Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, [2004] 3 R.C.S. 195, 2004 CSC 55
L’Industrielle-Alliance Compagnie d’Assurance sur la Vie Appelante
c.
Gilbert Cabiakman Intimé
Répertorié : Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie
Référence neutre : 2004 CSC 55.
No du greffe : 29584.
Audition et jugement : 19 mars 2004.
Motifs déposés : 29 juillet 2004.
Présents : Les juges Iacobucci, Bastarache, Binnie, Arbour*, LeBel, Deschamps et Fish.
en appel de la cour d’appel du québec
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [2002] J.Q. no 8521 (QL), qui a confirmé un jugement de la Cour supérieure, [2000] R.J.Q. 1508, [2000] R.J.D.T. 504, [2000] J.Q. no 1407 (QL). Pourvoi rejeté.
Michel St-Pierre et Jacques Reeves, pour l’appelante.
Raphaël Levy, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Les juges LeBel et Fish —
I. Introduction
1 Le présent pourvoi porte sur l’étendue et la nature du pouvoir de suspension d’un employeur dans un contexte privé de droit du travail. Il s’agit ici de déterminer si un employeur a l’obligation de rémunérer un employé pendant la durée d’une suspension qualifiée d’administrative qu’il a imposée pour protéger l’intérêt de l’entreprise et celui de sa clientèle alors que l’employé faisait l’objet d’accusations criminelles.
2 Le premier juge a conclu au bien-fondé de la suspension, compte tenu de la bonne foi de l’employeur dans les circonstances. Toutefois, il a jugé injustifiée la suspension sans solde et a condamné l’appelante à indemniser l’intimé du salaire perdu pendant la durée de la suspension. La Cour d’appel a confirmé ce jugement à l’unanimité.
3 Le problème en cause découle d’une suspension sans traitement d’environ deux ans imposée à l’intimé qui agissait alors comme directeur des ventes à l’une des succursales de l’appelante, une compagnie d’assurances. Peu après son engagement, l’intimé est arrêté pour tentative d’extorsion. À la suite de la publication d’un article sur cette affaire dans un hebdomadaire à grand tirage de la région de Montréal, l’appelante décide de suspendre l’intimé sans salaire jusqu’à l’aboutissement des procédures judiciaires entreprises contre lui par le ministère public. L’appelante impose cette mesure dite administrative dans le but avoué de sauvegarder sa réputation et l’image du service offert à sa clientèle.
4 À l’issue du procès prononçant son acquittement, l’intimé fut réintégré dans ses fonctions à L’Industrielle-Alliance Compagnie d’Assurance sur la Vie (« L’Industrielle »), où il travaille depuis. Il s’agit donc de déterminer qui doit absorber la perte économique subie par l’intimé lors de sa suspension. Ce montant s’élève à 200 000 $, les parties s’étant entendues sur le quantum des dommages.
5 Le contrat liant les parties est muet sur la question du pouvoir de suspension patronal. Le pouvoir de suspension disciplinaire n’est pas en cause. Il s’agit ici de déterminer si, indépendamment du pouvoir de suspension disciplinaire, l’employeur détient un pouvoir résiduel de suspension administrative, exercé à son initiative, dans l’intérêt de l’entreprise, qui découle implicitement du contrat de travail, dans une situation juridique régie uniquement par le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 (« C.c.Q. »), et le contrat individuel en cause. Dans l’affirmative, la Cour est appelée à se prononcer sur les fondements de ce pouvoir et d’en circonscrire l’étendue afin de décider en particulier s’il permet d’imposer une suspension sans rémunération dans le présent contexte.
6 Pour des motifs différents en partie de ceux de la Cour d’appel, nous avons été d’avis à la fin de l’audience de rejeter le pourvoi de l’appelante. Notre Cour a ainsi confirmé la conclusion ordonnant à l’appelante de verser à l’intimé le salaire dont il a été privé durant sa suspension.
II. Origine du litige
7 L’intimé, Gilbert Cabiakman (« Cabiakman ») travaille pour la compagnie d’assurances London Life à titre de directeur des ventes de 1984 à 1995. Il se lie alors d’amitié avec son superviseur immédiat André Sarrazin (« Sarrazin »). Ce dernier quitte la London Life pour aller travailler chez l’appelante, L’Industrielle.
8 En août 1995, Sarrazin contacte Cabiakman et le convainc de quitter son emploi pour se joindre à L’Industrielle afin d’y travailler à titre de directeur des ventes de sa succursale de Ville Saint-Laurent. Cabiakman est embauché en raison de ses qualifications particulières en matière de vente de polices d’assurance et de produits connexes. Il possède également les qualités requises pour s’adresser efficacement à la clientèle ciblée dans ce secteur.
9 Un contrat de travail intervient entre les parties pour une durée indéterminée. Il comporte toutefois une garantie de salaire pour deux ans.
10 En vertu de cette convention, Cabiakman est responsable de l’embauche, de la formation et de la supervision des vendeurs affectés à sa succursale. Dans le cadre de ses fonctions, il vend également chez certains clients des produits de placement, tels des plans d’assurance, des régimes de rentes, des fonds mutuels et des fonds de pension. Il est aussi chargé des transferts d’argent d’une institution à l’autre pour le compte de gros clients. Il peut même être appelé à conseiller des clients sur des transferts de titres ou d’argent liquide. Dans cette perspective, la probité de Cabiakman devient fondamentale, tant envers les clients de son employeur qu’auprès de l’équipe de vendeurs qu’il supervise.
11 Vers le 9 ou 10 novembre 1995, soit trois mois après son embauche, Cabiakman est arrêté à son domicile pour tentative d’extorsion. Il se trouve alors en congé parental d’une semaine. Il est accusé d’avoir comploté en vue d’extorquer son courtier en valeurs mobilières. Ce dernier lui aurait fait perdre de l’argent à la Bourse. Cabiakman est détenu jusqu’au lundi 13 novembre. Il est ensuite libéré après avoir plaidé non coupable aux accusations criminelles portées contre lui.
12 Deux jours plus tard, il informe Sarrazin de son arrestation. Ce dernier lui répond de ne pas s’inquiéter et de continuer son travail. La semaine suivante, Cabiakman prend connaissance de la publication d’un article dans un hebdomadaire à sensation qui relate les circonstances de sa mise en accusation et mentionne son nom. Cabiakman et Sarrazin s’en procurent immédiatement un exemplaire. Sarrazin informe alors Cabiakman qu’il ne peut plus passer l’affaire sous silence et qu’il doit en informer la direction.
13 Le vice-président aux ventes, Paul-Émile Burelle, soumet alors l’affaire aux avocats de l’entreprise. Sur leurs conseils, Burelle décide de suspendre sans solde le contrat de Cabiakman « jusqu’à la décision finale des tribunaux dans ce dossier ». L’Industrielle n’a jamais fait enquête ni même donné la chance à Cabiakman de s’expliquer. Ce dernier est informé de sa suspension le 1er décembre 1995.
14 L’Industrielle prend cette décision en raison du lien entre la nature des accusations reprochées et les fonctions occupées par Cabiakman. Elle impose la suspension dans le but de sauvegarder l’image de l’entreprise, sa réputation et l’intégrité de ses relations avec sa clientèle. Cette mesure administrative est aussi adoptée en vue de protéger les clients, le cas échéant.
15 Le 1er février 1996, Cabiakman entreprend des procédures judiciaires contre L’Industrielle pour congédiement sans cause juste et suffisante. Il allègue que, l’ayant suspendu pour une période indéterminée qui dura deux ans, L’Industrielle prenait une mesure équivalant à un congédiement. Dans sa déclaration initiale, il réclame 279 807,60 $ à titre de perte de revenu, de dommages moraux et de dommages punitifs.
16 Le 21 novembre 1996, Cabiakman subit son enquête préliminaire et est renvoyé à son procès. Le 8 octobre 1997, il est acquitté séance tenante sans même avoir à témoigner. Le 24 novembre 1997, il est réintégré dans ses fonctions dès que L’Industrielle est mise au fait de son acquittement. Il y travaille depuis.
17 Dans sa déclaration modifiée du 26 janvier 1998, Cabiakman ajoute que, durant sa suspension, soit du 1er décembre 1995 au 23 novembre 1997, il a été incapable de se trouver un autre emploi et de gagner quelque revenu. Dans sa déclaration modifiée de nouveau le 15 mai 1998, il réclame des dommages additionnels de 175 000 $ pour inconvénients subis, pour un total de 454 807,60 $.
18 Les parties ont convenu que le quantum des dommages s’élevait à 200 000 $. Dans son jugement du 20 avril 2000, la Cour supérieure fait droit à la réclamation de Cabiakman, mais seulement jusqu’à concurrence de 175 000 $ : [2000] R.J.Q. 1508. Ce jugement est confirmé par la Cour d’appel le 12 décembre 2002, qui accorde cependant le montant total fixé par les parties : [2002] J.Q. no 8521 (QL).
III. Historique judiciaire
A. Cour supérieure (le juge Laramée)
19 Selon le premier juge, en suspendant l’intimé comme elle l’a fait, l’appelante le dépouillait de toute dignité et manquait à son obligation de fournir le travail prévu et d’en permettre l’exécution, contrairement à l’art. 2087 C.c.Q. Il affirme que le contrat ne survit pas en principe à de telles dérogations, qui équivalent à une résiliation unilatérale. Or, il juge que dans les circonstances il importait peu qu’il s’agisse d’une résiliation suivie d’un renouvellement de contrat ou d’une simple suspension de contrat. En effet, l’intimé avait subi des dommages importants en raison de l’inexécution par l’appelante de son obligation de fournir le travail et de le rémunérer.
20 Cela dit, le premier juge examine si, dans les faits, la mesure administrative prise par l’appelante était bien fondée. Il souligne que l’appelante a clairement pris cette décision en raison de l’incidence possible sur l’entreprise des accusations portées contre l’intimé qui y occupait un poste de confiance. Il ajoute cependant que la bonne foi de l’employeur ne se présume pas. L’appelante doit donc en faire la preuve car elle a délibérément manqué à ses obligations envers l’intimé.
21 Le juge conclut que l’appelante a démontré l’existence d’un lien certain entre l’infraction reprochée et la fonction occupée par l’intimé. Il note que le tort potentiel pour l’appelante est évident. À son avis, un employeur peut prendre les mesures nécessaires à la survie de l’entreprise, voire à son bon fonctionnement. Il reconnaît que l’appelante a agi de façon à réduire l’importance du préjudice que pouvait causer la médiatisation de la mise en accusation et de la condamnation éventuelle de l’intimé. Le juge accepte la preuve de l’appelante selon laquelle il lui était impossible d’affecter l’intimé à un autre poste durant sa suspension. Selon le juge, l’appelante pouvait, en toute bonne foi, intervenir suite à la publicité entourant les accusations portées contre un de ses directeurs des ventes. Pour ces motifs, il admet que la suspension a été imposée de bonne foi.
22 Malgré cette conclusion, le juge accueille néanmoins l’action en dommages-intérêts de l’intimé et condamne l’appelante à indemniser ce dernier du salaire perdu durant la suspension. Il conclut que l’appelante pouvait justifier le bien‑fondé de sa décision de ne pas fournir le travail mais non l’absence de rémunération puisqu’elle n’avait pas établi que le maintien du salaire aurait pu nuire à son image. Il affirme que la balance des inconvénients économiques devait pencher en faveur de l’intimé.
23 Enfin, le premier juge ajoute que, si l’appelante avait conservé le moindre doute au sujet de l’intégrité du salarié, sa décision de le réintégrer dès l’acquittement serait incompatible avec les motifs qu’elle a elle-même invoqués au soutien de la suspension quant à la relation entre le poste occupé et la confiance nécessaire pour remplir ses fonctions. Il conclut que l’appelante doit partager avec l’intimé les inconvénients de sa décision purement potestative de le suspendre.
24 Le juge accorde la somme de 175 000 $, représentant deux ans de salaire, plus les intérêts. Il rejette toutefois la réclamation d’une indemnité pour dommages moraux au motif que la décision de suspendre l’intimé n’a pas été prise de mauvaise foi et demeurait une décision administrative raisonnable dans les circonstances.
B. Cour d’appel (les juges Rothman, Dussault et Delisle)
25 La Cour d’appel confirme à l’unanimité le jugement de première instance. La cour reconnaît d’abord le bien-fondé de la suspension imposée par l’appelante. La cour accepte ensuite le raisonnement du premier juge selon lequel l’appelante devait supporter la perte économique résultant de cette suspension, même si celle-ci était justifiée. La cour juge qu’il revient à l’appelante de supporter les conséquences de la suspension puisqu’une telle décision relève à la base de sa seule volonté. De plus, la cour accueille l’appel incident de l’intimé visant à faire modifier le dispositif du jugement de première instance compte tenu du quantum des dommages sur lequel se sont entendues les parties. La cour condamne ainsi l’appelante à verser à l’intimé 200 000 $, avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 17 janvier 2000.
IV. Questions en litige
26 Ce pourvoi pose diverses questions, toutes liées à l’exécution et à la suspension d’un contrat individuel de travail. Outre son pouvoir d’imposer une suspension à titre de sanction disciplinaire, un employeur détient-il le pouvoir résiduel de suspendre unilatéralement les effets d’un contrat individuel de travail? Dans l’affirmative, quelle est l’assise juridique de ce pouvoir? Quelles modalités encadrent son exercice? Existe-t-il des mécanismes de contrôle de ce pouvoir discrétionnaire de l’employeur, si l’existence de celui-ci est admise? Enfin, dans le contexte de la présente affaire, l’employeur pouvait-il exercer un tel pouvoir pour suspendre un employé faisant l’objet d’accusations criminelles?
V. Analyse
A. La nature du contrat de travail régi par le Code civil du Québec
27 Nous prenons soin de préciser que le cadre du litige n’est pas régi par une convention collective. La présente affaire porte sur un contrat individuel de travail relevant uniquement du Code civil du Québec. Il s’agit d’un contrat synallagmatique (art. 1380 C.c.Q.) et à exécution successive ou continue (art. 1383 C.c.Q.). Le Code civil du Québec définit ce contrat comme celui par lequel le salarié s’oblige, moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle de l’employeur (art. 2085 C.c.Q.). Une convention peut être qualifiée de contrat de travail lorsque sont réunies les trois composantes suivantes : la prestation de travail du salarié, le versement du salaire par l’employeur et le lien de subordination qui prévaut entre les parties. Ces trois éléments définissent en même temps le contenu fondamental du contrat de travail.
28 La subordination juridique du salarié à son employeur constitue la caractéristique la plus importante de la convention, lorsqu’on tente de la qualifier de contrat de travail et de la distinguer d’autres contrats à titre onéreux. La création du rapport de subordination implique par ailleurs l’acceptation par l’employé du pouvoir de contrôle et de direction de l’employeur.
29 Le contrat de travail prévoit des obligations réciproques pour les parties. D’une part, l’employeur s’engage à permettre au salarié d’exécuter la prestation de travail convenue, à lui verser rémunération et à prendre les mesures nécessaires en vue de protéger sa santé, sa sécurité et sa dignité (art. 2087 C.c.Q.). D’autre part, le salarié est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence et d’agir avec loyauté et honnêteté envers son employeur (art. 2088 C.c.Q.). Sous l’éclairage des obligations mutuelles des parties, il convient d’aborder maintenant le cœur du présent litige.
B. Le problème de la suspension de l’exécution du contrat de travail par l’employeur
(1) La difficulté théorique
30 Le présent pourvoi nous invite à déterminer si l’employeur détient le pouvoir implicite de suspendre temporairement les effets d’un contrat de travail ou certaines de ses obligations corrélatives. La question présente des difficultés importantes sur le plan de la théorie juridique. En effet, aucun texte législatif, qu’il s’agisse du Code civil ou de lois particulières, ne contient de dispositions qui explicitent le fondement du pouvoir de l’employeur de procéder à une suspension du contrat de travail, que ce soit pour des motifs disciplinaires ou des raisons dites administratives.
31 La notion même d’un pouvoir de suspension unilatéral de l’exécution des prestations synallagmatiques d’un contrat se concilie d’ailleurs mal avec la théorie classique des obligations. Il est en effet difficile de concevoir qu’une partie puisse unilatéralement et à sa guise suspendre les effets d’un contrat valablement conclu, en l’absence d’accord entre les contractants pour reconnaître l’existence d’une telle faculté.
32 Une telle entente faisant défaut en l’espèce, il faut maintenant examiner si l’employeur possède, en droit civil québécois, un pouvoir unilatéral de suspendre temporairement les effets d’un contrat individuel de travail ou certaines des obligations qui en découlent. Le cas échéant, il conviendra d’établir la nature et le fondement juridique de ce pouvoir et d’en fixer l’étendue et les conditions d’exercice.
33 Certaines précisions s’imposent toutefois au début de cette analyse. Le présent pourvoi ne vise pas la mise à pied administrative pour motif économique au sens où s’entend normalement cette expression. On ne se trouve pas dans une situation où l’employeur suspend l’exécution de la prestation du salarié et son obligation corrélative de le rémunérer en raison de facteurs extrinsèques — par exemple, des difficultés économiques, un manque de travail, des changements technologiques ou une restructuration de l’entreprise. En l’espèce, la décision d’imposer une suspension à l’employé demeure tributaire, dans une certaine mesure, de gestes reprochés à ce dernier. Par souci de clarté, nous réitérons alors que le présent pourvoi ne soulève que la question du pouvoir unilatéral d’imposer une suspension à un salarié visé par des accusations criminelles, pour des motifs purement administratifs rattachés à l’intérêt de l’entreprise.
(2) Le particularisme du contrat de travail
34 Pour expliquer l’existence d’un pouvoir de suspension de l’exécution du contrat de travail par l’employeur, la doctrine recourt à des explications variées. Par exemple, certains auteurs proposent de justifier ce pouvoir unilatéral de suspension des obligations successives découlant du contrat de travail en faisant appel à la nature spéciale de ce contrat. Selon cette approche, le contrat de travail produirait des effets distincts en raison de sa nature particulière. (Voir F. Morin et J.-Y. Brière, Le droit de l’emploi au Québec (2e éd. 2003), par. II-115 et II-160.)
35 Morin et Brière abordent la question de la mise à pied pour des motifs d’ordre économique, technique, administratif ou structurel. Ils ajoutent alors que « —l—a rationalisation juridique de l’opération exige que nous nous attardions au caractère particulier, distinctif et sui generis du contrat de travail » (par. II-160).
36 Dans cette optique, le particularisme du contrat de travail découle largement de l’assujettissement juridique de l’employé au pouvoir de direction et de contrôle de son employeur et de la nature intuitu personae de ce contrat. Bien que l’importance de cette dernière caractéristique mérite d’être tempérée devant la réalité contemporaine de la grande entreprise, elle demeure néanmoins utile en cas de sanction pour inexécution des obligations contractuelles, notamment dans le cas du personnel de direction.
(3) La pratique des relations de travail et la suspension des prestations de travail
37 Ce particularisme du contrat de travail se manifeste d’ailleurs dans la pratique des rapports de travail collectifs ou individuels. Celle-ci tend en effet à confirmer que certaines interruptions des prestations prévues dans le cadre d’une relation du travail ne mettent pas nécessairement fin à celle-ci. Certaines pratiques courantes en milieu de travail, telles les mises à pied pour des raisons économiques de même que l’absence pour cause de maladie ou d’accident, ou, dans un contexte de rapports collectifs du travail, la grève ou le lock-out, constituent diverses formes de suspension de l’exécution du contrat de travail reconnues et acceptées depuis longtemps.
38 Ces pratiques trouvent d’ailleurs une consécration législative, au moins partielle, entre autres, dans la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N‑1.1 (« L.N.T. »). Cette loi s’applique au salarié, à l’exclusion du cadre supérieur, sauf pour certaines dispositions (art. 2 et art. 3, al. 1(6) L.N.T.). La Loi sur les normes du travail ne définit pas l’assise juridique qui justifie ces interruptions, mais précise toutefois la procédure et les modalités juridiques applicables à ces divers cas de suspension du contrat de travail.
39 Dans ce contexte, la mise à pied n’est pas considérée en principe comme une rupture du contrat de travail. La mise à pied pour motif économique est plutôt traitée comme une suspension unilatérale et temporaire du travail et des prestations de l’employeur. Cette mesure vise à répondre aux impératifs de l’entreprise. Notre Cour a d’ailleurs reconnu l’existence de ce pouvoir de l’employeur, dans le cadre de l’application d’une convention collective, sans toutefois en préciser le fondement, dans Air-Care Ltd. c. United Steel Workers of America, [1976] 1 R.C.S. 2.
40 La Loi sur les normes du travail aménage les modalités de l’exercice du pouvoir de l’employeur de mettre à pied un salarié. Avant d’effectuer une mise à pied de six mois ou plus, l’employeur doit donner un avis écrit au salarié qui compte au moins trois mois de service continu (art. 82 et 82.1 L.N.T.). À défaut de préavis, l’employeur devra verser au salarié une indemnité compensatrice tenant lieu de salaire (art. 83 L.N.T.). Ce préavis, qui varie en fonction de la durée de service du salarié (art. 82, al. 2 L.N.T.), établit des normes minimales et n’empêche pas le salarié de réclamer une indemnité de préavis plus importante en vertu des règles de droit civil prévues aux art. 2091 et 2092 C.c.Q. (art. 82, al. 4 L.N.T.).
41 Enfin, dans le contexte des rapports collectifs du travail, le droit du travail reconnaît que la grève et le lock-out ont aussi pour effet de suspendre l’exécution des obligations corrélatives des parties à la convention, sans mettre fin pour autant à la relation d’emploi. Par exemple, les art. 109.1 et suiv. du Code du travail, L.R.Q., ch. C-27 (« C.t. »), interdisent l’embauche de substituts des salariés en grève ou en lock-out. D’ailleurs, l’art. 110 C.t. prévoit explicitement le maintien du lien d’emploi durant la grève ou le lock-out. Cette disposition édicte que « [p]ersonne ne cesse d’être un salarié pour l’unique raison qu’il a cessé de travailler par suite de grève ou lock-out. Rien dans le présent code n’empêche une interruption de travail qui ne constitue pas une grève ou un lock-out. »
42 L’inexécution de la prestation de travail du salarié absent en raison d’une maladie ou d’un accident suspend aussi temporairement l’exécution du contrat de travail, sans le rompre. À ce propos, le premier alinéa de l’art. 79.4 L.N.T. précise qu’« [à] la fin de l’absence pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur doit réintégrer le salarié dans son poste habituel, avec les mêmes avantages, y compris le salaire auquel il aurait eu droit s’il était resté au travail. »
(4) La reconnaissance d’un fondement au pouvoir de suspension disciplinaire
43 Le pouvoir de l’employeur d’imposer une suspension comme sanction disciplinaire est généralement admis et ne fait pas l’objet du présent pourvoi. L’existence de ce pouvoir est reconnue de façon uniforme par la jurisprudence des instances spécialisées en droit du travail comme par celle des tribunaux supérieurs dans l’exercice de leur fonction de révision judiciaire et de leur compétence directe sur les conflits résultant des contrats de travail.
44 Par ailleurs, certaines lois reconnaissent implicitement ce pouvoir de suspension disciplinaire puisque leurs dispositions encadrent son exercice. Par exemple, après avoir édicté une série de pratiques interdites aux art. 12 à 14 C.t., le législateur précise au deuxième alinéa de l’art. 14 que « [l]e présent article n’a pas pour effet d’empêcher un employeur de suspendre [. . .] un salarié pour une cause juste et suffisante dont la preuve lui incombe. » (Voir aussi les art. 15 à 19 C.t. ainsi que le deuxième alinéa de l’art. 79.4 et les art. 122 à 123.5 L.N.T.)
45 Dans un contexte de rapports individuels, la doctrine reconnaît le pouvoir d’imposer une suspension disciplinaire, bien qu’elle lui attribue des fondements divers. Elle estime parfois qu’il découle implicitement du pouvoir de direction de l’employeur. Elle le décrit comme le corollaire nécessaire de ce pouvoir de contrôle et de direction du travail du salarié. Ce pouvoir trouve alors son fondement dans la nature même du contrat de travail et se déduit donc implicitement de l’art. 2085 C.c.Q. ou provient simplement de l’usage, sanctionné par l’art. 1434 C.c.Q. On propose aussi de l’expliquer sur la base de l’art. 1604 C.c.Q. en l’assimilant à une réduction des obligations de l’employeur, pour une durée proportionnelle à la gravité de l’inexécution du salarié. (Voir M.-F. Bich, « Le pouvoir disciplinaire de l’employeur — fondements civils » (1988), 22 R.J.T. 85; M.-F. Bich, « Le contrat de travail », dans La réforme du Code civil, vol. 2, Obligations, contrats nommés (1993), 741, p. 763-765; C. D’Aoust, L. Leclerc et G. Trudeau, Les mesures disciplinaires : étude jurisprudentielle et doctrinale (1982), p. 56-57; Morin et Brière, op. cit., par. II-113 à II-118; M. Athanassiadis, « Sources of Disciplinary Power : an Analysis of the Employment Contract » (1998), 5 R.E.J. 267; R. P. Gagnon, Le droit du travail du Québec (5e éd. 2003), p. 98.)
46 On admet ainsi qu’un employeur est investi du pouvoir d’imposer une suspension comme sanction disciplinaire. La question demeure par contre entière en ce qui concerne le pouvoir unilatéral de suspendre les effets du contrat individuel de travail pour des motifs administratifs. Cette question a fait l’objet de controverses doctrinales et jurisprudentielles au Québec, et cette polémique dure toujours.
(5) Le problème de la suspension administrative : les solutions proposées
47 La doctrine reste profondément divisée sur cette question. Certains auteurs soutiennent qu’une mise à pied administrative trouve son fondement dans l’usage reconnu en la matière. (Voir Morin et Brière, op. cit., par. II-160.) D’autres prétendent que le pouvoir d’un employeur de suspendre les prestations corrélatives qui découlent du contrat fait partie implicite du contrat de travail. Ils tirent cette conclusion de l’existence des articles de la Loi sur les normes du travail qui régissent les mises à pied en milieu non syndiqué. (Voir R. Bonhomme, C. Gascon et L. Lesage, Le contrat de travail en vertu du Code civil du Québec (1994), par. 4.3.2.)
48 À l’inverse, certains auteurs affirment qu’à défaut de consentement explicite ou implicite du salarié, la mise à pied est toujours assimilée à une résiliation unilatérale du contrat de travail. Selon cette approche, l’employeur qui impose une mise à pied à son salarié déroge à son obligation prévue à l’art. 2087 C.c.Q. de fournir le travail et d’en permettre l’exécution. En application de l’art. 1605 C.c.Q., le salarié est justifié de considérer le contrat de travail comme rompu et peut réclamer les indemnités auxquelles il a droit en vertu de l’art. 2091 C.c.Q. (Voir Bich, « Le contrat de travail », loc. cit., p. 757-759; voir aussi Gagnon, op. cit., p. 96-97.)
49 Par ailleurs, en droit du travail québécois, la jurisprudence des tribunaux de droit commun portant sur cette question demeure rare. On retrouve tout au plus quelques jugements pertinents en tout ou en partie. Malheureusement, ces décisions ne se concilient pas toujours aisément.
50 L’appelante invoque en sa faveur l’arrêt Laurier Auto Inc. c. Paquet, [1987] R.J.Q. 804, p. 805, où la Cour d’appel a reconnu qu’il n’y avait pas eu rupture du lien d’emploi par suite de la mise à pied de neuf mois d’un cadre, mais simplement suspension du lien d’emploi. La cour notait que la mise à pied dans cette affaire s’inscrivait « dans un plan de sauvetage de l’entreprise ».
51 Pour sa part, l’intimé se fonde sur l’arrêt Thomas c. Surveyer, Nenniger & Chênevert Inc. (1989), 34 Q.A.C. 61, où la Cour d’appel jugea qu’un employeur n’avait pas le droit de suspendre temporairement l’effet du contrat à défaut de stipulation contractuelle à cet effet ou sans le consentement de l’employé. La Cour d’appel a conclu que la mise à pied d’un employé constituait une résiliation unilatérale du contrat de travail, ou un licenciement sans préavis.
52 Ces décisions contradictoires sont pertinentes dans l’unique mesure où elles portent sur des cas où l’employeur suspend l’exécution des prestations corrélatives mais n’entend nullement rompre le lien d’emploi. Par contre, elles ne nous instruisent guère sur les fondements et les modalités d’un pouvoir de suspension d’un employeur dans un cas comme celui qui nous occupe. En effet, ces arrêts portent sur le pouvoir de mettre à pied un employé en raison des contraintes économiques de l’employeur — donc en raison de facteurs complètement exogènes au comportement de l’employé. Ici, le lien entre la nature des actes reprochés à l’employé et l’importance de ses fonctions prend un caractère déterminant. D’autres jugements, que les parties ont invoqués, ont été rendus dans le contexte fort différent de rapports juridiques encadrés par une convention collective.
53 Ainsi, à l’appui de sa thèse, l’appelante cite l’affaire Syndicat du personnel de soutien du Cégep François‑Xavier Garneau c. Cégep François‑Xavier Garneau, [2003] J.Q. no 3580 (QL), où la Cour d’appel a sommairement reconnu le pouvoir d’un employeur de procéder à une suspension administrative sans solde d’un employé syndiqué. Pour sa part, l’intimé se fonde sur l’arrêt Centre d’adaptation jeunesse inc. c. Syndicat canadien de la fonction publique (1986), 5 Q.A.C. 241. Dans ce dossier, l’employeur avait suspendu le plaignant, un éducateur auprès de patients handicapés mentaux, lorsqu’il apprit qu’il était accusé au criminel d’avoir commis un acte indécent, puis le réintégra lorsqu’il fut acquitté. L’arbitre décida que la suspension était injustifiée et que le plaignant avait droit, après sa réintégration, au versement du salaire et avantages perdus. La Cour d’appel refusa d’annuler cette décision. Le juge Rothman reconnut explicitement aux par. 15 et suiv. de son opinion que le salarié avait conservé le droit à son traitement :
[traduction] Même si l’infraction reprochée ne concernait aucun patient du Centre, elle aurait eu lieu aux alentours du Centre. Vu le genre d’établissement et de ses patients ainsi que la nature des fonctions de M. Poulin, il aurait été extrêmement difficile, voire impossible, pour lui de continuer à assumer ses fonctions tant qu’il n’aurait pas été statué sur l’accusation. Une fois la décision rendue et son acquittement prononcé, M. Poulin fut immédiatement rappelé au travail.
À mon avis, la suspension n’avait rien d’arbitraire ou d’injustifié.
. . .
Même si l’arbitre avait eu tort de conclure que l’appelant aurait dû enquêter sur les accusations avant de suspendre M. Poulin, je ne pense pas que cette erreur permettrait à la Cour d’intervenir dans sa décision. Il est évident qu’il relève de la compétence de l’arbitre de décider du bien-fondé de la suspension et, s’il a commis une erreur, il ne s’agit pas d’une erreur juridictionnelle.
. . .
La question cruciale dont l’arbitre était saisi n’était pas de savoir si la suspension était justifiée, mais si M. Poulin avait droit à son salaire et à ses avantages sociaux pour la période de la suspension. Même si la suspension était justifiée au moment où elle a été décidée, l’arbitre avait compétence pour décider si M. Poulin avait droit à son salaire pour la période de suspension après son acquittement.
. . .
. . . Il est manifeste que l’unique raison de la suspension est l’accusation criminelle. Une fois M. Poulin acquitté et réintégré dans ses fonctions, il fallait que quelqu’un assume la perte du salaire qui ne lui avait pas été versé. Est-ce que ce doit être M. Poulin, qui a été déclaré non coupable, ou l’employeur qui, en toute bonne foi, l’avait suspendu? L’arbitre a décidé que ce devait être l’employeur. À mon avis, c’est à lui de décider et je ne pense pas que la décision qu’il a prise soit déraisonnable.
(6) Fondement, nature et limite du pouvoir de suspension administrative : l’intérêt de l’entreprise
54 L’identification des fondements et de la nature d’un pouvoir de suspension administrative d’un employé en vertu d’un contrat individuel de travail pose des problèmes conceptuels importants. En effet, comme on l’a vu plus haut, le Code civil du Québec ne prévoit pas expressément un tel pouvoir. La solution se dégage, à notre avis, à partir de l’examen, d’une part, du contrat de travail et, d’autre part, de la nature et de la finalité de cette intervention de l’employeur dans l’exécution des prestations prévues par l’entente. Il faut alors au départ en revenir à l’analyse des éléments constitutifs et distinctifs du contrat de travail.
55 Les formes du contrat de travail et des modes d’exécution des obligations qu’il prévoit ont sans aucun doute évolué considérablement. La définition du Code civil du Québec demeure cependant fidèle à une conception classique de ce contrat. Au cœur de celle-ci se situe, en effet, l’acceptation d’un rapport de subordination dans le cadre duquel le salarié accepte la direction et le contrôle de l’employeur dans l’exécution des fonctions prévues. L’existence et l’acceptation de ce rapport signifient que le salarié reconnaît qu’il s’intègre dans le cadre d’un ensemble, l’entreprise que dirige l’employeur, et qu’il accepte le pouvoir de décision de celui-ci et la nécessité que son travail se situe dans la finalité de cet ensemble. L’acceptation de ce pouvoir constitue une condition implicite de la fonction du contrat de travail qui devient ainsi une partie de son contenu. La naissance de ce rapport de subordination signifie que le salarié admet que l’employeur doit prendre les décisions nécessaires dans l’intérêt de l’entreprise et que sa propre prestation de travail doit s’exécuter dans le cadre de celles-ci et suivant les orientations qu’elles prévoient, sous réserve des ententes explicites ou implicites qui ont pu intervenir entre les parties.
56 Ce pouvoir de direction ne se confond pas avec la faculté de résiliation ou de modification du contrat de travail. Cette faculté de résiliation ou de modification se situe, en effet, dans le cadre de ce pouvoir de direction. Il faut alors rechercher si, de ce pouvoir de direction découlant du rapport de subordination, peut s’inférer l’existence d’un pouvoir de suspension pour raison administrative qui autoriserait l’employeur à ne pas laisser le salarié exécuter sa prestation de travail. Cette décision, qui laisse toutefois intacte le cadre du contrat de travail et les autres obligations qui en découlent, se rattache à l’exercice de la fonction de direction de l’entreprise et trouve sa justification dans la nécessité de préserver l’intérêt de celle-ci. Dans la mesure où l’exécution de la prestation compromettrait elle-même cet intérêt, le pouvoir de suspension apparaît alors comme une composante nécessaire du pouvoir de direction qu’accepte le salarié. Il permet alors à l’employeur de ne pas faire exécuter le travail prévu.
57 Dans le cas d’une entreprise comme L’Industrielle, la continuation de l’exécution de fonctions sensibles dans les rapports avec la clientèle et le public justifiait une telle mesure à la suite des procédures criminelles entamées contre l’intimé. Cette suspension conservait néanmoins un caractère administratif. Les circonstances de cette affaire démontrent toutefois que la distinction entre suspension disciplinaire et suspension administrative peut elle-même poser des problèmes délicats à l’occasion. Certaines suspensions surviennent dans des situations qui peuvent recevoir des qualifications juridiques différentes et successives selon leur évolution. Tel n’est pas cependant le cas ici où la suspension a conservé jusqu’à son terme son caractère administratif en raison du comportement et des décisions des parties.
58 L’employeur doit être investi de tous les pouvoirs nécessaires afin de bien gérer son entreprise et d’en protéger les intérêts, sous réserve des limites qu’impose la loi. Il est logique qu’en pratique il en soit ainsi en l’espèce. Ce pouvoir discrétionnaire fait partie de la liberté de manœuvre dont dispose l’employeur dans la gestion de son entreprise. Cette interprétation ne va pas à l’encontre des dispositions du Code civil, mais en dégage certaines conséquences, conformes à la nature et aux structures fondamentales de l’institution en cause. Comme le souligne le professeur P.-A. Côté dans son traité Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 512 : « Si l’on devait les [articles du Code civil] interpréter de façon stricte, les situations qu’ils n’ont pas formellement prévues risqueraient de tomber pour ainsi dire dans des “limbes juridiques”. »
59 Nous prenons soin de souligner que le droit de l’employeur de mettre fin au contrat conformément à l’art. 2094 C.c.Q. n’inclut pas le pouvoir de suspendre le contrat de travail. L’article 2094 C.c.Q. permet à un employeur de résilier unilatéralement et sans préavis un contrat de travail pour un motif sérieux. Il serait douteux que le désir de protéger l’image du service offert aux clients et la réputation de l’entreprise puisse constituer, sans autre cause, un motif sérieux au sens de cette disposition. En effet, comme le souligne Gagnon, op. cit., p. 120 : « . . . le sens à donner à l’expression “motif sérieux” est celui d’une faute grave commise par le salarié ou d’une cause juste et suffisante qui se rapporte à sa conduite ou à son défaut d’exécuter le travail ».
60 Toutefois, une précision paraît de mise pour souligner que le pouvoir de suspension administrative n’entraîne pas, en principe, comme corollaire, le droit de suspension du salaire. L’employeur ne peut se dégager unilatéralement, sans autre cause, de l’obligation de payer le salaire de l’employé s’il prive ce dernier de la possibilité d’exécuter sa prestation.
61 L’employeur peut toujours renoncer à son droit de recevoir la prestation du salarié mais il ne peut se soustraire à son obligation de payer le salaire lorsque le salarié demeure disponible pour accomplir un travail dont l’exécution lui est refusée. En choisissant de ne pas mettre un terme au contrat de travail avec les compensations afférentes, fixées selon les principes applicables, l’employeur demeure en principe tenu de respecter ses propres obligations réciproques même s’il n’exige pas la prestation de travail de l’employé.
62 Ce pouvoir résiduel de suspendre pour des motifs administratifs en raison d’actes reprochés à l’employé fait partie intégrante de tout contrat de travail mais est limité et doit être exercé selon les conditions suivantes : (1) la mesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’entreprise; (2) la bonne foi et le devoir d’agir équitablement doivent guider l’employeur dans sa décision d’imposer une suspension administrative; (3) l’interruption provisoire de la prestation de l’employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distinguerait mal d’une résiliation ou d’un congédiement pur et simple; (4) la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels qui ne se posent pas en l’espèce.
63 Essentiellement, il s’agit de pondérer les divers intérêts en présence. D’un côté, il faut reconnaître le droit de l’employeur d’imposer des mesures préventives en vue de protéger l’entreprise. De l’autre, il faut reconnaître que « [l]’emploi est une composante essentielle du sens de l’identité d’une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel » : voir Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, p. 368; voir aussi Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, par. 93.
64 Certains facteurs développés par la jurisprudence arbitrale pourront guider les tribunaux pour déterminer si la décision d’un employeur de suspendre temporairement un employé faisant l’objet d’accusations criminelles est justifiée. Ces critères se rapportent essentiellement aux intérêts légitimes de l’entreprise et à la bonne foi de l’employeur.
65 Par exemple, les tribunaux pourront considérer les éléments suivants : la suffisance du lien entre l’acte reproché et le genre d’emploi occupé; la nature même des accusations; l’existence de motifs raisonnables de croire que le maintien, même temporaire, du lien d’emploi serait préjudiciable à l’entreprise ou à la réputation de l’employeur; la présence d’inconvénients immédiats et importants ne pouvant être contrés de façon pratique par d’autres mesures (p. ex. affecter l’employé à un autre poste). On peut aussi vérifier si la suspension avait pour but de protéger l’image du service que l’employeur a la charge de gérer et tenir compte notamment des facteurs suivants : l’atteinte à la réputation de l’employeur, la nécessité de protéger le public, les motivations et le comportement de l’employeur lors de la suspension, la bonne foi de l’employeur lors de la prise des mesures, l’absence d’intention vexatoire ou discriminatoire.
66 Bien que prononcée dans un contexte de rapports collectifs du travail, une sentence arbitrale rendue dans l’affaire Sûreté du Québec et Association des policiers provinciaux du Québec, [1991] T.A. 666, p. 670, fait une synthèse fort utile des règles appliquées par les arbitres pour déterminer la légitimité d’une suspension administrative d’un employé accusé d’un acte criminel. À cette occasion, le président Frumkin du Tribunal d’arbitrage reprend les propos d’un arbitre dans la décision Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal et Communauté urbaine de Montréal, [1984] T.A. 668, p. 671, qui affirme, en citant D. J. M. Brown et D. M. Beatty, Canadian Labour Arbitration (2e éd. 1984) :
. . . en évaluant la justesse d’une suspension en attendant le procès, au lieu de rechercher la culpabilité ou l’innocence du salarié accusé, les arbitres vont tenter de déterminer si l’infraction alléguée a des effets sur la relation d’emploi de façon telle que la continuation de celui-ci, en attendant les décisions des autorités compétentes, présenterait des risques sérieux et immédiats suffisants contraires aux intérêts légitimes de l’employeur, qui englobent son intégrité financière, la sécurité et la sûreté de ses propriétés et des autres employés, sa réputation. En soupesant ces divers intérêts, plusieurs arbitres concluent qu’il faut établir que la présence au travail continue de l’employé doit présenter un risque sérieux et immédiat sur les affaires légitimes de l’employeur, [. . .] et qu’il [l’employeur] a pris les mesures nécessaires pour apprécier si le risque de la continuation de l’emploi pourrait être mitigé par une meilleure supervision du salarié ou une affectation à un autre poste.
67 L’employeur a toutefois le fardeau de démontrer le caractère juste et raisonnable d’une décision qui touche de manière fondamentale à l’exécution des prestations prévues au contrat de travail. Aussi, afin d’évaluer le caractère raisonnable d’une suspension dans un cas donné, il faut se placer au moment où la décision a été prise, même si le salarié a été ultérieurement acquitté. (Voir C.U.M. et Fraternité des policiers de la C.U.M., D.T.E. 86T-312 (T.A.).) Toutefois, les faits postérieurs à une décision de l’employeur sont recevables en preuve s’ils sont pertinents et s’ils permettent de déterminer si la décision de l’employeur était fondée au moment où il l’a prise. (Voir Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095.)
68 Nous soulignons que les mesures préventives prises par un employeur de bonne foi dans le but de protéger sa réputation, sa clientèle et l’image du service qu’il gère ou du produit qu’il vend ne compromettent pas la présomption d’innocence d’un employé faisant l’objet d’accusations criminelles. Aussi, de façon générale, l’employeur n’aura pas à mener sa propre enquête ni auprès du salarié ni auprès des autorités publiques compétentes afin de s’assurer du bien-fondé des accusations. Toutefois, il a l’obligation de laisser son employé s’expliquer si ce dernier désire faire des représentations et donner sa version des faits.
C. Le problème de la suspension sans solde
69 Quelques remarques s’imposent au sujet de l’obligation de l’employeur de verser le salaire de l’employé durant la suspension. Comme nous avons conclu que, dans un contexte de rapports individuels d’emploi régis par un contrat civil, la suspension administrative est généralement avec solde, il importe peu que des sentences arbitrales, rendues dans le contexte de rapports collectifs à l’occasion de l’interprétation de conventions collectives à caractère fort variable, aient reconnu le droit de suspension administrative sans traitement dans des circonstances diverses. (Voir Association des pompiers de Sherbrooke et Ville de Sherbrooke, [1989] T.A. 211; C.U.M. et Fraternité des policiers de la C.U.M., précité; voir aussi Re United Automobile Workers, Local 127 and Eaton Springs Canada Ltd. (1969), 21 L.A.C. 50; Re United Steelworkers, Local 3129 & Moffats Ltd. (1956), 6 L.A.C. 327.)
70 D’ailleurs, dans l’affaire Sûreté du Québec, précitée, p. 672, le président Frumkin, du Tribunal d’arbitrage, qualifie d’exceptionnel le pouvoir de suspendre un employé sans traitement en raison du préjudice important que subira l’employé. Toujours dans un contexte de rapports collectifs du travail, on note aussi que plusieurs arbitres ont ordonné le paiement du salaire, en tout ou en partie, à la suite de la réintégration d’un salarié suspendu sans solde. (Voir Pharand et Gatineau (Ville de), D.T.E. 2003T‑943 (C.R.T.); Deux-Montagnes (Ville de) et Fraternité des policiers de Deux‑Montagnes/Sainte-Marthe-sur-le-Lac, [2002] R.J.D.T. 1683 (T.A.); voir aussi Re James Bay Lodge and Construction & General Workers’ Union, Local 602 (1993), 33 L.A.C. (4th) 23; Re Kimberly-Clark of Canada Ltd. and Canadian Paperworkers’ Union, Local 307 (1981), 30 L.A.C. (2d) 316.)
71 Aussi, nous sommes d’avis que, dans de telles situations, il existe une condition implicite de rétablissement de la situation juridique des parties après la cessation de la cause de l’inexécution des fonctions du salarié. Si celle-ci s’est terminée, la situation antérieure doit être rétablie. Par ailleurs, même si un salarié est suspendu avec solde, il est possible que la suspension soit traitée éventuellement comme une résiliation unilatérale du contrat si elle ne se résout pas par la réintégration du salarié. De plus, il se peut que la suspension initiale se transforme en congédiement déguisé ou soit considérée comme tel en raison de sa durée même ou à cause d’une prolongation indéterminée ou excessive. Les tribunaux devront alors examiner la situation à l’aide des principes de droit applicables au congédiement et à la résiliation unilatérale du contrat de travail.
72 Enfin, nous sommes d’avis qu’un salarié qui se voit imposer une suspension administrative sans solde — à laquelle il n’a pas consenti — pourra à juste titre, en général, considérer cette mesure comme un congédiement déguisé. En effet, dans un cas pareil, l’employeur déroge à ses obligations de fournir le travail et de rémunérer le salarié conformément à l’art. 2087 C.c.Q. En application de l’art. 1605 C.c.Q., le salarié pourra constater la rupture du contrat et intenter un recours en dommages‑intérêts sur la base de l’art. 2091 et des principes applicables en la matière en vue de réclamer l’équivalent de l’indemnité de départ à laquelle il avait droit. (Voir Columbia Builders Supplies Co. c. Bartlett, [1967] B.R. 111, p. 119-120; Machtinger c. HOJ Industries Ltd., [1992] 1 R.C.S. 986; Wallace, précité.)
D. La malléabilité du contrat de travail — les aménagements contractuels
73 Cependant, la flexibilité et la malléabilité du contrat individuel de travail comme instrument d’encadrement de la relation d’emploi permettent aux parties de convenir à leur gré de droits et d’obligations additionnels et d’en moduler l’exercice, sous réserve de l’ordre public et des dispositions impératives de la loi. L’employeur est libre de prévoir dans le contrat son pouvoir de suspension et d’en fixer les modalités dans les limites de l’exercice raisonnable de ses droits. Toutefois, ce pouvoir sera interprété strictement à l’encontre de l’employeur, si les circonstances en font un contrat d’adhésion. (Voir art. 1379, 1432, 1435, 1436 et 1437 C.c.Q.)
74 Dans certains cas, il se peut que, dès la formation du contrat, la possibilité d’une éventuelle interruption contractuelle soit sous-entendue en raison de la nature même du travail effectué. Dans certains milieux de travail, il est pratique habituelle d’interrompre provisoirement les prestations réciproques en raison du caractère intermittent ou saisonnier du travail. Cette pratique est d’ailleurs reconnue implicitement au troisième alinéa de l’art. 82 L.N.T. (Voir aussi Internote Canada Inc. c. Commission des normes du travail, [1989] R.J.Q. 2097 (C.A.).) L’interruption du contrat étant connue d’avance des deux parties, il s’agit ici d’une condition implicite du contrat de travail au sens de l’art. 1434 C.c.Q.
75 Les parties peuvent ainsi modifier leurs droits et obligations en cours d’exécution et suppléer de façon consensuelle au contenu du contrat de travail. Prenons l’hypothèse du silence du contrat de travail quant au pouvoir de suspension de l’employeur. Ce dernier désire suspendre temporairement un salarié sans traitement afin d’enquêter sur les actes qui lui sont reprochés — qu’il s’agisse d’accusations criminelles ou d’allégations avancées par des clients ou autres salariés. Le salarié demeure libre d’accepter cette initiative de son employeur aux conditions proposées en raison des circonstances particulières. En effet, il pourra vouloir conserver la possibilité d’être rappelé au travail et les avantages accumulés. Toutefois, il reste aussi libre de refuser cette mesure sans que son refus constitue pour autant une démission. Il pourra choisir alors d’exiger de son employeur le respect des principes applicables à la résiliation unilatérale du contrat de travail.
E. Application des principes en l’espèce
76 Il s’agit ici de déterminer si la suspension sans solde de l’intimé pour deux ans était justifiée dans les circonstances. En application des principes que nous avons exposés, à notre avis la suspension imposée par l’appelante est bien fondée en raison des faits de l’espèce. Par contre, nous sommes d’opinion que l’appelante ne peut justifier son défaut de rémunérer l’intimé durant la suspension.
77 Comme nous l’avons souligné, la décision de suspendre l’intimé a été prise dans le but de sauvegarder l’intérêt de l’entreprise. Le maintien de l’intimé dans ses fonctions risquait de porter une atteinte sérieuse à l’image et à la réputation de l’appelante en raison de l’importance de son poste au sein de l’entreprise. Il se trouvait en contact direct et régulier avec la clientèle de l’entreprise. Il est manifeste que sa réputation personnelle constituait un élément important de la réputation de l’appelante et un élément de la qualité du service à la clientèle. En raison de la nature de l’infraction reprochée à l’intimé et du haut niveau de responsabilité associé aux fonctions de ce dernier, la mesure imposée était nécessaire en l’espèce pour protéger l’image du service offert par l’appelante et pour protéger les clients de l’entreprise. La réputation de l’appelante et l’intégrité de ses relations avec sa clientèle étaient en jeu. Enfin, l’appelante a prouvé ne pouvoir affecter l’intimé à un autre poste jusqu’à l’issue des procédures pénales. Aucune autre mesure intérimaire n’était possible en l’espèce.
78 De façon générale, l’appelante s’est comportée correctement. Toutefois, bien qu’elle n’ait pas l’obligation de faire enquête ou de s’enquérir auprès du ministère public quant au bien-fondé des accusations portées contre l’intimé, il aurait été préférable qu’elle donne à l’intimé l’opportunité de lui présenter sa version des faits.
79 Cela dit, la privation du traitement pose un problème différent. Dans le présent dossier, dans le contexte d’une suspension qui a toujours conservé un caractère administratif, on ne retrouve pas de motif de refuser le paiement du salaire à un employé qui demeure disponible. L’appelante ne pouvait décréter unilatéralement l’arrêt provisoire de l’exécution des prestations corrélatives tout en exigeant du salarié qu’il demeure disponible. L’intimé n’avait pas à subir la suspension de l’exécution de sa prestation de travail imposée par l’appelante et à être aussi privé de sa contrepartie, le salaire. Cette conclusion, parfaitement compatible avec la grande partie de la jurisprudence relative à l’application des conventions collectives par les instances spécialisées en droit du travail, comme nous l’avons vu, découle de la nature des obligations réciproques créées par un contrat individuel de travail régi par le Code civil.
80 Il s’agit ici d’une situation qui aurait pu constituer un cas de renvoi présumé, mais elle fut traitée comme une suspension par les deux parties. En effet, l’intimé ne pouvait valablement considérer sa suspension à titre de congédiement alors qu’il est effectivement retourné travailler pour l’employeur.
VI. Conclusion
81 Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
ANNEXE
Contexte législatif
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64
1605. La résolution ou la résiliation du contrat peut avoir lieu sans poursuite judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit d’exécuter son obligation ou qu’il ne l’a pas exécutée dans le délai fixé par la mise en demeure.
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.
2087. L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.
2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui.
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
2094. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.
Loi sur les normes du travail, L.R.Q., ch. N‑1.1
79.4. À la fin de l’absence pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur doit réintégrer le salarié dans son poste habituel, avec les mêmes avantages, y compris le salaire auquel il aurait eu droit s’il était resté au travail. Si le poste habituel du salarié n’existe plus à son retour, l’employeur doit lui reconnaître tous les droits et privilèges dont il aurait bénéficié au moment de la disparition du poste s’il avait alors été au travail.
Le premier alinéa n’a pas pour effet d’empêcher un employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié si les conséquences de la maladie ou de l’accident ou le caractère répétitif des absences constituent une cause juste et suffisante, selon les circonstances.
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
Cet avis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’un an de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifie de dix ans ou plus de service continu.
L’avis de cessation d’emploi donné à un salarié pendant la période où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dans le cas d’un emploi dont la durée n’excède habituellement pas six mois à chaque année en raison de l’influence des saisons.
Le présent article n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit qui lui est conféré par une autre loi.
83. L’employeur qui ne donne pas l’avis prévu à l’article 82 ou qui donne un avis d’une durée insuffisante doit verser au salarié une indemnité compensatrice équivalente à son salaire habituel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour une période égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire de l’avis auquel il avait droit.
Cette indemnité doit être versée au moment de la cessation d’emploi ou de la mise à pied prévue pour plus de six mois ou à l’expiration d’un délai de six mois d’une mise à pied pour une durée indéterminée ou prévue pour une durée inférieure à six mois mais qui excède ce délai.
L’indemnité du salarié en tout ou en partie rémunéré à commission est établie à partir de la moyenne hebdomadaire de son salaire durant les périodes complètes de paie comprises dans les trois mois précédant sa cessation d’emploi ou sa mise à pied.
122. Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction :
1° à cause de l’exercice par ce salarié d’un droit, autre que celui visé à l’article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d’un règlement;
1.1° en raison d’une enquête effectuée par la Commission dans un établissement de cet employeur;
2° pour le motif que ce salarié a fourni des renseignements à la Commission ou à l’un de ses représentants sur l’application des normes du travail ou qu’il a témoigné dans une poursuite s’y rapportant;
3° pour la raison qu’une saisie‑arrêt a été pratiquée à l’égard du salarié ou peut l’être;
3.1° pour le motif que le salarié est un débiteur alimentaire assujetti à la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires (chapitre P‑2.2);
4° pour la raison qu’une salariée est enceinte;
5° dans le but d’éluder l’application de la présente loi ou d’un règlement;
6° pour le motif que le salarié a refusé de travailler au‑delà de ses heures habituelles de travail parce que sa présence était nécessaire pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, ou en raison de l’état de santé de son conjoint, de son père, de sa mère, d’un frère, d’une sœur ou de l’un de ses grands‑parents, bien qu’il ait pris les moyens raisonnables à sa disposition pour assumer autrement ces obligations.
Un employeur doit, de son propre chef, déplacer une salariée enceinte si les conditions de travail de cette dernière comportent des dangers physiques pour elle ou pour l’enfant à naître. La salariée peut refuser ce déplacement sur présentation d’un certificat médical attestant que ces conditions de travail ne présentent pas les dangers allégués.
123. Un salarié qui croit avoir été victime d’une pratique interdite en vertu de l’article 122 et qui désire faire valoir ses droits doit le faire auprès de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de la pratique dont il se plaint.
Si la plainte est soumise dans ce délai à la Commission des relations du travail, le défaut de l’avoir soumise à la Commission des normes du travail ne peut être opposé au plaignant.
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Beauvais Truchon & Associés, Québec.
Procureurs de l’intimé : Madar Benabou Malamud & Levy, Montréal.
* La juge Arbour a pris part au jugement du 19 mars 2004, mais n’a pas pris part aux présents motifs.