ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)
9 janvier 2019 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Libre prestation des services – Restrictions – Jeux de hasard – Monopole des jeux de hasard dans un État membre – Pratiques publicitaires du monopoliste – Critères d’appréciation – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑444/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), par décision du 2 juillet 2018, parvenue à la Cour le 6 juillet 2018, dans la procédure engagée par
Fluctus s.r.o.,
Fluentum s.r.o.,
SD,
en présence de :
Landespolizeidirektion Steiermark,
Finanzpolizei,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M^me M. Berger et M. P. G. Xuereb (rapporteur), juges,
avocat général : M. N. Wahl,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par Fluctus s.r.o. et Fluentum s.r.o., deux sociétés établies en Slovaquie, l’une détentrice de machines automatiques de jeux de hasard, l’autre propriétaire de ces machines, ainsi que par SD, le gérant de ces deux sociétés, au sujet de décisions de la Landespolizeidirektion Steiermark (direction régionale de la police de Styrie, Autriche) portant saisie desdites machines et prononçant à leur égard des sanctions
administratives à caractère pénal en raison du non-respect de la législation autrichienne sur les jeux de hasard.
Le cadre juridique
3 L’article 3 du Glücksspielgesetz (loi fédérale sur les jeux de hasard), du 28 novembre 1989 (BGBl. 620/1989), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après le « GSpG »), intitulé « Monopole des jeux de hasard », prévoit :
« Sauf si la présente loi fédérale en dispose autrement, le droit d’organiser des jeux de hasard est réservé à l’État fédéral (monopole des jeux de hasard). »
4 L’article 56 du GSpG, intitulé « Publicité légale », dispose, à son paragraphe 1 :
« Les concessionnaires et les titulaires d’une autorisation en vertu de la présente loi doivent faire preuve de responsabilité dans le cadre de leurs actions promotionnelles. Le respect de ce caractère responsable est assuré exclusivement par une surveillance et ne peut faire l’objet d’un recours en application des articles 1^er et suivants du Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi relative à la lutte contre la concurrence déloyale). Le paragraphe 1, première phrase, n’est pas une loi de
protection au sens de l’article 1311 de l’Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch (code civil). »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
5 Il ressort de la décision de renvoi que des contrôles effectués par des fonctionnaires de la Finanzpolizei (police financière, Autriche) dans divers locaux ont conduit à la saisie provisoire de machines automatiques de jeux de hasard au motif que ces machines étaient exploitées sans l’autorisation administrative requise par le GSpG.
6 Les infractions administratives présumées ont, par la suite, été portées à la connaissance de la direction régionale de la police de Styrie, laquelle a confirmé, par ordonnances, les saisies provisoires, engagé des procédures pénales administratives et infligé des amendes à la société détentrice des machines automatiques en cause, à la société propriétaire de ces machines et au gérant de ces deux sociétés.
7 Des recours ont été introduits contre les ordonnances de saisie et les décisions administratives à caractère pénal de la direction régionale de la police de Styrie devant le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche).
8 La juridiction de renvoi a des doutes quant à la conformité au droit de l’Union des pratiques publicitaires du titulaire du monopole des jeux de hasard en Autriche.
9 Elle indique que les trois juridictions suprêmes autrichiennes, dont le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle, Autriche), ont confirmé la conformité du monopole des jeux de hasard établi par le GSpG au droit de l’Union. Elle relève cependant que, pour qu’une législation établissant un monopole des jeux de hasard soit compatible avec le droit de l’Union, elle doit être cohérente avec les objectifs qu’elle poursuit, à savoir notamment la protection des consommateurs ainsi que la
prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu, et que cette exigence de cohérence s’applique également à la pratique publicitaire du titulaire du monopole.
10 Or, la juridiction de renvoi considère que la politique publicitaire offensive du concessionnaire du monopole des jeux de hasard en Autriche n’est pas mesurée et strictement limitée à ce qui est nécessaire pour canaliser les consommateurs vers les réseaux de jeux contrôlés. Au contraire, la politique publicitaire de ce concessionnaire encouragerait une participation active au jeu en le banalisant, en lui donnant une image positive, en augmentant son attractivité, en faisant miroiter des
gains importants, en incitant de nouveaux groupes cibles au jeu et en étendant constamment le contenu de celui-ci. Cette politique ne serait donc pas conforme aux limites établies par la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la publicité en matière de jeux de hasard.
11 Elle ajoute que les activités publicitaires du titulaire du monopole des jeux de hasard en Autriche ne sont soumises à aucun contrôle effectif étant donné que l’article 56, paragraphe 1, du GSpG ne prévoit que des mesures de surveillance à l’égard de ces activités et exclut un contrôle de leur caractère mesuré au moyen de recours formés sur le fondement de la loi relative à la lutte contre la concurrence déloyale. Elle considère également que de nombreuses entreprises tierces qui proposent
des jeux de hasard en Autriche, notamment dans le secteur des jeux en ligne, ne sont pas non plus soumises à un contrôle effectif.
12 La juridiction de renvoi estime donc que le monopole des jeux de hasard instauré en Autriche, y compris son mécanisme de contrôle, ne peut pas être appliqué à l’encontre des requérants au principal qui invoquent la libre prestation des services.
13 C’est dans ces circonstances que le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La libre prestation des services (article 56 TFUE) doit-elle être interprétée en ce sens que l’appréciation des pratiques publicitaires illicites, telles qu’établies dans la jurisprudence constante de la Cour, à l’égard du titulaire d’une concession dans le cadre d’un monopole d’État sur les jeux de hasard dépend du point de savoir si le marché des jeux de hasard a effectivement crû de manière générale au cours de la période en cause ou s’il suffit déjà que la publicité vise à inciter à
participer activement aux jeux, par exemple en banalisant le jeu, en lui conférant une image positive en raison de l’utilisation des recettes aux fins d’activités d’intérêt général ou en augmentant son attractivité par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants ?
2) Par ailleurs, la libre prestation des services doit-elle être interprétée en ce sens que lesdites pratiques publicitaires illicites du concessionnaire du monopole excluent en tout état de cause la cohérence du régime de monopole ou que, en cas de pratiques publicitaires correspondantes d’annonceurs privés, le titulaire du monopole peut également inciter à une participation active aux jeux, par exemple en banalisant le jeu, en lui conférant une image positive en raison de l’utilisation des
recettes aux fins d’activités d’intérêt général ou en augmentant son attractivité par des messages publicitaires accrocheurs qui font miroiter des gains importants ?
3) Une juridiction d’un État membre qui, dans le cadre de sa compétence, doit appliquer les dispositions relatives à la libre prestation des services est-elle tenue, aux fins d’assurer le plein effet de ces normes, de veiller à laisser inappliquée, de sa propre autorité, une disposition de droit interne qu’elle juge contraire, même si sa conformité au droit de l’Union a été confirmée dans le cadre d’une procédure constitutionnelle ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
14 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
15 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
16 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (voir, notamment, ordonnance du 7 juin 2018, Filippi e.a., C‑589/16, EU:C:2018:417, point 19 ainsi que jurisprudence citée).
17 La nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale
(ordonnance du 7 juin 2018, easyJet Airline, C‑241/18, non publiée, EU:C:2018:421, point 11 et jurisprudence citée).
18 La Cour insiste également sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour (voir, notamment, ordonnances du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 30 mai 2018, SNCB, C‑190/18, non publiée, EU:C:2018:355, point 18 et jurisprudence citée).
19 En effet, étant donné que c’est la décision de renvoi qui sert de fondement à la procédure devant la Cour, il est indispensable que le juge national explicite, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui
lui est soumis (voir, notamment, ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 20 et jurisprudence citée).
20 Les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (voir, notamment, ordonnances du 30 mai 2018, SNCB, C‑190/18, non publiée, EU:C:2018:355, point 19 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 juin 2018, Idroenergia, C‑166/18,
non publiée, EU:C:2018:476, point 14 et jurisprudence citée).
21 Aux termes de cet article 94, toute demande de décision préjudicielle contient « un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente », ainsi que « l’exposé des raisons qui ont
conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal » (ordonnance du 7 juin 2018, easyJet Airline, C‑241/18, non publiée, EU:C:2018:421, point 12 et jurisprudence citée).
22 Lesdites exigences sont également reflétées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2016, C 439, p. 1).
23 Il importe aussi de souligner que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu
de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (ordonnance du 7 juin 2018, easyJet Airline, C‑241/18, non publiée, EU:C:2018:421, point 14 et jurisprudence citée).
24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens que l’appréciation du caractère illicite des pratiques publicitaires du titulaire d’une concession dans le cadre d’un monopole d’État sur les jeux de hasard dépend du point de savoir si le marché des jeux de hasard a effectivement crû de manière générale au cours de la période en cause ou s’il suffit que la publicité vise à inciter à une participation active à ces
jeux. Par sa deuxième question, elle demande, en substance, si cet article doit être interprété en ce sens que, pour apprécier ces pratiques, il y a lieu de tenir compte des pratiques publicitaires d’annonceurs privés. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’elle est tenue de laisser inappliquée, de sa propre autorité, une disposition du droit national qu’elle estime contraire au droit de l’Union, quand bien
même la conformité de cette disposition à ce droit a été confirmée par la juridiction constitutionnelle nationale.
25 En ce qui concerne les première et deuxième questions, la juridiction de renvoi n’a pas clairement expliqué, d’une part, pourquoi elle était amenée à s’interroger sur certains critères d’appréciation des pratiques publicitaires du titulaire du monopole des jeux de hasard ni, d’autre part, en quoi la réponse à ces questions est nécessaire pour juger le litige pendant devant elle.
26 Dans la décision de renvoi, elle a certes relevé que le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) avait confirmé la conformité du monopole des jeux de hasard au droit de l’Union. Toutefois, la juridiction de renvoi n’a ni présenté la teneur de la jurisprudence constitutionnelle autrichienne ni clairement expliqué comment une réponse aux première et deuxième questions lui permettrait, le cas échéant, d’écarter cette jurisprudence et de résoudre le litige au principal.
27 Partant, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi n’expose pas avec la précision et la clarté requises les raisons pour lesquelles elle considère que l’interprétation demandée lui semble nécessaire ou utile aux fins de la résolution de l’affaire au principal. La juridiction de renvoi ne permet donc pas à la Cour de fournir une réponse utile à cette juridiction afin qu’elle puisse trancher le litige au principal ni ne donne aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres
parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
28 Dès lors, il convient de constater que les première et deuxième questions sont manifestement irrecevables.
29 Or, compte tenu de l’irrecevabilité manifeste des première et deuxième questions, il n’y a plus lieu de répondre à la troisième question.
30 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.
Sur les dépens
31 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :
La demande de décision préjudicielle introduite par le Landesverwaltungsgericht Steiermark (tribunal administratif régional de Styrie, Autriche), par décision du 2 juillet 2018, est manifestement irrecevable.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
* Langue de procédure : l’allemand.