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02/09/2021 | CJUE | N°C-66/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, XK., 02/09/2021, C-66/20


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

2 septembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction nationale” – Critères – Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie) – Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle »

Dans l’affaire C‑66/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie), par décision

du 15 janvier 2020, parvenue à la Cour le 24 janvier 2020, dans la procédure relative à la reconnaissance et à l’exécu...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

2 septembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction nationale” – Critères – Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie) – Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle »

Dans l’affaire C‑66/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie), par décision du 15 janvier 2020, parvenue à la Cour le 24 janvier 2020, dans la procédure relative à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision d’enquête européenne concernant

XK,

en présence de :

Finanzamt für Steuerstrafsachen und Steuerfahndung Münster,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra, D. Šváby, S. Rodin et Mme K. Jürimäe (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. G. Aiello et E. Figliolia, avvocati dello Stato,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, M. Hellmann et F. Halabi, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes ainsi que par Mmes A. Pimenta, D. Capinha, P. Barros da Costa et L. Medeiros, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. M. Wasmeier, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 mars 2021,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous c), ii), de la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale (JO 2014, L 130, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une demande d’exécution, en Italie, d’une décision d’enquête européenne émise par le Finanzamt für Steuerstrafsachen und Steuerfahndung Münster (service des affaires fiscales pénales et des enquêtes fiscales de Münster, Allemagne) (ci-après le « service des affaires fiscales pénales de Münster ») concernant XK.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le considérant 34 de la directive 2014/41 est libellé comme suit :

« La présente directive, en vertu de son champ d’application, ne prévoit que des mesures provisoires dans le but d’obtenir des preuves. À cet égard, il convient de souligner que tous les éléments, y compris les avoirs financiers, peuvent faire l’objet de plusieurs mesures provisoires au cours d’une procédure pénale, non seulement aux fins d’obtenir des preuves, mais aussi en vue d’une confiscation. La distinction entre les deux objectifs des mesures provisoires n’est pas toujours évidente, et
l’objectif poursuivi par la mesure provisoire peut changer au cours de la procédure. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de maintenir une relation harmonieuse entre les différents instruments applicables dans ce domaine. En outre, pour la même raison, le fait de déterminer si un élément doit être utilisé comme preuve, et donc faire l’objet d’une décision d’enquête européenne, est une question qui devrait être laissée à l’appréciation de l’autorité d’émission. »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Décision d’enquête européenne et obligation de l’exécuter », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   La décision d’enquête européenne est une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre (ci-après dénommé “État d’émission”) afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre (ci-après dénommé “État d’exécution”) en vue d’obtenir des preuves conformément à la présente directive.

[...]

2.   Les États membres exécutent une décision d’enquête européenne sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément à la présente directive. »

5 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c) “autorité d’émission” :

i) un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur compétent(e) dans l’affaire concernée ; ou

ii) toute autre autorité compétente définie par l’État d’émission qui, dans le cas d’espèce, agit en qualité d’autorité chargée des enquêtes dans le cadre de procédures pénales, compétente pour ordonner l’obtention de preuves conformément au droit national. En outre, avant d’être transmise à l’autorité d’exécution, la décision d’enquête européenne est validée, après examen de sa conformité aux conditions d’émission prévues par la présente directive, en particulier les conditions prévues à
l’article 6, paragraphe 1, par un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur dans l’État d’émission. Lorsque la décision d’enquête européenne a été validée par une autorité judiciaire, cette dernière peut également être considérée comme une autorité d’émission aux fins de la transmission de la décision d’enquête européenne ;

d) “autorité d’exécution”, une autorité compétente pour reconnaître une décision d’enquête européenne et en assurer l’exécution conformément à la présente directive et aux procédures applicables dans le cadre d’une procédure nationale similaire. Ces procédures peuvent nécessiter l’autorisation d’une juridiction dans l’État d’exécution lorsque son droit national le prévoit. »

6 L’article 5 de la même directive, intitulé « Contenu et forme de la décision d’enquête européenne », énonce, à son paragraphe 1 :

« La décision d’enquête européenne prévue dans le formulaire figurant à l’annexe A est complétée, signée, et son contenu est certifié comme étant exact et correct par l’autorité d’émission.

La décision d’enquête européenne contient notamment les informations suivantes :

a) des données concernant l’autorité d’émission et, le cas échéant, l’autorité de validation ;

[...] »

7 L’article 6 de la directive 2014/41, intitulé « Conditions d’émission et de transmission d’une décision d’enquête européenne », dispose :

« 1.   L’autorité d’émission ne peut émettre une décision d’enquête européenne que si les conditions suivantes sont réunies :

a) l’émission de la décision d’enquête européenne est nécessaire et proportionnée aux finalités des procédures visées à l’article 4, compte tenu des droits du suspect ou de la personne poursuivie ; et

b) la ou les mesures d’enquête indiquées dans la décision d’enquête européenne auraient pu être ordonnées dans les mêmes conditions dans le cadre d’une procédure nationale similaire.

2.   Dans chaque cas, le respect des conditions visées au paragraphe 1 est vérifié par l’autorité d’émission.

3.   Lorsque l’autorité d’exécution a des raisons de penser que les conditions visées au paragraphe 1 n’ont pas été respectées, elle peut consulter l’autorité d’émission sur l’importance d’exécuter la décision d’enquête européenne. Après cette consultation, l’autorité d’émission peut décider de retirer la décision d’enquête européenne. »

8 L’article 9 de cette directive, intitulé « Reconnaissance et exécution », prévoit, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   L’autorité d’exécution reconnaît une décision d’enquête européenne, transmise conformément à la présente directive, sans qu’aucune autre formalité ne soit requise, et veille à ce qu’elle soit exécutée de la même manière et suivant les mêmes modalités que si la mesure d’enquête concernée avait été ordonnée par une autorité de l’État d’exécution, à moins que cette autorité ne décide de se prévaloir de l’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution ou de l’un des motifs de report
prévus par la présente directive.

2.   L’autorité d’exécution respecte les formalités et procédures expressément indiquées par l’autorité d’émission, sauf si la présente directive en dispose autrement et sous réserve que ces formalités et procédures ne soient pas contraires aux principes fondamentaux du droit de l’État d’exécution.

3.   Lorsqu’une autorité d’exécution reçoit une décision d’enquête européenne qui n’a pas été émise par une autorité d’émission telle qu’elle est définie à l’article 2, sous c), l’autorité d’exécution renvoie la décision d’enquête européenne à l’État d’émission. ».

9 L’article 11 de ladite directive, intitulé « Motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution », énumère, à son paragraphe 1, les motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution d’une décision d’enquête européenne dans l’État d’exécution.

10 Le formulaire relatif à la décision d’enquête européenne, figurant à l’annexe A de la même directive, contient, notamment, une section L, dans laquelle doivent être indiquées, en tant que de besoin, les coordonnées de l’autorité judiciaire ayant validé la décision d’enquête européenne.

Le droit allemand

11 L’article 386 de l’Abgabenordnung (code fiscal), dans sa version applicable aux faits au principal, dispose :

« (1)   Si une infraction fiscale est suspectée, l’autorité fiscale mène une enquête sur les faits. Aux fins de la présente section, sont qualifiés d’autorité fiscale le Hauptzollamt [(bureau principal des douanes)], le Finanzamt [(centre des impôts)], le Bundeszentralamt für Steuern [(office central fédéral des impôts)] et la Familienkasse [(caisse d’allocations familiales)].

(2)   L’autorité fiscale mène les enquêtes de manière autonome, dans le respect des limites visées à l’article 399, paragraphe 1, et aux articles 400 et 401, si les faits :

1. constituent uniquement une infraction fiscale, ou

2. enfreignent en même temps d’autres lois pénales et que la violation concerne les impôts du culte ou autres impôts légaux liés à des assiettes fiscales, des assiettes fiscales pour les terrains et bâtiments ou les montants des impôts.

(3)   Le paragraphe 2 ne s’applique pas si l’accusé a fait l’objet d’une décision d’arrêt ou d’emprisonnement.

(4)   L’autorité fiscale peut, à tout moment, transférer la procédure pénale au ministère public, et le ministère public peut à tout moment se saisir de la procédure pénale. Dans les deux cas, le ministère public peut, en accord avec l’autorité fiscale, transférer à nouveau la procédure pénale à l’autorité fiscale. »

12 L’article 399, paragraphe 1, de ce code est libellé comme suit :

« Lorsque la procédure d’enquête est menée de manière indépendante par l’autorité fiscale sur le fondement de l’article 386, paragraphe 2, cette autorité exerce les droits et obligations du ministère public dans le cadre de la procédure d’enquête. »

13 En vertu de l’article 400 dudit code :

« Si, au cours des enquêtes, suffisamment d’éléments de preuve sont réunis pour le renvoi en jugement, l’autorité fiscale demande au tribunal de procéder à l’émission d’une ordonnance pénale sommaire, si l’affaire pénale est susceptible de faire l’objet d’une procédure d’émission d’ordonnance pénale sommaire ; si tel n’est pas le cas, l’autorité fiscale transmet le dossier au ministère public. »

Le droit italien

Le code de procédure pénale

14 L’article 257, paragraphe 1, du codice di procedura penale (code de procédure pénale) est libellé comme suit :

« Conformément à l’article 324, la personne poursuivie, la personne dont les biens ont été saisis et la personne qui aurait droit à leur restitution peuvent introduire, [contre] la décision de saisie, une demande de réexamen, y compris sur le fond. »

Le décret législatif no 108/17

15 La directive 2014/41 a été transposée dans le droit italien par le decreto legislativo n. 108 – Norme di attuazione della direttiva 2014/41/UE del Parlamento europeo e del Consiglio, del 3 aprile 2014, relativa all’ordine europeo di indagine penale (décret législatif no 108 portant dispositions de transposition de la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale), du 21 juin 2017 (GURI no 162, du 13 juillet
2017, ci-après le « décret législatif no 108/17 »).

16 L’article 4, paragraphes 1 à 4, du décret législatif no 108/17 prévoit :

« 1.   Le procureur de la République près le tribunal du chef-lieu du district dans lequel les actes requis doivent être accomplis procède, par décret motivé, à la reconnaissance de la décision d’enquête dans un délai de 30 jours à compter de sa réception ou, s’il est différent, dans le délai indiqué par l’autorité d’émission et, en tout état de cause, dans un délai qui ne peut dépasser 60 jours. Le procureur de la République informe le procuratore nazionale antimafia e antiterrorismo [(procureur
de la Direction nationale anti-mafia et anti-terrorisme)] de la réception de la décision d’enquête aux fins de la coordination des enquêtes, lorsqu’il s’agit d’enquêtes portant sur les délits visés à l’article 51, paragraphes 3 bis et 3 quater, du code de procédure pénale. En tout état de cause, une copie de la décision d’enquête reçue est transmise au ministère de la justice.

2.   Il est donné exécution dans les 90 jours qui suivent, selon des formes expressément demandées par l’autorité d’émission pour autant qu’elles ne soient pas contraires aux principes de l’ordre juridique de l’État. L’accomplissement des actes visés aux articles 21 et 22 est, en tout état de cause, régi par le droit italien.

3.   Lorsqu’il existe des raisons d’urgence ou en cas de nécessité, il est procédé à la reconnaissance et à l’exécution dans le délai le plus court indiqué par l’autorité d’émission.

4.   La décision de reconnaissance est communiquée par le secrétariat du ministère public à l’avocat du suspect dans le délai fixé pour la notification à laquelle celui-ci a droit, en vertu de la loi italienne, en vue de l’accomplissement de l’acte. Lorsque la loi italienne prévoit uniquement le droit de l’avocat d’assister à l’accomplissement de l’acte sans notification préalable, la décision de reconnaissance est notifiée au moment même de l’accomplissement de l’acte ou immédiatement après. »

17 L’article 5, paragraphes 1 et 2, de ce décret législatif est libellé comme suit :

« 1.   Lorsque l’autorité d’émission demande que l’acte soit accompli par le juge ou lorsque l’acte requis doit, en vertu de la loi italienne, être accompli par le juge, le procureur de la République reconnaît la décision d’enquête et en sollicite l’exécution auprès du juge des enquêtes préliminaires.

2.   Dès réception de la demande, le juge autorise l’exécution après vérification des conditions de reconnaissance de la décision d’enquête. »

18 L’article 13 dudit décret législatif dispose :

« 1.   Dans un délai de cinq jours à compter de la notification visée à l’article 4, paragraphe 4, le suspect et son avocat peuvent former opposition contre la décision de reconnaissance auprès du juge des enquêtes préliminaires.

2.   Le juge des enquêtes préliminaires décide par voie d’ordonnance, après avoir entendu le procureur de la République. L’ordonnance est notifiée au procureur de la République et signifiée à l’intéressé.

3.   Le procureur de la République informe sans délai l’autorité d’émission de la décision. Lorsque l’opposition est accueillie, la décision de reconnaissance est annulée.

4.   L’opposition n’a pas d’effet suspensif sur l’exécution de la décision d’enquête et sur la transmission des résultats des activités menées. En tout état de cause, le procureur de la République peut ne pas transmettre les résultats des activités exercées si un préjudice grave et irréparable risque d’en résulter pour le suspect, la personne poursuivie ou la personne concernée, par ailleurs, par l’accomplissement de l’acte.

5.   Quand les motifs de refus énoncés à l’article 10 sont réunis, le juge des enquêtes préliminaires, lorsqu’il est saisi de l’exécution de la décision d’enquête en vertu de l’article 5, ordonne, également à la demande des parties, l’annulation de la décision de reconnaissance émise par le procureur de la République.

6.   En cas d’annulation de la décision de reconnaissance, il n’est pas procédé à l’exécution de la décision d’enquête.

7.   Le suspect ou la personne poursuivie, son avocat, la personne ayant fait l’objet d’un gel d’éléments de preuve ou de biens, ainsi que la personne qui aurait droit à leur restitution peuvent également former opposition contre la décision de reconnaissance de la décision d’enquête portant sur le gel d’éléments de preuve. Le juge décide en chambre du conseil au sens de l’article 127 du code de procédure pénale. Dans ce cas, la décision du juge est susceptible d’un pourvoi en cassation par le
ministère public et les intéressés pour violation de la loi, dans un délai de 10 jours à compter de sa notification ou signification. La Cour de cassation décide en chambre de conseil dans un délai de 30 jours à compter de la date du pourvoi. Le pourvoi n’a pas d’effet suspensif. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

19 Le 14 novembre 2019, la Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie) (ci-après le « parquet de Trente ») a reçu une décision d’enquête européenne émise le même jour par le service des affaires fiscales pénales de Münster, demandant la perquisition des locaux commerciaux de XK dans le cadre d’une enquête pour évasion fiscale en matière d’impôt sur le revenu, diligentée sur le fondement des dispositions du code fiscal.

20 La section L de cette décision d’enquête européenne, dans laquelle doivent figurer, en tant que de besoin, les coordonnées de l’autorité judiciaire ayant validé ladite décision d’enquête, n’était pas remplie.

21 Par un courrier du 20 décembre 2019, le parquet de Trente a demandé au service des affaires fiscales pénales de Münster de lui transmettre une copie de la décision d’enquête européenne validée par une autorité judiciaire.

22 Par un courriel du 8 janvier 2020, le service des affaires fiscales pénales de Münster a informé le parquet de Trente que la décision d’enquête européenne n’avait pas à être validée par une autorité judiciaire. Il a en effet expliqué que, exerçant, en vertu de l’article 399, paragraphe 1, du code fiscal, les fonctions du ministère public dans les procédures d’infractions fiscales, il devait être considéré comme étant lui-même une autorité judiciaire, au sens de l’article 2, sous c), de la
directive 2014/41.

23 Dans sa décision de renvoi, le parquet de Trente relève que la décision d’enquête européenne doit nécessairement être une décision judiciaire en ce sens que, conformément à l’article 2, sous c), de la directive 2014/41, elle doit être soit adoptée par une autorité judiciaire, soit adoptée par une autorité administrative et validée par une autorité judiciaire.

24 En effet, et ainsi qu’il ressortirait, par analogie, de l’arrêt du 10 novembre 2016, Özçelik (C‑453/16 PPU, EU:C:2016:860), qui concernait le mandat d’arrêt européen régi par la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), le degré de confiance élevé entre les États membres impliquerait l’intervention d’une autorité judiciaire dans le cadre de l’adoption d’une décision d’enquête
européenne.

25 Or, en l’occurrence, le service des affaires fiscales pénales de Münster, qui est une autorité administrative, soutient qu’il peut émettre une décision d’enquête européenne, signée par son directeur administratif, sans que cette décision doive être validée par un juge ou un procureur, au motif qu’il serait habilité à exercer les mêmes droits et les mêmes responsabilités que le ministère public allemand, en vertu de l’article 399, paragraphe 1, du code fiscal.

26 Ainsi, le parquet de Trente souligne que l’affaire au principal soulève la question de savoir si et dans quelle mesure l’article 2, sous c), de la directive 2014/41 autorise un État membre à transmettre une décision d’enquête européenne émise par une autorité administrative lorsque celle-ci n’a pas été validée par une autorité judiciaire.

27 À cet égard, le parquet de Trente estime que les considérations émises par la Cour dans l’arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (C‑508/18 et C‑82/19 PPU, EU:C:2019:456, points 48 ainsi que 49), dans lequel était en cause la décision-cadre 2002/584, sont applicables dans le contexte de la directive 2014/41, puisqu’une décision d’enquête européenne, bien que dépourvue d’effet sur la liberté individuelle, constitue une mesure très intrusive.

28 Par ailleurs, le parquet de Trente considère qu’il est habilité à saisir la Cour à titre préjudiciel, nonobstant la circonstance qu’un renvoi préjudiciel ne peut émaner, selon les termes de l’article 267 TFUE, que d’une « juridiction d’un des États membres ».

29 Certes, la Cour aurait déjà jugé, dans l’arrêt du 12 décembre 1996, X (C‑74/95 et C‑129/95, EU:C:1996:491), que le ministère public italien n’était pas habilité à la saisir d’un renvoi préjudiciel. Toutefois, cet arrêt ne serait pas pertinent en l’occurrence, dans la mesure où l’affaire ayant donné lieu audit arrêt concernait une procédure pénale ouverte devant ce ministère public, lequel avait pour mission non pas de trancher en toute indépendance un litige, mais de le soumettre, le cas échéant,
à la connaissance de la juridiction compétente.

30 Or, le parquet de Trente fait observer qu’il n’est pas partie à la procédure d’enquête menée en Allemagne par le service des affaires fiscales pénales de Münster. En outre, il ne pourrait exercer aucune action pénale en Italie pour les faits visés par la décision d’enquête européenne en cause au principal ni soumettre à l’appréciation d’un juge cette décision d’enquête européenne, étant donné que, en droit italien, il appartient au ministère public et non aux magistrats du siège de reconnaître
une décision d’enquête européenne et, par conséquent, de l’exécuter ou, le cas échéant, d’en refuser la reconnaissance. Dès lors, aucune juridiction ne participerait à la procédure de reconnaissance d’une telle décision.

31 Ainsi, dans le cadre de la procédure d’exécution de la décision d’enquête européenne, le ministère public italien devrait être qualifié d’organe ayant pour mission de « trancher en toute indépendance un litige » et, ainsi, de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

32 C’est dans ces conditions que le parquet de Trente a décidé de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante :

« L’[article 2, sous c), ii),] de la directive [2014/41] en ce qu’il dispose que peut également être considérée comme une autorité d’émission “toute autre autorité compétente définie par l’État d’émission qui, dans le cas d’espèce, agit en qualité d’autorité chargée des enquêtes dans le cadre de procédures pénales, compétente pour ordonner l’obtention de preuves conformément au droit national”, en prévoyant que, dans ce cas, toutefois, “avant d’être transmise à l’autorité d’exécution, la décision
d’enquête européenne est validée, après examen de sa conformité aux conditions d’émission prévues par la présente directive, en particulier les conditions prévues à l’article 6, paragraphe 1, par un juge, une juridiction, un juge d’instruction ou un procureur dans l’État d’émission” – doit-il être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de dispenser une autorité administrative de l’obligation de faire valider la décision d’enquête européenne en la qualifiant d’“autorité judiciaire” au
sens de l’article 2 de la directive ? »

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

33 Dans leurs observations écrites soumises à la Cour, le gouvernement allemand et la Commission ont exprimé des doutes quant au point de savoir si le parquet de Trente dispose de la qualité de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE.

34 Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si l’organe de renvoi possède le caractère d’une « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par l’organe, des règles de droit ainsi que son indépendance (arrêt du 21 janvier
2020, Banco de Santander, C‑274/14, EU:C:2020:17, point 51 et jurisprudence citée).

35 En ce qui concerne les critères se rapportant à l’origine légale de l’organe de renvoi, à sa permanence, au caractère obligatoire de sa juridiction, à son indépendance, ainsi qu’à l’application, par cet organe, des règles de droit, le dossier dont dispose la Cour ne contient aucun élément susceptible d’établir que le parquet de Trente ne remplirait pas ces critères.

36 Toutefois, il y a lieu d’examiner également si, dans le cadre de la procédure qui l’a amené à saisir la Cour, le parquet de Trente agit dans l’exercice d’une activité juridictionnelle, au sens de l’article 267 TFUE.

37 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, si l’article 267 TFUE ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure au cours de laquelle le juge national formule une question préjudicielle, les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel (arrêt du
28 février 2019, Gradbeništvo Korana, C‑579/17, EU:C:2019:162, point 34 et jurisprudence citée).

38 Or, lorsqu’il agit en tant qu’autorité d’exécution d’une décision d’enquête européenne, au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2014/41, un parquet italien, tel que le parquet de Trente, n’est pas appelé à trancher un litige et ne saurait, par conséquent, être regardé comme exerçant une fonction juridictionnelle.

39 En effet, l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive définit la décision d’enquête européenne comme une décision judiciaire qui a été émise ou validée par une autorité judiciaire d’un État membre afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d’enquête spécifiques dans un autre État membre en vue d’obtenir des preuves, conformément à ladite directive, y compris celles qui sont déjà en la possession des autorités compétentes de cet État membre.

40 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2014/41, les États membres exécutent une décision d’enquête européenne sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de cette directive. En vertu de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive, l’autorité d’exécution reconnaît une décision d’enquête européenne, sans qu’aucune autre formalité soit requise, et veille à ce qu’elle soit exécutée de la même manière et suivant les mêmes modalités que si
la mesure d’enquête concernée avait été ordonnée par une autorité de l’État d’exécution. En vertu de cette même disposition, cette autorité peut décider de ne pas exécuter une décision d’enquête européenne en se prévalant de l’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution ou de l’un des motifs de report prévus par la même directive. En outre, l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2014/41 prévoit que, lorsqu’une autorité d’exécution reçoit une décision d’enquête européenne qui n’a
pas été émise par une autorité d’émission, au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, l’autorité d’exécution renvoie cette décision à l’État d’émission [voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Staatsanwaltschaft Wien (Ordres de virement falsifiés), C‑584/19, EU:C:2020:1002, points 43 à 45].

41 Ainsi qu’il ressort du considérant 34 de la directive 2014/41, les mesures d’enquête prévues par une décision d’enquête européenne présentent un caractère par nature provisoire. Leur exécution a pour seule finalité d’obtenir des preuves et, si les conditions nécessaires à cette fin sont remplies, de les transmettre à l’autorité d’émission, visée à l’article 2, sous c), de cette directive.

42 Dans ces conditions, l’autorité d’exécution, au sens de l’article 2, sous d), de ladite directive, qui procède à la reconnaissance et à l’exécution d’une décision d’enquête européenne, ne saurait être considérée comme chargée de « rendre un jugement », au sens de l’article 267 TFUE. Il incombe, à cet égard, exclusivement aux autorités judiciaires compétentes de l’État membre d’émission de se prononcer de manière définitive sur ces preuves dans le cadre de la procédure pénale ouverte dans
celui-ci.

43 Partant, lorsqu’il agit en tant qu’autorité d’exécution, au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2014/41, un parquet italien, tel que le parquet de Trente, n’agit pas dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel, au sens de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 37 du présent arrêt.

44 Ce constat n’est pas remis en cause par la circonstance évoquée par l’organe de renvoi ainsi que par le gouvernement italien dans ses observations et ses réponses soumises à la Cour, selon laquelle le décret législatif no 108/17 n’a prévu aucun contrôle juridictionnel de la décision du ministère public de ne pas reconnaître une décision d’enquête européenne.

45 En effet, une telle circonstance qui, au demeurant, se limite à la seule hypothèse de la non-reconnaissance d’une décision d’enquête européenne est sans pertinence aux fins de déterminer si un parquet italien, tel le parquet de Trente, exerce une activité juridictionnelle, au sens de l’article 267 TFUE, lorsqu’il est appelé à adopter une décision visant à la reconnaissance et à l’exécution d’une telle décision d’enquête européenne. En particulier, cette circonstance n’affecte pas le constat,
figurant aux points 41 et 42 du présent arrêt, selon lequel les mesures d’enquête prévues par une décision d’enquête européenne présentent un caractère par nature provisoire et les décisions visant à la reconnaissance et à l’exécution d’une telle décision d’enquête européenne ne s’apparentent dès lors pas à des décisions à caractère juridictionnel.

46 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que la demande de décision préjudicielle introduite par le parquet de Trente est irrecevable.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant l’organe de renvoi, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  La demande de décision préjudicielle introduite par la Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie), par décision du 15 janvier 2020, est irrecevable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-66/20
Date de la décision : 02/09/2021
Type de recours : Recours préjudiciel - irrecevable

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Procura della Repubblica di Trento.

Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Notion de “juridiction nationale” – Critères – Procura della Repubblica di Trento (parquet de la République de Trente, Italie) – Irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération policière

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : XK.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Jürimäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:670

Source

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