ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)
28 novembre 2013 (*)
«Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Conseil régional d’expression française de l’ordre des médecins vétérinaires – Notion de ʻjuridiction nationaleʼ au sens de l’article 267 TFUE – Incompétence de la Cour»
Dans l’affaire C‑167/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil régional d’expression française de l’ordre des médecins vétérinaires (Belgique), par décision du 23 mars 2013, parvenue à la Cour le 27 mars 2013, dans la procédure disciplinaire contre
Jean Devillers,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. A. Ó Caoimh et E. Jarašiūnas, juges,
avocat général: M. Y. Bot,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, du règlement (CE) n° 1/2005 du Conseil, du 22 décembre 2004, relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et modifiant les directives 64/432/CEE et 93/119/CE et le règlement (CE) n° 1255/97 (JO 2005, L 3, p. 1, et rectificatif JO 2011, L 336, p. 86), lu en combinaison avec l’annexe I, chapitre 1, de ce règlement.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée à l’encontre de M. Devillers, médecin vétérinaire, à propos du transport d’un bovin blessé vers l’abattoir.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 3, premier alinéa, du règlement n° 1/2005 prévoit:
«Nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu’ils risquent d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles.»
4 Le chapitre 1, intitulé «Aptitude au transport», de l’annexe 1 dudit règlement énonce, à ses points 1 à 3:
«1. Seuls les animaux aptes à supporter le voyage prévu peuvent être transportés dans des conditions telles qu’ils ne puissent être blessés ou subir des souffrances inutiles.
2. Les animaux blessés ou présentant des faiblesses physiologiques ou un état pathologique ne sont pas considérés comme aptes à être transportés; c’est le cas en particulier si:
a) ils sont incapables de bouger par eux-mêmes sans souffrir ou de se déplacer sans assistance;
[...]
3. Toutefois les animaux malades ou blessés peuvent être considérés comme aptes au transport si:
a) il s’agit d’animaux légèrement blessés ou malades auxquels le transport n’occasionnerait pas de souffrances supplémentaires; en cas de doute, l’avis d’un vétérinaire sera demandé;
[...]»
Le droit belge
5 L’arrêté royal du 9 juillet 1999 relatif à la protection des animaux pendant le transport et aux conditions d’enregistrement des transporteurs et d’agrément des négociants, des points d’arrêt et des centres de rassemblement (Moniteur belge du 2 septembre 1999, p. 32437), tel que modifié par l’arrêté royal du 18 décembre 2000 (Moniteur belge du 10 janvier 2001, p. 602, ci-après l’«arrêté royal»), dispose à son article 11, paragraphe 4:
«Les animaux ne peuvent être transportés que s’ils sont aptes au voyage prévu et si les dispositions voulues ont été prises pour les soigner durant le voyage et à leur arrivée au lieu de destination. Les animaux qui sont malades ou blessés ne peuvent être transportés, sauf s’il s’agit:
– d’animaux blessés ou malades dont le transport ne serait pas cause de souffrances inutiles;
[...]»
Le litige au principal et la question préjudicielle
6 M. Devillers, médecin vétérinaire à Marchin (Belgique), possède une remorque et une autorisation de transport d’animaux. Le 16 décembre 2009, il a conduit un bovin vivant, présentant une fracture au niveau du jarret, à un abattoir situé à Aubel (Belgique) où ce bovin a été abattu après avoir été au préalable étourdi dans la remorque.
7 M. Devillers a été cité à comparaître devant le Conseil régional d’expression française de l’ordre des médecins vétérinaires (ci-après le «Conseil régional») le 21 avril 2012 aux fins de répondre d’éventuels manquements aux règles de déontologie de la profession de vétérinaire.
8 Il lui est reproché d’avoir enfreint l’article 11, paragraphe 4, de l’arrêté royal, en transportant ledit animal alors qu’il présentait une fracture le rendant inapte au transport et, ce faisant, d’avoir manqué aux règles de déontologie de la profession de vétérinaire.
9 Le Conseil régional s’interroge toutefois sur la conformité dudit article 11, paragraphe 4, avec l’article 3 du règlement n° 1/2005.
10 Dans ces conditions, le Conseil régional a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«L’article 3 du règlement n° 1/2005 [...] et [son] annexe I, chapitre 1, [intitulé] ‘Aptitude au transport’, points 1 [à] 3, lesquels font prévaloir l’avis d’un vétérinaire en cas de doute quant à l’aptitude au transport d’un animal blessé et plus précisément quant à l’appréciation des souffrances supplémentaires qu’occasionnerait le transport, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposeraient à l’article 11, paragraphe 4, de l’[arrêté royal], lequel n’autorise le transport d’un animal
blessé que si ce transport n’est pas cause de souffrances inutiles, sans plus?»
Sur la compétence de la Cour
11 Aux termes de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
12 Il convient de vérifier si le Conseil régional constitue une juridiction au sens de l’article 267 TFUE et si, par conséquent, la Cour est compétente pour se prononcer sur la question qui lui est posée par ce dernier.
13 Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour apprécier si l’organisme de renvoi possède le caractère d’une «juridiction» au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels l’origine légale de l’organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l’application, par l’organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance (voir arrêt du 22
décembre 2010, RTL Belgium, C‑517/09, Rec. p. I‑14093, point 36 et jurisprudence citée).
14 Il convient d’examiner en premier lieu le critère relatif à l’indépendance du Conseil régional.
15 Conformément à la jurisprudence de la Cour, la notion d’indépendance, qui est inhérente à la mission de juger, implique avant tout que l’instance concernée ait la qualité de tiers par rapport à l’autorité qui a adopté la décision frappée d’un recours et cette notion vise ainsi, en particulier, à assurer l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci (voir arrêt RTL Belgium, précité, points 38 et 40 ainsi que jurisprudence
citée).
16 Il y a lieu de constater que ce critère d’indépendance n’est pas rempli par le Conseil régional.
17 En effet, il ressort de la décision de renvoi et du dossier dont dispose la Cour que le Conseil régional est un organe dont la mission consiste, notamment, à assurer le respect des règles de déontologie afférentes à la profession de vétérinaire.
18 M. Devillers est ainsi opposé au Conseil régional dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée à son encontre par ce dernier.
19 Le Conseil régional constituant l’autorité décisionnaire, il n’a pas la qualité de tiers par rapport aux intérêts en présence. Il ressort en particulier du dossier soumis à la Cour que le bureau du Conseil régional, composé de trois membres de celui-ci, a confié l’instruction du dossier concernant M. Devillers à un médecin vétérinaire, lui-même membre du Conseil régional. Bien que le médecin vétérinaire instructeur ne participe pas aux délibérations ni aux décisions prises en matière
disciplinaire, il existe un lien fonctionnel étroit entre ce dernier et le Conseil régional.
20 Il s’ensuit que, lorsqu’il prend une décision disciplinaire, le Conseil régional ne possède pas l’impartialité requise à l’égard du contrevenant éventuel pour constituer une juridiction au sens de l’article 267 TFUE (voir, en ce sens, arrêt RTL Belgium, précité, point 47).
21 La circonstance qu’une personne telle que M. Devillers puisse faire valoir ses droits de la défense devant le Conseil régional, par l’intermédiaire d’un avocat, n’infirme pas ladite constatation.
22 Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner si les autres critères permettant d’apprécier si un organisme de renvoi possède le caractère d’une «juridiction» au sens de l’article 267 TFUE sont remplis par le Conseil régional.
23 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que, en application de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Conseil régional.
Sur les dépens
24 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant le Conseil régional, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:
La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la question posée par le Conseil régional d’expression française de l’ordre des médecins vétérinaires (Belgique), dans sa décision du 23 mars 2013.
Signatures
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* Langue de procédure: le français.