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27/10/2023 | CANADA | N°2023CSC25

Canada | Canada, Cour suprême, 27 octobre 2023, Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25


COUR SUPRÊME DU CANADA


 
Référence : Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25
 

 

 
Appel entendu : 12 janvier 2023
Jugement rendu : 27 octobre 2023
Dossier : 39931


 
Entre :
 
Antoine Ponce et Daniel Riopel
Appelants
 
et
 
Société d’investissements Rhéaume ltée, Michel Rhéaume investissement ltée, Agence André Beaulne ltée et 9098-3289 Québec inc.
Intimées
 
 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Brown*, Rowe, Kasirer, Jama

l et O’Bonsawin
 


Motifs de jugement :
(par. 1 à 119)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Jamal et O’Bonsawin)


 
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COUR SUPRÊME DU CANADA

 
Référence : Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25
 

 

 
Appel entendu : 12 janvier 2023
Jugement rendu : 27 octobre 2023
Dossier : 39931

 
Entre :
 
Antoine Ponce et Daniel Riopel
Appelants
 
et
 
Société d’investissements Rhéaume ltée, Michel Rhéaume investissement ltée, Agence André Beaulne ltée et 9098-3289 Québec inc.
Intimées
 
 
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Brown*, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin
 

Motifs de jugement :
(par. 1 à 119)

Le juge Kasirer (avec l’accord du juge en chef Wagner et des juges Karakatsanis, Rowe, Jamal et O’Bonsawin)

 

 

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 
 
* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.
 
 
 

 

 

 

 
Antoine Ponce et
Daniel Riopel                                                                                                  Appelants
c.
Société d’investissements Rhéaume ltée,
Michel Rhéaume investissement ltée,
Agence André Beaulne ltée et
9098‑3289 Québec inc.                                                                                    Intimées
Répertorié : Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée
2023 CSC 25
No du greffe : 39931.
2023 : 12 janvier; 2023 : 27 octobre.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Brown*, Rowe, Kasirer, Jamal et O’Bonsawin.
en appel de la cour d’appel du québec
                    Responsabilité civile — Obligation de loyauté — Obligations contractuelles implicites — Devoir de renseignement — Obligation d’agir de bonne foi — Remède — Présidents d’un groupe d’entreprises informés par une société qu’elle est intéressée à acquérir le groupe — Information non divulguée par les présidents aux actionnaires majoritaires du groupe — Achat par les présidents des intérêts des actionnaires dans le groupe et revente à profit de ces intérêts à la société — La non‑divulgation par les présidents de l’intérêt manifesté par la société pour l’acquisition du groupe constitue‑t‑elle une faute civile? — Si une faute est établie, quel est le remède approprié? — Code civil du Québec, art. 1375, 1434.
                    Deux présidents d’un groupe de trois entreprises dans le secteur des assurances apprennent qu’une importante société est intéressée à acquérir le groupe. Plutôt que d’en informer les actionnaires majoritaires du groupe, les présidents décident d’acheter eux‑mêmes la totalité des intérêts des actionnaires afin de les revendre ensuite à la société pour un profit substantiel. Avant la revente, les présidents concluent avec la société acheteuse un engagement de confidentialité, qui empêche la société de traiter directement avec les actionnaires majoritaires du groupe.
                    Apprenant l’existence de la revente, les actionnaires déposent en Cour supérieure une requête introductive d’instance en dommages‑intérêts dans laquelle ils demandent environ 24 M$ pour compenser le gain que leur aurait rapporté cette transaction dont ils ont été privés. Ils allèguent que les présidents ont contrevenu à leurs obligations contractuelles et légales ainsi qu’à leurs obligations fiduciaires, et plus particulièrement à celles d’agir de bonne foi, avec loyauté et transparence, en omettant de les informer de l’intérêt manifesté par la société acheteuse pour l’acquisition du groupe. Selon les actionnaires, les agissements illégaux des présidents leur donnent le droit de réclamer l’équivalent des profits excédentaires engrangés par ceux‑ci.
                    La Cour supérieure donne raison aux actionnaires et condamne solidairement les présidents à leur verser une somme de 11 884 743 $, correspondant aux profits que ces derniers ont réalisés lors de la revente. Selon la cour, tant en vertu du Code civil du Québec que de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, les présidents, en leur qualité d’administrateurs, étaient redevables envers le groupe de devoirs d’honnêteté, de loyauté, de prudence et de diligence. Le premier juge considère que ces mêmes devoirs peuvent être étendus aux actionnaires en raison d’une entente de rémunération incitative conclue entre les actionnaires et les présidents (« Entente des présidents ») qui encadre les rapports entre les parties et emporte des obligations implicites pour les présidents. La Cour d’appel confirme le jugement de première instance et entérine le remède accordé par le premier juge. Elle est toutefois d’avis que c’est à tort que le premier juge a considéré que les devoirs d’honnêteté et de loyauté prévus au Code civil du Québec et à la Loi canadienne sur les sociétés par actions pouvaient être étendus aux actionnaires. La cour conclut que le comportement des présidents satisfait aux trois critères énoncés dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée, 1992 CanLII 71 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 554, et que ceux‑ci ont manqué à leurs obligations de bonne foi contractuelle et de renseignement envers les actionnaires.
                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
                    L’omission des présidents d’informer les actionnaires majoritaires de l’intérêt de la société acheteuse à acquérir le groupe constitue un manquement aux exigences de la bonne foi. Ils ont contrevenu à l’obligation de loyauté contractuelle rattachée à la bonne foi qui constitue une obligation implicite du contrat par le jeu combiné des art. 1434 et 1375 C.c.Q. L’Entente des présidents emportait une obligation implicite de renseignement exigeant des présidents qu’ils communiquent aux actionnaires toute information pertinente à la prise d’une décision éclairée quant à la vente de leurs actions. Cette obligation implicite découle de la nature de cette entente, qui reflète la volonté présumée des parties, suivant l’art. 1434 C.c.Q. De plus, les présidents étaient tenus d’exécuter l’Entente conformément aux exigences de la bonne foi, incluse au contrat par le biais de la loi impérative en vertu de l’art. 1375 C.c.Q. Quant au remède, les dommages‑intérêts visent à compenser le gain manqué en raison de la faute et le quantum doit être évalué de façon à placer les actionnaires dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés n’eût été la faute des présidents. La remise des profits n’est pas disponible en présence d’une simple violation de l’obligation de bonne foi; en principe, elle n’est disponible que lorsqu’une personne est chargée de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui. Par contre, lorsqu’un manquement aux exigences de la bonne foi empêche la partie lésée de faire la preuve du préjudice, il y a lieu de présumer que celui‑ci équivaut au profit réalisé par la partie fautive. Les présidents n’ont démontré aucune erreur manifeste et déterminante dans la conclusion du premier juge selon laquelle le gain manqué des actionnaires équivaut aux profits réalisés par les présidents. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir dans l’évaluation du quantum des dommages‑intérêts.
                    En ce qui a trait aux fondements juridiques pouvant donner naissance à l’obligation des présidents d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par la société acheteuse pour l’acquisition du groupe, l’obligation de loyauté maximaliste qui découle de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui, comme celle qui incombe à l’administrateur du bien d’autrui ou au mandataire, n’est pas en cause en l’espèce. Les présidents ne sont ni les mandataires des actionnaires, ni les administrateurs du bien d’autrui, de sorte qu’ils ne sauraient être tenus à une obligation de loyauté comme celle prévue aux art. 1309 al. 2 et 2138 al. 2 C.c.Q. De même, l’obligation extracontractuelle de renseignement se rapportant au respect de la bonne foi dans la formation des contrats n’a qu’une portée théorique en l’espèce, compte tenu des rapports contractuels que les parties ont choisi d’établir entre elles. Les actionnaires n’allèguent pas un manquement aux exigences de la bonne foi au stade précontractuel, ni ne réclament la nullité des contrats de vente de leurs intérêts dans le groupe aux présidents. Ils insistent plutôt sur l’exécution de bonne foi de l’Entente des présidents, laquelle était pleinement applicable au moment des faits reprochés.
                    Le premier fondement juridique du devoir de renseignement imposé aux présidents est donc l’obligation contractuelle implicite de renseignement contenue à l’Entente des présidents. Selon l’art. 1434 C.c.Q., le contrat oblige les parties non seulement pour ce qu’elles y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi. En l’espèce, la nature de l’Entente des présidents mène à la conclusion qu’une obligation implicite de renseignement s’y rattache. L’Entente des présidents est la pierre angulaire de la relation d’affaires entre les présidents et les actionnaires. Le rôle de chacun au sein de cette relation est clair. L’Entente des présidents constitue un accord à long terme qui formalise une relation d’affaires mutuellement avantageuse entre les présidents et les actionnaires, et elle commande une loyauté contractuelle réciproque. Elle renforce le degré élevé de confiance que les actionnaires accordaient aux présidents et prévoit expressément les modalités de rémunération incitative au bénéfice des présidents, sans expliciter leurs obligations réciproques. Au regard de la nature même de l’Entente des présidents, les présidents étaient tenus à une obligation implicite de renseignement envers les actionnaires quant à tout fait susceptible de permettre à ces derniers d’évaluer les profits et la valeur des entreprises, et de prendre la décision de vendre ou non leurs actions et, le cas échéant, à quel prix. La non‑divulgation de l’intérêt de la société acheteuse contrevient directement à cette obligation implicite.
                    Le deuxième fondement juridique est l’obligation d’exécuter l’Entente des présidents conformément aux exigences de la bonne foi en vertu de l’art. 1375 C.c.Q. La bonne foi en droit civil québécois est aujourd’hui une norme législative d’ordre public. Contrairement à la loyauté maximaliste découlant de l’exercice de pouvoirs juridiques, la loyauté contractuelle est réciproque en raison du caractère mutuel de la bonne foi. Elle impose à une partie contractante d’agir avec loyauté en tenant compte, dans les limites du comportement raisonnable, des intérêts de son cocontractant. Néanmoins, l’obligation de loyauté rattachée à la bonne foi contractuelle dans l’exécution du contrat n’exige pas qu’une partie contractante subordonne son intérêt à celui de son cocontractant. En l’espèce, la loyauté contractuelle rattachée à la bonne foi n’empêchait pas les présidents d’exécuter le contrat dans la poursuite de leur intérêt personnel, mais elle exigeait la prise en compte des intérêts de leurs cocontractants. Pour cette raison, elle était susceptible de leur imposer un devoir de renseignement. Bien qu’ils ne fussent pas tenus de subordonner leurs intérêts à ceux des actionnaires, les présidents ne pouvaient pas cacher l’intérêt de la société acheteuse à l’égard du groupe sans engager leur responsabilité contractuelle envers les actionnaires. En dissimulant cet intérêt, ils ont contrevenu à leur obligation de bonne foi.
                    L’intérêt manifesté par la société acheteuse satisfait, dans le contexte de l’Entente des présidents, chacun des trois critères énoncés dans l’arrêt Bail, qui permettent de déterminer si une information particulière est visée par le devoir de renseignement: (1) la connaissance réelle ou présumée de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement; (2) la nature déterminante de l’information en question; (3) l’impossibilité pour le créancier de l’obligation de se renseigner lui‑même, ou la confiance légitime de ce dernier envers le débiteur de l’obligation. Pour ce qui est du premier critère, les présidents connaissaient l’intérêt de la société acheteuse et étaient pleinement conscients de la valeur financière de cette information. Le deuxième critère est également respecté parce que l’intérêt de la société acheteuse aurait eu une incidence majeure sur la décision et sur la détermination de la valeur des actions des actionnaires et du prix de vente. Le dernier critère est doublement respecté étant donné le climat de confiance qui régnait entre les parties, et puisque les actionnaires étaient dans l’impossibilité de s’informer eux‑mêmes de l’intérêt de la société acheteuse. Par conséquent, les exigences de la bonne foi dans l’exécution de l’Entente des présidents emportaient pour les présidents un devoir d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par la société acheteuse.
                    La détermination du remède approprié en l’espèce permet de préciser la frontière entre restitution et réparation en droit civil. La réparation du préjudice causé par un manquement à la loyauté contractuelle s’oppose à la remise des profits par suite de l’inexécution de l’obligation de loyauté maximaliste dans l’exercice de pouvoirs. La remise des profits sans prise en compte du préjudice n’est pas un remède approprié en l’espèce, car elle est incompatible avec la fonction compensatoire de la responsabilité civile. Elle n’est disponible que lorsqu’une personne est chargée de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui, et a pour objectif d’assurer le respect de l’obligation de loyauté maximaliste de l’attributaire d’un pouvoir. Pour sa part, l’octroi de dommages‑intérêts a pour fonction d’indemniser la victime d’une faute pour le préjudice qu’elle a subi, participant d’une logique compensatoire reliée à la loyauté contractuelle découlant de l’art. 1375 C.c.Q., et vise à compenser le gain manqué en raison de la faute. Pour justifier l’octroi de dommages‑intérêts, la partie lésée par un manquement à la loyauté contractuelle a le fardeau d’établir le préjudice susceptible de compensation, conformément au principe fondamental de la restitutio in integrum (ou réparation intégrale) qui est un aspect central du droit de la responsabilité civile québécois.
                    En l’espèce, le gain manqué par les actionnaires est indemnisable suivant la règle de l’évaluation des dommages‑intérêts prévue à l’art. 1611 C.c.Q. Si, en règle générale, le droit de la responsabilité civile ne dispense pas le demandeur de faire la preuve de son préjudice, c’est le comportement déloyal des présidents qui empêche les actionnaires d’apporter une telle preuve. La non‑divulgation de l’information par les présidents aux actionnaires s’accompagnait d’efforts visant à camoufler l’intérêt de la société acheteuse à l’égard du groupe. Les présidents ne sauraient être autorisés à profiter de leur manquement aux exigences de la bonne foi en reprochant aux actionnaires de ne pas avoir fait la preuve de leur préjudice. En application de l’arrêt Biotech Electronics Ltd. c. Baxter, 1998 CanLII 13186 (QC CA), [1998] R.J.Q. 430 (C.A.), le comportement fautif des présidents fait naître une présomption réfragable que le gain manqué des actionnaires équivaut aux profits injustement engrangés par les présidents. La présomption établie dans l’arrêt Baxter offre la base d’un mode de calcul des dommages‑intérêts visant à indemniser la partie lésée pour le préjudice qu’elle a subi. Elle repose sur un objectif de compensation distinct de la remise des profits lorsque celle‑ci s’inscrit dans une logique restitutoire en l’absence de tout préjudice. Les présidents n’ont pas repoussé cette présomption et les dommages‑intérêts dus aux actionnaires équivalent à la différence entre le montant du prix de vente reçu par les présidents lors de leur revente des actions à la société et celui reçu par les actionnaires lors de leur vente initiale des actions aux présidents.
Jurisprudence
                    Arrêts appliqués : Biotech Electronics Ltd. c. Baxter, 1998 CanLII 13186 (QC CA), [1998] R.J.Q. 430; Banque de Montréal c. Bail Ltée, 1992 CanLII 71 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 554; distinction d’avec l’arrêt : Banque de Montréal c. Kuet Leong Ng, 1989 CanLII 30 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 429; arrêt examiné : Uni‑Sélect inc. c. Acktion Corp., 2002 CanLII 41226 (QC CA), [2002] R.J.Q. 3005; arrêts mentionnés : PF Résolu Canada inc. c. Hydro‑Québec, 2020 CSC 43; Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7; Gravino c. Enerchem Transport inc., 2008 QCCA 1820, [2008] R.J.Q. 2178; Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494; Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro‑Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101; Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., 1997 CanLII 10209 (QC CA), [1998] R.J.Q. 47; Cabiakman c. Industrielle‑Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55, [2004] 3 R.C.S. 195; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Banque Nationale du Canada c. Soucisse, 1981 CanLII 31 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 339; Houle c. Banque Canadienne Nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122; Tardif c. Succession de Dubé, 2018 QCCA 1639, 51 C.C.L.T. (4th) 54; Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico Inc., 2015 QCCA 624, 41 B.L.R. (5th) 1; C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45; Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, [2020] 3 R.C.S. 298; Abbas‑Turqui c. Labelle Marquis Inc., 2004 CanLII 26082; Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1991 CanLII 27 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 3; Lamb c. Kincaid (1907), 1907 CanLII 38 (SCC), 38 R.C.S. 516; Banque Nationale du Canada c. Corbeil, 1991 CanLII 117 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 117; Banque Provinciale du Canada c. Gagnon, 1981 CanLII 195 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 98; Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., 1978 CanLII 1 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 229; Grenier c. Grenier, 2011 QCCA 964; M.H. c. Axa Assurances inc., 2009 QCCA 2358, [2010] R.R.A. 15.
Lois et règlements cités
Code civil du Québec, art. 322, 431, 432, 1309 al. 2, 1365, 1366 al. 1, 1375, 1434, 1611 et suiv., 2088, 2098, 2100 al. 1, 2138 al. 2, 2139, 2146 al. 2, 2184.
Code civil (France), art. 1112, 1112‑1.
Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44, art. 122(1)a).
Doctrine et autres documents cités
Baudouin, Jean‑Louis. « Justice et équilibre : la nouvelle moralité contractuelle du droit civil québécois », dans Gilles Goubeaux et autres, dir., Études offertes à Jacques Ghestin : Le contrat au début du XXIe siècle, Paris, LGDJ, 2001, 29.
Baudouin, Jean‑Louis, et Pierre‑Gabriel Jobin. Les obligations, 7e éd. par Pierre‑Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2013.
Bénabent, Alain. Droit des obligations, 19e éd., Paris, LGDJ, 2021.
Cantin Cumyn, Madeleine. « L’obligation de loyauté dans les services de placement » (2012), 3:1 B.D.E. 19.
Cantin Cumyn, Madeleine. « Le pouvoir juridique » (2007), 52 R.D. McGill 215.
Cantin Cumyn, Madeleine, et Michelle Cumyn. L’administration du bien d’autrui, 2e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014.
Cornu, Gérard, dir. Vocabulaire juridique, 14e éd., Paris, PUF, 2022, « loyauté ».
Crépeau, Paul‑André. « Le contenu obligationnel d’un contrat » (1965), 43 R. du B. can. 1.
Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les obligations, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003, « réticence ».
Fréchette, Pascal. La restitution des prestations, Montréal, Yvon Blais, 2018.
Grammond, Sébastien, Anne‑Françoise Debruche and Yan Campagnolo. Quebec Contract Law, 3rd ed., Montréal, Wilson & Lafleur, 2020.
Graziadei, Michele. « Virtue and Utility : Fiduciary Law in Civil Law and Common Law Jurisdictions », in Andrew S. Gold and Paul B. Miller, eds., Philosophical Foundations of Fiduciary Law, New York, Oxford University Press, 2014, 287.
Grégoire, Marie Annik. Le rôle de la bonne foi dans la formation et l’élaboration du contrat, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003.
Grégoire, Marie Annik. Liberté, responsabilité et utilité : la bonne foi comme instrument de justice, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010.
Lefebvre, Brigitte. « La bonne foi », dans Benoît Moore, dir., Les grandes notions, Montréal, Thémis, 2015, 75.
Lefebvre, Brigitte. « La négociation d’un contrat : source potentielle de responsabilité extracontractuelle », dans Pierre‑Claude Lafond, dir., Mélanges Claude Masse : En quête de justice et d’équité, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003, 571.
Lluelles, Didier, et Benoît Moore. Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018.
Malaurie, Philippe, Laurent Aynès et Philippe Stoffel‑Munck. Droit des obligations, 12e éd., Paris, LGDJ, 2022.
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Stoffel‑Munck, Philippe. L’abus dans le contrat : Essai d’une théorie, Paris, LGDJ, 2000.
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Mainville, Rancourt et Fournier), 2021 QCCA 1363, [2021] AZ‑51794090, [2021] J.Q. no 10987 (QL), 2021 CarswellQue 14386 (WL), qui a confirmé une décision du juge Déziel, 2018 QCCS 3538, [2018] AZ‑51519694, [2018] J.Q. no 7285 (QL), 2018 CarswellQue 7079 (WL). Pourvoi rejeté.
                    Audrey Boctor, Étienne Morin‑Lévesque et Laurence Boudreau, pour les appelants.
                    Jean‑Rémi Thibault, Louis P. Bélanger et Samuel Nadeau, pour les intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
 
                  Le juge Kasirer —
I.               Survol
[1]                             Présidents d’un groupe de trois entreprises florissantes dans le secteur des assurances, Antoine Ponce et Daniel Riopel apprennent qu’une importante société est intéressée à acquérir le groupe d’entreprises qu’ils dirigent. Plutôt que d’en informer les actionnaires majoritaires du groupe, soit Michel Rhéaume et André Beaulne et leurs sociétés d’investissement (« les actionnaires »), les deux présidents décident d’acheter eux-mêmes les entreprises qu’ils dirigent et, par la suite, de les revendre pour un profit substantiel. Les actionnaires se sentent trahis; non seulement faisaient-ils confiance aux présidents, mais ils avaient conclu avec eux une entente de rémunération incitative qui accordait à ces derniers d’importants avantages, y compris un droit de premier refus dans l’éventualité où les actionnaires décideraient de se départir de leurs intérêts dans le groupe.
[2]                             Jugeant ce comportement déloyal, les actionnaires majoritaires reprochent aux présidents de ne pas leur avoir divulgué l’intérêt manifesté par un acheteur potentiel pour l’acquisition des entreprises, et d’avoir ainsi manqué au devoir de renseignement qui leur incombait, manquement qui justifierait la remise des profits qu’ils ont réalisés en s’appropriant illégalement cette occasion d’affaires. De leur côté, les présidents prétendent qu’aucune obligation juridique ne leur imposait, au cours des négociations ayant mené à l’achat des entreprises par eux, de subordonner ainsi leurs intérêts à ceux des actionnaires.
[3]                             La Cour supérieure donne raison aux actionnaires et condamne solidairement les présidents à leur verser une somme correspondant aux profits réalisés lors de la revente des actions. La Cour d’appel confirme les conclusions du premier juge, précisant toutefois la nature des obligations non respectées par les présidents à l’endroit des actionnaires, et entérine le remède accordé en première instance.
[4]                             Ce pourvoi invite notre Cour à examiner le fondement et les contours de l’obligation de loyauté, en vue d’identifier la source éventuelle d’un devoir de renseignement imposé aux présidents. La Cour est aussi appelée à clarifier les conditions dans lesquelles un tribunal peut octroyer, à titre de remède, la remise des profits, notamment en raison du comportement déloyal d’une partie contractante. En particulier, elle est amenée à préciser la portée du précepte moral selon lequel « nul ne doit tirer profit de ses mauvaises actions » sur lequel s’appuient les actionnaires, comme justification du remède de la remise des profits engrangés de mauvaise foi.
[5]                             Un premier constat s’impose à l’issue du débat entre les parties : l’obligation de loyauté qui découle de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui — comme celle qui incombe à l’administrateur du bien d’autrui ou au mandataire — n’est pas en cause ici. Une telle obligation aurait imposé aux présidents de subordonner leurs intérêts à ceux des actionnaires en exigeant qu’ils leur divulguent l’intérêt de l’acheteur potentiel à l’égard de l’acquisition du groupe. Or, comme l’écrit la professeure Madeleine Cantin Cumyn, le « fondement de cette loyauté est [. . .] substantiellement différent de celui qui dicte la loyauté contractuelle, laquelle vise la personne qui exécute une prestation ou qui exerce un droit contractuels, et qui est tenue d’agir de bonne foi » (« L’obligation de loyauté dans les services de placement » (2012), 3:1 B.D.E. 19, p. 21). Contrairement à la loyauté qui découle de l’exercice de pouvoirs juridiques devant être exercés dans l’intérêt d’autrui ou pour la réalisation d’un but, l’obligation de loyauté contractuelle rattachée à la bonne foi dans l’exécution du contrat suivant l’art. 1375 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») n’exige pas qu’une partie contractante subordonne son intérêt à celui de son cocontractant. En l’espèce, les présidents ne sont ni les mandataires des actionnaires, ni les administrateurs du bien d’autrui, de sorte qu’ils ne sauraient être tenus à une obligation de loyauté comme celle prévue aux art. 1309 al. 2 et 2138 al. 2 C.c.Q.
[6]                             Un deuxième constat s’impose : malgré l’absence d’une obligation de loyauté découlant de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui, le comportement des présidents est néanmoins fautif. D’une part, même si la loyauté contractuelle rattachée à la bonne foi n’empêchait pas les présidents d’exécuter le contrat dans la poursuite de leur intérêt personnel, elle exigeait la prise en compte des intérêts de leurs cocontractants et, pour cette raison, était susceptible de leur imposer un devoir de renseignement. Ainsi, bien que les présidents ne fussent pas tenus de subordonner leurs intérêts à ceux des actionnaires, il n’en demeure pas moins que, en poursuivant leurs propres intérêts, ils ne pouvaient pas cacher l’intérêt de l’acheteur potentiel à l’égard des entreprises sans engager leur responsabilité contractuelle envers les actionnaires. Ce faisant, ils ont contrevenu à la loyauté contractuelle rattachée à la bonne foi, cette dernière constituant une obligation implicite du contrat par le jeu combiné des art. 1434 et 1375 C.c.Q. D’autre part, le premier juge a vu juste en affirmant que l’entente de rémunération incitative emportait une obligation implicite de renseignement exigeant des présidents qu’ils communiquent aux actionnaires toute information pertinente à la prise d’une décision éclairée quant à la vente de leurs actions. Cette obligation implicite découle de la nature de ce contrat, reflétant en cela la volonté présumée des parties, suivant l’art. 1434 C.c.Q.
[7]                             Par ailleurs, le caractère fautif du comportement des présidents soulève une seconde question litigieuse : La non‑divulgation de l’intérêt de l’acheteur potentiel pouvait‑elle justifier, à titre de remède, la remise des profits aux actionnaires, lesquels ont perdu une occasion d’affaires en raison de ce comportement fautif? L’existence d’une obligation de loyauté telle que celle incombant à l’administrateur du bien d’autrui ou au mandataire dans l’exercice de ses pouvoirs peut justifier la remise des profits dans une logique de restitution, et non, en règle générale, de réparation. Or, les présidents ont raison de dire qu’ils n’étaient pas tenus à une telle obligation de loyauté.
[8]                             La détermination du remède approprié en l’espèce représente donc une occasion pour la Cour de préciser ce que le professeur Pascal Fréchette appelle « la frontière entre restitution et réparation » en droit civil (La restitution des prestations (2018), p. 9). En effet, la réparation du préjudice causé par un manquement à la loyauté contractuelle s’oppose à la remise des profits par suite de l’inexécution de l’obligation de loyauté dans l’exercice de pouvoirs. Pour justifier l’octroi de dommages-intérêts, la partie lésée par un manquement à la loyauté contractuelle a le fardeau d’établir un préjudice susceptible de compensation, conformément au principe fondamental de la restitutio in integrum (ou réparation intégrale) qui est un aspect central du droit de la responsabilité civile.
[9]                             S’appuyant sur des arrêts de notre Cour dans lesquels la bonne foi est en cause, dont particulièrement Banque de Montréal c. Kuet Leong Ng, 1989 CanLII 30 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 429, les actionnaires demandent la remise des profits comme remède au manquement des présidents aux exigences de la bonne foi. Soit dit en tout respect, les actionnaires font une lecture erronée de l’arrêt Kuet, lequel porte sur l’exercice d’un pouvoir qui s’apparente à celui d’un mandataire. Or, en l’absence de preuve d’un préjudice, cet arrêt ne peut justifier la remise des profits en raison du seul manquement à l’obligation de loyauté contractuelle des présidents. Cela dit, cette lecture erronée de l’arrêt Kuet ne crée aucun empêchement à l’octroi de dommages-intérêts d’un montant équivalent à celui qui aurait été remis aux actionnaires pour compenser le gain manqué par suite de la faute des présidents.
[10]                        En l’espèce, la preuve d’un préjudice résultant de la faute contractuelle des présidents est donc requise en application des règles habituelles de la responsabilité civile. Les actionnaires réclament une compensation pour un gain manqué, suivant la règle de l’évaluation des dommages-intérêts prévue à l’art. 1611 C.c.Q. Si, en règle générale, le droit de la responsabilité civile ne dispense pas le demandeur de faire la preuve de son préjudice, ici, c’est le comportement déloyal du défendeur qui empêche le demandeur d’apporter une telle preuve. En effet, dans la présente affaire, la non‑divulgation de l’information par les présidents aux actionnaires s’accompagnait d’efforts visant à camoufler l’intérêt de l’acheteur potentiel à l’égard des entreprises et, selon l’appréciation souveraine du juge des faits, de mensonges faits aux actionnaires pour les tenir à l’écart du marché envisagé.
[11]                        Les présidents ne sauraient être autorisés à profiter de leur manquement aux exigences de la bonne foi en reprochant aux actionnaires de ne pas avoir fait la preuve de leur préjudice. En pareil cas, le comportement fautif des présidents fait naître une présomption réfragable que le gain manqué des actionnaires équivaut aux profits injustement engrangés par les présidents (voir Biotech Electronics Ltd. c. Baxter, 1998 CanLII 13186 (QC CA), [1998] R.J.Q. 430 (C.A.)). Les présidents pouvaient repousser cette présomption en démontrant, par la prépondérance des probabilités, le véritable quantum du gain manqué. Ils ne l’ont pas fait. Les présidents n’ayant démontré aucune erreur manifeste et déterminante dans la conclusion du premier juge selon laquelle le gain manqué des actionnaires équivaut aux profits réalisés par les présidents, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir dans l’évaluation du quantum des dommages‑intérêts.
[12]                        Je rejetterais l’appel avec dépens.
II.            Le contexte
[13]                        Le Groupe Excellence est composé de trois sociétés œuvrant dans le secteur des assurances : les deux sociétés de courtage Michel Rhéaume & Associés inc. et Beaulne & Rhéaume Assurance ltée, de même que L’Excellence, Compagnie d’assurance vie. Au moment des faits litigieux, Michel Rhéaume et André Beaulne sont détenteurs, par le biais des sociétés d’investissement intimées, de l’ensemble du capital‑actions des deux sociétés de courtage, ainsi que de 93,1 p. 100 du capital‑actions de L’Excellence. Âgés dans la fin soixantaine à l’époque pertinente, MM. Rhéaume et Beaulne se décrivent eux‑mêmes comme des gens peu scolarisés au sens formel du terme. Ils ont cependant connu un vif succès au fil des ans dans le monde des assurances, ayant fondé vers la fin des années 1970 les sociétés composant le Groupe Excellence.
[14]                        En février 2002, les appelants, Antoine Ponce et Daniel Riopel, sont nommés présidents des sociétés du Groupe Excellence. Actuaire depuis 1978, M. Ponce devient alors président de L’Excellence, Compagnie d’assurance vie, poste que M. Rhéaume lui avait déjà offert à quelques reprises. Assermenté avocat en 1986, M. Riopel est le neveu de M. Beaulne. Il a travaillé auprès des deux sociétés de courtage pendant plus de vingt ans avant d’en devenir le président.
[15]                        Le 15 mars 2002, MM. Ponce et Riopel, en leur qualité de « présidents » des sociétés du Groupe Excellence, concluent avec les sociétés de MM. Rhéaume et Beaulne, en tant qu’« actionnaires majoritaires », une entente décrite dans son préambule comme une « convention de rémunération incitative » (« Entente des présidents » ou « Entente ») (d.a., vol. X, p. 3652). L’Entente a encadré les rapports entre les parties pendant toute la période pertinente relativement au présent litige, y compris les négociations puis la vente, par les sociétés d’investissement de MM. Rhéaume et Beaulne, de leurs actions dans le Groupe Excellence à MM. Ponce et Riopel. D’une durée initiale de cinq ans, l’Entente est automatiquement reconduite pour des périodes additionnelles de deux ans, à moins d’un préavis écrit à l’effet contraire.
[16]                        L’Entente des présidents concrétise une relation d’affaires entre les parties, fondée sur leur engagement à œuvrer dans un but commun, à savoir le succès du Groupe Excellence en tant qu’entreprise en pleine activité, même dans la perspective d’une vente éventuelle. À cette fin, elle établit diverses formes de rémunération incitative pour les présidents, lesquelles s’ajoutent à ce que ceux‑ci obtiennent en tant qu’administrateurs des sociétés. L’Entente ne comporte que huit clauses et, hormis la négociation ultérieure d’une clause de non‑concurrence au bénéfice des actionnaires, elle ne prévoit aucune obligation explicite pour les présidents.
[17]                        C’est dans ce contexte, et alors que l’Entente est toujours applicable, que se produisent les agissements reprochés.
[18]                        En avril 2005, l’Industrielle Alliance, Assurance et services financiers inc. (« IA »), informe les présidents MM. Ponce et Riopel de son intérêt à acquérir le Groupe Excellence. Une série de discussions et d’échanges de documents entre les présidents et IA s’échelonne alors sur plusieurs mois. Dans la foulée, en juillet 2005, les présidents concluent avec IA un « Engagement de confidentialité » portant sur « une éventuelle entente de partenariat et/ou [. . .] toute autre forme de transaction qui seraient conclues entre les [p]arties » (d.a., vol. IV, p. 1110, cl. 2). Aux termes de cet engagement, les présidents et IA acceptent de se divulguer mutuellement des renseignements confidentiels les concernant. De plus, à la demande des présidents, une clause d’exclusivité est insérée en leur faveur pour toute transaction touchant IA et le Groupe Excellence. Cette clause avait pour objectif — au dire des présidents eux‑mêmes — d’empêcher IA de traiter directement avec MM. Rhéaume et Beaulne ainsi qu’avec leurs sociétés de portefeuille.
[19]                        Les présidents n’informeront jamais les actionnaires de ces échanges avec IA ni de l’intérêt de cette dernière à acquérir le Groupe Excellence. Les actionnaires ne seront également pas mis au fait de l’existence de l’Engagement de confidentialité.
[20]                        En 2006, alors que les actionnaires envisagent depuis quelque temps la possibilité de vendre leurs parts dans le Groupe Excellence, M. Beaulne demande à M. Ponce si IA serait intéressée à s’en porter acquéreur. En dépit des échanges préalables entre IA et les présidents, M. Ponce répond qu’il a déjà vérifié et que IA n’est pas intéressée. La date exacte de cette interaction fait l’objet d’un désaccord entre les parties. Les appelants prétendent que cette conversation a eu lieu avant que l’intérêt de IA ne se soit concrétisé par une évaluation préliminaire en mai 2006 et un projet d’acquisition en août 2006. Les intimées soutiennent plutôt que cette conversation a eu lieu postérieurement à ces événements. Par conséquent, selon les intimées, M. Ponce aurait délibérément menti à M. Beaulne.
[21]                        Quoi qu’il en soit, c’est dans l’ignorance de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence que les intimées acceptent de vendre aux présidents la totalité de leurs intérêts, respectivement à l’automne 2006 pour M. Rhéaume et au printemps 2007 pour M. Beaulne. En contrepartie de cette vente, M. Rhéaume reçoit une somme d’environ 23 500 000 $, assortie d’une quittance complète de ses dettes aux termes de l’Entente. Monsieur Beaulne obtient pour sa part une somme de 10 371 210 $, en sus d’une quittance similaire à celle de M. Rhéaume. Dans les mois qui suivent ces transactions, les présidents revendent tour à tour à IA les intérêts qu’ils ont ainsi acquis des actionnaires, et ce, pour une somme totale de 74 280 000 $.
[22]                        En décembre 2007, IA publie un communiqué de presse annonçant qu’elle a fait l’acquisition du Groupe Excellence des mains des présidents. Les intimées apprennent alors l’existence de cette vente. En réponse, elles déposent en Cour supérieure une requête introductive d’instance en dommages‑intérêts dans laquelle elles réclament environ 24 M$ pour compenser le gain que leur aurait rapporté cette transaction dont elles ont été privées.
[23]                        Dans leur requête, les intimées allèguent que l’omission des présidents de les informer de l’intérêt de IA leur a causé un « grave préjudice » (requête introductive d’instance, par. 57, reproduite au d.a., vol. II, p. 674). Elles affirment en effet avoir été privées de la différence entre le prix qu’elles ont reçu lors de la vente de leurs actions aux présidents et le prix plus élevé que ces derniers ont obtenu lors de la revente à IA. Elles allèguent que les présidents ont contrevenu « à leurs obligations contractuelles et légales ainsi qu’à leurs obligations fiduciaires, et celles d’agir de bonne foi, avec loyauté et transparence », en omettant « volontairement » d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence (par. 41). En raison des « agissements illégaux » de MM. Ponce et Riopel, les intimées déclarent avoir droit de réclamer « l’équivalent » des profits excédentaires engrangés par ceux-ci (par. 57‑57.1).
[24]                        En défense, les appelants soutiennent que les intimées confondent les obligations qu’ils doivent aux sociétés et celles qu’ils doivent aux actionnaires. En l’occurrence, disent‑ils, les appelants « n’ont aucune obligation quelconque à l’égard des actionnaires qu’étaient Beaulne et Rhéaume » (d.a., vol. II, p. 689, par. 93). De plus, les appelants plaident qu’ils ont respecté leurs obligations en vertu de l’Entente des présidents et, plus largement, qu’ils n’ont commis « aucune faute » à l’endroit des intimées (par. 240). Par ailleurs, selon les appelants, MM. Rhéaume et Beaulne étaient au fait de l’intérêt de l’acheteur potentiel à acquérir le Groupe Excellence, de sorte qu’on ne peut reprocher aux appelants d’avoir caché ou dissimulé des informations pertinentes relativement aux transactions ayant mené à la revente des actions à IA. Finalement, les appelants contestent le calcul des dommages‑intérêts découlant du préjudice qu’auraient subi les intimées, disant qu’ils ne sont nullement « endettés » envers ces dernières (par. 241).
III.         L’historique des procédures judiciaires
A.           Cour supérieure du Québec, 2018 QCCS 3538 (le juge Déziel)
[25]                        Le juge de première instance accueille partiellement la requête des intimées. Il affirme que, tant en vertu du Code civil du Québec que de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, c. C‑44, les appelants, en leur qualité d’administrateurs, étaient redevables envers le Groupe Excellence de devoirs d’honnêteté, de loyauté, de prudence et de diligence. Le premier juge considère que ces mêmes devoirs peuvent être étendus aux actionnaires « lorsqu’il existe une relation indépendante entre les administrateurs [. . .] et les actionnaires » (par. 427 (CanLII)). Selon lui, une telle relation indépendante existait ici, notamment en raison de l’Entente des présidents, laquelle « est déterminante pour illustrer les obligations souscrites par les [appelants] » (par. 430).
[26]                        De l’avis du premier juge, l’Entente emporte trois obligations implicites pour les appelants, à savoir : (1) maximiser, dans le cadre de leur mandat et au bénéfice des actionnaires, les profits et la valeur du Groupe Excellence; (2) rendre compte aux actionnaires, de façon complète et transparente, de toutes les informations susceptibles de leur permettre d’évaluer la valeur du Groupe Excellence, ou de prendre la décision de vendre leurs actions et, le cas échéant, de fixer un prix de vente; et (3) ne pas utiliser d’information à leur bénéfice personnel sans obtenir l’aval des actionnaires.
[27]                        Le juge retient ensuite que les appelants ont secrètement négocié avec IA la revente du Groupe Excellence. Il constate que les appelants ont signé un engagement de confidentialité avec IA afin de s’assurer que cette dernière ne traite pas directement avec les actionnaires. Ce faisant, les appelants ont sciemment caché aux actionnaires l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence, tout en sachant que si ces derniers en avaient été informés, ils « auraient voulu maximiser le prix de vente de leurs actions et il en aurait alors coûté plus cher aux [appelants] d’exercer leur droit de premier refus en vertu de l’Entente des présidents » (par. 487; voir aussi les par. 436‑437, 445‑446 et 486). Examinant les agissements des appelants à l’aune du contenu obligationnel de l’Entente, le premier juge conclut qu’ils ont manqué à leurs devoirs de bonne foi, de loyauté et d’information à l’endroit des actionnaires Rhéaume et Beaulne.
[28]                        Le juge de première instance évalue ensuite le préjudice qui résulte de la faute des appelants, en application du principe de la réparation intégrale (restitutio in integrum). Pour ce faire, il retient essentiellement la méthode d’évaluation du préjudice préconisée par l’expert des intimées, laquelle repose sur l’hypothèse principale suivante : « . . . n’eussent été les gestes reprochés aux [appelants], les [intimées] auraient obtenu une contrepartie équivalente à ce qu’IA a payé pour l’acquisition des participations des [appelants] dans le Groupe L’Excellence plutôt que la somme obtenue des [appelants] . . . » (d.a., vol. VII, p. 2295, citée avec approbation par le premier juge au par. 598; voir aussi les par. 615 et 638‑639).
[29]                        Retenant l’hypothèse de l’expert des intimées, le premier juge conclut que le préjudice correspond au gain manqué par suite de l’occasion d’affaires que se sont illégalement appropriée les appelants. Ce gain manqué équivaut ainsi aux profits réalisés par ces derniers lors de leur revente des actions à IA, que le juge évalue à 11 884 743 $. Il condamne solidairement les appelants au paiement de cette somme et, prenant acte de l’accord intervenu entre MM. Rhéaume et Beaulne quant au partage de leurs intérêts respectifs dans le Groupe Excellence, il attribue aux sociétés d’investissement de M. Rhéaume la somme de 7 368 540,60 $ et aux sociétés d’investissement de M. Beaulne la somme de 4 516 202,40 $.
B.            Cour d’appel du Québec, 2021 QCCA 1363 (le juge Rancourt, avec l’accord des juges Mainville et Fournier)
[30]                        Sous la plume du juge Rancourt, la Cour d’appel rejette unanimement l’appel et confirme le jugement de première instance. Elle relève toutefois que c’est à tort que le premier juge a considéré que les devoirs d’honnêteté et de loyauté prévus à l’art. 322 C.c.Q. et à l’al. 122(1)a) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, dus par les appelants au Groupe Excellence en leur qualité d’administrateurs, pouvaient être étendus aux actionnaires. Or, la cour conclut que cette erreur n’est pas déterminante en raison des autres fondements de la responsabilité des appelants, fondements qui, eux, ont été identifiés correctement par le premier juge. Son analyse du contenu obligationnel de l’Entente des présidents offre une assise pour ses conclusions quant à la faute des appelants, à savoir leurs manquements à leurs obligations contractuelles de bonne foi et de renseignement (voir les par. 84, 94 et 110‑111 (CanLII)).
[31]                        Examinant plus en détail l’obligation de renseignement, la Cour d’appel conclut que le comportement des appelants satisfait aux trois critères énoncés dans l’arrêt Banque de Montréal c. Bail Ltée, 1992 CanLII 71 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 554. En particulier, la Cour d’appel insiste sur l’impossibilité pour les actionnaires de s’informer eux‑mêmes de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence, de même que sur le climat de confiance qui régnait entre les appelants et les actionnaires (voir les par. 90‑91). Elle conclut donc que les appelants ont manqué à leurs obligations de bonne foi contractuelle et de renseignement envers les actionnaires, notamment en tenant ces derniers à l’écart des négociations avec IA et en signant secrètement avec elle un engagement de confidentialité (voir les par. 93‑94; voir aussi les par. 110‑111).
[32]                        Quant au remède accordé, la Cour d’appel souligne qu’il n’appartient pas à un tribunal d’appel de se substituer au juge de première instance lorsqu’il s’agit d’apprécier des expertises contradictoires ou d’évaluer le quantum des dommages‑intérêts (par. 119). L’octroi de dommages‑intérêts à hauteur globale de 11 884 743 $ est confirmé.
IV.         Moyens des parties et questions en litige
[33]                        Dans ses grandes lignes, l’argumentation des parties devant notre Cour se décline en deux temps. Elle porte d’abord sur la question de savoir si l’omission des appelants d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence contrevient à une obligation, qu’elle soit contractuelle ou légale. À ce chapitre, les appelants soutiennent que leur omission ne saurait constituer une faute civile, puisqu’aucun fondement juridique ne les obligeait à communiquer cette information en l’espèce. Les intimées, quant à elles, considèrent que les appelants minimisent la portée et l’impact de l’Entente des présidents, laquelle était applicable durant toute la période litigieuse. À leur avis, les exigences de la bonne foi dans l’exécution de cette entente fondaient une obligation pour les appelants de divulguer aux intimées l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence.
[34]                        Ensuite, les parties ne s’entendent pas quant à la réparation appropriée dans l’éventualité où la faute serait établie. Les appelants soutiennent que rien ne permettait au juge de première instance d’accorder aux intimées, à titre de remède, la remise des profits ou même des dommages‑intérêts compensatoires. De deux choses l’une : soit le premier juge a accordé la remise des profits sans disposer d’un fondement juridique à cette fin, soit il a accordé des dommages‑intérêts sans disposer d’une preuve suffisante d’un préjudice (m.a., par. 92). Soulignant que les profits découlent du comportement fautif des appelants, les intimées répondent que ces derniers doivent leur remettre les profits réalisés lors de la revente du Groupe Excellence à IA, conformément au principe général de la réparation intégrale, qui se trouve au cœur du droit de la responsabilité civile.
[35]                        À la lumière des moyens des parties, deux questions principales façonnent le débat devant notre Cour :
A)                  La non‑divulgation par les appelants de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence constitue‑t‑elle une violation d’une obligation contractuelle ou légale de renseignement due aux intimées et, donc, une faute civile?
 
B)                  Si cette faute est établie, les tribunaux inférieurs ont‑ils erré en accordant aux intimées une somme représentant les profits réalisés par les appelants, que ce soit par le mécanisme de la remise des profits ou à titre de dommages‑intérêts pour compenser le gain dont les intimées ont été privées?
[36]                        Il convient d’analyser ces questions tour à tour.
V.           Analyse
A.           La non‑divulgation par les appelants de l’intérêt manifesté par IA constitue‑t‑elle une faute civile?
[37]                        Le juge de première instance retient que les appelants ont omis de divulguer aux intimées l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence (par. 485‑490). Il retient en outre que les appelants ont conclu en 2005 avec IA un engagement de confidentialité, lequel visait à empêcher cette dernière de traiter directement avec les actionnaires (par. 441). Ces faits se sont produits alors que les appelants étaient présidents des sociétés composant le Groupe Excellence et que l’Entente des présidents, signée en 2002, était pleinement applicable.
[38]                        La question qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si les appelants étaient effectivement tenus à un devoir d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence, devoir auquel il a été contrevenu. Devant notre Cour, les parties débattent de quatre fondements juridiques possibles pouvant donner naissance à une telle obligation : (1) une obligation de loyauté découlant d’un pouvoir juridique confié aux présidents que ces derniers sont tenus d’exercer dans l’intérêt des actionnaires, telle l’obligation qui incombe au mandataire ou à l’administrateur du bien d’autrui; (2) une obligation extracontractuelle de renseignement se rapportant au respect de la bonne foi dans la formation des contrats par lesquels les intérêts des intimées ont été vendus aux appelants en 2006 et 2007; (3) une obligation contractuelle implicite de renseignement contenue à l’Entente des présidents; ou (4) une obligation d’exécuter l’Entente conformément aux exigences de la bonne foi. Les appelants sont d’avis qu’aucun de ces quatre fondements ne leur imposait une obligation d’informer les intimées de l’intérêt de IA à acquérir le Groupe Excellence. Cela étant, je propose d’examiner chacun de ces quatre cas de figure, en vue de déterminer si les appelants étaient tenus d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par IA.
(1)         Le premier fondement envisageable : une obligation de loyauté découlant de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui
[39]                        Les appelants soutiennent à bon droit que leur devoir d’information ne saurait être fondé sur une obligation de loyauté de type « fiduciaire », laquelle serait [traduction] « analogue aux obligations fiduciaires de la common law [qui] exigent [. . .] du débiteur qu’il fasse passer les intérêts du bénéficiaire en premier » (m.a., par. 53). À cet égard, la Cour d’appel a vu juste en affirmant que, en tant qu’administrateurs des sociétés du Groupe Excellence, les présidents n’avaient pas une telle obligation d’agir avec loyauté envers les actionnaires majoritaires, même s’ils avaient une telle obligation envers les personnes morales du groupe (voir, p. ex., l’art. 322 al. 2 C.c.Q.). Les appelants n’avaient pas un devoir de renseignement ancré dans ce type de loyauté, qui leur aurait imposé [traduction] « un devoir d’agir avec désintéressement » (m.a., par. 54). Les intimées reconnaissent elles‑mêmes qu’« [i]l n’a jamais été question d’exiger que les [a]ppelants subordonnent leurs intérêts [aux leurs] » (m.i., par. 76).
[40]                        J’estime que les parties ont raison sur ce point : les appelants n’avaient pas, pour reprendre l’expression employée par le professeur Lionel Smith, une obligation de loyauté « maximaliste » fondée sur l’utilisation loyale par un fiduciaire de ses pouvoirs, c’est‑à‑dire [traduction] « non seulement un pouvoir sur une autre personne, mais un pouvoir détenu pour cette autre personne » (« Loyalty » (2020), 66 R.D. McGill 121, p. 122 (en italique dans l’original)). En droit civil québécois, l’obligation de loyauté maximaliste à laquelle renvoient les appelants existe avant tout lorsqu’une personne exerce un « pouvoir » dans l’intérêt d’autrui ou dans la réalisation d’un but (par exemple, lorsqu’un fiduciaire exerce une prérogative sur un patrimoine d’affectation à l’avantage du bénéficiaire), et non un « droit subjectif » que le titulaire exerce dans son propre intérêt (comme la prérogative de l’emprunteur issue d’un contrat de simple prêt d’un bien) (voir M. Cantin Cumyn et M. Cumyn, L’administration du bien d’autrui (2e éd. 2014), par. 91). En effet, « [c]ontrairement au titulaire d’un droit, l’attributaire de pouvoirs est légalement tenu d’agir dans l’intérêt d’autrui ou pour réaliser la fin en vue de laquelle les pouvoirs lui sont attribués » (M. Cantin Cumyn, « Le pouvoir juridique » (2007), 52 R.D. McGill 215, p. 223; voir PF Résolu Canada inc. c. Hydro-Québec, 2020 CSC 43, par. 69).
[41]                        Deux types de loyauté doivent être rigoureusement distingués. D’une part, il y a la loyauté contractuelle découlant de la bonne foi, qui impose au contractant de « tenir compte de l’intérêt de l’autre partie ». D’autre part, il y a la loyauté dans l’exercice d’un pouvoir qui, en raison de sa finalité, ne doit être exercée « que dans l’intérêt du bénéficiaire ou pour réaliser le but en vue duquel l[e] pouvoi[r] [a] été confér[é] » (Cantin Cumyn (2012), p. 22).
[42]                        Un rapprochement peut être fait entre l’obligation de loyauté maximaliste de droit civil et l’obligation de loyauté de la tradition de droit anglais ancrée dans l’exercice d’une obligation fiduciaire. Dans les deux traditions juridiques, la personne assujettie à une obligation de loyauté maximaliste doit subordonner ses propres intérêts à ceux d’autrui (voir, p. ex., Résolu, par. 63; Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7, par. 110). Toutefois, dans le cas du fiduciaire de droit anglais, ses prérogatives sont fondées sur le legal title qu’il détient. Par contraste, en droit québécois, l’administrateur du bien d’autrui n’a pas de droit subjectif sur les biens administrés, mais seulement des pouvoirs devant être exercés sur un patrimoine d’affectation dans l’intérêt d’autrui (voir Cantin Cumyn et Cumyn, par. 4; Smith, p. 122).
[43]                        Ainsi, l’obligation de loyauté de l’administrateur ou du mandataire en droit civil se rapporte à l’exercice de pouvoirs qui sont définis en fonction d’une finalité — l’intérêt d’autrui, ou la réalisation d’un but — plutôt que sur la base de l’exercice d’un legal title, comme en droit anglais. Comme le note le professeur Michele Graziadei, [traduction] « bon nombre de rapports fiduciaires dans les pays de tradition civiliste sont conçus de façon à ce que le titre du bien faisant l’objet d’une administration fiduciaire demeure au nom du bénéficiaire. En conséquence, si le bien produit des profits, ceux‑ci appartiennent automatiquement au propriétaire » (« Virtue and Utility : Fiduciary Law in Civil Law and Common Law Jurisdictions », dans A. S. Gold et P. B. Miller, dir., Philosophical Foundations of Fiduciary Law (2014), 287, p. 297). Comme la mécanique du droit civil est différente de celle du droit anglais, l’expression « loyauté de type fiduciaire » peut sembler imprécise en droit civil (voir Gravino c. Enerchem Transport inc., 2008 QCCA 1820, [2008] R.J.Q. 2178, par. 39). Enfin, je souligne que, dans une tradition comme dans l’autre, les devoirs associés au principe général de la bonne foi dans l’exécution des contrats « présente[nt] des différences conceptuelles marquées par rapport aux obligations beaucoup plus rigoureuses du fiduciaire » (Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, [2014] 3 R.C.S. 494, par. 65; voir aussi Résolu, par. 63).
[44]                        En l’espèce, que ce soit aux termes de l’Entente des présidents ou autrement, les appelants n’étaient pas amenés à exercer des pouvoirs au bénéfice des actionnaires. Ils n’étaient donc pas tenus, à ce titre, à une obligation de loyauté maximaliste. En particulier, l’Entente des présidents n’imposait pas aux appelants une obligation de loyauté similaire à celle d’un mandataire, avec l’obligation d’information qui s’y rattache (art. 2138 al. 2 et 2139 C.c.Q.), puisque ceux‑ci n’avaient nullement le pouvoir de représenter les intimées dans la vente des actions du Groupe Excellence auprès de IA. En outre, n’étant pas non plus administrateurs des biens des actionnaires, les appelants voient juste lorsqu’ils affirment qu’ils n’étaient pas tenus à un devoir de loyauté au sens de l’art. 1309 al. 2 C.c.Q., devoir qui exigerait qu’ils subordonnent leurs propres intérêts à ceux des actionnaires ou de leurs sociétés de portefeuille (m.a., par. 53). Ainsi, le devoir de renseignement des appelants à l’égard des actionnaires ne saurait procéder d’une quelconque obligation de loyauté dans l’exercice de pouvoirs. Ce faisant, la non‑divulgation de l’intérêt de IA ne contrevient pas à une obligation de loyauté maximaliste.
[45]                        Je signale toutefois qu’en droit civil québécois, la notion de loyauté ne renvoie pas uniquement à la loyauté maximaliste envisagée par les appelants. Les intimées soulignent que la bonne foi impose aux parties un devoir de loyauté d’une toute autre nature et ayant un tout autre fondement, et ce, tant au stade de la formation du contrat qu’à celui de son exécution et de son extinction. Si elle n’exige pas d’une partie qu’elle veille en priorité aux intérêts d’autrui, la loyauté contractuelle découlant de la bonne foi conditionne néanmoins l’exercice par le titulaire de ses droits subjectifs (Cantin Cumyn (2012), p. 21).
[46]                        Compte tenu de l’absence en l’espèce d’une obligation de loyauté issue de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui, l’obligation de renseignement qui, allègue‑t‑on, incomberait aux appelants doit, si elle existe, avoir un fondement juridique différent. Je me tourne maintenant vers l’examen des trois autres fondements soulevés par les parties, en commençant par la possible responsabilité extracontractuelle des appelants pour cause de manquement à l’obligation de bonne foi lors de la formation des contrats de vente des intérêts des intimées en 2006 et en 2007.
(2)         Le deuxième fondement envisageable : l’obligation extracontractuelle de renseignement dans la négociation et la formation du contrat
[47]                        Les appelants invitent la Cour à examiner leur comportement sur le plan de la responsabilité extracontractuelle. En effet, ils situent les reproches que leur font les intimées au stade de la formation des contrats relatifs à la vente par ces dernières de leurs intérêts en 2006 et 2007 (m.a., par. 46). Ils considèrent que l’Entente ne trouvait pas application en l’espèce, puisque celle‑ci [traduction] « ne régit pas les négociations en vue d’un rachat » (plan d’argumentation, par. 2.5, dans le recueil condensé, p. 2). À leur avis, toute faute reprochée au stade des négociations ayant conduit à la conclusion de ces contrats de vente peut donc seulement être extracontractuelle.
[48]                        Au stade de la formation d’un contrat, les appelants reconnaissent que les exigences de la bonne foi emportent un devoir de renseignement (m.a., par. 48). Cela dit, ils soutiennent que la portée de ce devoir n’allait pas jusqu’à leur imposer de divulguer aux intimées l’intérêt de IA. En effet, au stade précontractuel, rien ne les empêchait d’agir dans leur intérêt personnel en ne divulguant pas cette information.
[49]                        C’est à juste titre que les appelants affirment que les exigences de la bonne foi doivent être respectées lors de la formation du contrat (art. 1375 C.c.Q.; voir aussi B. Lefebvre, « La négociation d’un contrat : source potentielle de responsabilité extracontractuelle », dans P.‑C. Lafond, dir., Mélanges Claude Masse : En quête de justice et d’équité (2003), 571, p. 573 et 586‑587). Certains auteurs rattachent, à bon droit, l’obligation légale de bonne foi lors des négociations à une obligation d’agir « avec loyauté et fair-play » (J. Pineau et autres, Théorie des obligations (5e éd. 2023), par C. Valcke, no 87). S’il n’est pas forcément déloyal de poursuivre des négociations parallèles au stade précontractuel, la bonne foi emporte un devoir de renseignement, à géométrie variable selon le contexte, visant notamment à « pallier un manque d’information qui pourrait mener à une forme d’exploitation » (B. Lefebvre, « La bonne foi », dans B. Moore, dir., Les grandes notions (2015), 75, p. 108). Les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina suggèrent que les critères de l’arrêt Bail encadrent la portée de ce devoir de renseignement, même au stade précontractuel (J.‑L. Baudouin et P.‑G. Jobin, Les obligations (7e éd. 2013), par. P.‑G. Jobin et N. Vézina, no 313).
[50]                        La bonne foi dans la phase précontractuelle — et, par extension, le devoir de renseignement qui en découle — doit être appréciée à la lumière de la relation entre les parties, laquelle inclut ici le climat de confiance qui régnait entre celles‑ci, de même que l’Entente des présidents intervenue entre elles (voir J.‑L. Baudouin, « Justice et équilibre : la nouvelle moralité contractuelle du droit civil québécois », dans G. Goubeaux et autres, dir., Études offertes à Jacques Ghestin : Le contrat au début du XXIe siècle (2001), 29, p. 33). Au Québec, ce devoir de renseignement précontractuel n’impose pas à une partie de renoncer à son propre intérêt ou de subordonner son intérêt à celui d’autrui. On notera qu’en France, une réforme récente du droit des obligations paraît s’accorder dans une large mesure avec cette lecture de l’état du droit québécois (voir les art. 1112 et 1112‑1 du Code civil français). Comme l’expliquent les auteurs Malaurie, Aynès et Stoffel‑Munck, le devoir de bonne foi dans la formation du contrat en droit français reconnaît maintenant formellement que chaque partie doit s’abstenir de tout comportement de nature à tromper l’autre sur ses véritables intentions, devoir qui « se traduit essentiellement par des obligations de dire et de ne pas dire » (P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel‑Munck, Droit des obligations (12e éd. 2022), no 277).
[51]                        La portée du devoir extracontractuel de renseignement dû aux intimées sur la base de la bonne foi aurait fait l’objet d’un beau débat en l’espèce, débat qu’il n’y a toutefois pas lieu de trancher ici. Que ce soit dans leur requête introductive d’instance ou devant notre Cour, les intimées n’allèguent pas un manquement aux exigences de la bonne foi au stade précontractuel, ni ne réclament la nullité des contrats de vente conclus en 2006 et 2007 entre elles et les appelants. Elles insistent plutôt devant nous sur l’exécution de bonne foi de l’Entente des présidents, laquelle était pleinement applicable au moment des faits reprochés. Je note que l’Entente anticipait de diverses façons la possibilité de la vente des actions par MM. Rhéaume et Beaulne, notamment en octroyant aux appelants un droit de premier refus. Dans ce contexte, c’est à bon droit que tant les intimées que les juridictions inférieures ont abordé la question de la responsabilité des appelants sur le plan contractuel. Bref, la cause d’action contre laquelle les appelants se défendent porte non pas sur la formation des contrats de 2006 et 2007, mais bien sur l’exécution de l’Entente des présidents conclue en 2002.
[52]                        Somme toute, des arguments basés sur la responsabilité extracontractuelle n’ont ici qu’une portée théorique compte tenu des rapports contractuels que les parties ont choisi d’établir entre elles. Cela étant, je me tourne maintenant vers l’analyse du contenu obligationnel de l’Entente des présidents, afin de déterminer si les appelants étaient contractuellement tenus de renseigner les intimées de l’intérêt manifesté par IA à l’égard de l’acquisition du Groupe Excellence.
(3)         Le troisième fondement envisageable : l’obligation contractuelle implicite de renseignement
[53]                          Les appelants considèrent que le premier juge a erré en concluant que l’Entente des présidents renferme une obligation implicite d’information faisant de leur non-divulgation de l’intérêt de IA une faute contractuelle. Qualifiant plutôt l’Entente de simple [traduction] « entente de rémunération », ils prétendent que celle-ci ne saurait comporter une telle obligation (plan d’argumentation, par. 2.5).
[54]                          Les appelants ont tort. Avant même de considérer la portée d’une obligation de bonne foi contractuelle, la nature de l’Entente des présidents mène à la conclusion qu’une obligation implicite de renseignement s’y rattache. L’Entente des présidents est la pierre angulaire de la relation d’affaires entre les appelants et les actionnaires. Le rôle de chacun au sein de cette relation est clair. Les actionnaires apportent le capital nécessaire à l’entreprise commune tout en gardant la mainmise sur les titres et le droit de disposer des actions du groupe, tandis que les appelants acceptent de mettre à contribution leur expertise. C’est ainsi que les parties ont choisi de s’unir contractuellement dans la poursuite d’un but commun, le succès du Groupe Excellence. Or, rappelons que la lettre de l’Entente des présidents ne prévoit que des obligations au bénéfice des appelants, les parties n’ayant pas explicitement prévu d’obligation corrélative au bénéfice des actionnaires (outre la négociation ultérieure d’une clause de non-concurrence). À cet égard, l’art. 1434 C.c.Q. énonce que le contrat oblige les parties non seulement pour ce qu’elles y ont exprimé, mais aussi « pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi ». Les obligations implicites donnent lieu à ce que le professeur Crépeau a appelé, dans un article traitant de l’art. 1024 du Code civil du Bas‑Canada, l’« élargissement [. . .] du cercle contractuel » (P.‑A. Crépeau, « Le contenu obligationnel d’un contrat » (1965), 43 R. du B. can. 1, p. 7).
[55]                          En l’espèce, les obligations implicites des appelants procèdent avant tout de la nature même de l’Entente des présidents. Comme l’a souligné la Cour, la nature d’un contrat sera la source d’une obligation implicite lorsque celle-ci « semble nécessaire pour que le contrat soit cohérent et lorsqu’elle s’inscrit dans son économie générale » (Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46, [2018] 3 R.C.S. 101, par. 74). Dit autrement, l’obligation implicite découlant de la nature du contrat ne doit pas avoir pour effet d’ajouter à celui-ci des obligations inédites, mais doit plutôt combler les carences de son contenu explicite (D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations (3e éd. 2018), no 1542). Selon le professeur Crépeau, la justification de l’inclusion des obligations implicites découlant de la nature d’un contrat tient avant tout de la volonté présumée des parties (p. 7‑8). En ce sens, les obligations implicites participent du même fondement que les obligations explicites, reliant ainsi, comme le rappelle aujourd’hui le sous-titre précédant l’art. 1434 C.c.Q., l’autonomie de la volonté avec la « force obligatoire et [le] contenu du contrat » (voir Churchill Falls, par. 74, le juge Gascon, et par. 170, le juge Rowe, dissident, mais non sur ce point).
[56]                          Ici, de par sa nature même, l’Entente des présidents constitue un accord à long terme concrétisant une relation d’affaires entre les appelants et les actionnaires majoritaires, parties qui ont chacune des rôles différents à jouer afin de maximiser la valeur du Groupe Excellence. Qu’elle soit qualifiée ou non de contrat relationnel, l’Entente commande une loyauté contractuelle réciproque (Churchill Falls, par. 122‑123, citant Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., 1997 CanLII 10209 (QC CA), [1998] R.J.Q. 47 (C.A.), p. 60). L’Entente n’est certes pas un contrat de travail — l’élément de subordination y manque —, ce qui aurait donné lieu, en vertu de l’art. 2088 C.c.Q., à une obligation de loyauté contractuelle propre à ce contrat nommé (Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55, [2004] 3 R.C.S. 195, par. 27‑28). Comme il a été mentionné précédemment, l’Entente n’est pas non plus analogue à un contrat de mandat emportant une obligation de loyauté maximaliste. Or, l’Entente s’apparente à certains égards à un contrat de service (art. 2098 C.c.Q.), en ce que les appelants s’engagent à exécuter, sans lien de subordination et moyennant compensation, des actes matériels et intellectuels à l’avantage des intimées. Sous cet angle, et par analogie avec l’art. 2100 al. 1 C.c.Q., les appelants sont tenus d’agir « au mieux des intérêts » de MM. Rhéaume et Beaulne, sans pour autant subordonner leurs intérêts à ceux des actionnaires (Cantin Cumyn (2012), p. 20-21; voir aussi Smith, p. 121).
[57]                          Suivant la clause 1 de l’Entente, « [l]es ACTIONNAIRES conviennent de partager avec les PRÉSIDENTS une partie des profits excédentaires ainsi qu’une partie de la plus value corporative [du Groupe Excellence] » (d.a., vol. X, p. 3652). En outre, les clauses 2 et 3 de l’Entente laissent présager la possibilité d’une vente éventuelle par les actionnaires de leurs intérêts dans le Groupe Excellence et stipulent les avantages que les appelants pourront retirer d’une telle vente. Plus particulièrement, la clause 2 confère aux appelants, en cas de transaction complète ou partielle, une option d’achat portant sur 40 p. 100 du capital-actions des actionnaires majoritaires, et la clause 3 accorde aux appelants un droit de premier refus dans une telle situation. Les clauses 4 à 8 comportent diverses dispositions qui prévoient notamment une compensation particulière due aux appelants dans certaines circonstances en cas de vente ou de fusion du Groupe Excellence (clause 4) et fixent la durée prévue de l’Entente — soit cinq ans, renouvelable automatiquement pour des périodes de deux ans (clause 6).
[58]                        L’analyse de l’économie générale de l’Entente des présidents illustre que celle-ci vise à formaliser une relation d’affaires mutuellement avantageuse entre les appelants et les actionnaires. En ce sens, l’Entente reflète et renforce le degré élevé de confiance sur lequel repose une telle entreprise commune et, surtout, la confiance que les actionnaires accordaient aux appelants ainsi que l’a relevé de la preuve le juge d’instance (voir notamment les motifs de la C.S., par. 36). Le partage des profits et de la plus‑value du Groupe Excellence est la pièce maîtresse de l’Entente, puisque ce mécanisme encourage les appelants à redoubler d’ardeur pour assurer la prospérité du groupe, ce qui doit ultimement bénéficier à chacune des parties. En outre, l’Entente est telle qu’elle offre d’importants avantages aux appelants, même dans l’éventualité d’une vente par les actionnaires. Elle prévoit expressément ces modalités de rémunération incitative au bénéfice des appelants, sans expliciter les obligations réciproques de ces derniers.
[59]                          Au regard de la nature même de l’Entente des présidents, le premier juge conclut que les appelants étaient tenus à une obligation implicite de maximiser la valeur du Groupe Excellence, et ce, notamment dans la perspective d’une vente. Cette lecture du contrat — fondée sur la preuve — s’accorde avec la façon dont la relation entre les parties était organisée : les appelants s’occupaient de la gestion des entreprises et laissaient les actionnaires choisir les destinées ultimes du Groupe Excellence. De surcroît, toujours à l’instar du premier juge, je considère que les appelants étaient également tenus à une obligation implicite de renseignement envers les actionnaires quant à tout fait « susceptibl[e] de permettre aux Actionnaires d’évaluer les profits et la valeur des entreprises, et de prendre la décision de vendre ou non leurs actions et, le cas échéant, à quel prix » (par. 432). Ces obligations implicites servent à assurer la cohérence interne de l’Entente. Fondées sur la volonté présumée des parties, elles auraient pu être aménagées autrement, au moyen d’une clause explicite. Elles constituent le pendant logique des avantages importants conférés aux appelants et du haut degré de confiance régnant au sein d’une telle relation d’affaires. À plus forte raison, la lecture du contrat par le premier juge mérite déférence, comme le souligne la Cour d’appel, et les appelants n’ont aucunement réussi à soulever quelque erreur révisable à cet égard (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 32).
[60]                        Selon les appelants, la portée de cette obligation implicite de renseignement ne va pas jusqu’à leur imposer le devoir d’informer les actionnaires de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence (m.a., par. 78). À leurs dires, l’intérêt de IA à l’égard du Groupe Excellence ne serait qu’un indice de la valeur marchande de celui‑ci, soit une information qu’une partie acheteuse ne saurait être tenue de transmettre à son vendeur prospectif (m.a., par. 73).
[61]                          Cette prétention des appelants est dénuée de mérite. À mon avis, la portée de cette obligation implicite de renseignement reconnue par le premier juge permet de fonder sa conclusion relativement au caractère fautif de l’omission des appelants. Rappelons que, conformément à cette obligation, les appelants devaient communiquer aux actionnaires « toutes les informations détenues par eux susceptibles de permettre aux Actionnaires d’évaluer les profits et la valeur des entreprises, et de prendre la décision de vendre ou non leurs actions et, le cas échéant, à quel prix » (motifs de la C.S., par. 432). Or, suivant les conclusions factuelles du premier juge, non contestées directement devant notre Cour, la connaissance de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence aurait eu pour les actionnaires une incidence majeure sur leur décision de vendre aux appelants, ainsi que sur le prix de cette vente (par. 446, 487, 492 et 499). L’intérêt de IA pour l’acquisition du Groupe Excellence constituait donc une information susceptible de permettre aux actionnaires de prendre la décision de vendre leurs intérêts, et à quel prix. Par conséquent, la non-divulgation de l’intérêt de IA contrevient ici directement à l’obligation implicite retenue par le premier juge.
[62]                          Mais il y a plus.
[63]                          Non seulement les appelants ont-ils manqué à leur obligation implicite de renseignement découlant de la nature de l’Entente des présidents, mais il est également possible qu’ils aient contrevenu à leur devoir d’exécuter l’Entente d’une manière conforme aux exigences de la bonne foi (art. 1375 C.c.Q.). C’est d’ailleurs selon cette dernière perspective que les intimées nous invitent à apprécier la faute des appelants, alléguant que ces derniers n’ont pas respecté ces exigences lors de l’exécution de l’Entente des présidents (m.i., par. 46‑48). Comme nous le verrons, indépendamment de l’existence dans l’Entente des présidents d’une obligation implicite de renseignement, il est permis de conclure qu’en l’espèce les exigences de la bonne foi imposaient à elles seules aux appelants le devoir d’informer les actionnaires de l’intérêt de IA, et ce, à titre d’obligation d’ordre public (voir S. Grammond, A.‑F. Debruche et Y. Campagnolo, Quebec Contract Law (3e éd. 2020), par. 327).
[64]                          Bien qu’elles se recoupent parfois, il existe une différence fondamentale entre l’inexécution d’une obligation contractuelle et l’exécution de cette obligation d’une manière qui contrevient aux exigences de la bonne foi. En effet, la première s’attache à la réalisation du contenu de l’obligation contractuelle, alors que la seconde se rapporte plutôt à la manière dont cette obligation est exécutée. Par exemple, si les appelants œuvrent pour maximiser la valeur du Groupe Excellence, mais agissent en catimini pour empêcher les actionnaires d’en retirer les bénéfices lors d’une vente éventuelle, ils auront bel et bien exécuté leur obligation contractuelle de maximiser la valeur du Groupe Excellence, mais l’auront fait d’une manière non conforme aux exigences de la bonne foi. Bien entendu, le contenu d’une obligation contractuelle implicite de renseignement — issue de la volonté présumée des parties — peut diverger du contenu du devoir de renseignement issu de la bonne foi, lequel est imposé aux parties par un texte de loi impératif.
[65]                          Je note qu’il n’est pas toujours aisé, utile ou nécessaire d’opérer une distinction entre l’inexécution d’une obligation contractuelle, d’une part, et l’exécution d’une telle obligation d’une manière contraire aux exigences de la bonne foi, d’autre part. Cela dit, il peut à certains égards être pertinent de reconnaître qu’une partie a non seulement fait défaut d’exécuter son obligation contractuelle, mais a également contrevenu aux exigences de la bonne foi. Comme nous le verrons, même une fois l’inexécution contractuelle établie, la preuve d’un manquement additionnel aux exigences de la bonne foi peut avoir une incidence majeure à l’étape du remède. Dans ce contexte, et suivant les prétentions des intimées, il y a donc lieu de poursuivre notre analyse afin de déterminer si les appelants ont exécuté le contenu obligationnel de l’Entente des présidents d’une manière conforme aux exigences de la bonne foi.
(4)         Le quatrième fondement envisageable : l’obligation d’exécuter l’Entente des présidents conformément aux exigences de la bonne foi
[66]                        Les appelants soutiennent que leur non‑divulgation de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence ne contrevenait pas aux exigences de la bonne foi. À leur avis, le juge de première instance a erré en concluant qu’ils « ont nettement manqué à leurs devoirs de bonne foi, de loyauté et d’information » (par. 544). De même, la Cour d’appel se serait méprise en confirmant cette conclusion (par. 110).
[67]                        Plus précisément, selon les appelants, le premier juge a fait erreur au par. 546 de ses motifs lorsqu’il leur a reproché d’avoir manqué à leur devoir de « faire primer les intérêts [des intimées] avant les leurs ». Ce faisant, plaident-ils, il s’est trompé sur la portée de l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi. Contrairement à l’obligation de loyauté « de type fiduciaire », la loyauté contractuelle qui découle de l’art. 1375 C.c.Q. n’imposerait pas à une partie contractante de subordonner son intérêt à celui de son vis‑à‑vis.
[68]                        Conformément à ce qu’ils considèrent être la juste portée de l’obligation de bonne foi prévue à l’art. 1375 C.c.Q., les appelants prétendent qu’ils n’étaient pas tenus de divulguer aux intimées l’intérêt de IA. En effet, cette information ne respecte pas les critères afférents au devoir de renseignement découlant de la bonne foi qui ont été énoncés dans l’arrêt Bail. Les appelants plaident ainsi que l’intérêt de IA n’était en réalité qu’un indice de la valeur du marché, soit une [traduction] « information que Rhéaume et Beaulne [auraient pu], et [dû], obtenir par eux‑mêmes » (plan d’argumentation, par. 2.8).
[69]                        Les appelants se trompent. Il est vrai que le juge de première instance s’est mal exprimé en affirmant que les appelants devaient « faire primer » les intérêts des intimées sur les leurs (par. 546). Malgré cela, en relevant les manquements à l’obligation d’exécuter l’Entente des présidents de bonne foi, le premier juge a correctement apprécié la portée de la loyauté contractuelle et n’a pas exigé des appelants qu’ils subordonnent leurs intérêts à ceux des intimées. Ses constats quant aux réticences des appelants à divulguer l’intérêt de IA pour l’acquisition du Groupe Excellence — comme le confirme la Cour d’appel (au par. 93) — ne sont pas entachés d’une erreur révisable. En somme, la Cour supérieure et la Cour d’appel avaient raison de relever deux entorses — par ailleurs interreliées — à la loyauté contractuelle, laquelle se rattache à l’Entente des présidents par le biais de l’art. 1375 C.c.Q., soit le fait d’avoir omis de renseigner correctement les actionnaires lors de l’acquisition de leurs intérêts dans le Groupe Excellence et le fait d’avoir ainsi manqué à la probité élémentaire qu’impose l’ordre public contractuel.
[70]                        La bonne foi en droit civil québécois, pleinement reconnue depuis les arrêts Banque Nationale du Canada c. Soucisse, 1981 CanLII 31 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 339, Houle c. Banque Canadienne Nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122, et Bail, est aujourd’hui une norme législative d’ordre public; elle irrigue tout contrat comme si une clause y pourvoyait (Lluelles et Moore, no 1977). En effet, par le jeu combiné des art. 1375 et 1434 C.c.Q., l’exécution du contrat de bonne foi constitue une obligation implicite, incluse impérativement au contrat par la loi (Tardif c. Succession de Dubé, 2018 QCCA 1639, 51 C.C.L.T. (4th) 54, par. 75; Provigo, p. 59; Baudouin, Jobin et Vézina, no 307; Lluelles et Moore, no 2017). À cette fin, l’art. 1434 C.c.Q. « prévoit un mécanisme de prestations implicites », et l’art. 1375 constitue l’une de ces prestations, en imposant réciproquement aux contractants « une attitude générale, — voire “un état d’être” — dans le déroulement de leur relation contractuelle » (Lluelles et Moore, no 1977 (en italique dans l’original; note en bas de page omise)).
[71]                        Avant même l’adoption de l’art. 1375 C.c.Q., le professeur Crépeau a expliqué qu’une obligation implicite peut résulter de la loi, tant d’une disposition supplétive qu’impérative (p. 27-29). L’inclusion d’une obligation implicite au moyen d’une disposition législative supplétive de volonté en matière contractuelle se justifie, bien entendu, par la présomption de volonté à cet effet attribuée aux parties par le législateur; cette obligation peut être écartée par une clause expresse des parties (voir, p. ex., en matière de contrat de mariage, les art. 431 et 432 C.c.Q.). La justification de l’inclusion d’une obligation implicite fondée sur une disposition législative impérative provient d’une autre conception de la justice contractuelle, conception reposant non pas sur l’autonomie de la volonté, mais sur l’ordre public. Il s’agit là de l’assise sur laquelle repose le devoir d’exécuter de bonne foi l’Entente des présidents, ce devoir constituant une obligation impérative au sens de l’art. 1375 C.c.Q. En ce sens, la bonne foi se distingue des prestations implicites émanant, entre autres, de la nature du contrat. La norme impérative de la bonne foi s’applique à tous les contrats; sa mise en œuvre varie selon les circonstances. Parlant du droit français, le professeur Bénabent explique que la bonne foi, « à contenu plastique », emporte un éventail d’exigences s’adaptant aux circonstances particulières de chaque affaire (A. Bénabent, Droit des obligations (19e éd. 2021), no 303 (italique omis)). En l’espèce, l’Entente des présidents — un contrat de longue durée qui formalisait une relation d’affaires — a été conclue dans le contexte du climat de confiance constaté par le premier juge et elle devait être exécutée conformément à ce climat. L’Entente n’impliquait pas pour autant que les appelants exercent des pouvoirs au bénéfice des intimées.
[72]                        Les appelants ont donc raison d’affirmer qu’en l’espèce ils n’étaient pas astreints à une obligation de loyauté dans l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui. Toutefois, à l’instar de toute partie contractante au Québec, ils étaient tenus de respecter une obligation de loyauté contractuelle envers les intimées, laquelle découle du devoir de bonne foi énoncé à l’art. 1375 C.c.Q. En effet, par sa fonction dite complétive, la bonne foi impose à une partie contractante « d’agir avec loyauté, c’est-à-dire en tenant compte, dans les limites du comportement raisonnable, des intérêts de [son cocontractant] » (M. A. Grégoire, Liberté, responsabilité et utilité : la bonne foi comme instrument de justice (2010), p. 209; voir aussi Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico Inc., 2015 QCCA 624, 41 B.L.R. (5th) 1, par. 66‑70). Cette obligation de loyauté « vise la personne qui exécute une prestation ou qui exerce un droit contractuels, et qui est tenue d’agir de bonne foi » (Cantin Cumyn (2012), p. 21). Contrairement à la loyauté maximaliste, la loyauté contractuelle est réciproque en raison du caractère mutuel de la bonne foi. Elle n’exige pas que les parties contractantes agissent dans le seul intérêt de leur vis-à-vis, mais elle requiert qu’elles tiennent compte de l’intérêt de l’autre partie dans l’exécution du contrat (Lluelles et Moore, no 1987).
[73]                        J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que le terme « loyauté » est parfois employé afin de décrire des concepts différents, ce qui reflète sans doute la « grande variété terminologique » qui caractérise ce domaine : « . . . on parle aussi bien de bonne foi que d’obligation de loyauté, de coopération, ou plus vaguement d’une obligation de prudence ou de cohérence » (Bénabent, no 303; voir, en droit québécois, Smith, p. 121). Par exemple, une partie de la doctrine au Québec utilise ce terme pour désigner la dimension généralement prohibitive de la bonne foi (voir, p. ex., Lluelles et Moore, no 1978). Par ailleurs, le professeur Picod distingue la « loyauté, absence de mauvaise foi » de la « loyauté, attitude diligente et consciencieuse », considérant que la loyauté participe à la fois des dimensions prohibitive et proactive de la bonne foi en droit français (Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat (1989), p. 26). Le professeur Cornu explique quant à lui que le terme « loyauté » peut notamment désigner, plus globalement, « la bonne foi contractuelle (dans l’exécution du contrat) » (G. Cornu, dir., Vocabulaire juridique (14e éd. 2022), sub verbo « loyauté »). Cette dernière approche trouve un écho dans la jurisprudence québécoise basée sur le Code civil du Bas‑Canada, notamment l’arrêt de principe Houle, dans lequel la Cour a écrit que l’« obligation implicite d’agir de bonne foi [. . .] exige que les droits soient exercés dans un esprit de loyauté » (p. 158; voir aussi, sous le régime du Code civil du Québec, Provigo, p. 60‑61).
[74]                        Dans les présents motifs, j’utilise l’expression « loyauté contractuelle » afin de désigner l’attitude générale d’un contractant de bonne foi, lequel doit tenir compte des intérêts de son cocontractant (voir Cantin Cumyn (2012), p. 21). En ce sens, la loyauté contractuelle est « minimaliste ». Elle s’oppose à la loyauté « maximaliste », soit l’attitude générale que doit adopter l’attributaire d’un pouvoir et qui exige qu’il subordonne son intérêt à celui d’autrui (voir Smith, p. 122). Je note que le législateur emploie le terme « loyauté » pour décrire tant la loyauté maximaliste (voir les art. 322, 1309 al. 2 et 2138 al. 2 C.c.Q.) que la loyauté contractuelle (voir l’art. 2088 C.c.Q.). Le terme « loyalty » est utilisé comme équivalent anglais de « loyauté » à l’art. 322 C.c.Q., mais le législateur emploie parfois l’adverbe « faithfully » dans des contextes analogues (voir les art. 1309 al. 2, 2088 et 2138 al. 2 C.c.Q.).
[75]                        La doctrine reconnaît à juste titre que, selon le contexte, la bonne foi peut comporter tant une dimension prohibitive qu’une dimension proactive (voir Lluelles et Moore, no 1978; M. A. Grégoire, Le rôle de la bonne foi dans la formation et l’élaboration du contrat (2003), p. 11‑12; Baudouin, Jobin et Vézina, no 161). En l’espèce, je suis d’avis que les appelants ont, par leurs agissements, manqué aux obligations découlant de l’une et l’autre de ces dimensions de la bonne foi.
[76]                        Premièrement, suivant la dimension prohibitive, les parties à un contrat doivent notamment s’abstenir d’exécuter celui‑ci de manière malhonnête (Lefebvre (2015), p. 93). Dans le présent cas, la loyauté contractuelle ne requérait pas des appelants qu’ils renoncent à leurs intérêts personnels pour avantager les intimées, et encore moins qu’ils s’abstiennent d’exercer les droits subjectifs qui étaient les leurs en vertu de l’Entente. Mais dans la poursuite de leurs intérêts et dans l’exercice de leurs droits, les parties à un contrat doivent adopter un comportement loyal, en s’abstenant d’alourdir indûment le fardeau de leur cocontractant ou d’adopter une conduite excessive ou déraisonnable (voir Churchill Falls, par. 112‑113, le juge Gascon, et par. 177, le juge Rowe, dissident, mais non sur ce point). Toujours selon cette dimension prohibitive, la bonne foi exige de chaque partie contractante qu’elle ne compromette pas l’existence ou l’équilibre de la relation contractuelle (Lluelles et Moore, no 1979).
[77]                          Toutefois, à l’instar du premier juge, je suis d’avis qu’en l’espèce les appelants ont adopté une conduite déloyale et manqué de probité en omettant de divulguer aux actionnaires l’intérêt manifesté par IA, et en signant avec cette dernière l’Engagement de confidentialité (par. 544‑547). Ils n’étaient certes pas tenus de subordonner leurs intérêts à ceux des intimées dans l’exécution de l’Entente des présidents, mais ils devaient néanmoins veiller aux intérêts de ces dernières dans la poursuite légitime de leurs propres intérêts (voir Dunkin’ Brands, par. 74‑75; Provigo, p. 60; voir aussi Bhasin, par. 70). Par conséquent, les intimées pouvaient légitimement s’attendre à ce que les appelants s’abstiennent de toute manœuvre destinée à s’enrichir à leurs dépens. Dans le contexte de la relation d’affaires en cause, les appelants ont ainsi adopté une conduite malhonnête qui frustrait les attentes légitimes des intimées dans la poursuite de leur but commun à tous, soit la maximisation des profits et de la valeur des sociétés du Groupe Excellence, à l’avantage tant des appelants que des intimées.
[78]                          En outre, je rappelle la détermination factuelle du juge de première instance suivant laquelle lorsque M. Beaulne a demandé à M. Ponce si IA était intéressée à acquérir le Groupe Excellence, ce dernier a menti à M. Beaulne en lui répondant qu’il a vérifié et que IA n’est pas intéressée (par. 67‑68 et 449). Les appelants nous invitent à réviser cette conclusion de fait. Selon eux, l’offre de IA d’acquérir le groupe ne s’était pas encore concrétisée à l’époque pertinente. Même si tel avait été le cas, disent-ils, IA n’a jamais désiré faire affaire directement avec les actionnaires (m.a., par. 85). Dès lors, M. Ponce n’aurait pas agi de façon malhonnête en répondant à M. Beaulne que IA n’était pas intéressée à acquérir ses actions dans le groupe.
[79]                        Je suis en désaccord avec les appelants sur ce point. Si le jeu des dates rend la chronologie des événements parfois difficile à reconstituer en appel, j’estime que les appelants n’ont pas réussi à se décharger de la lourde tâche de démontrer que la conclusion du juge d’instance à cet égard — fondée en partie sur l’appréciation de la crédibilité des acteurs — est entachée d’une erreur manifeste et déterminante. Que la réponse de M. Ponce constitue ou non un mensonge au sens strict, son défaut de communiquer à M. Beaulne l’information dont il disposait à l’époque sur l’intérêt certain manifesté par IA représente, au minimum, une réticence malhonnête destinée à induire les actionnaires en erreur (voir Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues : Les obligations (2003), sub verbo « réticence »; P. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat : Essai d’une théorie (2000), nos 92‑98; voir aussi C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45, par. 89). Ce choix de taire l’intérêt de IA s’inscrit dans la foulée du silence imposé par l’Engagement de confidentialité, par lequel MM. Ponce et Riopel voulaient empêcher IA de traiter directement avec les actionnaires (motifs de la C.S., par. 441). Dans ce contexte, le premier juge disposait d’assises suffisantes pour conclure qu’un tel comportement déloyal contrevenait à l’exigence d’honnêteté découlant de l’art. 1375 C.c.Q.
[80]                          Deuxièmement, en sus de ces manquements à la dimension prohibitive de la bonne foi, les appelants ont également contrevenu à sa dimension proactive. À cet égard, la bonne foi exige de chaque partie contractante qu’elle adopte un comportement actif destiné à assister son partenaire contractuel, tout en demeurant compatible avec ses propres intérêts. Selon les circonstances, elle doit notamment « [l’]avertir [. . .] en cours de contrat, des événements qu’il a intérêt à connaître pour l’exécution du contrat » (Lluelles et Moore, no 1997 (note en bas de page omise)). La bonne foi impose ainsi à chaque partie contractante un devoir de renseignement qui « épous[e] les attentes légitimes de son partenaire » (D. Mazeaud, « Chronique de jurisprudence civile générale : Obligations et protection des consommateurs », dans Répertoire du notariat Defrénois (1996), p. 1010, cité dans Lluelles et Moore, no 2001; voir aussi Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30, [2020] 3 R.C.S. 298, par. 61). Suivant cette dimension, comme le rappelle utilement la professeure Cantin Cumyn, « le devoir de loyauté [contractuelle] exige [d’un contractant] qu’il donne à son cocontractant les renseignements pertinents à l’exécution de sa prestation, pour la faciliter ou éviter de la rendre plus onéreuse que ce qui était prévu à l’origine » (Cantin Cumyn (2012), p. 20). Tout comme sa dimension prohibitive, la dimension proactive de la bonne foi contractuelle ne requiert pas de la partie contractante qu’elle adopte un comportement altruiste. Cependant, elle exige en toute occasion qu’une partie contractante prenne en compte la perspective de son cocontractant dans l’exécution des droits subjectifs qui lui sont ainsi conférés (p. 21; voir, p. ex., Dunkin’ Brands, par. 74).
[81]                          Dans le contexte qui est le nôtre, soit celui d’une relation d’affaires à long terme, la bonne foi contractuelle imposait aux parties, par l’effet de l’art. 1375 C.c.Q., un devoir proactif de renseignement. La divulgation par les appelants de l’intérêt manifesté par IA n’aurait pas équivalu, en l’espèce, à subordonner leurs intérêts à ceux des intimées. En revanche, le fait d’avoir tu cet intérêt constituait un comportement déloyal. Rappelons que nous sommes en présence d’un engagement contractuel où les parties se sont associées en vue de réaliser un objectif commun. C’est ce que les auteurs français Malaurie, Aynès et Stoffel-Munck qualifient de « contrat-alliance » ou « contrat-coopération », impliquant une certaine union entre les parties dans la poursuite dans le temps d’un but commun (no 276). Ces contrats sont plus aptes à faire une place aux devoirs d’initiative et de collaboration fondés sur la bonne foi que les « contrats-échange », lesquels ne sont pas appelés à durer dans le temps (no 276; voir aussi Grammond, Debruche et Campagnolo, par. 49 et 326).
[82]                          Il ne reste maintenant qu’à déterminer l’étendue de ce devoir de renseignement au regard du contexte particulier de la relation d’affaires qui nous occupe. Pour ce faire, je vais me reporter à l’arrêt de principe Bail. Dans cet arrêt, notre Cour a énoncé une théorie générale du devoir de renseignement découlant de l’obligation de bonne foi en matière contractuelle, qui permet de déterminer si une information particulière est visée par ce devoir. Comme le rappelle à bon droit la Cour d’appel, notre Cour a formulé dans Bail les trois critères suivants (aux p. 586-587) : (1) la connaissance réelle ou présumée de l’information par la partie débitrice de l’obligation de renseignement; (2) la nature déterminante de l’information en question; (3) l’impossibilité pour le créancier de l’obligation de se renseigner lui‑même, ou la confiance légitime de ce dernier envers le débiteur de l’obligation.
[83]                          Dans la présente affaire, le juge d’appel Rancourt a scrupuleusement vérifié le respect de ces critères à la lumière des faits retenus par le juge de première instance, et je fais mienne sa conclusion selon laquelle les trois critères sont respectés (par. 86‑91). En effet, pour ce qui est du premier critère, les appelants ne contestent pas qu’ils connaissaient l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence (par. 87, citant l’interrogatoire après défense de Daniel Riopel, reproduit au d.a., vol. XVIII, p. 6699). Je souligne en outre qu’ils étaient pleinement conscients de la valeur financière de cette information et de l’intérêt qu’elle revêtait pour les actionnaires dans la perspective d’une vente éventuelle (motifs de la C.S., par. 492). Le deuxième critère est également respecté dans le cas qui nous occupe, le juge de première instance ayant conclu que l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence aurait « eu une incidence majeure sur la décision de Rhéaume et Beaulne de vendre leurs intérêts aux [appelants] et sans l’ombre d’un doute sur la détermination de la valeur des actions et du prix » (par. 446). Le premier juge a également retenu que si les actionnaires avaient connu l’intérêt de IA, ils « auraient voulu maximiser le prix de vente de leurs actions », et M. Rhéaume « n’aurait pas signé l’acte de vente du 1er septembre 2006 » (par. 487 et 494). Monsieur Ponce a d’ailleurs lui‑même reconnu qu’en pareilles circonstances, les présidents et les actionnaires auraient pu faire front commun et obtenir à quatre un meilleur prix de vente (par. 492‑493).
[84]                          Enfin, je suis d’avis que le dernier critère de l’arrêt Bail est doublement respecté en l’espèce. D’une part, pour ce qui est du climat de confiance qui régnait entre les parties, je rappelle que celles-ci cultivaient depuis plusieurs années une relation d’affaires qui se caractérisait par la poursuite d’un but commun, soit le succès du Groupe Excellence. En ce sens, les intimées étaient parfaitement en droit de s’attendre à être dûment informées de l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence. Or, les appelants ont adopté à cet égard une attitude déloyale, trahissant ainsi la confiance légitime que leur portaient leurs cocontractants, les intimées. D’autre part, indépendamment du climat de confiance qui régnait entre les parties, je suis d’avis que les actionnaires étaient dans l’impossibilité de s’informer eux‑mêmes de l’intérêt de IA. Je rappelle que, quelques mois après avoir été approchés par IA, les appelants ont contracté avec cette dernière un Engagement de confidentialité, dont la clause 5 avait précisément pour objectif d’empêcher toute transaction entre IA et les actionnaires (motifs de la C.S., par. 445). Selon le premier juge, la clause 5 de cet engagement « explique sans doute [pourquoi le président de IA] ne retourne jamais l’appel de Beaulne en avril 2006 afin de vérifier l’intérêt de IA » (par. 447). De surcroît, lorsque M. Beaulne demande à M. Ponce si IA serait intéressée à acheter ses parts dans le Groupe Excellence, M. Ponce lui répond qu’il a vérifié et que IA n’est pas intéressée (par. 448‑449). Comme je l’ai mentionné plus tôt, que cette interaction constitue ou non un mensonge, celle-ci — jumelée à la signature de l’Engagement de confidentialité — témoigne des efforts infructueux des actionnaires pour se renseigner.
[85]                          En somme, à l’instar de la Cour d’appel, je suis d’avis que l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence satisfait, dans le contexte de l’Entente des présidents, à chacun des trois critères énoncés dans l’arrêt Bail (par. 87‑91). Par conséquent, les exigences de la bonne foi dans l’exécution de l’Entente emportaient pour les appelants un devoir d’informer les actionnaires de l’intérêt de IA.
[86]                          L’omission des appelants d’informer les actionnaires de l’intérêt de IA à acquérir le Groupe Excellence constituant ainsi un manquement aux exigences de la bonne foi, je me tourne maintenant vers l’examen du remède approprié.
B.            Le fondement du remède et le montant dû aux intimées
[87]                        Le fondement juridique du remède approprié en l’espèce fait l’objet d’un désaccord entre les parties, tout comme le montant éventuel dû aux intimées. Rappelons que le juge de première instance condamne solidairement les appelants à verser aux intimées la somme de 11 884 743 $, un montant équivalent aux profits qu’il estime avoir été réalisés par les appelants lors de la revente des actions du Groupe Excellence à IA. La Cour d’appel confirme ce montant, étant d’avis qu’aucune erreur révisable n’a été établie par les appelants.
[88]                        Les appelants soutiennent que les juridictions inférieures se sont méprises en accordant aux intimées la remise des profits réalisés lors de la revente du Groupe Excellence à IA. Selon eux, aucun fondement juridique ne justifiait d’accorder ce remède en l’espèce. Ils soulignent que la remise des profits doit demeurer un remède exceptionnel, en ce qu’elle est exorbitante du principe cardinal qu’est la justice corrective. Ils soutiennent qu’une condamnation à la remise des profits ne peut être justifiée qu’en présence d’un manquement à une obligation de loyauté similaire à celle du fiduciaire de common law, c’est-à-dire la loyauté maximaliste à laquelle est tenue la personne habilitée à exercer des pouvoirs dans l’intérêt d’autrui. Selon les appelants dans la présente affaire, c’est à bon droit que la Cour d’appel a conclu, contrairement au premier juge, que la relation juridique entre les parties n’était pas caractérisée par une telle relation de loyauté. Ils plaident toutefois que la cour a pourtant fait erreur en confirmant malgré tout la remise des profits sur la base de la violation d’une obligation de bonne foi. En effet, ils soutiennent que la violation de l’obligation contractuelle de bonne foi doit être compensée, et ce, seulement en cas de préjudice dûment prouvé par la partie demanderesse.
[89]                        La remise des profits n’étant pas, selon eux, un remède disponible en l’espèce, les appelants affirment que les intimées avaient le fardeau de prouver leur préjudice. Ces dernières n’ont toutefois apporté aucune preuve à cet effet, disent‑ils, de sorte qu’aucune condamnation à des dommages-intérêts ne devrait être prononcée contre eux. De l’avis des appelants, le fait d’accorder des dommages‑intérêts en l’absence de preuve d’un préjudice, même en présence d’une éventuelle violation de l’obligation de bonne foi, reviendrait à accorder des dommages‑intérêts punitifs, ce qui ne saurait être justifié dans les circonstances.
[90]                        Les intimées, quant à elles, soutiennent que le remède accordé par les juridictions inférieures est pleinement justifié compte tenu du tort commis (m.i., par. 89). D’une part, elles affirment que la remise des profits est une simple application du précepte moral voulant que nul ne doive tirer profit de sa mauvaise action ou de sa mauvaise foi (m.i., par. 84-85, citant sur ce point l’arrêt Kuet, p. 439 et 441). D’autre part, et de façon subsidiaire, les intimées allèguent que le remède accordé par la Cour supérieure et confirmé en appel peut être vu comme l’équivalent d’une condamnation aux dommages‑intérêts. Directement liés à la faute des appelants, ces dommages‑intérêts compensent ici le préjudice découlant du gain manqué comme le permet l’art. 1611 C.c.Q., disent les intimées. Ce « grave préjudice », évoqué dès la requête introductive d’instance en Cour supérieure, se serait concrétisé lorsque les appelants ont revendu le Groupe Excellence à IA à un prix supérieur à celui auquel ils l’ont acquis des mains des intimées. Cette différence de prix « constituerait donc la valeur la plus représentative » du gain dont les intimées auraient été privées en raison de l’omission fautive des appelants (m.i., par. 118). Au soutien de leur position, les intimées invoquent notamment le témoignage de M. Ponce, qui a affirmé, eu égard au prix de vente du Groupe Excellence : « . . . évidemment, on aurait pu aller en chercher plus mais à quatre » (interrogatoire en chef, reproduit au d.a., vol. XXVII, p. 9465).
[91]                        Pour déterminer le remède approprié en l’espèce, avant d’examiner la question de l’évaluation des dommages‑intérêts, il convient de vérifier d’abord le fondement juridique permettant d’accorder la remise des profits.
(1)         Disponibilité de la remise des profits en tant que remède
a)            La remise des profits en présence d’une obligation de loyauté dans l’exercice d’un pouvoir
[92]                        Les appelants ont certes raison sur un point : en règle générale, la remise des profits n’a pas la même fonction compensatoire que l’octroi de dommages‑intérêts comme remède pour l’inexécution d’une obligation contractuelle. La « réparation » en responsabilité civile vise à compenser une perte subie ou un gain manqué (art. 1611 C.c.Q.). Par contraste, d’autres remèdes visent la « restitution » et consistent à rendre ce qui a été reçu. En cela, ils n’ont pas cet aspect indemnitaire que revêt la réparation en droit de la responsabilité (voir, sur cette distinction, les enseignements du professeur Pascal Fréchette, notamment aux p. 14 et 135). Quant à la remise des profits — à cheval entre la restitution et la réparation en droit de la responsabilité, et reconnue par notre Cour dans l’arrêt Kuet sous le régime du Code civil du Bas-Canada —, ses conditions d’application, qui sont quelque peu incertaines en droit positif, font l’objet d’un débat entre les parties dans la présente affaire.
[93]                        D’abord, les appelants ont raison de dire que la remise des profits n’est en principe disponible que lorsqu’une personne est chargée de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt d’autrui : le mandataire et l’administrateur doivent remettre les biens à la fin de l’administration, et cette « restitution normale » engloberait les profits accumulés pendant l’administration (Fréchette, p. 154; voir aussi Cantin Cumyn (2012), p. 22). À titre d’exemple, puisque l’administrateur du bien d’autrui exerce les pouvoirs rattachés à sa charge au bénéfice d’autrui, tout profit résultant de l’exercice de ces pouvoirs, ainsi que les biens administrés reviennent dans le patrimoine administré à la fin de l’administration (art. 1365 et 1366 al. 1 C.c.Q.). En ce sens, le premier volet de l’art. 1366 al. 1 C.c.Q. prévoit que l’administrateur du bien d’autrui doit remettre au bénéficiaire tout ce qu’il a reçu dans l’exécution de l’obligation de loyauté rattachée à ses fonctions, et ce, même si l’administré n’a pas subi de préjudice (voir L. Smith et J. Berryman, « Disgorgement of Profits in Canada », dans E. Hondius et A. Janssen, dir., Disgorgement of Profits : Gain-Based Remedies throughout the World (2015), 281). Par ailleurs, suivant le second volet de l’art. 1366 al. 1 C.c.Q., l’administrateur « est aussi comptable de tout profit ou avantage personnel qu’il a réalisé en utilisant, sans y être autorisé, l’information qu’il détenait en raison de son administration ». Dans ce cas exceptionnel, la remise des profits sanctionne la violation de l’obligation de loyauté maximaliste de l’administrateur, dans une perspective plus éloignée de la restitution (Cantin Cumyn et Cumyn, par. 376). Même dans un tel cas, la remise de profits se démarque, comme je tâcherai de l’expliquer, de la sanction classique que constituent les dommages‑intérêts, laquelle est tributaire de la preuve d’un préjudice.
[94]                        Ces deux remèdes sont en effet conceptuellement distincts. D’une part, s’inscrivant dans une optique plus proche de la restitution, la remise des profits a en principe pour objectif d’assurer le respect de l’obligation de loyauté maximaliste de l’attributaire d’un pouvoir. D’autre part, l’octroi de dommages‑intérêts a pour fonction d’indemniser la victime d’une faute pour le préjudice qu’elle a subi, et participe ainsi d’une logique compensatoire reliée notamment à la loyauté contractuelle découlant de l’art. 1375 C.c.Q. Comme l’expliquent certains auteurs, la remise des profits est donc distincte des dommages‑intérêts, étant « incompatible avec la fonction compensatoire de la responsabilité civile » (Fréchette, p. 161; voir aussi Grégoire (2010), p. 50‑51).
[95]                        Les intimées affirment que, dans l’arrêt Kuet, notre Cour a élargi la portée du remède de la remise des profits au-delà des seuls cas où une partie exerce un pouvoir (m.i., par. 84‑85). Plus particulièrement, elles plaident que cet arrêt érige la remise des profits en remède afin de sanctionner l’auteur d’une faute lucrative qui a manqué aux exigences de la bonne foi en matière contractuelle (par. 84 et 88). Les appelants accordent quant à eux une portée beaucoup plus restreinte à l’arrêt Kuet. Rappelant que, dans l’affaire en question, la banque n’avait pas subi de préjudice en raison du comportement de son cambiste, qui avait réalisé des profits personnels dans l’exécution de ses fonctions, les appelants affirment que l’arrêt Kuet n’autorise pas à étendre la portée du remède exceptionnel que constitue la remise des profits au‑delà des cas où le débiteur fautif était tenu de subordonner son propre intérêt à celui de son créancier (m.a., par. 101). Cette interprétation de l’arrêt Kuet amène les appelants à conclure que la remise des profits n’est pas ouverte en tant que remède en l’espèce parce que, comme on le sait, les appelants, n’étant pas chargés de l’exercice de pouvoirs dans l’intérêt des intimées, n’ont pas manqué à une obligation de loyauté dite maximaliste. Par conséquent, au dire des appelants, la violation de l’obligation de loyauté contractuelle retenue contre eux ne peut donner ouverture qu’à des dommages-intérêts pour compenser un préjudice établi, et non à la remise de profits. Or, la preuve de ce préjudice n’aurait pas été faite par les intimées.
[96]                        Je suis d’accord avec les appelants pour dire qu’il faut éviter de donner à l’arrêt Kuet une interprétation qui s’éloigne des fondements du droit de la responsabilité civile. Bien lu, cet arrêt indique que le remède de la remise des profits ne s’ouvre pas au tribunal en présence d’une simple violation de l’obligation de bonne foi, commise par une personne qui n’était pas tenue à une obligation de loyauté dans l’exercice d’un pouvoir. Cet arrêt n’offre donc pas d’assise justifiant la remise des profits aux intimées à titre de remède.
[97]                        Il est vrai, comme le soulignent les intimées, que le juge Gonthier a appuyé sa décision d’accorder la remise des profits sur le précepte « nul ne doit tirer profit de ses mauvaises actions » (Kuet, p. 439). Cela dit, le juge Gonthier n’a pas fondé son raisonnement uniquement sur cet adage, ce qui aurait pu laisser croire qu’il rattachait la remise des profits au seul manquement à la bonne foi. En effet, le juge Gonthier a pris soin d’asseoir sa décision d’accorder la remise des profits sur une analogie avec l’obligation du mandataire de remettre les profits au mandant, puisque, dans l’affaire en question, la relation particulière unissant la banque et son cambiste s’apparentait au mandat.
[98]                        Un bref rappel des faits de cette affaire s’impose pour bien apprécier cette réalité. Dans Kuet, le cambiste en chef d’une banque avait tiré parti de sa position pour conclure des ententes secrètes avec ses clients. Ces ententes prévoyaient qu’il effectuerait à leur bénéfice des opérations de change, en contrepartie de quoi il garderait un pourcentage des profits réalisés. Mise au fait de ces manœuvres non autorisées, la banque a intenté un recours civil contre le cambiste, qui avait jusque‑là réalisé des profits s’élevant à plus de 600 000 $. Comme la banque demanderesse n’avait subi aucune perte, elle réclamait non pas des dommages‑intérêts, mais la remise des profits réalisés par le cambiste.
[99]                        Au terme de son analyse, le juge Gonthier a fait droit à la demande de la banque et condamné le cambiste à remettre les profits qu’il avait réalisés. Cette conclusion ne procède pas uniquement du mauvais comportement du cambiste, mais se rattache ainsi « plutôt à la fonction et aux rapports sous‑jacents entre les parties au contrat » (p. 436). C’est la forte ressemblance entre cette relation et celle découlant du contrat de mandat, en raison du contrôle que le cambiste exerçait sur les affaires de la banque, qui a conduit le juge Gonthier à obliger celui-ci à rendre compte de tout ce qu’il avait reçu dans le contexte de sa gestion (voir l’analyse proposée par le professeur Fréchette, aux p. 10 et 155‑156). En effet, le juge Gonthier a, par analogie, fait reposer cette remise des profits sur l’art. 1713 du Code civil du Bas-Canada (voir aujourd’hui l’art. 2184 C.c.Q.), une disposition avant tout applicable au mandataire, qui exige de ce dernier qu’il remette au mandant tout ce qu’il a reçu sous l’autorité de son mandat, même si ce qu’il a reçu n’était pas dû au mandant (p. 436).
[100]                     C’est donc à juste titre que le professeur Fréchette, commentant cet arrêt, souligne le parallèle entre le rôle du mandataire et la position de représentant qu’occupait le cambiste et constate que notre Cour a obligé ce dernier « à rendre compte de tout ce qu’il avait reçu dans le contexte de sa gestion [. . .] suivant la logique générale des règles du mandat » (p. 155). De même, les professeures Cantin Cumyn et Cumyn considèrent, au par. 376, que le juge Gonthier a exigé l’exécution en nature d’une obligation de remettre les profits, obligation qui est analogue à celle d’un mandataire ou d’un administrateur du bien d’autrui (art. 1366 al. 1, 2146 al. 2 et 2184 C.c.Q.). C’est donc en raison de l’existence d’une obligation de loyauté maximaliste dans le contexte de l’exercice d’un pouvoir que la remise des profits était justifiée dans l’arrêt Kuet, et ce, malgré l’absence de préjudice subi par la banque. Je note que dans l’arrêt Abbas-Turqui c. Labelle Marquis Inc., 2004 CanLII 26082 (Qc), qui concerne la faute lucrative d’un contractant en matière de vente, la Cour d’appel a pris soin de distinguer l’arrêt Kuet suivant cette même logique (voir le par. 13).
[101]                     J’en conclus que les enseignements de l’arrêt Kuet ne sont pas utilement transposables à la présente affaire. Certes, on peut dire qu’en dissimulant l’intérêt manifesté par IA, les appelants ont, tout comme le cambiste dans l’affaire Kuet, contrevenu à leur obligation de bonne foi imposée par le jeu des art. 1434 et 1375 C.c.Q. Mais, contrairement au défendeur dans l’arrêt Kuet, les appelants n’étaient pas tenus de rendre les profits, comme le serait un mandataire ou un administrateur, puisqu’ils n’étaient pas chargés d’exercer des pouvoirs dans l’intérêt des intimées.
[102]                     Par conséquent, contrairement à la relation en cause dans l’affaire Kuet mais à l’instar de celle dans l’affaire Abbas‑Turqui, je suis d’avis que la relation particulière entre les appelants et les intimées ne permet pas de fonder, à titre de remède, la remise des profits réalisés par les appelants.
b)            La remise des profits en l’absence d’exercice d’un pouvoir
[103]                     Outre l’arrêt Kuet, les intimées invoquent l’arrêt Uni‑Sélect inc. c. Acktion Corp., 2002 CanLII 41226 (QC CA), [2002] R.J.Q. 3005, prétendant que la Cour d’appel du Québec y a accordé la remise des profits en présence d’une faute lucrative, mais en l’absence d’exercice d’un pouvoir dans l’intérêt d’autrui. Dans cette affaire, le contractant fautif avait procédé à l’acquisition d’une entreprise en violation d’une clause de non‑concurrence. Confrontée à la conclusion du premier juge que le préjudice n’avait pas été démontré, la Cour d’appel conclut que le préjudice équivalait aux profits réalisés par le contractant fautif (par. 58‑63). Ce faisant, la Cour d’appel renverse la détermination factuelle du premier juge, affirmant que l’« avantage sur le marché » réalisé par le contractant fautif, soit le profit réalisé, « cause inévitablement, dans [ce] contexte, une perte pour [le cocontractant lésé] » (par. 59). Pour cette raison, elle déclare que le bénéficiaire de la clause de non-concurrence « doit être compens[é] pour cette perte » suivant l’art. 1611 C.c.Q. (par. 59; voir aussi le par. 36). Les intimées ont donc tort de prétendre que, dans l’arrêt Uni-Sélect, la Cour d’appel a ordonné au contractant fautif de remettre les profits dans une perspective autre que compensatoire et en l’absence de toute preuve d’un préjudice. Par conséquent, dans la mesure où il est établi que le gain réalisé équivaut au préjudice causé par le comportement fautif du contractant, la remise des profits dans l’arrêt Uni-Sélect est justifiée à titre de compensation pour une faute. Chose certaine, les intimées ne peuvent s’appuyer sur cet arrêt pour obtenir directement la remise des profits, en l’absence d’une obligation de loyauté maximaliste.
[104]                     Indépendamment de ce qui précède, les intimées soutiennent que la remise des profits peut constituer un remède non compensatoire, ouvert en présence d’un comportement « véritablement déviant par rapport à celui d’un contractant honnête et prudent » (m.i., par. 100). Toutefois, comme il a été mentionné, force est de constater qu’elles demandent avant tout la remise des profits suivant la fonction compensatoire de ce remède, en réclamant les profits engrangés par les appelants comme « équivalent » du gain dont elles auraient été privées parce que les appelants se seraient illégalement approprié l’occasion d’affaires. En effet, comme l’indique clairement la requête introductive d’instance, la remise des profits demandée par les intimées s’apparente plutôt à des dommages‑intérêts, lesquels sont conformes aux principes généraux de la responsabilité civile (requête introductive d’instance, par. 57.1). Contrairement à la banque dans l’arrêt Kuet, les intimées disent avoir subi un « grave préjudice ». Elles demandent donc la remise des profits à titre de compensation pour ce préjudice, causé par la violation de l’obligation de loyauté « contractuelle » à laquelle les appelants étaient tenus. Il n’est donc pas nécessaire, dans le contexte des faits de l’espèce, de décider si la remise de profits s’ouvre au tribunal en tant que sanction confiscatoire et « quelque peu originale » en l’absence d’un tel préjudice (voir Lluelles et Moore, no 2037; G. Viney, « La condamnation de l’auteur d’une faute lucrative à restituer le profit illicite qu’il a retiré de cette faute », dans B. Moore, dir., Mélanges Jean-Louis Baudouin (2012), 949).
[105]                     En somme, je suis d’avis que la remise des profits sans prise en compte du préjudice ne constitue pas un remède approprié en l’espèce. La sanction demandée vise la réparation d’un tort subi. On ne demande pas simplement la restitution des profits ou encore moins la remise des profits dans une perspective confiscatoire ou punitive, une mesure qui serait alors potentiellement exorbitante du droit commun de la responsabilité civile. Il y a donc lieu, suivant l’argument subsidiaire des intimées, d’évaluer le quantum des dommages‑intérêts qui doivent leur être accordés pour compenser la perte qu’ils disent avoir subie.
(2)         L’octroi de dommages‑intérêts suivant la présomption de l’arrêt Baxter
[106]                     Au Québec, le droit de la responsabilité civile repose sur le principe de la réparation intégrale du préjudice subi, souvent exprimé par la locution restitutio in integrum. Suivant ce principe, les dommages‑intérêts visent à compenser une perte subie ou un gain manqué en raison d’une faute. Le quantum de ces dommages-intérêts doit être évalué de façon à placer les intimées dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées n’eût été la faute des appelants (voir les art. 1611 et suiv. C.c.Q.).
[107]                     En l’espèce, le premier juge a conclu que le défaut des appelants de communiquer aux actionnaires l’intérêt manifesté par IA pour l’acquisition du Groupe Excellence a eu une incidence importante sur la décision des intimées de vendre leurs actions, de même que sur le prix de vente (par. 446). En effet, devant la Cour supérieure, M. Ponce a reconnu que, si les actionnaires avaient été dûment informés, ils auraient pu faire front commun avec les présidents lors des négociations avec IA, et ainsi obtenir un meilleur prix (par. 492‑493). Cela dit, malgré cette concession, les appelants plaident que l’issue de telles négociations est hypothétique. Par conséquent, il serait impossible d’évaluer avec précision la situation dans laquelle les intimées se seraient trouvées n’eût été la faute des appelants. L’existence du gain manqué n’étant pas établie, disent-ils, la demande des intimées vise à compenser une perte de chance, perte qui ne serait pas indemnisable en droit québécois.
[108]                     Les intimées répondent que, depuis le début des procédures, elles cherchent à obtenir compensation pour le gain manqué en raison de la mauvaise foi des appelants, qui se sont illégalement approprié les fruits de la revente du Groupe Excellence à IA. L’existence du gain manqué a été acceptée par le premier juge, répliquent-elles, et toute difficulté à en faire la preuve exacte est directement attribuable au mauvais comportement des appelants.
[109]                     Cette situation n’est pas sans rappeler l’arrêt Baxter, qui a d’ailleurs été cité par le premier juge (par. 590‑593). Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec a jugé que les actionnaires majoritaires avaient manqué aux exigences de la bonne foi en omettant de divulguer aux actionnaires minoritaires la possibilité d’une mise en marché publique de leurs actions. N’ayant pas été informés d’une telle possibilité, les actionnaires minoritaires ont accepté de vendre leurs intérêts aux actionnaires majoritaires pour un prix de 25 $ par action. Quelques mois plus tard, les actionnaires majoritaires ont revendu les actions ainsi acquises lors de la mise en marché publique, et ce, pour un prix de 150 $ chacune, réalisant alors un profit de 125 $ par action.
[110]                     Dans ses motifs majoritaires, le juge Rothman a conclu que, si la possibilité d’une mise en marché publique leur avait été communiquée, les actionnaires minoritaires n’auraient pas vendu leurs intérêts pour la somme de 25 $ par action. Toutefois, la détermination du prix auquel ces derniers auraient vendu leurs intérêts — si tant est qu’ils auraient effectivement décidé de les vendre — relève de la conjecture (Baxter, p. 443). En effet, la dissimulation malhonnête d’une information empêchait les actionnaires minoritaires d’établir avec précision la situation dans laquelle ils se seraient trouvés n’eût été la faute commise à leur endroit.
[111]                     Dans ce contexte, le juge Rothman a affirmé qu’il y avait lieu de présumer que la perte subie par les actionnaires minoritaires équivalait au profit réalisé par les actionnaires majoritaires (p. 443). Il a expliqué que cette présomption cadre avec les principes régissant l’octroi de dommages‑intérêts en droit civil (p. 443‑444, citant Rainbow Industrial Caterers Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1991 CanLII 27 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 3, p. 14‑16). D’abord, cette présomption est conforme au principe de la restitutio in integrum, qui requiert que la partie lésée soit remise en état. Ensuite, elle s’accorde, sur le plan de la preuve, avec le principe selon lequel [traduction] « l’auteur d’un acte fautif ne devrait pas être autorisé à tirer profit de sa mauvaise foi ou d’un acte répréhensible de sa part » (Baxter, p. 443).
[112]                     Je note que la juge Deschamps, dissidente sur la question du quantum des dommages‑intérêts, a plutôt conclu que la preuve avait établi que, s’ils avaient été dûment informés, les actionnaires minoritaires auraient tout de même vendu leurs intérêts avant la mise en marché publique, et ce, à un prix de 91 $ par action (p. 447). Cela étant, rien n’indique que pour arriver à cette conclusion la juge a rejeté le bien‑fondé de la présomption entérinée par la majorité. Elle a accepté que les actionnaires minoritaires avaient présenté une preuve suffisante de leur préjudice; le désaccord ne portait que sur l’évaluation du quantum des dommages-intérêts.
[113]                     Suivant l’application de la présomption qu’a utilement identifiée le juge Rothman, lorsqu’un manquement aux exigences de la bonne foi empêche la partie lésée de faire la preuve du préjudice, il y a lieu de présumer que celui‑ci équivaut au profit réalisé par la partie fautive. Cette présomption est toutefois réfragable, en ce qu’elle peut être renversée par une preuve contraire selon laquelle le quantum des dommages‑intérêts est différent du montant des profits (p. 443‑444, citant Rainbow Industrial Caterers, p. 14‑16).
[114]                     La présomption invoquée dans l’arrêt Baxter emprunte à la common law, qui reconnaît depuis longtemps que, lorsqu’un fait ne peut être prouvé en raison de la malhonnêteté d’une partie, ce fait est tenu pour avéré en l’absence de preuve à l’effet contraire (voir Rainbow Industrial Caterers, p. 14‑16; Lamb c. Kincaid (1907), 1907 CanLII 38 (SCC), 38 R.C.S. 516, p. 539‑540; voir aussi Callow, par. 116). Dans les deux traditions juridiques, cette présomption respecte le principe de la restitutio in integrum (voir l’arrêt Rainbow Industrial Caterers, p. 16, où le juge Sopinka s’appuie sur les arrêts Banque Nationale du Canada c. Corbeil, 1991 CanLII 117 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 117, et Banque Provinciale du Canada c. Gagnon, 1981 CanLII 195 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 98; voir aussi Baxter, p. 444, citant Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., 1978 CanLII 1 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 229).
[115]                     La présomption établie dans l’arrêt Baxter offre donc la base d’un mode de calcul des dommages-intérêts visant à indemniser la partie lésée pour le préjudice qu’elle a subi. En cela, elle repose sur un objectif de compensation distinct de la remise des profits lorsque cette dernière s’inscrit dans une logique restitutoire en l’absence de tout préjudice. Il convient de souligner que cette présomption n’est pas exorbitante de la justice corrective, fondement du régime général de la responsabilité civile au Québec : la sanction qui en dépend n’est pas punitive ou confiscatoire, mais compensatoire. L’application de la présomption de l’arrêt Baxter n’équivaut donc pas à l’octroi de dommages‑intérêts punitifs, les dommages‑intérêts accordés à cet égard poursuivant des visées réparatrices.
[116]                     En l’occurrence, les intimées sollicitent la remise des profits comme « équivalent » du « grave préjudice » dont elles se disent victimes, et ce, en raison du manquement des appelants aux exigences de la bonne foi dans l’exécution de l’Entente (requête introductive d’instance, par. 1, 47, 57, 57.1 et 58). Ce préjudice équivaut ici au gain manqué par les intimées, lequel est indemnisable en vertu de l’art. 1611 C.c.Q. En application de la présomption de l’arrêt Baxter, il est possible de présumer que, n’eût été l’omission fautive des appelants, les intimées auraient vendu leurs intérêts à IA au même prix que ceux‑ci. C’est bien la prémisse sur laquelle repose l’analyse des experts des intimées, acceptée par le juge de première instance, comme en font état ses explications sur le calcul de la valeur du gain manqué (voir les par. 598 et 615). Dès lors, ce que les appelants qualifient de « perte de chance » de négocier perd son caractère hypothétique pour ne devenir qu’une simple « perte » pour laquelle les intimées doivent être indemnisées, en l’absence d’une preuve contraire (m.a., par. 119‑129; m.i., par. 117). Il incombait donc aux appelants d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les intimées auraient vendu leurs intérêts à IA à un prix inférieur à celui obtenu par les appelants.
[117]                     Or, ces derniers ne se sont pas acquittés de ce fardeau. En effet, le premier juge a retenu l’hypothèse proposée par la firme d’experts des intimées, selon laquelle « n’eussent été les gestes reprochés aux [appelants], les [intimées] auraient obtenu une contrepartie équivalente à ce qu’IA a payé pour l’acquisition des participations des [appelants] dans le Groupe L’Excellence plutôt que la somme obtenue des [appelants] ». À l’audience devant notre Cour, les appelants n’ont pas démontré que cette conclusion factuelle, qui commande la déférence, était entachée d’une erreur manifeste et déterminante (Housen, par. 10; Grenier c. Grenier, 2011 QCCA 964, par. 45 (CanLII); M.H. c. Axa Assurances inc., 2009 QCCA 2358, [2010] R.R.A. 15, par. 19). Par conséquent, puisque la présomption de l’arrêt Baxter n’a pas été renversée, les dommages-intérêts dus aux intimées équivalent à la différence entre le montant du prix de vente reçu par les appelants lors de leur revente à IA et celui reçu par les intimées lors de leur vente initiale aux appelants.
[118]                     Le préjudice subi par les intimées au titre de gain manqué s’élève donc à 11 884 743 $ et la condamnation du premier juge, confirmée en appel, est solidaire. Je prends note de la convention intervenue entre les intimées voulant que la somme accordée soit partagée au prorata de leurs actions dans le Groupe Excellence, soit 62 p. 100 pour les sociétés de M. Rhéaume et 38 p. 100 pour les sociétés de M. Beaulne. Les dommages‑intérêts sont donc répartis ainsi : 7 368 540,60 $ pour les sociétés de M. Rhéaume et 4 516 202,40 $ pour les sociétés de M. Beaulne.
[119]                     Pour ces motifs, je propose de rejeter le pourvoi, avec dépens.
                    Pourvoi rejeté avec dépens.
                    Procureurs des appelants : IMK, Montréal.
                    Procureurs des intimées : Litige Forseti Inc., Montréal.

* Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.

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Synthèse
Référence neutre : 2023CSC25 ?
Date de la décision : 27/10/2023

Analyses

intimées — appelants — préjudice — Groupe Excellence — gain manqué — remise des profits — Entente des présidents — comportement — actionnaires — devoirs — tenus — espèce — premier juge — foi — parties — exercice de pouvoirs


Parties
Demandeurs : Ponce
Défendeurs : Société d’investissements Rhéaume ltée
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 27 octobre 2023, Ponce c. Société d’investissements Rhéaume ltée, 2023 CSC 25


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2023-10-27;2023csc25 ?

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