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22/10/2013 | CJUE | N°C‑276/12

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Jiří Sabou contre Finanční ředitelství pro hlavní město Prahu., 22/10/2013, C‑276/12


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 octobre 2013 ( *1 )

«Directive 77/799/CEE — Assistance mutuelle des autorités des États membres dans le domaine des impôts directs — Échange d’informations sur demande — Procédure fiscale — Droits fondamentaux — Limite à l’étendue des obligations de l’État membre requérant et de l’État membre requis à l’égard du contribuable — Absence d’obligation d’informer le contribuable de la demande d’assistance — Absence d’obligation d’inviter le contribuable à participer à l’audition de témoin

s — Droit du contribuable de
remettre en cause l’information échangée — Contenu minimal de l’information échang...

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 octobre 2013 ( *1 )

«Directive 77/799/CEE — Assistance mutuelle des autorités des États membres dans le domaine des impôts directs — Échange d’informations sur demande — Procédure fiscale — Droits fondamentaux — Limite à l’étendue des obligations de l’État membre requérant et de l’État membre requis à l’égard du contribuable — Absence d’obligation d’informer le contribuable de la demande d’assistance — Absence d’obligation d’inviter le contribuable à participer à l’audition de témoins — Droit du contribuable de
remettre en cause l’information échangée — Contenu minimal de l’information échangée»

Dans l’affaire C‑276/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší správní soud (République tchèque), par décision du 3 avril 2012, parvenue à la Cour le 4 juin 2012, dans la procédure

Jiří Sabou

contre

Finanční ředitelství pro hlavní město Prahu,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, M. Safjan et C. G. Fernlund (rapporteur), présidents de chambre, MM. J. Malenovský, E. Levits, A. Ó Caoimh, J.-C. Bonichot, D. Šváby, Mmes M. Berger, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

— pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement grec, par Mmes M. Tassopoulou et G. Papagianni, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues, D. Colas et J.-S. Pilczer, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement finlandais, par M. S. Hartikainen, en qualité d’agent,

— pour la Commission européenne, par Mmes C. Barslev et M. Šimerdová ainsi que par M. W. Mölls, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 juin 2013,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance (JO L 336, p. 15), telle que modifiée par la directive 2006/98/CE du Conseil, du 20 novembre 2006 (JO L 363, p. 129, ci-après la «directive 77/799»), examinée à la lumière des droits fondamentaux.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Sabou, footballeur professionnel, au Finanční ředitelství pro hlavní město Prahu (direction des services fiscaux de la ville de Prague) au sujet du montant de ses revenus imposables au titre de l’année 2004.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 77/799

3 La directive 77/799 a été abrogée par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799 (JO L 64, p. 1). Cependant, compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par la directive 77/799.

4 Les premier et deuxième considérants de la directive 77/799 énonçaient:

«considérant que la pratique de la fraude et de l’évasion fiscales par-delà les frontières des États membres conduit à des pertes budgétaires et à des entorses au principe de la justice fiscale et qu’elle est susceptible de provoquer des distorsions dans les mouvements de capitaux et dans les conditions de concurrence, qu’elle affecte donc le fonctionnement du marché commun;

considérant que le Conseil a, pour ces raisons, adopté, le 10 février 1975, une résolution relative aux mesures à prendre par la Communauté dans le domaine de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales [...]».

5 Les cinquième et sixième considérants de la directive 77/799 étaient libellés comme suit:

«considérant que les États membres doivent échanger, sur demande, des informations en ce qui concerne un cas précis et que l’État requis doit faire effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations;

considérant que les États membres doivent échanger, même sans demande, toute information qui paraît utile pour l’établissement correct des impôts sur le revenu et sur la fortune [...]».

6 L’article 1er de la directive 77/799, intitulé «Dispositions générales», prévoyait, à son paragraphe 1:

«Les autorités compétentes des États membres échangent, conformément à la présente directive, toutes les informations susceptibles de leur permettre l’établissement correct des impôts sur le revenu et sur la fortune [...]»

7 Aux termes de l’article 2 de la directive 77/799, intitulé «Échange sur demande»:

«1.   L’autorité compétente d’un État membre peut demander à l’autorité compétente d’un autre État membre de lui communiquer les informations visées à l’article 1er paragraphe 1 en ce qui concerne un cas précis. L’autorité compétente de l’État requis n’est pas tenue de donner une suite favorable à cette demande lorsqu’il apparaît que l’autorité compétente de l’État requérant n’a pas épuisé ses propres sources habituelles d’information, qu’elle aurait pu, selon les circonstances utiliser pour
obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à l’obtention du résultat recherché.

2.   En vue de la communication des informations visées au paragraphe 1, l’autorité compétente de l’État membre requis fait effectuer, s’il y a lieu, les recherches nécessaires pour obtenir ces informations.

Pour se procurer les informations demandées, l’autorité requise, ou l’autorité administrative saisie par cette dernière, procède comme si elle agissait pour son propre compte ou à la demande d’une autre autorité de son propre État membre.»

8 L’article 6 de la directive 77/799, intitulé «Collaboration d’agents de l’État intéressé», disposait:

«Pour l’application des dispositions qui [précèdent], l’autorité compétente de l’État membre qui fournit les informations et l’autorité compétente de l’État à qui les informations sont destinées peuvent convenir, dans le cadre de la procédure de consultation visée à l’article 9, d’autoriser la présence dans le premier État membre d’agents de l’administration fiscale de l’autre État membre. Les modalités d’application de cette disposition sont déterminées dans le cadre de cette même procédure.»

9 L’article 8 de la directive 77/799, intitulé «Limites de l’échange d’informations», prévoyait, à son paragraphe 1:

«La présente directive n’impose pas à un État membre auquel est transmise une demande d’informations l’obligation de procéder à des enquêtes ou de transmettre des informations dès lors que la réalisation de telles enquêtes ou la collecte des informations en question par l’autorité compétente de cet État membre est contraire à sa législation ou à ses pratiques administratives.»

Le droit tchèque

10 La loi no 253/2000 relative à l’assistance internationale en matière fiscale et modifiant la loi no 531/1990 relative aux autorités fiscales locales, telle que modifiée, a transposé en droit tchèque les dispositions de la directive 77/799.

11 La loi no 337/1992 relative à l’administration des impôts et des taxes dispose, à ses articles 16 et 31:

«Article 16

Contrôle fiscal

[...]

4) Le contribuable qui fait l’objet d’un contrôle fiscal a le droit, à l’égard de l’agent du fisc,

e) de poser des questions aux témoins et aux experts lors de l’audition et de l’enquête sur les lieux,

[...]

Article 31

Mesures d’instruction

[...]

2) [...] L’administration fiscale informe le contribuable en temps utile de l’organisation d’une déposition, s’il n’y a pas de risque de retard.»

Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

12 Dans le cadre de sa déclaration d’impôt sur le revenu pour l’année 2004, en République tchèque, M. Sabou a allégué avoir effectué des dépenses dans plusieurs États membres en vue d’un transfert éventuel de son activité de footballeur vers l’un des clubs de football de ces États. Ces dépenses auraient diminué d’autant ses revenus imposables. Le montant de son imposition sur le revenu, au titre de l’année 2004, a ainsi été fixé à 29700 couronnes tchèques (CZK) (environ 1100 euros).

13 L’administration fiscale tchèque a toutefois mis en doute la véracité de ces dépenses et a effectué un contrôle comprenant des demandes d’informations auprès des autorités fiscales des États membres concernés, en se fondant en particulier sur la loi no 253/2000 et sur la directive 77/799. Elle a ainsi sollicité l’assistance des administrations fiscales espagnole, française et du Royaume-Uni en leur demandant, notamment, le point de vue des clubs de football concernés. Il ressort des réponses
apportées par ces autorités qu’aucun des clubs prétendument approchés ne connaissait M. Sabou ni son agent.

14 L’administration fiscale tchèque s’est également adressée à l’administration fiscale hongroise au sujet de plusieurs factures présentées par M. Sabou, portant sur des services prétendument fournis par une société établie en Hongrie. L’administration requise a répondu que cette société n’aurait été que l’intermédiaire d’une société établie dans un pays tiers et que seul un contrôle effectué dans ce pays permettrait d’obtenir des réponses fiables.

15 À l’issue de son contrôle, l’administration fiscale tchèque a émis, le 28 mai 2009, un avis d’imposition complémentaire fixant le montant de l’impôt sur le revenu dû par M. Sabou au titre de l’année 2004 à 251 604 CZK (environ 9800 euros). Ce dernier a contesté cet avis devant la Finanční ředitelství pro hlavní město Prahu, laquelle a modifié ledit avis en fixant le montant de l’impôt à 283604 CZK (environ 11000 euros).

16 M. Sabou a introduit un recours à l’encontre de l’avis modifié devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague), lequel a rejeté son recours par un jugement daté du 27 juillet 2011. M. Sabou s’est alors pourvu en cassation devant le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême).

17 Devant cette juridiction, M. Sabou a soutenu que l’administration fiscale tchèque avait obtenu, de manière illégale, des informations le concernant. Premièrement, elle ne l’aurait pas informé de la demande d’assistance formée par cette administration auprès d’autres administrations, si bien qu’il n’avait pas pu participer à la formulation des questions qui leur avaient été posées. Deuxièmement, il n’aurait pas non plus été invité à participer à l’audition de témoins dans d’autres États membres,
contrairement aux droits que lui reconnaît le droit tchèque dans le cadre de procédures nationales similaires.

18 Dans sa décision de renvoi, le Nejvyšší správní soud mentionne que l’administration fiscale tchèque n’a pas demandé aux administrations requises de procéder à l’audition de témoins. Il indique que, si cette administration avait formulé une telle demande, elle en aurait fait part à M. Sabou afin qu’il puisse y participer dans l’hypothèse où les lois des États membres requis le permettaient.

19 En ce qui concerne le contenu des réponses fournies, la juridiction de renvoi mentionne que certaines administrations requises ont indiqué le nom des personnes interrogées, tandis que d’autres se sont bornées à indiquer les clubs à l’origine de l’information transmise. Par ailleurs, les modalités d’obtention de l’information, par téléphone, par voie électronique ou au cours d’une audition, n’auraient pas été précisées.

20 La juridiction de renvoi s’interroge sur l’existence d’un droit, pour le contribuable, de participer aux échanges d’informations entre administrations dans le cadre de la directive 77/799 et se demande dans quelle mesure les droits fondamentaux tels que garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») ont une influence sur l’existence de ce droit.

21 Le Nejvyšší správní soud fait observer que, si un tel droit n’était pas reconnu au contribuable, cela aboutirait à une réduction de ses droits procéduraux par rapport à ceux qui lui sont garantis par le droit tchèque dans le cadre d’une procédure fiscale nationale. Cette juridiction renvoie à deux de ses arrêts, datés respectivement des 30 janvier 2008 et 26 mars 2009. Dans le premier de ceux-ci, elle a jugé que, s’agissant de l’audition d’un témoin, «la garantie d’une possibilité réelle de
participation [du contribuable] à [cette] audition est l’un des paramètres clés de l’appréciation de la légalité d’une telle mesure d’administration de la preuve et il convient d’empêcher strictement son contournement». Dans le second, relatif à une procédure fiscale en République tchèque impliquant le recours à l’assistance d’un autre État membre en vertu de la directive 77/799 et à l’audition d’un témoin dans cet autre État membre, ladite juridiction a considéré que ce n’était que si
l’administration de l’État requis, en application de sa propre législation, avait refusé de faire participer le contribuable tchèque à la séance d’audition que l’administration fiscale tchèque aurait été autorisée à utiliser, à titre de preuve, les informations issues de la déposition du témoin et obtenues conformément au droit de l’État requis.

22 C’est dans ces conditions que le Nejvyšší správní soud a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Le droit de l’Union [...] confère-t-il à un contribuable le droit d’être informé de la décision de l’administration fiscale de présenter une demande d’informations en vertu de la directive [77/799]? Un contribuable a-t-il le droit de participer à la formulation de la demande adressée à l’État membre requis? Au cas où le droit de l’Union [...] ne conférerait pas des droits de cette nature au contribuable, ce dernier peut-il se voir reconnaître des droits similaires par le droit national?

2) Un contribuable a-t-il le droit de participer à l’audition des témoins dans l’État membre requis au cours du traitement d’une demande d’informations en application de la directive [77/799]? L’État membre requis est-il tenu d’informer préalablement le contribuable de la date de l’audition si cela lui était demandé par l’État membre requérant?

3) Lorsqu’elle communique des informations en application de la directive [77/799], l’administration fiscale de l’État membre requis est-elle tenue de respecter un contenu minimal pour les réponses de manière à ce qu’il soit clairement établi à partir de quelles sources et selon quelles modalités elle a pu obtenir les informations communiquées? Le contribuable peut-il contester l’exactitude des informations ainsi fournies en invoquant par exemple des vices dont serait entachée la procédure qui a
précédé, dans l’État requis, la transmission des informations? Ou bien le principe de confiance mutuelle et de coopération, en vertu duquel les informations communiquées par l’administration fiscale requise ne peuvent être remises en cause, s’applique-t-il?»

Sur la compétence de la Cour

23 La Commission européenne fait valoir, à titre liminaire, que, par ses questions relatives aux droits procéduraux du contribuable dans des situations où l’administration fiscale a décidé de recourir au mécanisme d’assistance mutuelle prévu par la directive 77/799, la juridiction de renvoi cherche à savoir si le contribuable tire certains droits de la Charte. En réalité, selon la Commission, ces questions portent, en partie, sur l’application de la Charte en liaison avec le droit national et la
Cour n’est, dès lors, pas compétente pour y répondre.

24 La Commission souligne ainsi, d’une part, que la demande d’assistance vise à l’établissement correct de l’impôt sur le revenu, un domaine qui n’est pas harmonisé par le droit de l’Union, et, d’autre part, que la directive 77/799 n’indique pas comment l’État requérant doit traiter l’information qu’il reçoit en vue d’établir cet impôt. La Commission ajoute que cette directive prévoit une simple faculté pour les États membres de recourir à l’assistance d’autres États membres. Par conséquent, la
question de savoir si l’État membre requérant est tenu d’informer le contribuable de la demande d’assistance qu’il a formée relèverait non pas du droit de l’Union, mais du seul droit national.

25 En ce qui concerne tout d’abord la Charte, il y a lieu de relever que celle-ci étant entrée en vigueur le 1er décembre 2009, elle ne s’applique pas à la procédure d’assistance ayant conduit à l’avis d’imposition complémentaire daté du 28 mai 2009.

26 S’agissant ensuite de la compétence de la Cour, dans la présente affaire, pour interpréter la directive 77/799, la circonstance que l’État membre requérant ne soit pas tenu d’adresser une demande d’assistance à un autre État membre ne permet pas de considérer que les règles relatives à la demande d’informations et à l’utilisation des informations obtenues par cet État membre sont en dehors du champ d’application du droit de l’Union. Dès lors qu’un État membre décide de recourir à une telle
assistance, il doit se conformer aux règles prévues par la directive 77/799. Il ressort en effet, notamment du cinquième considérant de cette directive, que les États membres doivent respecter certaines obligations dans le cadre de l’assistance mutuelle.

27 Par conséquent, les questions posées relatives aux obligations de l’État membre requérant à l’égard du contribuable concernent la mise en œuvre du droit de l’Union et la Cour est compétente pour examiner l’application, dans ce contexte, des droits fondamentaux, et notamment du droit d’être entendu.

28 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que les droits de la défense, qui comportent le droit d’être entendu, figurent au nombre des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir en ce sens, notamment, arrêt du 18 décembre 2008, Sopropé, C-349/07, Rec. p. I-10369, points 33 et 36). Saisie à titre préjudiciel, la Cour doit, lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, fournir tous les éléments d’interprétation
nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux (voir, notamment, arrêts du 18 juin 1991, ERT, C-260/89, Rec. p. I-2925, point 42, ainsi que Sopropé, précité, points 33 et 34).

29 Il y a lieu, par conséquent, de répondre à l’ensemble des questions posées par la juridiction nationale.

Sur les questions préjudicielles

Sur les deux premières questions

30 Par ses deux premières questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, tel qu’il résulte en particulier de la directive 77/799 et du droit fondamental d’être entendu, confère au contribuable d’un État membre le droit d’être informé de la demande d’assistance de cet État adressée à un autre État membre, de participer à la formulation de la demande adressée à l’État membre requis et de prendre part à une audition de témoins
organisée par ce dernier État.

31 Il convient, en premier lieu, de vérifier si le mécanisme d’assistance mutuelle instauré par la directive 77/799 prévoit un tel droit pour le contribuable.

32 À cet égard, ainsi que la Cour l’a constaté aux points 30 et 31 de l’arrêt du 27 septembre 2007, Twoh International (C-184/05, Rec. p. I-7897), il ressort des deux premiers considérants de la directive 77/799 que celle-ci a pour objectif de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales internationales et qu’elle a ainsi été adoptée en vue de régir la collaboration entre les autorités fiscales des États membres.

33 La Cour a également relevé que, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 77/799, l’administration fiscale d’un État membre «peut» demander à l’administration fiscale d’un autre État membre des informations qu’elle ne peut pas obtenir elle-même. Elle a ainsi souligné que, par l’emploi du terme «peut», le législateur de l’Union a indiqué que les administrations fiscales nationales disposent d’une faculté à cet égard et ne sont aucunement obligées de recourir à une telle demande
(voir, en ce sens, arrêt Twoh International, précité, point 32).

34 En revanche, à la suite d’une demande présentée par une autorité compétente dans les conditions prévues à l’article 2 de la directive 77/799, l’État membre requis est en principe tenu de répondre à cette demande et, s’il y a lieu, de faire effectuer les recherches nécessaires, conformément à l’article 2 de la directive 77/799.

35 Il découle des articles 2, paragraphe 2, et 8 de la directive 77/799 que l’autorité compétente de l’État requis répond à une telle demande en appliquant son droit national et, notamment, ses propres règles de procédure.

36 Il ressort ainsi de l’examen de la directive 77/799 que celle-ci, qui a pour objet de régir la collaboration entre les autorités fiscales des États membres, coordonne la transmission d’informations entre autorités compétentes en imposant certaines obligations aux États membres. Cette directive ne confère en revanche pas de droits spécifiques au contribuable (voir arrêt Twoh International, précité, point 31) et ne prévoit, en particulier, aucune obligation pour les autorités compétentes des États
membres de consulter ce dernier.

37 Dans ces conditions, il convient d’examiner, en deuxième lieu, si le contribuable ne peut toutefois tirer des droits de la défense un droit de participer à l’échange d’informations entre les autorités compétentes.

38 La Cour a précédemment jugé que le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (voir arrêt Sopropé, précité, point 36). En vertu dudit principe, les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent ainsi être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur
lesquels l’administration entend fonder sa décision (voir, notamment, arrêts du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21, ainsi que Sopropé, précité, point 37). Cette obligation pèse sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, alors même que la législation de l’Union applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir arrêts Sopropé, précité, point 38,
ainsi que du 10 septembre 2013, G. et R., C‑383/13 PPU, point 35).

39 La question se pose de savoir si la décision d’une autorité compétente d’un État membre de demander l’assistance d’une autorité compétente d’un autre État membre et la décision de cette dernière de procéder à une audition de témoins aux fins de répondre à cette demande constituent des actes qui, en raison de leurs conséquences pour le contribuable, exigent que celui-ci soit entendu.

40 L’ensemble des États membres qui ont déposé des observations devant la Cour ont fait valoir que la demande d’informations d’un État membre adressée à l’administration fiscale d’un autre État membre ne constitue pas un acte entraînant une telle obligation. Ils considèrent, à juste titre, qu’il convient de distinguer, dans le cadre des procédures de contrôle fiscal, la phase d’enquête au cours de laquelle des informations sont collectées et à laquelle appartient la demande d’informations d’une
administration fiscale à une autre de la phase contradictoire, entre l’administration fiscale et le contribuable auquel elle s’adresse, qui débute par l’envoi à ce dernier d’une proposition de rectification.

41 Lorsque l’administration procède à la collecte d’informations, elle n’est pas tenue d’en faire part au contribuable et de recueillir son point de vue.

42 Or, la demande d’assistance présentée par l’administration fiscale en application de la directive 77/799 s’inscrit dans la procédure de collecte d’informations.

43 Il en va de même de la réponse communiquée par l’administration fiscale requise et des recherches préalables effectuées par cette administration, y compris l’audition de témoins.

44 Il s’ensuit que le respect des droits de la défense du contribuable n’exige pas que ce dernier participe à la demande d’informations adressée par l’État membre requérant à l’État membre requis. Elle n’exige pas non plus que le contribuable soit entendu au moment où des recherches pouvant comprendre l’audition de témoins sont effectuées dans l’État membre requis ni avant que cet État membre transmette des informations à l’État membre requérant.

45 Pour autant, rien n’empêche un État membre d’étendre le droit d’être entendu à d’autres étapes de la phase d’enquête, en associant le contribuable à diverses phases de la collecte d’informations et, notamment, à l’audition de témoins.

46 Il y a lieu, par conséquent, de répondre aux première et deuxième questions que le droit de l’Union, tel qu’il résulte en particulier de la directive 77/799 et du droit fondamental d’être entendu, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère au contribuable d’un État membre ni le droit d’être informé de la demande d’assistance de cet État adressée à un autre État membre afin, notamment, de vérifier les données fournies par ce contribuable dans le cadre de sa déclaration d’impôt sur le revenu,
ni le droit de participer à la formulation de la demande adressée à l’État membre requis, ni le droit de participer aux auditions de témoins organisées par ce dernier État.

Sur la troisième question

47 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 77/799 doit être interprétée en ce sens que, d’une part, le contribuable peut contester l’information le concernant transmise à l’administration fiscale de l’État membre requérant et, d’autre part, lorsque l’administration fiscale de l’État membre requis transmet l’information recueillie, elle est tenue de mentionner les sources de l’information ainsi que les modalités de son obtention.

48 À cet égard, il y a lieu de relever que la directive 77/799 ne traite pas du droit du contribuable de contester l’exactitude de l’information transmise et n’impose aucune exigence particulière quant au contenu de l’information transmise.

49 Dans ces conditions, il appartient aux seuls droits nationaux de fixer les règles qui y sont relatives. Le contribuable peut contester l’information le concernant transmise à l’administration fiscale de l’État membre requérant selon les règles et les procédures applicables dans l’État membre concerné.

50 Il convient donc de répondre à la troisième question que la directive 77/799 ne régit pas la question de savoir dans quelles conditions le contribuable peut contester l’exactitude de l’information transmise par l’État membre requis et n’impose aucune exigence particulière quant au contenu de l’information transmise.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

  1) Le droit de l’Union, tel qu’il résulte en particulier de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance, telle que modifiée par la directive 2006/98/CE du Conseil, du 20 novembre 2006, et du droit fondamental d’être entendu, doit être interprété en ce sens qu’il ne confère au contribuable d’un État membre ni le droit d’être informé de
la demande d’assistance de cet État adressée à un autre État membre afin, notamment, de vérifier les données fournies par ce contribuable dans le cadre de sa déclaration d’impôt sur le revenu, ni le droit de participer à la formulation de la demande adressée à l’État membre requis, ni le droit de participer aux auditions de témoins organisées par ce dernier État.

  2) La directive 77/799, telle que modifiée par la directive 2006/98, ne régit pas la question de savoir dans quelles conditions le contribuable peut contester l’exactitude de l’information transmise par l’État membre requis et n’impose aucune exigence particulière quant au contenu de l’information transmise.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure: le tchèque.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C‑276/12
Date de la décision : 22/10/2013
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Nejvyšší správní soud.

Directive 77/799/CEE — Assistance mutuelle des autorités des États membres dans le domaine des impôts directs — Échange d’informations sur demande — Procédure fiscale — Droits fondamentaux — Limite à l’étendue des obligations de l’État membre requérant et de l’État membre requis à l’égard du contribuable — Absence d’obligation d’informer le contribuable de la demande d’assistance — Absence d’obligation d’inviter le contribuable à participer à l’audition de témoins — Droit du contribuable de remettre en cause l’information échangée — Contenu minimal de l’information échangée.

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux

Libre circulation des capitaux


Parties
Demandeurs : Jiří Sabou
Défendeurs : Finanční ředitelství pro hlavní město Prahu.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott
Rapporteur ?: Fernlund

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2013:678

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