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01/10/2020 | CJUE | N°C-89/20

CJUE | CJUE, Ordonnance de la Cour, Procédure pénale contre GR e.a., 01/10/2020, C-89/20


 ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

1er octobre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Champ d’application – Identité des faits matériels – Absence de précisions suffisantes concernant le contexte factuel et les raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑89/20,



ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Županijski sud u...

 ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

1er octobre 2020 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Champ d’application – Identité des faits matériels – Absence de précisions suffisantes concernant le contexte factuel et les raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑89/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Županijski sud u Puli (tribunal de comitat de Pula, Croatie), par décision du 17 février 2020, parvenue à la Cour le 20 février 2020, dans la procédure pénale contre

GR,

HS,

IT,

Inter Consulting d.o.o., en liquidation,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb (rapporteur), président de chambre, MM. T. von Danwitz et A. Kumin, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (ci-après la « CAAS »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre GR, HS et IT ainsi que Inter Consulting d.o.o., en liquidation, auxquels il est reproché d’avoir commis ou d’avoir incité ou aidé à commettre, en Croatie, des faits qualifiés d’abus de confiance dans le cadre d’opérations commerciales.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

L’acte d’adhésion

3 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2012, L 112, p. 21, ci-après l’« acte d’adhésion » :

« Les dispositions de l’acquis de Schengen visées dans le protocole sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne [...], annexé au [traité UE] et au [traité FUE], et les actes fondés sur celles-ci ou qui s’y rapportent, énumérés à l’annexe II, ainsi que tout nouvel acte de cette nature adopté avant la date d’adhésion, sont contraignants pour la Croatie et s’y appliquent à compter de la date d’adhésion. »

4 L’annexe II de l’acte d’adhésion est intitulée « Liste des dispositions de l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne et les actes fondés sur celui-ci ou qui s’y rapportent, qui sont contraignantes et applicables en République de Croatie dès l’adhésion (visée à l’article 4, paragraphe 1, de l’acte d’adhésion) ». À ce titre, le point 2 de cette annexe vise « [l]es dispositions suivantes de la [CAAS], l’acte final de cette convention et les déclarations qui s’y rapportent
[...], tels que modifiés par certains des actes énumérés au paragraphe 8 de la présente annexe :

[...] [L]es articles 54 à 58 [...] »

La CAAS

5 L’article 54 de la CAAS figure sous le chapitre 3 de celle-ci, intitulé « Application du principe ne bis in idem ». Cet article prévoit :

« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »

Le droit croate

6 L’article 31, paragraphe 2, de la Constitution de la République de Croatie est ainsi libellé :

« Nul ne peut être jugé à nouveau ni faire l’objet de poursuites pénales concernant un acte pour lequel il a été déjà acquitté ou condamné par la décision définitive d’un tribunal rendue conformément à la loi. »

7 L’article 246, paragraphes 1 et 2, du Kazneni zakon (code pénal), dans sa version applicable aux faits au principal, érige l’abus de confiance dans les opérations commerciales en infraction pénale à caractère économique.

Le litige au principal et la question préjudicielle

8 À l’époque des faits au principal, GR était membre du conseil de gérance de Skiper Hoteli d.o.o. et d’Interco Umag d.o.o., Umag (ci-après « Interco »), devenue par la suite Inter Consulting. Il avait également la qualité d’associé au sein de Rezidencija Skiper d.o.o. et détenait des parts sociales dans Alterius d.o.o. HS, quant à lui, était président du conseil de gérance d’Interco et détenait également des parts sociales dans Alterius, tandis que IT réalisait des estimations de la valeur de biens
immobiliers.

9 Le 28 septembre 2015, le Županijsko državno odvjetništvo u Puli (parquet du comitat de Pula, Croatie, ci-après le « parquet de Pula ») a adopté un acte d’accusation contre GR, HS, IT et Interco. Par cet acte, il reprochait, d’une part, à GR et à Interco d’avoir commis un abus de confiance dans des opérations commerciales, au sens de l’article 246, paragraphes 1 et 2, du code pénal, dans sa version applicable aux faits au principal, et, d’autre part, à HS et à IT d’avoir respectivement incité et
aidé à la commission de cette infraction.

10 Il ressort dudit acte d’accusation, tel qu’il est reproduit dans la demande de décision préjudicielle, que, entre le mois de décembre 2004 et le mois de juin 2006, GR et HS ont œuvré pour qu’Interco achète des biens immobiliers situés sur plusieurs parcelles de terrain avoisinantes dans la commune de Savudrija (Croatie), lieu envisagé par Skiper Hoteli pour y réaliser un projet immobilier d’hébergements touristiques. Par la suite, ces mêmes personnes auraient fait en sorte que Skiper Hoteli
rachète ces biens immobiliers à un prix nettement supérieur à celui du marché, de manière à ce qu’Interco bénéficie d’un avantage illicite aux dépens de Skiper Hoteli.

11 Le même acte d’accusation indique en outre que, entre le mois de novembre 2004 et le mois de novembre 2005, GR et HS auraient également agi dans le but que GR et d’autres sociétés représentées par ce dernier vendent à Skiper Hoteli, à un prix nettement plus élevé que celui correspondant à leur valeur réelle, les parts sociales détenues par GR et ces autres sociétés dans Alterius, l’apport d’actifs initial de cette dernière société étant constitué de biens immobiliers érigés sur des parcelles de
terrain avoisinantes situées sur le territoire de la commune de Savudrija. À cette fin, GR et HS auraient fait réaliser, par le biais de Rezidencija Skiper et avec la complicité d’IT, une évaluation surestimant la valeur des biens immobiliers concernés.

12 L’acte d’accusation du parquet de Pula a été confirmé par une décision du 5 mai 2016 de la chambre pénale de la juridiction de renvoi, le Županijski sud u Puli (tribunal de comitat de Pula, Croatie).

13 Lors de l’audience préliminaire devant la juridiction de renvoi, GR et HS ont demandé la suspension de la procédure pénale, au motif que le principe ne bis in idem s’opposerait aux poursuites dont ils font l’objet devant cette juridiction. À cet égard, ils ont fait valoir qu’ils avaient déjà été poursuivis pénalement pour les mêmes faits en Autriche et que cette procédure pénale avait été clôturée par un jugement définitif.

14 Dans ce cadre, la juridiction de renvoi indique que les autorités pénales autrichiennes avaient en effet engagé des poursuites contre deux anciens membres du directoire de Hypo Alpe Adria Bank International AG (ci-après « Hypo Alpe Adria Bank »), un établissement bancaire situé en Autriche, ainsi que contre GR et HS en tant que complices de ces deux anciens membres. Selon l’acte d’accusation établi par la Staatsanwaltschaft Klagenfurt (parquet de Klagenfurt, Autriche), porté devant le
Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche) le 9 janvier 2015, il était reproché auxdits anciens membres du directoire d’avoir commis un abus de confiance, au sens du Strafgesetzbuch (code pénal), pour avoir approuvé, entre le mois de septembre 2002 et le mois de juillet 2005, l’octroi de crédits à Rezidencija Skiper et à Skiper Hoteli, pour un montant total d’au moins 105 millions d’euros, sans avoir ni respecté les exigences relatives à l’apport de fonds propres
adéquats et au contrôle de l’utilisation des fonds ni tenu compte, d’une part, de l’absence de documentation relative à la concrétisation des projets justifiant l’octroi de ces crédits et, d’autre part, de l’insuffisance tant des instruments de garantie de paiement que de la capacité de remboursement des sociétés concernées. Il était en outre reproché à GR et à HS d’avoir, en ayant sollicité l’octroi desdits crédits, incité les mêmes anciens membres à commettre l’infraction reprochée ou d’y avoir
contribué.

15 À la suite d’une demande de HS, le parquet de Klagenfurt a en outre confirmé, par lettre du 16 juillet 2015 adressée à ses avocats, que, s’agissant des poursuites engagées contre GR et HS, l’acte d’accusation qu’il avait établi couvrait également la vente de biens immobiliers à Skiper Hoteli par l’intermédiaire d’Alterius pour un prix excessivement élevé ainsi que le paiement douteux de frais de gestion de projet.

16 Par un jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt), rendu le 3 novembre 2016, les deux anciens membres du directoire d’Hypo Alpe Adria Bank auraient été partiellement reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés et auraient été condamnés pour avoir approuvé l’un des crédits octroyés à Skiper Hoteli, d’un montant de plus de 70 millions d’euros. En revanche, GR et HS auraient été acquittés pour ce qui concerne l’accusation selon laquelle ils auraient
respectivement incité ou contribué à la commission des infractions pénales reprochées aux anciens membres du directoire d’Hypo Alpe Adria Bank. Ce jugement serait devenu définitif à la suite du rejet, le 4 mars 2019, du pourvoi introduit contre celui-ci devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

17 Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que le parquet de Pula, également saisi d’autres infractions pénales en lien avec Hypo Alpe Adria Bank, a, à plusieurs reprises au cours de l’année 2014, demandé au parquet de Klagenfurt de vérifier si ce dernier menait en Autriche une procédure parallèle à celle engagée en Croatie. Au vu des informations fournies par le parquet de Klagenfurt, identiques, en substance, à celles ultérieurement exposées dans le dispositif de l’acte d’accusation du
parquet de Klagenfurt mentionné au point 14 de la présente ordonnance, le parquet de Pula a estimé que les faits examinés par le parquet de Klagenfurt et le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) n’étaient pas juridiquement pertinents aux fins de la caractérisation de l’infraction pénale faisant l’objet de la procédure pénale au principal, ne présentaient pas de lien avec les faits décrits dans son acte d’accusation du 28 septembre 2015 et ainsi ne devaient pas être considérés
comme ayant déjà été jugés.

18 C’est dans ce contexte que le Županijski sud u Puli (tribunal de comitat de Pula) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une violation du principe ne bis in idem concerne-t-elle seulement les faits décisifs indiqués dans le dispositif de l’acte d’accusation du parquet de Pula du 28 septembre 2015 par rapport aux faits décisifs mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation du parquet de Klagenfurt du 9 janvier 2015 et dans le dispositif du jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) du 3 novembre 2016, confirmé par l’arrêt de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) du 4 mars 2019,
ou une telle violation concerne-t-elle aussi un autre constat relatif :

– aux faits exposés dans les motifs du jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) du 3 novembre 2016, confirmé par l’arrêt de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) ;

– aux faits sur lesquels a porté la procédure d’instruction menée par le parquet de Klagenfurt contre plusieurs personnes, notamment contre GR et HS, et qui ont été omis par la suite dans l’acte d’accusation du parquet de Klagenfurt du 9 janvier 2015 ? »

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

19 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut a' tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

20 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

21 À cette fin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234,
point 44 ainsi que jurisprudence citée).

22 Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions
posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C‑495/19, EU:C:2020:431, point 21 et jurisprudence citée).

23 Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec
la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Medius, C‑495/19, EU:C:2020:431, point 22 et jurisprudence citée).

24 Ainsi, dès lors que la décision de renvoi constitue le fondement de la procédure suivie devant la Cour, il est indispensable que la juridiction nationale explicite, dans cette décision, le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrit le litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au
litige qui lui est soumis [arrêt du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

25 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (arrêt du 7 novembre 2019, UNESA e.a., C‑80/18 à C‑83/18, EU:C:2019:934, point 33 ainsi que jurisprudence citée). Lesdites exigences ont été reprises, notamment, dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne
à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

26 Enfin, il convient de rappeler que les informations figurant dans les décisions de renvoi permettent à la Cour non seulement de fournir des réponses utiles, mais également de donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de cette
disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, notamment, arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C‑434/15, EU:C:2017:981, point 25, ainsi que ordonnance du 15 mai 2019, MC, C‑827/18, non publiée, EU:C:2019:416, point 35).

27 En l’occurrence, il convient de constater que la demande de décision préjudicielle ne répond manifestement pas aux exigences rappelées aux points 24 et 25 de la présente ordonnance.

28 En effet, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 54 de la CAAS doit être interprété en ce sens que, pour déterminer si le principe ne bis in idem est violé en raison d’une identité des faits matériels dans le cadre de procédures pénales engagées dans deux États membres, les autorités compétentes de l’État membre dans lequel la procédure pénale est encore en cours doivent prendre en compte non seulement les faits mentionnés dans l’acte d’accusation établi par
les autorités compétentes de l’autre État membre ainsi que dans le dispositif du jugement définitif qui y a été rendu, mais également ceux mentionnés dans les motifs de ce jugement et ceux sur lesquels ont porté la procédure d’instruction mais qui n’ont pas été repris dans l’acte d’accusation.

29 En vue de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que le critère pertinent aux fins de déterminer si l’article 54 de la CAAS a vocation à s’appliquer est celui de l’identité des faits matériels, compris en ce sens que les faits matériels sous-tendant les procédures pénales engagées dans les deux États membres concernés doivent constituer un ensemble de faits indissociablement liés dans le temps, dans l’espace ainsi que par leur objet (voir en ce sens, notamment, arrêt du 18 juillet
2007, Kraaijenbrink, C‑367/05, EU:C:2007:444, points 26 à 28).

30 Afin que la Cour puisse apporter une réponse utile à la question posée, il est nécessaire que les circonstances factuelles sous-tendant les procédures pénales engagées respectivement en Croatie et en Autriche ainsi que les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi pourrait être amenée à considérer que ces circonstances sont indissociablement liées entre elles soient exposées avec un niveau de clarté et de précision suffisant dans la demande de décision préjudicielle, et ce sans préjudice
du fait que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour rappelée au point précédent, il appartient non pas à la Cour, mais à la seule juridiction de renvoi de déterminer s’il y a ou non identité des faits matériels.

31 Or, en l’occurrence, d’une part, la juridiction de renvoi omet d’indiquer, fût-ce de manière sommaire mais précise, le lien qui unirait les faits examinés dans le cadre de ces procédures pénales respectives, les faits mentionnés dans les motifs du jugement définitif rendu le 3 novembre 2016 par le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt), les faits qui auraient été examinés par le parquet de Klagenfurt mais qui n’auraient pas été formellement retenus dans l’acte d’accusation
établi par ce dernier ainsi que les raisons pour lesquelles le parquet de Pula aurait enquêté sur des infractions liées à celles qui avaient déjà fait l’objet d’une procédure pénale en Autriche. D’autre part, cette juridiction se borne à reproduire le contenu des actes d’accusation établis par ces deux parquets nationaux ainsi que le dispositif du jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt), sans expliciter les faits de manière à en donner une vue d’ensemble logique et
compréhensible. Il en résulte que la juridiction de renvoi n’a pas exposé avec un niveau de clarté et de précision suffisant l’ensemble des faits pertinents ou des données factuelles sur lesquels la question est fondée et n’a ainsi pas satisfait à l’exigence figurant à l’article 94, sous a), du règlement de procédure.

32 En outre, en se contentant de reproduire sommairement les prétentions de GR et de HS tirées d’une prétendue violation du principe ne bis in idem sans expliquer, au regard des documents invoqués par ces mêmes personnes, dans quelle mesure il pourrait éventuellement être conclu à une identité des faits matériels et en omettant, par ailleurs, d’expliciter la teneur de la question posée, tant en droit qu’au regard des faits pertinents ainsi que les doutes qu’elle éprouverait quant à l’application du
principe ne bis in idem en rapport avec le critère de l’identité des faits et, le cas échéant, avec la jurisprudence de la Cour en la matière, la juridiction de renvoi n’a pas exposé avec un niveau de clarté et de précision suffisant les raisons qui l’ont conduite à poser cette question et n’a, partant, pas satisfait à l’exigence figurant à l’article 94, sous c), du règlement de procédure.

33 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de décider, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

34 Cela étant, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle lorsqu’elle sera en mesure de fournir à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer sur la question posée (voir, en ce sens, ordonnances du 23 mai 2019, Trapeza Peiraios, C‑105/19, non publiée, EU:C:2019:452, point 17, et du 11 juillet 2019, Jadransko osiguranje, C‑651/18, non publiée, EU:C:2019:613, point 31).

Sur les dépens

35 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :

  La demande de décision préjudicielle introduite par le Županijski sud u Puli (tribunal de comitat de Pula, Croatie), par décision du 17 février 2020, est manifestement irrecevable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le croate.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-89/20
Date de la décision : 01/10/2020
Type de recours : Recours préjudiciel - irrecevable

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Županijski sud u Puli.

Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Principe ne bis in idem – Champ d’application – Identité des faits matériels – Absence de précisions suffisantes concernant le contexte factuel et les raisons justifiant la nécessité d’une réponse à la question préjudicielle – Irrecevabilité manifeste.

Droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Charte des droits fondamentaux

Santé publique

Coopération judiciaire en matière pénale

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Politique d'immigration et d'asile


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : GR e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour
Rapporteur ?: Xuereb

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:771

Source

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