctif apporté par la loi est le nombre de personnes occupant le logement. Cette pondération s'explique par le fait qu'il s'agit du critère qui influe le plus fortement sur la consommation. » (page 7)

Tout d'abord, le critère du nombre de personnes au foyer n'est pas le seul critère de pondération puisque les formules de calcul des volumes de base doivent également tenir compte de la localisation géographique de la commune. Ce critère est d'ailleurs évoqué dans un paragraphe ultérieur.

Le Gouvernement considère ainsi que l'influence de la situation géographique au sein d'une commune est faible, ce que contestent les députés UMP, notamment dans les zones de montagne.

Ensuite, si le Gouvernement considère que le nombre de personnes au foyer est le critère prépondérant en matière de consommation d'énergie, les députés UMP ne comprennent pas pourquoi il n'est pas tenu compte de l'activité professionnelle des personnes au domicile (assistantes maternelles notamment) ou de l'inactivité professionnelle qui implique que les personnes demeurent plus longtemps chez elles et donc consomment plus d'énergie.

Enfin, s'il n'y a pas d'étude scientifique qui établisse une corrélation entre l'âge et le niveau de consommation, les députés UMP considèrent que cette corrélation existe. En effet, le besoin de se protéger du froid est différent selon que la personne est plus ou moins âgée. C'est parce que deux consommateurs sont dans une situation différente au regard de leur âge, qu'ils ont une consommation différente, et qu'ils doivent donc être traités différemment.

Sur le champ d'application du dispositif:

Le Gouvernement explique que « le choix de ne traiter que des énergies de réseaux ( .. .) est fondé sur le fait que l'augmentation de la consommation d'énergies de réseau nécessite des investissements coûteux» et que ces investissements alimentent l'augmentation des prix de l'énergie et justifient une approche spécifique (page 5).

Les députés UMP rappellent que l'objectif de la loi, tel que précisé tout au long des débats parlementaires, n'est pas d'apporter une réponse aux investissements réalisés pour le développement des réseaux ou le développement de nouvelles capacités de production. Les auteurs de la proposition de loi et le Gouvernement n'ont eu de cesse de rappeler qu'il s'agissait de réduire la consommation d'énergie dans un but environnemental.

2) Concernant l'exigence d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi

En page 7, le Gouvernement observe que le législateur a souhaité conserver un équilibre entre « la volonté d'envoyer aux consommateurs des signaux pertinents sur leur niveau de consommation - dans un souci de pédagogie et d'incitation à la maitrise de ses consommations » et la « nécessité de conserver un système simple et intelligible ».

Or, les députés UMP réaffirment que le consommateur aura les plus grandes difficultés pour calculer lui-même le volume de base qui lui serait attribué ainsi que le malus qu'il devrait acquitter. En effet, la description même que le Gouvernement fait des modalités de calcul, en page 2, démontre que le dispositif créé est inaccessible et inintelligible.

En conséquence, l'exigence établie dans la décision DC 2005-530 du 29 décembre 2005 que les députés ont citée dans la saisine, et qui est d'ailleurs rappelée dans les observations du Gouvernement (page 4), peut trouver ici la même interprétation.

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs de deux recours dirigés contre la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes.

Ces recours appellent de la part du Gouvernement les observations suivantes.

***

I. - SUR L'ARTICLE 2.

Les auteurs des saisines soulèvent plusieurs griefs à l'encontre de cet article qui institue, à compter du 1er janvier 2015, un dispositif de bonus-malus portant sur les consommations domestiques d'énergies de réseau.

1. - Le premier grief porte sur une méconnaissance de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires, l'article ayant fait l'objet d'une réécriture intégrale en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.

L'article voté est issu d'un amendement du rapporteur de la proposition de loi devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale après l'échec de la commission mixte paritaire. Il tire les conséquences, d'une part, de l'avis du Conseil d'Etat formulé à la demande du Gouvernement, et d'autre part des débats qui ont eu lieu au Sénat. Ainsi, bien que le Sénat n'ait pas adopté de texte, le législateur a souhaité intégrer deux propositions des sénateurs : une fixation statistique du volume de base et un élargissement de la deuxième tranche du barème du bonus-malus. Ce projet a été transmis bien en amont de la réunion de commission à tous les commissaires, respectant ainsi l'exigence de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

S'agissant de la recevabilité de cet amendement, en nouvelle lecture, si des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte, des amendements sont possibles s'ils sont en relation directe avec une disposition encore en discussion (v. nt. n° 98-402 DC, 25 juin 1998, cons. 2 et 3, Rec. p. 269). Tel a été le cas en l'espèce, puisque le dispositif voté répond à la même logique et s'inscrit dans le même cadre que l'article qui restait en discussion. Du fait de l'échec de la commission mixte paritaire et du rejet du texte en première lecture par le Sénat, l'ensemble des dispositions votées en première lecture à l'Assemblée nationale restait en discussion. Le fait que la réécriture ait été d'ampleur est sans incidence sur le respect des exigences constitutionnelles, aucune limite inhérente au droit d'amendement ne pouvant être opposée dès lors que l'amendement est en relation directe avec la disposition du texte en discussion.

Ce premier grief ne peut donc être retenu.

2. - Les auteurs des saisines estiment ensuite que le dispositif, qui créerait une imposition, méconnaîtrait l'article 34 de la Constitution, faute pour la loi d'avoir suffisamment encadré les compétences du pouvoir réglementaire pour fixer des éléments de l'assiette et les taux de cet impôt ; il aurait dû, par ailleurs, être voté dans le cadre d'une loi de finances et faire l'objet d'un compte d'affectation spéciale.

Ces griefs ne sont pas fondés.

A/ En premier lieu, même si le malus institué par la loi doit être regardé comme revêtant le caractère d'une imposition de toute nature au sens de l'article 34 de la Constitution, il est en tout état de cause loisible à une loi autre qu'une loi de finances d'instituer, de modifier ou de supprimer un impôt (v. nt. n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, Rec. p. 83, cons. 3 à 6). En revanche, une loi ordinaire ne peut pas ouvrir un compte d'affectation spéciale. Aux termes de l'article 19 de la loi organique relative aux lois de finances, il s'agit d'une compétence exclusive de la loi de finances. Ainsi, en tout état de cause, la loi déférée ne pouvait en disposer. Au demeurant, un tel compte n'est pas nécessaire car le produit du malus ne constitue pas une recette de l'État - sa collecte est assurée par les fournisseurs d'énergies de réseau sous le contrôle de l'État et non pour son compte. Il ne s'agit pas d'une opération budgétaire devant être retracée dans un compte d'affectation spéciale, comme le prévoit l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances.

B/ En second lieu, le législateur a pleinement exercé la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution en encadrant et en limitant le renvoi au pouvoir réglementaire pour définir des éléments de l'assiette et les taux du bonus et du malus.

Le malus est calculé, pour chaque site de consommation résidentiel, par rapport à un volume de base qui correspond, pour chaque énergie de réseau, au premier quartile de consommation de cette énergie par unité de consommation, multiplié par le nombre d'unités de consommation du site considéré et tempéré par un coefficient représentatif de l'effet de sa localisation. Les différents éléments qui permettent de déterminer le volume de base attribué à chaque site de consommation sont strictement encadrés par la loi.

Le premier quartile de la consommation auquel renvoie la loi est une donnée objective qui est calculée sur la base de la consommation constatée. Les conditions de prise en compte du nombre de personnes habitant le logement raccordé au réseau sont précisément définies au 3° de l'article L. 230-2. Quant au coefficient représentatif de l'effet de localisation, le renvoi prévu par la loi à un arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et de l'économie est encadré par des critères précis : la fixation doit avoir lieu au niveau communal et tenir compte des conditions climatiques et de l'altitude de la commune. Par ailleurs, le coefficient doit être compris entre 0.8 et 1.5 L'encadrement du renvoi au pouvoir réglementaire par la loi est donc précis.

Les taux du bonus et du malus sont également fixés par un arrêté des ministres chargés de l'énergie et de l'économie, sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Sur ce point, la situation n'est pas comparable à celle du dispositif de malus automobile (art. 1011 bis du code général des impôts). Ce dernier n'est destiné à être perçu qu'une seule fois, au moment de l'immatriculation du véhicule concerné, et est calculé en fonction d'un taux d'émission de dioxyde de carbone par kilomètre connu à l'avance puisque cette donnée du constructeur fait partie de l'homologation des véhicules. En l'espèce, la loi ne pouvait pas fixer elle-même le taux, de manière définitive, puisque, dans le dispositif tel qu'il a été conçu, ce taux doit permettre d'assurer l'équilibre entre le bonus et le malus, compte tenu d'une valeur des volumes de base nécessairement évolutive puisqu'elle dépend notamment de la consommation effective du premier quartile. Mais l'article 34 n'exige pas que le législateur définisse lui-même le taux de chaque impôt (v. n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000, ct 32, n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013) si l'encadrement du renvoi au pouvoir réglementaire est suffisant.

Or la détermination des taux de bonus et de malus est encadrée par une série de contraintes qui limitent la marge d'appréciation du pouvoir réglementaire et s'opposent à ce qu'il puisse dénaturer le dispositif législatif.

Les taux doivent d'abord être compris entre des valeurs définies au V. de l'article L. 230-6. Le législateur a ainsi déterminé « les limites à l'intérieur desquelles le pouvoir réglementaire est habilité à arrêter le taux d'une imposition » (n° 2000-442 DC précitée). On notera que dans cette dernière décision a été validée une taxe uniquement limitée par un plafond, le seuil minimal étant implicitement fixé à zéro (ct. 32). Il n'a pas été jugé que, de ce seul fait, le législateur n'avait pas exercé sa compétence. Il ne peut donc être reproché à la loi contestée de fixer un seuil minimal de bonus, ou maximal de malus, à zéro euro par mégawattheure (MWH) en 2015, puis à partir de 2016 sauf pour la troisième tranche (au-delà de 300% de consommation du volume de base). En tout état de cause, le législateur, en fixant ces valeurs, a simplement entendu autoriser le pouvoir réglementaire à moduler la répartition de l'effort entre les deux tranches auxquelles le malus est applicable. A cette fin, l'article L. 230-10 précise que les taux « tiennent compte des effets incitatifs du bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergie de réseau ». Au regard de cette exigence, il est certain que le législateur n'a pas entendu permettre au pouvoir réglementaire de dénaturer le dispositif en ne prévoyant ni malus, ni bonus, ce qui serait contraire à l'objectif même de la loi.

Une certaine souplesse était toutefois nécessaire. Elle l'était d'abord pour permettre d'adapter le montant du bonus et du malus au prix de l'énergie concernée (électricité, gaz, chaleur). Les valeurs prévues par la loi s'appliquent en effet à l'ensemble des énergies de réseau. Or, en fonction des énergies, les ordres de prix sont différents ; l'importance de la fourchette fixée par le législateur en valeur absolue doit ainsi être ramenée à la part relative du montant du malus par rapport aux prix de l'énergie concernée. De la souplesse était également requise pour permettre une mise en oeuvre graduelle et progressive du dispositif, conformément à la volonté du législateur de favoriser l'évolution des comportements par une montée en charge du dispositif qui permette de donner un caractère durable aux effets incitatifs.

Si une marge d'appréciation est ainsi laissée au pouvoir réglementaire, elle ne conduit cependant pas à des variations de taux importantes. Au contraire, ces variations seront limitées tant en valeur absolue que relative. Si l'on compare l'impact moyen sur la facture d'électricité des consommateurs entre les deux hypothèses extrêmes, on constate que les écarts sont relativement modérés. Ainsi, le choix d'un taux de malus de 3 ou 20EUR/MWh pour la deuxième tranche correspond à une différence d'impact moyen de 38EUR par an, soit 5% de la facture moyenne (700EUR pour l'électricité). Le choix d'un taux de malus de 6 ou 60EUR/MWh pour la deuxième tranche correspond, quant à lui, à une différence d'impact moyen de 75EUR par an, soit 11% de la facture moyenne. L'éventail ne représente ainsi qu'un pourcentage limité du prix de la fourniture d'énergie. La variation la plus importante ne concernera qu'un petit nombre de consommateurs, ceux dépassant trois fois le volume de base, soit une consommation très supérieure à la moyenne.

Par conséquent, la loi a imposé des exigences suffisantes pour encadrer le pouvoir réglementaire et assurer une variation limitée des taux effectifs - v., dans un cas comparable où la loi renvoyait au pouvoir réglementaire la détermination d'un coefficient multiplicateur compris entre un et dix servant à déterminer le montant de la taxe due : n° 99-422 DC, 21 décembre 1999, cons. 19, Rec. p. 143.

3. - Il est ensuite soutenu que le mécanisme institué par la loi serait caractérisé par une complexité excessive qui placerait les consommateurs dans l'impossibilité de pouvoir connaître à l'avance le seuil de consommation au-delà duquel s'appliquera le malus. Cette complexité mettrait en échec l'exigence d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

Une loi qui invite le contribuable à opérer des arbitrages et conditionne la charge finale de l'impôt à des choix éclairés n'est conforme à l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité du droit que si la personne a la possibilité effective d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de la taxe selon les diverses options qui lui sont ouvertes (2005-530 DC, 29 décembre 2005, cons. 77 à 89, Rec. p. 268).

En l'espèce, les consommateurs seront en mesure de connaître, avant l'année de référence, les taux du bonus-malus et les seuils de consommation qui leur seront applicables. S'agissant des taux du bonus et du malus, il résulte en effet de l'article L. 230-10 qu'ils seront adoptés avant le 31 décembre de l'année précédant l'année de référence. Pour les arrêtés prévus aux I des articles L. 230-3 et L. 230-4 fixant les coefficients représentatifs de l'effet de la localisation et les volumes annuels de référence permettant d'établir le volume base, l'intention du législateur est identique et ces arrêtés seront également adoptés avant le début de l'année de référence. L'ensemble de ces données seront directement portées à la connaissance des consommateurs, qui pourront sur cette base effectuer les arbitrages utiles - étant précisé qu'ils ont nécessairement connaissance du nombre de personnes du site de consommation, qui concourt à la détermination du volume de base.

Il faut préciser par ailleurs que le bonus ne sera pas imputé sur chaque facture au cours de l'année. Un tel dispositif exposerait les consommateurs à un correctif de fin d'année sur le bonus-malus, et serait de nature à nuire à la lisibilité du dispositif. Le choix a donc été fait d'imputer le bonus ou le malus sur la dernière facture afférente à l'année de référence. Concrètement, le bonus ou le malus ne sera calculé qu'après le relevé de consommation de l'année de référence qui a lieu l'année suivante - le calcul ne se fera donc jamais sur la simple base d'une estimation ; il faut que les données aient été relevées par un agent du gestionnaire de réseau à un moment où la consommation totale est nécessairement connue.

Le dispositif ainsi conçu ne méconnaît donc pas l'exigence d'intelligibilité et d'accessibilité du droit.

4. - Un quatrième grief porte sur une méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques.

A/ Plusieurs caractéristiques du dispositif sont contestées :

- L'exclusion, d'une part, des consommations industrielles, agricoles et tertiaires et, d'autre part, des énergies autres que les énergies de réseau ne serait pas justifiée ;

- Le seul critère retenu par la loi de la composition du foyer ne suffirait pas à assurer l'égalité ; d'autres paramètres auraient dû être intégrés : la situation géographique du logement à l'intérieur de la commune, la situation d'activité ou d'inactivité des personnes occupant le logement, la surface du logement et sa nature (maison ou appartement) ;

- La différence de traitement des résidences secondaires, notamment si celles-ci se trouvent dans un immeuble collectif, serait injustifiée ;

- Le fait que, dans certains immeubles collectifs, il soit « techniquement impossible » d'équiper les logements d'installation de comptage individuel des consommations de réseau ne suffirait pas à justifier, au regard de l'objet du dispositif, que le calcul du bonus-malus s'opère au prorata de la participation aux charges de chauffage et non en fonction de la consommation de chaque foyer.

B/ Le Gouvernement considère au contraire que le dispositif respecte l'égalité devant les charges publiques.

a) En premier lieu, le champ d'application du dispositif est en adéquation avec l'objectif poursuivi.

Le choix de ne traiter que des énergies de réseaux, et non des autres énergies polluantes (notamment le fioul et le gaz de pétrole liquéfié), est fondé sur le fait que l'augmentation de la consommation d'énergies de réseau nécessite des investissements coûteux, à la fois dans le développement des réseaux et, s'agissant de l'électricité, dans le développement de nouvelles capacités de production. Ces investissements alimentent l'augmentation des prix de l'énergie observée au cours des dernières années, et justifient une approche spécifique pour ces énergies. C'est dans cette optique que, comme le précise l'article L. 230-1, le dispositif vise à favoriser la sobriété énergétique en luttant contre les surconsommations des énergies de réseaux (électricité, chaleur, gaz).

Au regard de cet objectif, ce dispositif est ciblé sur les consommations domestiques d'énergies - excluant les consommations industrielles, agricoles et tertiaires - en raison des spécificités des consommateurs domestiques. Leur demande d'énergie est orientée à la hausse au cours des dernières années malgré l'augmentation des prix unitaires - le secteur résidentiel-tertiaire est, en dehors des transports, le seul secteur en France à connaître une augmentation significative de sa consommation d'énergie finale (56 millions tonnes équivalent pétrole en 1973, 68 en 2005 et 69 en 2011 ). Une des raisons de ce constat est que le niveau de sensibilisation des consommateurs individuels aux économies d'énergie est encore insuffisant. La loi vise ainsi à stimuler ce potentiel d'économie d'énergie en mettant en place un mécanisme de bonus malus permettant d'envoyer aux consommateurs domestiques un signal par les prix de nature à orienter leurs comportements.

En regard, la situation des consommateurs industriels n'est pas comparable. Depuis 2000, la réduction des consommations d'énergie finale du secteur industriel s'amplifie, phénomène qui s'explique pour partie par la baisse de la production industrielle, mais aussi, de manière significative, par des gains d'efficacité énergétique - l'intensité énergétique dans l'industrie a diminué de 15% entre 1993 et 2009. Et il existe déjà divers dispositifs incitatifs adaptés à la demande industrielle, pour laquelle les fournisseurs ont proposé des modes de tarification spécifique. Il est important de préciser, sur ce point, qu'à l'horizon 2015 les tarifs réglementés pour les consommateurs industriels seront supprimés. Dans le secteur tertiaire, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a introduit (art. 3) une obligation de travaux d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments tertiaires existants. Dans l'industrie, le système ETS (emission trading system) , qui vise à réduire de manière économiquement efficace les émissions de gaz à effet de serre, conduit pour les industriels concernés à un important effort d'efficacité énergétique. Enfin, pour les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, des dispositifs d'aides contribuent au mouvement de réduction de la consommation d'énergie de réseau .

Par ailleurs, l'objectif du législateur est d'adapter le prix de consommation en fonction du comportement pour inciter à réduire les consommations d'énergie, mais non de renchérir le coût des produits vendus par les consommateurs industriels, agricoles ou tertiaires, ce qui aurait des conséquences sur leur compétitivité.

Par conséquent, en décidant de cibler le dispositif sur la consommation des énergies de réseau par les consommateurs domestiques, le législateur a fondé son appréciation sur des critères rationnels et objectifs en rapport avec l'objectif poursuivi.

b) En deuxième lieu, les critères de mise en oeuvre du dispositif sont également en adéquation avec l'objectif de la loi.

Cette dernière vise à réduire la consommation de chaque site résidentiel. C'est pourquoi la référence du dispositif de bonus et de malus est le volume de consommation de ce site. Le seul correctif apporté par la loi est le nombre de personnes occupant le logement. Cette pondération s'explique par le fait qu'il s'agit du critère qui influe le plus fortement sur la consommation. Le législateur n'a pas intégré d'autres critères afin de conserver un équilibre entre la volonté d'envoyer aux consommateurs des signaux pertinents sur leur niveau de consommation - dans un souci de pédagogie et d'incitation à la maîtrise de ses consommations -, la nécessité de conserver un système simple et intelligible ne portant pas atteinte à la protection de la vie privée par l'exigence de critères trop intrusifs et enfin la mobilisation de critères objectifs et vérifiables, pour minimiser le risque de fraude.

Pour respecter ces exigences, le dispositif distingue trois tranches de consommation : la première ouvre droit à un bonus, tandis que la deuxième est soumise à un léger malus, et la troisième à un malus plus élevé. Les simulations réalisées montrent que les consommateurs situés dans la première ou la deuxième tranche de consommation ne devraient pas être pénalisés (facture stable ou en baisse par rapport à aujourd'hui), tandis que ceux dont la consommation est située dans la troisième tranche (c'est-à-dire au-delà de trois fois la consommation du premier quartile) seront soumis à un malus net. Ainsi les consommateurs ne sont-ils pénalisés qu'au-delà d'un niveau de consommation particulièrement élevé.

Dans le respect de cet objectif de lutte contre les surconsommations énergétiques, le législateur a pu décider que les consommateurs en situation de précarité énergétique, eu égard à la faiblesse de leurs revenus, se verraient appliquer un malus minoré (article L. 230-7 introduit par la loi déférée). Il n'en résulte aucune rupture de l'égalité devant les charges publiques. D'une part, en effet, le législateur est libre de décider de l'affectation du produit du malus dès lors que sa perception repose sur des critères objectifs et rationnels. A cet égard, le fait que le montant du malus et du bonus soit déterminé en prenant en considération l'existence d'un malus minoré pour un certain nombre de consommateurs est sans incidence sur le respect du principe d'égalité devant les charges publiques. D'autre part, et en tout état de cause, le montant du malus n'est pas annulé pour ces consommateurs, mais abaissé d'une manière limitée, en relation avec la faiblesse de leur pouvoir d'achat ; le caractère incitatif du mécanisme n'est nullement affaibli.

Pour le reste, il ne peut être reproché à la loi de n'avoir pas retenu certains autres critères.

- Le critère de la situation géographique du logement à l'intérieur de la commune apporterait au dispositif une complexité excessive, alors qu'au demeurant il constitue un paramètre dont l'influence est faible. La prise en compte des caractéristiques climatiques de la commune permet déjà d'affiner significativement le calcul du volume de base.

- Il n'existe pas de corrélation établie entre l'âge et le niveau de consommation, ni entre la situation d'activité ou d'inactivité et la consommation - outre que ce critère serait aussi une source certaine de complexité de gestion et nécessiterait l'obtention de données personnelles sensibles. De toute façon, le choix d'une deuxième tranche de consommation plus large que celle initialement proposée est de nature à ne pas pénaliser celles des personnes qui, en raison de sujétions spéciales (liées notamment à un handicap), auraient une consommation plus importante.

- La prise en compte de la superficie du logement aurait l'inconvénient de traiter de manière plus favorable les consommateurs résidant dans de grands logements, indépendamment des besoins liés à leur occupation effective. Au demeurant, le critère de la composition du foyer peut être regardé comme corrélé dans une large mesure avec celui de la superficie du logement.

c) En troisième lieu, le traitement des résidences occasionnelles, et des personnes résidant habituellement dans plusieurs résidences différentes, ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques.

Dès lors que le dispositif saisit un site de consommation résidentiel - c'est-à-dire, concrètement, le titulaire d'un abonnement au gaz ou à l'électricité - il n'y a pas lieu d'additionner les consommations de toutes les résidences des membres d'un même foyer. Aucun intérêt général ne pouvait cependant justifier que certains sites de consommation soient exemptés de taxation au motif du caractère occasionnel de l'occupation du logement. En conséquence, la loi couvre l'ensemble des sites de consommation, qu'ils soient principaux ou secondaires. Le malus s'applique ainsi dans tous les cas.

En revanche, les résidences occasionnelles ne profitent pas du bonus. Ce choix résulte de ce que le taux d'occupation très variable des résidences secondaires ne permet pas de déterminer un niveau de consommation en deçà duquel il y aurait lieu de récompenser les efforts de l'abonné. Les résidences secondaires sont en revanche soumises à un malus qui s'applique à partir d'un volume minoré pour limiter l'avantage pouvant découler de la moindre consommation réalisée sur la résidence principale du fait de l'occupation de la résidence secondaire. Ainsi, le dispositif, loin de méconnaître l'égalité, permet d'en assurer le respect en réduisant la distorsion qui résulte de la possibilité pour les occupants de résidences multiples de répartir leur consommation d'énergie entre leurs logements.

d) En dernier lieu, le principe d'égalité devant les charges publiques n'est pas non plus méconnu par le traitement réservé aux immeubles collectifs.

Lorsque l'immeuble est en copropriété et que le système de chauffage est collectif, l'abonné - et, par suite, le redevable du malus - est le syndicat de copropriété, personne morale titulaire du contrat d'abonnement. Du point de vue des copropriétaires, ce malus constitue alors nécessairement une charge de copropriété. De ce fait, elle a vocation à être répartie selon les règles de droit commun, c'est-à-dire en fonction de la participation aux frais de chauffage résultant du règlement de copropriété.

Cependant, afin d'épouser au plus près l'objectif d'incitation à la maîtrise des consommations, le législateur a décidé que la répartition du bonus-malus entre les logements tiendrait compte des niveaux de consommation individuels de chaque logement mesurés par les installations individuelles de comptage, dont le déploiement est d'ores et déjà prévu. Actuellement, on estime que sur 33,3 millions de logements en France, 14,5 millions se trouvent dans des immeubles collectifs et parmi ceux-ci 5,4 millions de logements sont équipés d'un chauffage collectif, dont 4,6 millions alimentés par des énergies de réseau (gaz et chaleur principalement). Au sein de cette dernière catégorie, le taux d'équipement en dispositifs de comptage individuel est de l'ordre de 10% . La loi prévoit leur généralisation à l'horizon 2015.

Toutefois, lorsque la mise en place de ces installations est techniquement impossible, les règles de droit commun applicables à la répartition des charges ont vocation à s'appliquer, sans pour autant que l'incitation à la maîtrise des consommations disparaisse. Il faut noter que la loi permet aux propriétaires réunis en assemblée générale d'en disposer autrement et de retenir un mode de répartition du bonus-malus qui assure une meilleure prise en compte des niveaux de consommation individuels en faisant application de l'article 24-7 ajouté à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.

A cet égard, la situation n'est pas comparable avec celle ayant donné lieu à la décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998 (cons. 18 et 19). Avait été censurée une contribution individuelle à raison des comportements de l'ensemble des membres d'une même profession. Le raisonnement n'est pas transposable : le régime de copropriété, librement consenti et dont les contraintes de mutualisation de certaines charges sont acceptées en toute connaissance de cause, constate l'existence d'un lien indissociable entre les différents lots d'un immeuble, inexistant entre les différents membres d'une même profession. Ces liens entraînent nécessairement entre les différents lots ou leurs propriétaires des interactions juridiques - possibilité pour chaque copropriétaire d'évoquer les cas de surconsommations au cours des assemblées générales, et d'y envisager des actions correctives. Les liens sont aussi physiques - ainsi par exemple des transferts calorifiques entre appartements permettant in fine à un copropriétaire de bénéficier indirectement de certaines surconsommations. Au demeurant, la mutualisation des incidences de certains comportements individuels est inhérente au régime de copropriété.

Dans le cas particulier des résidences occasionnelles situées dans un immeuble pourvu d'un chauffage collectif dans lequel n'existeraient pas d'appareils de mesures des consommations individuelles, le législateur a apporté un tempérament de nature à assurer au mieux l'égalité. Le volume de base des immeubles collectifs, aux termes de l'article L. 230-4, est calculé en fonction tant du volume annuel de référence valable pour les résidences principales que du volume de référence valable pour les résidences secondaires - soit la moitié du premier quartile de référence. La particularité de ces dernières est donc pleinement prise en compte. Quant à la répartition du bonus et du malus dans ce cas, elle ne méconnaît comme il a été dit aucun principe ou exigence constitutionnel. En tout état de cause, cette situation ne concerne que 0,3% de logements français (116 000 logements) - ou 2,5% des logements avec chauffage collectif alimenté par des énergies de réseaux . Au regard de cette situation très minoritaire et des montants des bonus et malus, faibles et proportionnés aux comportements, on ne peut estimer que le traitement spécifique de ce cas particulier constitue une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Par conséquent, le traitement des immeubles munis d'un chauffage collectif est en rapport avec l'objectif poursuivi et ne méconnaît aucun principe ou exigence constitutionnels.

5. - Les auteurs des saisines estiment enfin que la mise en oeuvre d'une base de données permettant de faire fonctionner le dispositif méconnaît le droit au respect de la vie privée.

L'article L. 230-5 du code l'énergie prévoit qu'un organisme désigné par l'autorité administrative - qui pourra être un groupement d'intérêt public voire une personne privée chargée d'une mission de service public - sera chargé de la collecte et de la mise à jour des données nécessaires à la mise en oeuvre du dispositif. Ces données sont limitées et ne sont pas attentatoires à la vie privée : la localisation du site résidentiel, le caractère occasionnel ou principal de la résidence, le nombre de personnes déclarées y vivre et le mode de chauffage. Elles ne sont pas substantiellement différentes de celles dont disposent déjà les fournisseurs d'énergie de réseau. Seul cet organisme, qui sera responsable du traitement, aura accès à ces données ; les fournisseurs recevront uniquement une information agrégée (le volume de base attribué à chaque consommateur). Et, ainsi que le dispose l'article L. 230-30, ces dispositions seront précisées par un décret pris après avis motivé et rendu public de la commission nationale de l'informatique et des libertés, dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. De manière générale, il importe de rappeler que la création de cette base de données suivra les procédures d'autorisation ou de déclaration requises par la loi du 6 janvier 1978 et que les garanties exigées par cette dernière, notamment en cas d'interconnexion entre plusieurs traitements, seront respectées.

Il est prévu, au VIII de l'article L. 230-5, que l'administration fiscale communiquera des informations à l'organisme pour le contrôle des paramètres du calcul des volumes de base. Cette communication contribuera à l'appréciation de la fiabilité des informations transmises, mais ne pourra donner lieu ni à enquête ni a fortiori à une procédure de sanction.

S'agissant enfin du 1° du II de l'article 7, son objet est de permettre un ciblage plus fin des consommateurs en situation de précarité, en prenant en compte un critère supplémentaire, le revenu fiscal de référence. Il est envisagé que l'administration fiscale puisse transmettre aux fournisseurs la liste des foyers fiscaux dont le revenu fiscal de référence par part fiscale est inférieur à un certain seuil, afin de permettre l'attribution automatique des tarifs sociaux à ces consommateurs. Une procédure analogue existe déjà aujourd'hui pour les organismes d'assurance maladie qui transmettent la liste des bénéficiaires de la couverture maladie universelle - complémentaire (CMUC) et de l'aide pour l'acquisition d'une couverture maladie complémentaire (ACS) aux fournisseurs pour l'attribution des tarifs sociaux.

Dans ces conditions, la mise en oeuvre de cette base, collectant des données pertinentes au regard de l'objectif d'intérêt général de sobriété énergétique que vise le dispositif, est adéquate et proportionnée à l'objectif poursuivi (2012-652 DC, 22 mars 2012, cons. 8).

***

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement considère que l'article 2 est conforme à la Constitution.

II. - SUR L'ARTICLE 14.

1. - Les députés auteurs de la saisine estiment que cet article, qui autorise un opérateur d'effacement à procéder à des effacements indépendamment de l'accord du fournisseur d'électricité, et à les valoriser en contrepartie d'un versement au profit du fournisseur, porte atteinte au droit de propriété et transfère un pouvoir de police à une personne morale de droit privé. Le législateur, par ailleurs, n'aurait pas exercé toute sa compétence.

2. - Le Gouvernement ne partage pas cet avis.

A. - Il faut souligner la particularité du marché de l'électricité. Cette énergie est par nature une énergie qui se stocke difficilement. Il est par conséquent nécessaire d'assurer à tout moment l'équilibre entre la production et la consommation d'électricité sur le réseau. Le code de l'énergie (art. L. 321-10, anciennement l'art. 15 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000) prévoit à cette fin un principe de responsabilisation des producteurs et des consommateurs pour les écarts entre les injections et les soutirages d'électricité auxquels ils procèdent. Pour assurer l'équilibre réel sur le réseau à tout instant, les fournisseurs d'électricité sont libres de procéder eux-mêmes à l'effacement de leurs propres clients - ou encore d'utiliser l'énergie non consommée pour corriger leurs propres écarts ou de vendre l'énergie correspondante sur les marchés.

A défaut, est confiée au gestionnaire du réseau public de transport, Réseau Transport d'Electricité (RTE), la mission de garantir l'équilibre. Il peut modifier les programmes d'appel, en choisissant parmi les propositions d'ajustement qui lui sont soumises à l'avance par les fournisseurs d'électricité. Il peut aussi conclure des contrats de réservation de puissance avec certains consommateurs raccordés.

Un nouveau mode de résorption des déséquilibres s'est par ailleurs développé. Cette technique, qualifiée d'effacement diffus et proposée par certains opérateurs, passe par l'installation, chez des consommateurs individuels, de boîtiers permettant d'optimiser et de moduler la consommation par régulation du fonctionnement de certains appareils électriques. En cas d'excédent constaté de la demande sur l'offre de fourniture, un rééquilibrage par réduction de la demande est ainsi possible.

B. - Par une délibération du 9 juillet 2009, la commission de régulation de l'énergie (CRE) avait estimé que la loi du 10 février 2000 imposait, dans le cadre du mécanisme d'ajustement, que l'opérateur d'effacement diffus rémunère les fournisseurs dont les clients sont effacés pour l'énergie injectée par ces fournisseurs et valorisée par l'opérateur en question.

Cette délibération a été annulée par le Conseil d'Etat. Ce dernier a considéré (3 mai 2011, SA Voltalis, n°s 331858, aux T.) qu'il ne résultait ni des dispositions de l'article 15 ni d'aucune autre disposition de la loi du 10 février 2000 que l'appréciation économique d'une offre puisse porter sur ses effets indirects sur la collectivité dans son ensemble. Par suite, il a jugé que la CRE avait méconnu la portée de la loi en estimant que cette dernière imposait une rémunération des fournisseurs dont les clients avaient accepté de réduire temporairement leur consommation d'énergie pour l'électricité injectée par ces fournisseurs dans le réseau électrique et valorisée par un opérateur d'effacement.

C. - L'article 14 contesté vient précisément donner un cadre juridique aux opérations de valorisation des effacements de consommation d'électricité sur les marchés de l'énergie.

Le nouvel article L. 271-1 encadre ainsi l'intervention des opérateurs d'effacement, notamment diffus. Ils sont autorisés à procéder à des effacements de consommation, indépendamment de l'accord du fournisseur d'électricité des sites concernés. En contrepartie, l'opérateur d'effacement doit procéder à un versement vers les fournisseurs concernés. Un décret en Conseil d'Etat, pris sur proposition de la CRE, doit fixer la méthodologie pour établir ces règles de valorisation.

Ce dispositif concilie la liberté contractuelle et l'intérêt général qui s'attache à assurer l'équilibre permanent du marché de l'électricité par des mécanismes d'ajustement en vue de garantir la continuité du service public - l'article L. 121-1 du code de l'énergie (anciennement l'article 2 de la loi du 10 février 2000) dispose, à cet égard, que «. . . le service public de l'électricité assure les missions de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ainsi que de fourniture d'électricité . . . » ; le Conseil d'Etat a également reconnu l'existence d'un service public de la sécurité de l'approvisionnement en électricité (CE, Ass., 29 avril 2010, M. et Mme B., n° 323179, au R.). De manière générale, l'atteinte portée aux contrats conclus entre le fournisseur d'électricité et ses clients du fait de l'intervention, autorisée par la loi, de l'opérateur d'effacement sans l'accord du fournisseur doit être appréciée en fonction de la particularité du marché de l'électricité, un bien non stockable. On notera qu'en matière d'énergie, le Conseil constitutionnel a déjà jugé conforme à la Constitution une limitation apportée à la liberté contractuelle en raison des enjeux propres au secteur de l'énergie (30 novembre 2006, n° 2006-543 DC, cons. 29 à 31, Rec. p. 120).

Ce dispositif, par ailleurs, ne méconnaît en tout état de cause pas le droit de propriété. La loi prévoit en effet, lorsqu'un opérateur d'effacement efface les clients d'un fournisseur qui a injecté de l'électricité pour laquelle il n'a pas été rémunéré, un régime de compensation. Ce faisant, le législateur a entendu garantir que l'indemnité du fournisseur ne soit pas inférieure au prix que celui-ci aurait obtenu de ses clients à raison de l'électricité injectée dans le réseau en l'absence d'effacement.

D. - Le législateur a posé le principe de l'intervention du tiers opérateur d'effacement sans autorisation du fournisseur d'électricité et d'une indemnisation effective de ce dernier, ainsi qu'il y était tenu par l'article 34 de la Constitution. Il lui était alors loisible de renvoyer au pouvoir réglementaire la méthodologie de mise en oeuvre de ces principes, d'autant plus que la loi encadre la fixation du régime de versement : il doit être « établi en tenant compte des quantités d'électricité injectées par ou pour le compte des fournisseurs des sites effacés et valorisées par l'opérateur d'effacement sur les marchés de l'énergie ou sur le mécanisme d'ajustement ».

Il faut noter, enfin, que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, la loi ne procède, ni directement ni indirectement, à une délégation de compétences de police administrative à une personne privée.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que l'article 14 est conforme à la Constitution.

III. - SUR LES ARTICLES 24, 26 et 29.

1. - Les auteurs de la saisine considèrent, de manière générale, que ces trois articles sont sans lien avec la proposition de loi initialement déposée. Ils estiment, plus particulièrement, que l'article 24 porte atteinte à l'article 72 de la Constitution, les communes voyant leurs prérogatives ainsi que leurs recettes remises en cause, et que les articles 26 et 29 méconnaissent la Charte de l'environnement, notamment son article 6.

2. - Ces griefs ne sont pas fondés.

A. - En premier lieu, ces trois articles - qui sont tous issus d'amendements présentés par le Gouvernement en première lecture - présentent, un lien, au moins indirect, avec le texte initial, ainsi que l'exige le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution lors de la première lecture d'une proposition ou d'un projet de loi.

Ces articles visent à clarifier et à simplifier l'implantation des éoliennes en vue de faire baisser le coût global des énergies renouvelables, l'énergie éolienne étant une des moins chères parmi ces dernières. Leur développement a donc un effet certain sur la tarification des énergies de réseau. Or la proposition de loi déposée visait à améliorer la sobriété énergétique en envoyant un signal de prix aux consommateurs individuels par le jeu de l'offre et de la demande d'énergies de réseaux. Plus globalement encore, le développement de la filière éolienne, qui permet l'optimisation du système de production des énergies renouvelables, concourt à l'objectif du législateur d'assurer la transition vers un régime énergétique sobre. Il participe également de la meilleure maîtrise des coûts d'investissement et de développement des infrastructures des énergies de réseau qui est un des objectifs principaux du dispositif.

Le lien de ces trois articles avec la proposition de loi ne peut par conséquent être contesté.

B. - En deuxième lieu, l'article 24 ne méconnaît pas le principe de libre administration des collectivités territoriales, aucune disposition ne portant atteinte aux prérogatives ou aux recettes des communes.

Il convient au demeurant de souligner que les communes ne pourront se voir imposer des implantations d'éoliennes par les schémas régionaux éoliens. Ces schémas définissent en effet des zones favorables à l'implantation d'éoliennes mais n'imposent pas ces implantations. Les communes restent compétentes pour l'élaboration des documents d'urbanisme, qui peuvent réglementer les lieux d'installation.

Le nouveau dispositif n'instaure donc en rien une « quasi-tutelle » de la région sur les communes et n'a pas d'effet, direct ou indirect, sur les recettes de ces collectivités.

C. - En dernier lieu, les articles 26 et 29 ne méconnaissent par la Charte de l'environnement, notamment son article 6.

L'article 26 modifie la loi « littoral » dans les départements d'outre-mer pour permettre l'installation d'éoliennes dans ces territoires, tandis que l'article 29 supprime la règle selon laquelle seules les unités de production d'éoliennes comprenant au moins cinq mâts peuvent bénéficier d'une obligation d'achat.

Ces dispositions suppriment des contraintes d'installation que le législateur a estimées disproportionnées et redondantes, afin de favoriser l'installation d'éoliennes et ainsi le déploiement des énergies renouvelables. A raison de leur objet participant du développement durable, ces articles ne peuvent être regardés comme méconnaissant un des intérêts mentionnés à l'article 6 de la Charte de l'environnement aux termes duquel : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social » (v. n° 2005-516 DC, 7 juillet 2005, cons. 25).

En tout état de cause, le législateur a assuré une conciliation adéquate entre les impératifs de protection et de mise en valeur de l'environnement et le développement économique (v. n ° 2005-514 DC du 28 avril 2005, cons. 37 et 38). S'il a entendu permettre l'implantation d'éoliennes dans les communes littorales des départements d'outre-mer, l'installation reste étroitement encadrée par les règles d'urbanisme, de protection du paysage et des espaces classés et la législation propre aux installations classées pour la protection de l'environnement. Ainsi, sont exclus du champ de l'exception instituée par les articles contestés les espaces proches du rivage, qui font l'objet d'une protection très stricte. Par ailleurs, l'autorisation préfectorale accordant une dérogation pour l'implantation des ouvrages nécessaires à la production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées relève d'une procédure spécifique. Il faut aussi préciser que l'autorisation d'implantation doit être refusée si les constructions projetées portent atteinte à l'environnement ou aux sites et paysages remarquables ou si elles sont incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière. Enfin, l'octroi de la dérogation fera donc l'objet d'un strict contrôle du juge s'agissant de l'atteinte éventuelle portée à l'environnement, aux sites et aux paysages.

Par conséquent, les articles 24, 26 et 29 sont conformes à la Constitution.

***

Par suite, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Les Sénateurs soussignés ont l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes aux fins de déclarer contraires à la Constitution certaines de ses dispositions.

I- Sur l'article 2

L'article 2 instaure un dispositif de bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergie de réseau. Cette mesure méconnaît plusieurs principes constitutionnels.

1- En premier lieu, le malus institué par cet article doit être considéré comme un impôt

Il doit l'être par analogie, notamment, avec le malus pour les véhicules polluants qui est une écotaxe additionnelle dans la mesure où il n'est pas explicitement un dispositif de péréquation tarifaire mais une incitation à une consommation vertueuse et respectueuse de l'environnement.

Ce malus est d'ailleurs considéré comme un impôt par le Conseil d'Etat dans son avis du 6 décembre 2012 concernant la mise en oeuvre d'un dispositif de bonus-malus pour les consommateurs domestiques d'énergies dites de réseau : «Le bonus-malus énergie envisagé doit être ainsi analysé, dans la lignée de ce précédent, comme un dispositif double instituant d'une part, un impôt dissuasif et d'autre part, une aide, le premier finançant la seconde tout en poursuivant un objectif de lutte contre les surconsommations d'énergie »(1).

Le rapport législatif établi en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale corrobore cette analyse : « Le malus, étant considéré comme un impôt, il incombe au législateur de ne pas renvoyer au pouvoir réglementaire des éléments aussi constitutifs de son élaboration »(2).

En conséquence, ce dispositif, dans la mesure où il constitue la création d'une taxe nouvelle, devrait relever, d'une manière plus appropriée, d'une loi de finances au titre d'une lecture conjointe de l'article 34 de la Constitution qui précise que la loi «fixe l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures» et des dispositions de la circulaire du 4 juin 2010 relative à l'édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale qui indique que la création d'un impôt relève de la loi de finances et non de la loi simple.

A tout le moins, dans la mesure où les versements du bonus ne peuvent être considérés comme des prêts ou avances consentis par l'Etat et que les recettes issues du malus s'apparentent à un impôt et ont vocation à financer les dépenses du bonus, le dispositif de l'article 2 devrait relever d'un compte d'affectation spéciale- à l'instar de ce qui existe pour le bonus-malus automobile- dans le respect de l'article 21 de la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances qui précise que: « Les comptes d'affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées. ».

2- D'autre part, l'article 2 méconnaît la répartition des compétences fixée par la Constitution entre le pouvoir législatif et réglementaire

Il méconnaît l'article 34 de la Constitution sus-cité dans la mesure où, d'une part, un arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et de l'économie déterminera les valeurs des coefficients et volumes annuels de référence ainsi que les taux des bonus et malus et où, d'autre part, un décret en Conseil d'Etat déterminera les règles de fixation des coefficients et volumes annuels de référence et les modalités de répartition du bonus-malus.

Or, le malus devant être considéré comme un impôt, ses éléments déterminants (taux, assiette, modalités de recouvrement) relèvent de la compétence du législateur. De même, le bonus devant être considéré comme un avantage fiscal, son champ d'application relève de la loi. Le législateur a donc habilité le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l'assiette et le taux d'une imposition et a méconnu l'étendue de sa compétence (3).

3- En troisième lieu, le dispositif de l'article 2 ne répond pas aux principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi

La lecture combinée des dispositions des articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen a permis à votre Conseil de fonder l'existence de l'exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité des débats parlementaires (4).

Or, on peut considérer que la représentation nationale n'a pas bénéficié d'une présentation intelligible et sincère du dispositif du bonus-malus, notamment de ses modalités de calcul, et n'a pu vérifier précisément son impact qualitatif et quantitatif.

Certes, en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, a été présentée une simulation des montants des bonus-malus, mais la loi ne fixe que des fourchettes et non des taux, ces derniers étant, de plus, susceptibles d'évoluer chaque année puisque le montant du malus sera déterminé au regard des bonus accordés et des frais de fonctionnement de manière à aboutir à un système financièrement équilibré, neutre pour l'Etat. Sur ce dernier point, en outre, une interrogation demeure dans la mesure où le coût de la construction du système d'information ad hoc, évalué entre 50 et 100 millions d'euros, est susceptible d'affecter l'équilibre global du dispositif.

D'autre part, il convient de rappeler que les dispositions afférentes au bonus-malus ont été intégralement réécrites par amendements du rapporteur, présentés en commission, lors de la nouvelle lecture, après l'échec de la Commission mixte paritaire, de telle sorte que du dispositif initial ne subsiste que le principe. Certes, le législateur n'a pas méconnu ici les règles régissant le droit d'amendement, cependant, ces dispositions qui sont le coeur du texte n'auront pas été soumises à la procédure de conciliation prévue à l'article 45 de la Constitution, et n'auront fait l'objet que d'une seule lecture, alors qu'elles auraient mérité, du fait de leur technicité et de leur nouveauté, un examen plus approfondi.

Par ailleurs, votre Conseil a régulièrement indiqué que l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi étaient des objectifs de valeur constitutionnelle. Les fondements en sont nombreux et la décision du 16 décembre 1999 (5) rattache ces fondements aux articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, relatifs à la liberté, à l'égalité et à la garantie des droits. Dans cette décision, votre Conseil considère que cet objectif d'accessibilité et d'intelligibilité doit être entendu comme la possibilité donnée aux citoyens de disposer « d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables » (6).

A ce titre, votre Conseil a admis que la loi pouvait être complexe à condition d'être précise. L'objectif d'intelligibilité interdit cependant sa «complexité inutile» et sa «complexité excessive » au regard de l'aptitude de ses destinataires à en mesurer utilement la portée. Ces considérations ont été clairement explicitées par la décision du 29 décembre 2005 (7). Dans cette décision, votre Conseil a souhaité porter une appréciation sur la notion d'intelligibilité appliquée aux lois fiscales, et notamment à des dispositions fiscales incitatives, votre Conseil a ainsi précisé que: «au regard du principe d'égalité devant l'impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes». En d'autres termes, les dispositions fiscales incitatives doivent être suffisamment intelligibles pour que le contribuable puisse adapter son comportement conformément au caractère incitatif des dispositions.

Or, il apparaît que le bonus-malus introduit par l'article 2 qui est, de toute évidence, une disposition fiscale incitative, méconnaît cet impératif de permettre au contribuable « d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt ». La complexité du dispositif de bonus-malus relève de plusieurs éléments tenant à ces modalités de calcul.

En effet, le présent système de bonus-malus prévoit un volume de base par référence au premier quartile de la consommation d'énergie, par unité de consommation, et est précisé par une équation. A partir de ce volume de base, des coefficients multiplicateurs seront appliqués en fonction de divers critères tels que le nombre de personnes résidant habituellement au lieu desservi, de telle manière que le deuxième occupant compterait pour 50% d'une unité de consommation et chacun des suivants pour 30%, cette part étant divisée par deux pour les enfants en garde alternée ; les zones climatiques se verront elles aussi appliquer des coefficients multiplicateurs compris dans des fourchettes. Ainsi, la définition des volumes de bases souffrira, par la diversité des coefficients multiplicateurs, d'un manque d'intelligibilité caractérisé pour le contribuable.

De même, le calcul du taux se révèle particulièrement complexe : « Ces taux sont déterminés afin, d'une part, d'équilibrer, pour chaque énergie de réseau, en fonction des consommations estimées, la somme des bonus et des malus appliqués aux consommateurs domestiques au cours de l'année à venir et, d'autre part, de couvrir une estimation du solde du fonds mentionné à l'article L. 230-11 au 31 décembre de l'année en cours, les frais de gestion exposés par la Caisse des dépôts et consignations et, le cas échéant, par l'organisme prévu à l'article L. 230-5 et les frais financiers exposés pour l'année en cours et, le cas échéant, pour l'année antérieure par le fonds mentionné à l'article L. 230-11. Ils tiennent compte des effets incitatifs du bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau. ». La fixation annuelle des taux augmente la complexité et le peu de lisibilité du dispositif.

En conséquence, le bonus-malus apparaît comme un dispositif trop complexe et trop incertain qui ne garantira pas aux consommateurs la possibilité d'en apprécier la portée, d'anticiper son coût et de procéder à des choix éclairés. Il ne leur permettra donc pas d'avoir une démarche active pour atteindre l'objectif de la loi, à savoir réduire leur consommation d'énergie et réduire, le cas échéant, le montant du malus.

Par ailleurs, le dispositif mis en place par l'article 2, de par sa complexité, porte atteinte au principe de sécurité juridique qui suppose qu'une disposition législative soit accessible et intelligible conformément aux principes énoncés par les articles 4, 5, 6, 14 et 16 de la Déclaration de 1789.

4- Les dispositions de l'article 2 constituent une rupture d'égalité entre consommateurs devant les charges publiques

L'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen dispose que la loi «doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de la même Déclaration, le respect du principe d'égalité s'apprécie sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts que le législateur se propose, sans en trainer de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Or, il apparaît que le dispositif de tarification progressive de l'énergie, tel qu'institué par l'article 2 de la présente loi, entraîne une rupture d'égalité entre consommateurs et ceci à plus d'un titre du fait de leur localisation géographique, de leur situation personnelle et du type de consommation (certaines énergies comme les bois, déchets, fuel domestique, GPL, énergie solaire ne sont pas concernées). En conséquence, sans modification des tarifs réglementés, le prix du kilowattheure pourra varier d'un consommateur à un autre.

En effet, le dispositif du bonus-malus se limite aux énergies de réseau (électricité, gaz naturel et chaleur) et ne s'appliquera ni au fioul, ni au propane, pourtant largement utilisés, notamment dans les zones rurales. Or, ces deux sources d'énergies sont des combustibles fossiles polluants. En comparaison, il convient de rappeler que dans la production d'électricité, l'utilisation de combustibles fossiles dans le processus de fabrication ne dépasse pas 10%. Cette différence de traitement entre types d'énergie pourra en trainer des phénomènes de substitution. De la sorte, en omettant d'inclure dans le dispositif des sources d'énergie parmi les plus polluantes, la présente loi manque son objectif de favoriser la transition vers un système énergétique sobre et de fournir aux ménages un outil de responsabilisation de leur consommation d'énergie.

De plus, toujours au regard de cet objectif, il est nécessaire de souligner que la présente loi ne s'applique pas aux autres consommateurs d'électricité tels les secteurs industriels, agricoles, de transport et tertiaire alors même qu'ils représentent plus du tiers de la consommation électrique en France.

Dans cette perspective, votre Conseil peut constater que l'insatisfaction des objectifs d'une loi, du fait d'un ciblage insatisfaisant, ne permet pas de justifier une inégalité devant les charges publiques par la poursuite de l'intérêt général comme le montre la décision du 29 décembre 2009 (8) sur la Loi de Finances pour 2010 qui instituait la taxe carbone. Cette taxe prévoyant des régimes d'exemption, votre Conseil censura les dispositions afférentes au motif que: «les régimes d'exemption totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques». Par cette jurisprudence, votre Conseil a souhaité rappeler qu'une rupture de l'égalité devant les charges publiques peut résulter d'une absence de justification de la différence de traitement au regard des objectifs de la loi. Or, tel semble être le cas du bonus-malus institué par l'article 2 de la présente loi.

La rupture d'égalité peut aussi être d'une autre nature comme en témoigne la décision du 28 décembre 2011 (9) qui précise : «qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose , que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques». L'analyse des dispositions de l'article 1er instaurant la tarification progressive de l'énergie met en évidence plusieurs manquements à la juste appréciation des facultés contributives de chacun.

Ainsi, la loi ne tient pas compte de l'âge ou de l'état de santé des contribuables, alors que ces caractéristiques ont un rôle déterminant dans la consommation énergétique.

De la même manière, la loi ne prend pas en compte l'activité ou l'inactivité professionnelle des consommateurs, de telle manière que les personnes exerçant une activité professionnelle à domicile ou les personnes demandeurs d'emploi pourront se voir infliger un malus supérieur à d'autres au motif qu'elles demeurent chez elles plus de temps que la moyenne.

La loi ne traite pas toutes les particularités géographiques qui peuvent affecter la consommation énergétique. Par exemple, les coefficients de modulation, définis au niveau communal, ne pourront prendre en compte les différences de température au sein d'une même commune, ni l'exposition des logements; dès lors, les consommateurs ne seront pas traités de manière identique en raison de la localisation de leur habitation. Ils seront aussi traités différemment au regard de leurs choix d'habitat. Par exemple, deux foyers de composition identique résidant dans un appartement ou une maison ne seront pas traités de la même manière.

Par ailleurs, la loi ne considère pas les différences de situations dans l'application du bonus-malus aux habitants d'immeubles collectifs pourvus d'une installation commune de chauffage Cette application conduira mécaniquement à des situations différentes pour les contribuables selon que les propriétaires ou le syndicat de propriétaires seront en mesure de répartir les bonus et les malus, en tenant compte des consommations individuelles à partir d'appareils permettant de mesurer ces consommations ou, à défaut, en divisant les consommations au prorata des participations aux charges. De cette manière, certaines personnes paieront un malus ou bénéficieront d'un bonus au regard de leur consommation propre. D'autres se verront attribuer un malus ou un bonus proportionnel aux charges qu'ils acquittent.

Les ruptures d'égalité devant les charges publiques sont donc de diverse nature. Dans un premier temps, le ciblage des consommateurs d'énergie n'est pas satisfaisant, de telle sorte qu'il y a un décalage entre l'objectif de la loi et les moyens qu'elle se donne pour les atteindre. Dans un second temps, une mauvaise appréciation des capacités contributives des consommateurs rompt avec le principe d'égalité devant les charges publiques en ne prenant pas en compte toutes les situations géographiques, professionnelles et personnelles, ainsi que celles liées au type d'habitat.

5- Enfin, l'article 2 porte atteinte aux libertés individuelles et au droit au respect de la vie privée

Au regard de l'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui consacre « les droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression », le respect de la vie privée doit être entendu comme le droit à l'intimité de la vie privée.

Pour faire appliquer ce principe, votre Conseil a précisé que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel, soient justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Par exemple, dans sa décision du 22 mars 2012 (11), votre Conseil a jugé contraire à la Constitution des dispositions de la loi relative à la protection de l'identité au motif qu'il y avait une disproportion entre la nature et l'ampleur des données enregistrées et le but poursuivi. En d'autres termes, il s'agit de s'assurer de la proportionnalité entre les informations collectées et l'objectif poursuivi.

Dans le cas de l'article 2 de la présente loi, les consommateurs devront déclarer des informations personnelles comme le mode de chauffage, les caractéristiques du logement, le nombre de personnes au foyer et les informations nécessaires à la détermination du nombre d'unités de consommation. Ces informations relatives au domicile des consommateurs ainsi qu'à leur cellule familiale sont des informations qui relèvent de la sphère privée.

Par conséquent, il importe que l'organisme chargé de collecter ces informations puisse en garantir la parfaite protection. Or, sur ce point, la loi reste silencieuse puisqu'aucune indication précise sur le-dit organisme collecteur n'est mentionnée. Le Gouvernement, par la voix de la Ministre de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, a admis que le choix de l'organisme collecteur« n'est pas déterminé aujourd'hui » (12). Ainsi, les modalités de collecte, de conservation et de mise à jour de ces fichiers ainsi que les conditions de confidentialité et d'impartialité ne sont pas précisées et sont, par là-même, susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles.

Par son caractère laconique, la loi ne confère pas à la sécurisation des informations à caractère personnel toute l'attention qu'elles méritent. En conséquence, il existe un décalage entre l'atteinte effective au respect de la vie privée et le but recherché.

6- Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

II- Sur l'article 24

1- L'article 24 porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales

Le principe de libre administration des collectivités territoriales est inscrit à l'article 72 de la Constitution qui précise que : « Dans les compétences prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leur compétences ».

L'alinéa 7 de l'article 24 de la présente loi supprime les zones de développement de l'éolien (ZDE). Or, celles-ci permettaient aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, dont les territoires étaient compris dans le périmètre des schémas régionaux éoliens, de définir, à travers la création de ces ZDE de véritables stratégies locales d'implantation d'éoliennes. De plus, comme seules les éoliennes implantées dans ces ZOE bénéficiaient de l'obligation de rachat, les ZDE sont devenues, au fil des ans, le cadre dominant de l'implantation des éoliennes. De cette manière, les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pouvaient favoriser ou encadrer le développement sur leurs territoires des éoliennes, en fonction de leurs contraintes particulières.

En supprimant ces zones de développement de l'éolien, les collectivités territoriales susmentionnées pourront se voir imposer des implantations d'éoliennes au motif que, désormais, celles-ci se feront essentiellement dans le cadre des schémas régionaux éoliens, au sein desquels les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ne disposent plus que d'un avis consultatif via les enquêtes publiques sur installation classée.

En définitive, ces collectivités territoriales verront une de leurs compétences remise en cause par la prééminence des prérogatives confiées aux préfets de régions et aux présidents de conseils régionaux telles que prévues par l'article L222-1 du Code de l'Environnement, créant ainsi une situation de quasi-tutelle des conseils régionaux sur les conseils communautaires et municipaux.

Enfin, les implantations d'éoliennes constituent, depuis une dizaine d'années, pour ces collectivités, une source substantielle de recettes, à travers la cotisation foncière des entreprises (CFE), la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER). Mais, en confiant la responsabilité de l'implantation des éoliennes aux préfets de régions et aux présidents de conseils régionaux via les schémas régionaux éoliens, ces-derniers pourront indirectement affecter les recettes que perçoivent les collectivités du bloc communal.

Cette situation constitue donc un manquement au principe de libre administration des collectivités territoriales.

2- Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

III- Sur les articles 26 et 29

1. Les articles 26 et 29 portent atteinte à la protection des paysages et du cadre de vie, dont le respect découle de la Charte de l'Environnement

La protection des paysages et la préservation du cadre de vie des habitants découlent du respect de la Charte de l'Environnement qui dispose notamment« que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles». L'article 6 rappelle aussi que «Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social».

Or, l'alinéa 6 de l'article 26 prévoit d'assouplir les conditions d'implantation d'éoliennes dans les communes d'outre-mer: «Par dérogation au deuxième alinéa, l'implantation des ouvrages nécessaires à la production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées peut être autorisée par arrêté du représentant de l'État dans la région, en dehors des espaces proches du rivage, après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites et des ministres chargés de l'urbanisme, de l'environnement et de l'énergie. En l'absence de réponse dans un délai de deux mois, les avis sont réputés favorables ». Cette disposition établit donc un régime dérogatoire à l'obligation faite aux extensions d'urbanisation de se réaliser, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement.

L'application de ce dispositif conduira à un développement accru des éoliennes dans les départements d'outre-mer. Ce développement ne sera de fait pas neutre économiquement pour ces départements pour lesquels l'attractivité touristique est un préalable indispensable à la survie du tissu économique local. Cette disposition ne sera pas non plus neutre sur le plan environnemental puisque la beauté des paysages, mais également la préservation d'un cadre de vie se verront menacés par le développement des éoliennes, en contradiction avec les exigences constitutionnelles de la Charte de l'Environnement.

Un autre manquement au respect des principes constitutionnels de la Charte de l'Environnement peut être constaté au titre de l'article 29 de la présente loi.

En effet, cet article supprime la disposition de l'article L. 314-1 du Code de l'énergie qui conditionne le bénéfice d'un contrat d'obligation de rachat, pour les installations éoliennes dont la hauteur du mât est supérieure à 30 mètres, au regroupement de ces éoliennes par un minimum de cinq unités de production. Il s'agit de la règle dite «des cinq mâts», qui avait une fonction simple : éviter le morcellement des lieux de production électrique à partir de l'énergie mécanique du vent sans empêcher le développement de l'éolien. En supprimant cette règle, le législateur porte atteinte à la protection des paysages et au cadre de vie des habitants ; il augmente aussi le nombre de bénéficiaires du prix de rachat majoré de l'électricité d'origine éolienne et entraîne ainsi une aggravation des charges publiques via la contribution au service public de l'électricité.

2. Pour ces motifs, il appartient à votre Conseil de censurer cet article.

Les Sénateurs soussignés complèteront, le cas échéant, cette demande dans des délais raisonnables.

***

1 In Avis du Conseil d'Etat, p. 4

2 Assemblée nationale, Rapport n°579, janvier 2013, p. 24

3 Cf. Décision 2009-578 DC du 18 mars 2009

4 Cf. Décisions n° 2009-581 DC et n° 2009-582 DC du 25 juin 2009

5 Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, considérant 13

6 Ibid.

7 Décision 11° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, considérant 77

8 Décision n°2009-599 DC, considérants 77 à 83

9 Décision n° 2011-644 DC, considérant Il

10 Décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, considérant Il

11 Sénat, nouvelle lecture. Compte rendu intégral des débats, séance du 13 février 2013

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 11 mars 2013.

I. Sur l'article 2, et par voie de conséquence les articles 3, 4, 5 et les alinéas 1 et 2 de l'article 6

L'article 2 met en place un dispositif de bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies. Les députés auteurs de la présente saisine estiment que cet article méconnaît de nombreuses dispositions constitutionnelles.

1. Quant à l'incompétence négative du législateur

Les consommateurs se verront attribuer un bonus sur leurs factures s'ils limitent leur consommation d'énergie à un minimum de base. En revanche, « les consommateurs dont la consommation excède les volumes de base tels que définis aux articles L 230-3 et L 230-4 (du Code de l'énergie) sont redevables auprès de leurs fournisseurs d'un malus sur la fraction des consommations excédant ces volumes» (article 2, alinéa 73).

Les députés auteurs de la présente saisine entendent montrer que le malus est un impôt nouveau dont le taux n'est pas déterminé par le législateur. Les éléments permettant de déterminer ce taux sont insuffisants dans la loi ; ce sera donc le pouvoir règlementaire qui aura la charge de fixer ce taux, ce qui est contraire à l'article 34 de la Constitution.

- Le malus créé par l'article 2 doit être considéré comme un prélèvement obligatoire et comme un impôt.

Telle est d'ailleurs l'analyse du Conseil d'Etat, dans son avis du 6 décembre 2012 «concernant la mise en œuvre d'un dispositif de bonus-malus pour les consommateurs domestiques d'énergies dites de réseau» : « le bonus-malus énergie doit ainsi être analysé comme un dispositif double instituant d'une part, un impôt dissuasif et d'autre part, une aide, le premier finançant la seconde tout en poursuivant un objectif de lutte contre les surconsommations d'énergie. Dans ces conditions, il convient de distinguer le bonus, support de l'aide, du malus, support de la taxation.» (page 4)

Le rapport législatif établi lors de la nouvelle lecture (1) confirme également cette analyse : «Le malus étant considéré comme un impôt, il incombe au législateur de ne pas renvoyer au pouvoir réglementaire des éléments aussi constitutifs de son élaboration ». C'est la raison pour laquelle un amendement adopté en nouvelle lecture en commission des affaires économiques, à l'initiative du Rapporteur, a réécrit l'article 1er de la proposition de loi (devenu article 2 de la loi) en établissant notamment des formules de calcul des volumes de base attribués à chaque foyer.

- Ceci étant, les éléments permettant de calculer le montant du malus ne sont pas suffisamment établis dans la loi et seront déterminés, de fait, par le pouvoir règlementaire.

En effet, l'article 2 encadre les niveaux de malus dans des fourchettes mais, en application de l'alinéa 79, les taux de bonus et de malus sont «fixés » dans le cadre du nouvel article L 230-10 du Code de l'énergie.

Avec la présentation d'une simulation des montants des bonus-malus, le rapport législatif établi lors de la nouvelle lecture mentionne d'ailleurs expressément que «la loi ne fixe que des fourchettes à l'intérieur desquelles seront déterminés les niveaux de bonus et de malus. Ces derniers restant à arbitrer, les résultats présentés ci-après ne correspondent donc pas nécessairement aux niveaux qui seront appliqués à partir du 1er janvier 2015 » (2).

L'article L 230-10 du Code de l'Energie précise ainsi que «ces taux sont déterminés afin, d'une part, d'équilibrer, pour chaque énergie de réseau, en fonction des consommations estimées, la somme des bonus et des malus appliqués aux consommateurs domestiques au cours de l'année à venir et, d'autre part, de couvrir une estimation du solde du fonds mentionné à l'article L. 230-11 au 31 décembre de l'année en cours, les frais de gestion exposés par la Caisse des dépôts et consignations et, le cas échéant, par l'organisme prévu à l'article L. 230-5 et les frais financiers exposés pour l'année en cours et, le cas échéant, pour l'année antérieure par le fonds mentionné à l'article L. 230-11» (alinéa 85 et suivants). L'alinéa 88 de l'article 2 donne compétence aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie pour arrêter les taux des bonus et des malus, sur proposition de la Commission de régulation de l'Energie qui est une autorité administrative indépendante.

Autrement dit, le montant du malus sera déterminé en fonction des bonus collectés et de tous les frais de fonctionnement (qui ne sont établis ni dans la loi ni dans une étude d'impact), de manière à ce que le dispositif de bonus-malus s'équilibre financièrement et soit neutre pour l'Etat et pour les personnes publiques chargées de le mettre en œuvre. Le montant du malus a donc vocation à évoluer chaque année.

Par ailleurs, l'application d'un malus est consécutive du dépassement du volume de base attribué pour le foyer. Or, la détermination de ce volume de base est elle-même évolutive puisqu'elle tient compte d'un coefficient relatif à la localisation géographique de la commune et du nombre de personnes au foyer. Ce dernier critère, en particulier, peut évoluer, ce qui impactera le volume de base attribué pour le foyer et, dès lors, le seuil de déclenchement du malus.

Il apparaît donc que l'article 2 en créant un impôt sans en établir le taux précis est contraire à l'article 34 de la Constitution qui dispose que «la loi fixe les règles concernant ( ... ) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

Comme le relève le Conseil d'Etat dans son avis précité, le malus créé par la loi présente des similitudes avec le bonus-malus écologique institué par la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007. L'article 63 de cette loi crée un malus applicable aux voitures particulières les plus polluantes dans le code général des impôts (3) . Il fixe, en outre, de manière précise, le montant du malus, en euros, pour chaque véhicule en fonction de son taux d'émission de dioxyde de carbone et de son année d'acquisition. De même, l'article 17 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, qui proroge et durcit le dispositif du malus applicable aux voitures particulières les plus polluantes, modifie l'article 1011 bis du Code général des impôts en établissant précisément les nouveaux taux du malus à compter de 2013.

Les députés auteurs de la présente saisine observent que si le législateur a respecté l'article 34 de la Constitution dans le cadre du malus automobile, tel n'est pas le cas pour la création du malus sur les consommations domestiques d'énergie de réseau. L'article 2 méconnaît donc la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir règlementaire fixée par la Constitution.

2. Quant à une rupture d'égalité devant les charges publiques

Aux termes de l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen-« Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » - le législateur doit, pour se conformer au principe d'égalité devant les charges publiques, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de cette égalité (décision 2011-175 QPC du 7 octobre 2011, considérant 5).

Le principe de l'égalité des consommateurs devant le prix de l'énergie est issu du Conseil National de la Résistance. Ce principe signifie que le prix du kilowattheure (KWh) doit être identique pour chaque consommateur, quel que soit son lieu d'habitation. La proposition de loi ne modifie certes pas la structure des tarifs règlementés de l'énergie mais crée un dispositif de bonus-malus qui se superpose au mécanisme existant. En effet, dès lors qu'un bonus ou l'un des malus sera appliqué, le prix du kilowattheure sera au final moins élevé ou plus élevé pour le consommateur par rapport à un autre consommateur.

- Les députés auteurs de la présente saisine relèvent que le dispositif de bonus-malus crée une rupture d'égalité eu égard à la situation individuelle et professionnelle des personnes, à l'habitation et au mode de chauffage.

Concernant la situation individuelle et professionnelle des personnes :

Les débats parlementaires ont mis en évidence que personne n'est égal dans ses besoins en termes de chaleur et de consommation d'énergie. En effet, l'âge et l'état de santé jouent un rôle non négligeable dans ces besoins. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le texte adopté à l'issue de la première lecture prévoyait que les volumes de base «sont majorés en cas d'utilisation d'équipements spécifiques dont la liste est déterminée par voie réglementaire ou lorsque l'âge de l'un des membres des foyers fiscaux domiciliés dans la résidence principale est supérieur à un seuil fixé par voie réglementaire » (4). Cette disposition a disparu de la nouvelle rédaction de l'article adoptée en commission des affaires économiques lors de la nouvelle lecture après l'échec de la Commission mixte paritaire.

Un niveau élevé de consommation d'énergie peut en outre résulter de l'activité ou de l'inactivité professionnelle. Une personne qui exerce son métier à son domicile (auto-entrepreneurs, professions intellectuelles et libérales, architectes, assistantes maternelles à domicile ... ) aura une consommation d'énergie plus importante qu'une personne qui exerce son activité professionnelle hors de son domicile. Dans le même esprit, une personne en inactivité professionnelle, qui reste à son domicile une grande partie de la journée, aura automatiquement une consommation plus importante. Lors de l'examen du texte en commission et en séance publique, les députés auteurs de la saisine avaient d'ailleurs souhaité que ces situations individuelles puissent être prises en compte dans l'attribution des volumes d'énergie. Des amendements ont été déposés mais ont tous reçu l'avis défavorable du Rapporteur et du Gouvernement et n'ont donc pas été adoptés (5).

Concernant l’habitation :

Les volumes de base sont attribués par «site de consommation résidentiel », défini par l'article 2 comme «tout lieu à usage d'habitation, qu'il s'agisse d'une résidence principale ou occasionnelle, et pour lequel un contrat de fourniture d'énergie a été conclu». Or, le dispositif de bonus-malus s'applique différemment entre les résidences principales et les résidences secondaires : non seulement le calcul des volumes de base ne repose pas sur les mêmes modalités, mais, surtout, aucun bonus n'est prévu pour les résidences secondaires (article 2, alinéa 77).

Une rupture d'égalité existe également entre les résidences secondaires. Celles-ci ne se voient pas appliquer le même régime selon qu'elles se situent dans un immeuble collectif pourvu de compteurs individuels ou dans un immeuble collectif dépourvu de compteurs individuels. En effet, aux termes des alinéas 58 et 59 de l'article 2, pour les immeubles qui ne peuvent pas être équipés d'installations individuelles de comptage des consommations, les bonus-malus doivent être intégralement répartis entre tous les logements, sans qu'il soit fait la distinction entre résidences principales et résidences secondaires. En revanche, dans le cadre des immeubles collectifs sans compteurs individuels, les résidences secondaires ne pourront pas bénéficier d'un bonus. Cette différence de traitement n'est ni justifiée ni pertinente.

Par ailleurs, la consommation d'un foyer dépend, en outre de sa composition, de la surface habitable du logement. A composition de foyer équivalente, la consommation d'un grand logement sera inévitablement supérieure à celle d'un logement de taille plus modeste. Or, la surface habitable n'est pas un critère de calcul des volumes de base. L'absence de ce critère conduit à créer une rupture d'égalité.

Enfin, l'article 2 prévoit qu'un coefficient de modulation par commune sera pris en compte dans le calcul des volumes de base. Ces coefficients sont définis au niveau communal et tiennent compte des conditions climatiques et de l'altitude de la commune. Or, au sein d'une même commune, des différences de températures existent, en particulier dans les communes de montagne. De même l'exposition d'une maison (plein nord/plein sud) a une incidence concrète sur le niveau de consommation d'énergie. Dès lors, les consommateurs ne seront pas traités de manière identique en raison de la localisation de leur habitation.

Concernant le mode de chauffage utilisé :

Le dispositif de bonus-malus créé par l'article 2 de la proposition de loi ne s'applique qu'aux seules énergies de réseau, c'est-à-dire l'électricité, le gaz naturel et la chaleur en réseau. Sont donc exclus du dispositif les consommateurs qui utilisent le fioul ou le propane, ce qui est le cas essentiellement dans les zones rurales.

Dès lors, un consommateur qui aurait acheté une habitation avec chauffage électrique pourrait s'acquitter d'un impôt supplémentaire, alors même que son voisin dont le mode de chauffage serait, par exemple, le fioul ne verrait pas sa situation évoluer. Les consommateurs seront donc traités différemment selon le mode de chauffage utilisé, celui-ci ne résultant pas nécessairement d'un choix délibéré. Après la promulgation de la loi, des consommateurs pourraient en revanche choisir les énergies non concernées par le dispositif de bonus-malus pour ne pas se voir appliquer une taxation supplémentaire.

Eu égard aux observations précédentes et considérant que le malus est une imposition, les différences de traitement entre les consommateurs créent une rupture d'égalité devant les charges publiques.

- Cette rupture d'égalité devant les charges publiques n'est pas justifiée.

Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement que le principe d'égalité devant les charges publiques permet certes de traiter différemment des personnes qui sont dans des situations différentes mais que ces ruptures d'égalité doivent s'apprécier au regard de l'objectif d'intérêt général.

Les députés auteurs de la saisine souhaitent rappeler la décision n° 2011-644 DC du 28 décembre 2011 « Loi de finances pour 2012 », et son Considérant 11 : « qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques; »

En l'espèce, les députés auteurs de la présente saisine estiment que l'objectivité et la rationalité des critères retenus pour appliquer le dispositif sont contestables. Comme le reconnaît d'ailleurs le Conseil d'Etat dans son avis du 6 décembre 2012 précité, «il ne dispose pas d'éléments d'information suffisants pour prendre position sur la question du périmètre du dispositif, en particulier sur sa limitation aux seules énergies de réseau eu égard à l’objectif poursuivi. » (page 6)

L'article 2 dispose que la mise en place d'un dispositif de bonus-malus a pour objectif «d'inciter les consommateurs domestiques à réduire leur consommation d'énergies de réseau» (alinéa 6). Les députés auteurs de la présente saisine reconnaissent que l'objectif poursuivi par la loi est un intérêt légitime puisqu'il s'agit de réduire la consommation d'énergie. Ceci étant, les nombreuses ruptures d'égalité entraînées par l'application de ce dispositif sont trop importantes pour être justifiées par l'intérêt général et ne trouvent pas de justifications rationnelles. Les atteintes au principe d'égalité devant les charges publiques apparaissent disproportionnées à l’objectif poursuivi. Pour cette raison, l'article 2 de la loi doit donc être déclaré inconstitutionnel.

3. Quant à l'atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

L'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi a été défini par le Conseil constitutionnel dans sa décision DC 99-421 du 16 décembre 1999 « Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes », dans son considérant 13 : « cette finalité répond au demeurant à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ; qu'en effet l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et "la garantie des droits" requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables».

Cet objectif, qui renvoie à la nécessaire exigence constitutionnelle de clarté de la loi, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (décision 2011-644 DC du 28 décembre 20 Il, considérant 16).

Le Conseil d'Etat, dans son avis du 6 décembre 2012, a d'ailleurs appelé «l'attention du Gouvernement sur la nécessité de rédiger un texte qui respecte l'exigence d'intelligibilité de la loi », se référant notamment à la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 (page 3 ). Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a en effet annulé l'article 78 de la loi de finances pour 2006, qui instituait un premier dispositif de plafonnement des «niches» fiscales, reconnaissant qu'une partie des contribuables serait hors d'état d'apprécier la portée de ce dispositif et donc d'effectuer les arbitrages souhaités.

Les députés auteurs de la présente saisine souhaitent rappeler en particulier les considérants suivants :

« 77. Considérant que l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et " la garantie des droits " requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l'aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée ; qu'en particulier, le droit au recours pourrait en être affecté ; ( ...)

78. Considérant qu'en matière fiscale, la loi, lorsqu'elle atteint un niveau de complexité tel qu'elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l'article 14 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel : " Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée " ;

79. Considérant qu'il en est particulièrement ainsi lorsque la loi fiscale invite le contribuable, comme en l'espèce, à opérer des arbitrages et qu'elle conditionne la charge finale de l'impôt aux choix éclairés de l'intéressé ; qu'au regard du principe d'égalité devant l'impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes ; ( ... )

84. Considérant que la complexité de ces règles se traduit notamment par la longueur de l'article 78, par le caractère imbriqué, incompréhensible pour le contribuable, et parfois ambigu pour le professionnel, de ses dispositions, ainsi que par les très nombreux renvois qu'il comporte à d'autres dispositions elles-mêmes imbriquées ; que les incertitudes qui en résulteraient seraient source d'insécurité juridique, notamment de malentendus, de réclamations et de contentieux ; »

En l'espèce, la loi déférée ne s'adresse pas aux seuls professionnels, spécialistes d'énergie ou de fiscalité, qui s'appuieraient sur des experts techniques pour appliquer les dispositions de la loi et comprendre les subtilités du mécanisme. Cette loi va concerner tous les consommateurs d'énergie domestique de réseau qui pourraient être appelés à calculer par avance le montant de leur bonus ou de leur malus. Il est donc indispensable que la loi soit la plus claire et la plus intelligible possible pour être comprise par le plus grand nombre.

Or, la seule lecture de l'alinéa 85 de l'article 2 tend à démontrer que cet objectif n'est pas atteint: « Avant le 15 octobre de chaque année, la Commission de régulation de l'énergie propose pour 1’année à venir les taux des bonus et des malus applicables dans chacun des cas prévus aux articles L. 230-3, L. 230-4 et L. 230-7, et pour chaque énergie de réseau, dans le cadre des orientations fixées par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie. Ces taux sont déterminés afin, d'une part, d'équilibrer, pour chaque énergie de réseau, en fonction des consommations estimées, la somme des bonus et des malus appliqués aux consommateurs domestiques au cours de l'année à venir et, d'autre part, de couvrir une estimation du solde du fonds mentionné à l'article L. 230-11 au 31 décembre de l'année en cours, les frais de gestion exposés par la Caisse des dépôts et consignations et, le cas échéant, par l'organisme prévu à l'article L. 230-5 et les frais financiers exposés pour l'année en cours et, le cas échéant, pour l'année antérieure par le fonds mentionné à l'article L. 230-1 1. Ils tiennent compte des effets incitatifs du bonus-malus sur les consommations domestiques d'énergies de réseau.»

Les consommateurs auront de grandes difficultés à atteindre l'objectif poursuivi par la loi -c'est-à dire réduire leur consommation d'énergie - afin de diminuer le montant du malus qui leur est appliqué. La rédaction du texte ne leur permet pas de savoir comment, concrètement, ils peuvent réduire leur consommation d'énergie et être dispensés de s'acquitter d'un malus. En effet, le consommateur ne peut pas savoir avec quel niveau de consommation il ne sera pas pénalisé financièrement l'année suivante, et le cas échéant pour quel montant, puisque les seuils de déclenchement des bonus et des malus, ainsi que leur taux, sont évolutifs.

Les députés auteurs de la présente saisine estiment par conséquent que les observations formulées par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 trouvent ici une résonnance. Pour les mêmes raisons, l'article 2 de la loi porte atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

4. Quant à l'atteinte à la liberté individuelle et au droit au respect de la vie privé

Les députés auteurs de la présente saisine relèvent que l'article 2 de la loi porte atteinte à la liberté individuelle et au droit au respect de la vie privée, et doit donc être déclaré inconstitutionnel.

- L'article 2 porte atteinte à la liberté individuelle des consommateurs qui devront déclarer des informations personnelles : choix de leur mode de chauffage, nombre de personnes au foyer et en particulier nombre de mineurs en garde alternée. Les alinéas 60 et suivants de l'article 2 portent ainsi sur la collecte de ces données. Il convient en particulier de mentionner les dispositions suivantes :

«Art. L. 230-5.- I.- Un organisme désigné conjointement par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie est chargé de la collecte et de la mise à jour des données nécessaires au calcul des volumes de base mentionnés aux articles L. 230-3 et L. 230-4, à la détermination des taux conformément à l'article L. 230-10 et à l'attribution du bonus-malus. Ces données comprennent notamment, pour chaque site de consommation résidentiel, l'adresse du logement, le mode de chauffage principal du logement, le caractère principal ou occasionnel de la résidence, ainsi que les informations nécessaires à la détermination du nombre d'unités de consommation. Elles comprennent également, pour les immeubles collectifs mentionnés à l'article L. 230-4, le nombre de logements alimentés par les installations communes de chauffage, l'énergie principale utilisée par ces installations et la fraction des consommations mentionnée au III du même article L. 230-4.

«II.-À l'invitation de l'organisme, les consommateurs déclarent annuellement auprès de ce dernier, avant le 1er mai, les informations nécessaires au calcul des volumes de base telles que définies au 1. Cette déclaration est effectuée selon des modalités fixées par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et de l'économie, pris sur proposition de l'organisme.

«III.- L'organisme met à la disposition des fournisseurs d'énergie, avant le 1er septembre, les valeurs des volumes de base attribués à leurs clients pour l'année en cours ainsi que, pour les immeubles collectifs mentionnés à l'article L. 230-4, la fraction mentionnée au III du même article. Il transmet également ces informations à la Commission de régulation de l'énergie ainsi que les informations nécessaires à la détermination des taux de bonus et de malus mentionnées au 1 du présent article. »

- L'article 2 porte également atteinte au droit au respect de la vie privée consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999 «Loi portant création d'une couverture maladie universelle » : « Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de 1'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression." ; que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée».

Le Conseil constitutionnel a ainsi précisé «que la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée ; que, par suite, la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif» (décision n°2012-652 DC du 22 mars 2012, considérant 8, « Loi relative à la protection de l'identité »).

- Les députés auteurs de la présente saisine considèrent que la confidentialité des informations et le respect à la liberté individuelle ne sont pas garantis, aucune indication n'étant donnée dans la loi sur l'organisme qui sera désigné et sur sa capacité à gérer des données de près de 35 millions de consommateurs. Il en est de même pour la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication des données à caractère personnel, qui doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif.

Eu égard aux moyens soulevés, l'article 2 doit êtn~ déclaré inconstitutionnel, de même que les articles 3, 4, 5 et les alinéas 1 et 2 de l'article 6 qui découlent uniquement de l'existence de l'article 2.

Il. Sur l'article 14

L'article 14 de la loi vise à donner un cadre juridique à l'effacement de consommation électrique par lequel des clients, industriels ou particuliers, s'engagent à modérer leur consommation, voire à y renoncer, notamment dans les périodes de pointe. L'énergie ainsi rendue disponible peut alors être soit vendue par l'opérateur d'effacement sur le mécanisme d'ajustement, au profit de ceux pour lesquels elle est indispensable; soit revendue par l'opérateur d'effacement sur les places d'échange d'énergie, y compris en l'absence de besoin en termes d'équilibrage du réseau.

Pour ce faire, il est introduit dans le code de l'énergie un nouvel article L. 271-1 qui autorise un opérateur d'effacement à procéder à des effacements indépendamment de l'accord du fournisseur d'électricité, et de les valoriser en contrepartie d'un versement au profit du fournisseur.

Les députés auteurs de la présente saisine estiment que ces dispositions sont contraires à la Constitution.

- En premier lieu, en dispensant de tout accord du fournisseur, lequel n'est lié par aucun contrat aux opérateurs d'effacement, cet article porte atteinte à son droit de propriété, alors que, selon le Conseil constitutionnel, «un tel transfert de propriété est contraire au principe du libre consentement qui doit présider à l'acquisition de la propriété, indissociable de l'exercice du droit de disposer librement de son patrimoine ; que ce dernier est lui-même un attribut essentiel du droit de propriété» (décision 98-403 DC du 29 juillet 1998, considérant n° 40).

L'article 14 crée ainsi une dépossession autoritaire, sorte «d'expropriation d'utilité privée», sans que celle-ci ni ne donne lieu à la juste et préalable indemnité qu'exige l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

En deuxième lieu, l'article 14 transfère un véritable pouvoir de police administrative, permettant de saisir et exploiter des ressources appartenant à des tiers, aux personnes privées que sont les opérateurs d'effacement. Or, le Conseil constitutionnel a récemment rappelé qu'est contraire à la Constitution le dispositif qui rend « possible la délégation à une personne privée de compétences de police administratives inhérentes à l'exercice de "la force publique » nécessaire à la garantie des droits» (décision 2011-625 DC du 10 mars 2011, considérant n° 19).

Autrement dit, aucun pouvoir de police ne peut être remis, directement et sans restriction, entre les mains de personnes morales de droit privé. Or, le pouvoir que le nouvel article L. 271-1 entend attribuer aux opérateurs d'effacement s'exercerait sans aucune intervention de la personne publique autre que celle de solliciter- et seulement en ce qui concerne le mécanisme d'ajustement- des moyens d'ajustement. En revanche, pour les places d'échanges d'énergie, il n'y aurait pas la moindre intervention de la personne publique, l'opérateur d'effacement décidant seul de son intervention et de la quantité d'électricité qu'il valorisera à la suite de celle-ci. Les députés auteurs de la présente saisine estiment qu'un tel pouvoir ne peut être ainsi délégué, dans le respect de la Constitution, à des personnes privées.

- En troisième lieu, le dispositif prévu par l'article 14 est entaché d'incompétence négative en ce que le législateur n'a pas apporté les précisions et limites que lui seul a le pouvoir et le devoir d'édicter (décision 2001-639 DC du 28 juillet 2011, considérant n° 7).

Eu égard aux moyens soulevés, l'article 14 doit être déclaré inconstitutionnel.

III. Sur les articles 24, 26 et 29

Ces articles prévoient la suppression des «zones de développement éolien»(ZDE), l'assouplissement des règles relatives à l'implantation d'éoliennes dans les communes littorales des départements d'outre-mer et la suppression de la règles dite des «cinq mâts» qui impose que les installations éoliennes dont la hauteur du mât est supérieure à 30 mètres soient regroupées par unités de production d'au moins cinq unités.

1. Les députés auteurs de la présente saisine estiment que ces articles sont des cavaliers législatifs, dont le sujet n'a aucun lien avec le texte initial et l'objectif des débats parlementaires.

- Ces dispositions ont été insérées par amendement en séance publique, en pleine nuit, lors de la première lecture. Elles n'ont pas fait l'objet de débat préalable au fond ou d'étude d'impact, le sujet n'ayant jamais été évoqué lors des débats en commission des affaires économiques, dans les conditions de l'article 86 du règlement de l'Assemblée nationale. Si ces amendements ont bien été déposés dans le cadre de l'article 88 du règlement de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire avant la séance publique, il convient de rappeler que dans ce cadre, la commission ne délibère que pour exprimer un simple avis sur les amendements, sans qu'aucun débat sur le bien-fondé ou l'opportunité des amendements n'intervienne.

- Le texte présenté au Parlement avait pour titre initial : « Proposition de loi instaurant une tarification progressive de l'énergie». A l'issue de la réunion de commission des affaires économiques les 18 et 19 septembre 2012, le titre a été amendé: «Proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre». Malgré l'adoption d'amendements relatifs à l'énergie éolienne en séance publique, aucun amendement n'a été présenté pour modifier ce titre et inclure le sujet de la règlementation des éoliennes.

C'est finalement lors de la nouvelle lecture, après l'échec de la commission mixte paritaire, que le titre de la loi a été modifié, en séance publique, par un amendement du Gouvernement (n°204) pour devenir : «Proposition de loi visant à préparer la transition vers un .système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes ».

- Alors que l'ensemble du texte vise la consommation d'énergie, du point de vue des consommateurs, les trois articles relatifs à la réglementation des éoliennes s'adressent aux professionnels, visant la production d'énergie et les conditions d'implantation des éoliennes. Une divergence d'objectifs peut d'ailleurs être relevée: les dispositions relatives à la tarification progressive visent à maîtriser la consommation d'énergie en la réduisant, alors que les dispositions relatives à 1' implantation des éoliennes visent au contraire à augmenter la production d'énergie.

De surcroît, les débats parlementaires sur ces articles ont essentiellement porté sur les conséquences en matière d'aménagement du territoire, d'urbanisme et de compétence des élus locaux, alors que les débats de l'ensemble de la loi visaient des enjeux énergétiques.

- Enfin, ces articles sont intégrés dans le second titre de la loi, «Mesures d'accompagnement», qui traite notamment de l'extension des bénéficiaires des tarifs sociaux ou encore de la création d'un service public de la performance énergétique de l'habitat. Le lien entre les dispositions des articles 24, 26 et 29 et les dispositions de ce second titre, voire de l'ensemble de la loi, n'est pas avéré, ce qui enlève à la loi toute homogénéité et cohérence.

En conséquence ces trois articles doivent être considérés comme des cavaliers législatifs et être déclarés inconstitutionnels an regard de l'article 45 de la Constitution.

2. Les députés auteurs de la présente saisine estiment gue, au fond, ces articles portent atteinte à la Constitution.

- En supprimant les ZDE, l'article 24 porte atteinte à l'article 72 de la Constitution qui consacre le principe de la libre administration des collectivités territoriales.

En application de l'article L. 314-1 du Code de l'énergie, l'implantation d'éoliennes ne peut être réalisée qu'à l'intérieur d'une ZDE existante ou après la création d'une nouvelle ZDE. Les ZDE sont créées par les Préfets sur proposition des communes ou communautés de communes. En supprimant les ZDE, l'article 24 supprime donc l'intervention des communes et communautés de communes.

Une des raisons invoquées lors des débats parlementaires est l’existence des schémas régionaux de l'éolien (SRE) qui se superposent aux ZDE. Certes les SRE font intervenir les élus locaux mais les zones d'accueil de l'éolien, que ces schémas délimitent, ont un périmètre large et vaste, alors que les ZDE, plus ciblées, tiennent mieux compte des spécificités locales.

Si les ZDE sont supprimées, l'avis de la commune ou de la communauté de communes deviendra purement consultatif (dans le cadre de l'enquête publique sur l'installation classée) et ces collectivités territoriales pourront se voir imposer des éoliennes sur leur territoire.

Certes, les communes peuvent prohiber les installations classées ICPE sur tout ou partie de leur territoire, mais ne peuvent limiter cette prohibition aux seules éoliennes. De même, les communes peuvent prohiber l'implantation d'éoliennes dans leur plan local d'urbanisme (PLU), mais, d'une part, les procédures de modification des PLU sont lourdes et longues, ce qui limite significativement la liberté des communes, et, d'autre part, il est à noter que ce11aines communes, les plus petites, sont actuellement dépourvues de PLU.

L'article 24 porte ainsi atteinte à l'article 72 de la Constitution et doit donc être déclaré inconstitutionnel.

- Les articles 26 et 29 portent atteinte à la protection des paysages et au cadre de vie, dont le respect découle de la Charte de l'environnement.

L'article 26 assouplit les conditions d'implantation d'éoliennes dans les communes d'outre-mer alors que le droit encadre strictement l'urbanisation des communes littorales. En particulier, l'article L.146- 4 du code de l'urbanisme dispose que« l'extension de l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et villages existants ».

Comme le relève le rapport législatif établi lors de la nouvelle lecture, «l'article 12 quater de la présente loi prévoit une dérogation au principe de continuité du bâti en zone littorale pour l'implantation d'éoliennes dans les communes littorales des seuls départements d'outre-mer». (page 85)

Les députés auteurs de la présente saisine craignent que l'article 26 porte atteinte aux paysages ultramarins qui bénéficient d'une attractivité touristique significative et au cadre de vie des habitants.

De même, l'article 29 supprime la disposition de l'article L. 314-1 du Code de l'énergie qui conditionne le bénéfice d'un contrat d'obligation d'achat, pour les installations éoliennes dont la hauteur du mât est supérieure à 30 mètres, au regroupement de ces éoliennes par un minimum de cinq unités de production. Cette règle dite des «cinq mâts» a pour objectif d'éviter le mitage visuel du territoire.

Le mitage visuel du territoire risque de porter atteinte aux paysages et au cadre de vie des habitants. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Sénat a adopté, en nouvelle lecture, avec avis favorable de la commission, un amendement qui modifie la « règle des cinq mâts » en imposant un nombre d'aérogénérateurs au moins égal à trois ou d'une puissance minimale de six mégawatts. Bien que cet amendement n'ait pas été adopté par l'Assemblée nationale en lecture définitive, les débats parlementaires ont révélé que ces dispositions permettaient de rationaliser les raccordements et de limiter le mitage au nom de la protection des paysages.

La protection des paysages et la préservation du cadre de vie des habitants découlent du respect de la Charte de l'environnement qui résulte de la loi constitutionnelle n°2005-205 du 1er mars 2005. En effet, la Charte de l'environnement dispose notamment« que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles». L'article 6 rappelle aussi que « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. »

En l'espèce, les articles 26 et 29 portent atteinte à la Charte de l'environnement en ce qu'ils ne concilient pas la protection et la mise en valeur de l'environnement avec le développement économique. Ils doivent par conséquent être déclarés inconstitutionnels.

- Enfin, les députés auteurs de la présente saisine estiment qu'en modifiant les règles juridiques relatives à l'implantation des éoliennes, les articles 24, 26 et 29 portent atteinte à la stabilité et à la sécurité juridique. Compte tenu des délais des procédures d'implantation des éoliennes et des délais de recours, cette loi risque de rendre inintelligible le droit existant concernant l'implantation des éoliennes.

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.

*****

1 Rapport n°579- janvier 2013 -page 24

2 Rapport n°579 -janvier 2013 - page 26

3 Article 1011 bis, section 4 bis, chapitre III, titre IV, première partie du livre 1er

4 Article 1er, alinéa 7 du texte TA n°17 adopté en 1ère lecture par l'Assemblée nationale le 4 octobre 2012

5 Cf. amendement n° 167 examiné en séance publique en première lecture et amendement n°77 examiné en séance publique en nouvelle lecture


Références :

DC du 11 avril 2013 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 11 avril 2013 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : LOI n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2013-666 DC du 11 avril 2013
Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2013:2013.666.DC
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