ORDONNANCE DE LA COUR (cinquième chambre)
5 février 2015 (*)
«Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Mise en œuvre du droit de l’Union – Absence – Incompétence manifeste de la Cour»
Dans l’affaire C‑451/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rayonen sad Sofia (Bulgarie), par décision du 3 septembre 2014, parvenue à la Cour le 26 septembre 2014, dans la procédure
Rumyana Asenova Petrus
contre
Republika Bulgaria,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de chambre, MM. C. Vajda, A. Rosas, E. Juhász et D. Šváby, juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1^er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après le «premier protocole additionnel à la CEDH») et de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M^me Petrus à la Republika Bulgaria au sujet d’une acquisition, par prescription acquisitive, de la propriété d’un bien immobilier relevant de la propriété privée de cet État membre.
Le droit bulgare
3 L’article 28 de la loi sur la propriété (Zakon za sobstvenostta) dispose:
«Peuvent être la propriété de personnes physiques et morales tous les biens à l’exclusion de ceux qui, conformément à la Constitution de la République de Bulgarie, sont la propriété exclusive de l’État ou qui, en vertu de la loi, sont la propriété publique de l’État ou d’une commune.»
4 Aux termes de l’article 79 de cette loi:
«Le droit à la propriété d’un bien immeuble par la prescription acquisitive est acquis par une possession continue d’une durée de dix ans.
Si la possession est de bonne foi, le droit à la propriété est acquis par une possession continue d’une durée de cinq ans.»
5 L’article 86 de ladite loi dispose:
«Un bien, propriété publique de l’État ou d’une commune, ne peut être acquis par la prescription acquisitive.»
6 La loi visant à compléter la loi sur la propriété dispose, au paragraphe 1 de ses dispositions finales, que le délai pour l’acquisition de biens immeubles appartenant à l’État ou à une commune est suspendu jusqu’au 31 décembre 2014.
Le litige au principal et la question préjudicielle
7 Il ressort de la décision de renvoi que, selon les indications figurant dans l’«acte relatif à une propriété de l’État n° 07619, du 8 octobre 2010», la Republika Bulgaria est propriétaire d’un bien immeuble, à savoir un appartement situé dans la ville de Sofia (Bulgarie). Ce bien immeuble relève de la propriété privée de cet État membre.
8 M^me Petrus a saisi le Rayonen sad Sofia d’un recours contre la Republika Bulgaria en vue de se voir reconnaître le droit de propriété sur ce même bien immeuble. Au soutien de son recours, elle fait valoir qu’elle a acquis la propriété dudit bien immeuble par la voie d’une prescription acquisitive.
9 La Republika Bulgaria soutient être propriétaire du bien immeuble en cause dans l’affaire au principal en vertu de la législation nationale. Selon la Republika Bulgaria, M^me Petrus n’a pas pu acquérir la propriété de ce bien immeuble par prescription acquisitive en raison du moratoire sur l’acquisition prescriptive des biens immeubles relevant de la propriété privée de la Republika Bulgaria, tel qu’il résulte du paragraphe 1 des dispositions finales de la loi visant à compléter la loi sur
la propriété.
10 La juridiction de renvoi s’interroge quant à la conformité de ce moratoire avec l’article 1^er du premier protocole additionnel à la CEDH et à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Elle estime, à cet égard, que la possibilité d’acquérir, par prescription acquisitive, des biens immobiliers faisant partie de la propriété privée de l’État ou d’une commune relève du droit de propriété garanti par ces dispositions. En outre, il résulterait de ce moratoire au bénéfice de la seule propriété
privée de l’État un traitement inégal au détriment des particuliers propriétaires d’un bien immeuble.
11 Dans ces conditions, le Rayonen sad Sofia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’État peut-il instaurer lui-même un moratoire sur l’expiration du délai de la prescription acquisitive à son profit étant donné que cette priorité n’est pas prévue pour la propriété privée?»
Sur la compétence de la Cour
12 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque cette dernière est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire, elle peut, l’avocat général entendu, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure. Il y a lieu de faire application de ladite disposition dans la présente affaire.
13 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour d’interpréter l’article 1^er du protocole additionnel à la CEDH et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte afin de pouvoir déterminer si le paragraphe 1 des dispositions finales de la loi visant à compléter la loi sur la propriété est compatible avec ces dispositions.
14 Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences qui lui sont attribuées (arrêt Torralbo Marcos, C‑265/13, EU:C:2014:187, point 27 et jurisprudence citée).
15 S’agissant de l’article 1^er du protocole additionnel à la CEDH, il y a lieu de rappeler que, si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite convention, cette dernière ne
constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 44). Il s’ensuit que la Cour n’est pas compétente, en vertu de l’article 267 TFUE, pour statuer sur les conséquences à tirer, pour le juge national, d’un conflit entre le droit national et l’article 1^er du protocole additionnel à la CEDH (voir, en ce sens, arrêt Vandeweghe e.a., 130/73, EU:C:1973:131, point 2;
ordonnance Corpul Naţional al Poliţiştilor, C‑134/12, EU:C:2012:288, point 14, et arrêt Nisttahuz Poclava, C‑117/14, EU:C:2015:0000, point 43 et jurisprudence citée).
16 En ce qui concerne la Charte, l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci prévoit que les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. L’article 6, paragraphe 1, TUE ainsi que l’article 51, paragraphe 2, de la Charte précisent que les dispositions de cette dernière n’étendent pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union telles que définies dans les traités.
17 Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (voir arrêts Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 22; Torralbo Marcos, EU:C:2014:187, point 30; Julián Hernández e.a., C‑198/13, EU:C:2014:2055, point 33, ainsi que
ordonnance Stylinart, C‑282/14, EU:C:2014:2486, point 19 et jurisprudence citée).
18 Selon les indications de la juridiction de renvoi, la procédure au principal concerne une réglementation nationale, selon laquelle un bien immeuble peut être acquis par prescription acquisitive, à l’exception de biens immeubles relevant de la propriété privée de l’État bénéficiant d’un moratoire sur l’expiration du délai de la prescription acquisitive. La décision de renvoi ne contient toutefois aucun élément permettant de considérer que l’affaire au principal porte sur une réglementation
nationale mettant en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.
19 Ainsi, si le droit de propriété est garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, il n’en demeure pas moins que la décision de renvoi ne contient aucun élément permettant de considérer que l’objet de l’affaire au principal concerne l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union autre que celles figurant dans la Charte.
20 Par conséquent, la Cour n’est pas compétente pour répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.
21 Dans ces conditions, il y a lieu de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par par le Rayonen sad Sofia.
Sur les dépens
22 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:
La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Rayonen sad Sofia (Bulgarie).
Signatures
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* Langue de procédure: le bulgare.