COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Nishi c. Rascal Trucking Ltd. , 2013 CSC 33, [2013] 2 R.C.S. 438
Date : 20130613
Dossier : 34510
Entre :
Edward Sumio Nishi
Appelant
et
Rascal Trucking Ltd.
Intimée
Traduction française officielle
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement :
(par. 1 à 47)
Le juge Rothstein (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Abella, Cromwell, Karakatsanis et Wagner)
Nishi c. Rascal Trucking Ltd., 2013 CSC 33, [2013] 2 R.C.S. 438
Edward Sumio Nishi Appelant
c.
Rascal Trucking Ltd. Intimée
Répertorié : Nishi c. Rascal Trucking Ltd.
2013 CSC 33
N o du greffe : 34510.
2013 : 16 janvier; 2013 : 13 juin.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Fiducies — Fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat — Utilisation par l'appelant des fonds reçus de l'intimée pour acheter une propriété en son propre nom — Fonds représentant une somme d'argent contestée due à un tiers — La fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat doit‑elle être abolie dans les opérations commerciales en faveur des principes de l'enrichissement injustifié? — Un transfert de fonds est‑il fait à titre gratuit s'il constitue l'acquittement d'une obligation légale et morale envers un tiers? — L'auteur du transfert de fonds qui a tenté, sans succès, d'obtenir que le titulaire du titre lui concède un intérêt dans la propriété acquiert‑il dans la propriété un intérêt au prorata de la somme transférée? — La présomption de fiducie résultoire a‑t‑elle été réfutée?
En 1996, Kismet Enterprises Ltd. était propriétaire d'un terrain d'environ deux acres à Nanaimo, en Colombie‑Britannique, qu'elle a loué à Rascal Trucking Ltd. Rascal a commencé à y exploiter une installation de production de terre végétale qui a suscité de nombreuses plaintes de la part des résidents du quartier. Par conséquent, la Ville a adopté des résolutions déclarant que l'installation constituait une nuisance. La Ville a ensuite enlevé la terre et imputé les frais engagés, s'élevant à 110 679,74 $, comme charge grevant la propriété à titre d'arriéré d'impôt. Des dispositions du bail obligeaient Rascal à « exonérer Kismet de toute responsabilité » à l'égard de « tout dommage découlant de ses activités sur la propriété », mais Rascal n'a jamais remboursé à Kismet ou à la Ville les frais engagés pour l'enlèvement de la terre. Kismet est arrivée à la conclusion que, en raison de l'arriéré d'impôt et d'une hypothèque existante consentie à la CIBC, la propriété n'avait plus aucune valeur nette. Elle a donc arrêté de verser les paiements hypothécaires. Au cours des procédures de forclusion qui ont suivi, M. Heringa, le dirigeant de Rascal, a essayé de différentes façons, mais en vain, d'acquérir la propriété. En mai 2001, la propriété a été vendue à M. Nishi pour 237 500 $. Au moment de l'achat, M. Nishi a reçu de Rascal une aide au montant de 110 679,74 $, soit le montant exact de l'arriéré d'impôt. Cherchant à acquérir un intérêt dans la propriété, M. Heringa a envoyé à l'avocat de M. Nishi plusieurs télécopies qui présentaient des offres contenant des modalités différentes, offres que M. Nishi a refusées. Par la suite, M. Heringa a envoyé une télécopie indiquant que la somme d'argent serait avancée « exempte de toute condition ou exigence ». En novembre 2008, Rascal a intenté la présente action en vue d'obtenir un intérêt indivis de 50 pour 100 dans la propriété. Le juge de première instance a rejeté l'action, mais sa décision a été infirmée en appel.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli et la décision du juge de première instance est rétablie.
Il n'y a aucune raison d'écarter la doctrine, établie depuis longtemps, de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat en faveur d'une démarche fondée sur l'enrichissement injustifié. Bien que la souplesse soit certainement souhaitable dans certains domaines du droit, la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat offre une certitude et une prévisibilité du fait qu'elle est fondée sur une règle claire permettant de déterminer qui détient l'intérêt bénéficiaire sur un bien. Au moment de faire un transfert d'un bien à titre gratuit, l'auteur du transfert doit avoir eu l'intention soit de céder l'intérêt bénéficiaire (donation), soit de le garder (fiducie). La fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat est une sorte de fiducie résultoire découlant d'un transfert à titre gratuit qui s'opère lorsqu'une personne avance des fonds en vue de contribuer au prix d'achat d'un bien sans en acquérir le titre. Lorsque la personne qui avance les fonds n'a aucun lien de parenté avec la personne qui acquiert le titre, il faut présumer en droit que les parties voulaient que l'auteur de l'avance des fonds détienne un intérêt bénéficiaire dans le bien au prorata de sa contribution. Cette présomption peut être réfutée si la personne qui a reçu le bien prouve, selon la prépondérance des probabilités, qu'au moment de faire la contribution, la personne qui a avancé les fonds voulait faire une donation à la personne qui a acquis le titre dans ce bien. Pour réfuter la présomption, il faut prouver l'intention de la personne ayant avancé les fonds au moment où l'avance a été consentie , mais des éléments de preuve de l'intention postérieurs à l'avance peuvent être admis dans la mesure où le juge des faits tient dûment compte de la possibilité que l'auteur de l'avance de fonds ait pu changer ses intentions au fil du temps en vue de s'avantager.
Un examen des motifs du juge de première instance considérés dans leur contexte global confirme que selon lui, l'intention de Rascal, au moment de l'avance de fonds, était de contribuer au prix d'achat sans acquérir un intérêt bénéficiaire sur la propriété parce qu'elle reconnaissait avoir imposé des frais à Kismet. Cette intention d'honorer les obligations de Rascal envers Kismet en faisant un paiement à M. Nishi n'est pas incompatible avec la conclusion qu'une donation a été faite. De plus, l'intention déclarée de Rascal était d'avancer des fonds sans aucune condition, et sa contribution à l'hypothèque grevant la propriété équivalait, au cent près, au montant d'arriéré d'impôt (110 679,74 $). Il était loisible au juge de première instance de conclure que la présomption de fiducie résultoire avait été réfutée, et cette conclusion était bien étayée par la preuve.
Jurisprudence
Arrêts appliqués : Kerr c. Baranow , 2011 CSC 10, [2011] 1 R.C.S. 269; Pecore c. Pecore , 2007 CSC 17, [2007] 1 R.C.S. 795; arrêts mentionnés : Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd. , 2000 CSC 13, [2000] 1 R.C.S. 342; R. c. Henry , 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Ontario (Procureur général) c. Fraser , 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; Canada c. Craig , 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489; R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740.
Doctrine et autres documents cités
Oosterhoff on Trusts : Text, Commentary and Materials , 7th ed. by A. H. Oosterhoff et al. Toronto : Carswell, 2009.
Snell's Equity , 32nd ed. by John McGhee. London : Sweet & Maxwell, 2010.
Waters' Law of Trusts in Canada , 4th ed. by Donovan W. M. Waters, Mark R. Gillen and Lionel D. Smith. Toronto : Thomson Carswell, 2012.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Kirkpatrick, Frankel et Smith), 2011 BCCA 348, 21 B.C.L.R. (5th) 330, 309 B.C.A.C. 182, 523 W.A.C. 182, 340 D.L.R. (4th) 284, [2011] B.C.J. No. 1561 (QL), 2011 CarswellBC 2154, qui a infirmé une décision du juge Dley, 2010 BCSC 649, [2010] B.C.J. No. 840 (QL), 2010 CarswellBC 1454. Pourvoi accueilli.
D. Geoffrey G. Cowper , c.r. , et Joel Payne , pour l'appelant.
Craig P. Dennis et Owen J. James , pour l'intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
Le juge Rothstein —
I. Introduction
[1] Une fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat prend naissance lorsqu'une personne avance des fonds pour contribuer à l'achat d'un bien sans en acquérir le titre de propriété. Lorsque la personne qui avance les fonds n'a aucun lien de parenté avec la personne qui acquiert le titre, il faut présumer en droit que les parties voulaient que l'auteur de l'avance des fonds détienne un intérêt bénéficiaire dans le bien au prorata de sa contribution. Il s'agit de la présomption de fiducie résultoire.
[2] La présomption peut être réfutée par une preuve établissant qu'au moment de la contribution, l'auteur de celle-ci voulait faire une donation à la personne ayant acquis le titre. Pour réfuter la présomption, il faut prouver l'intention de la personne ayant avancé les fonds au moment où l'avance a été consentie , mais des éléments de preuve de l'intention postérieurs à l'avance peuvent être admis dans la mesure où le juge des faits tient dûment compte de la possibilité que l'auteur de l'avance de fonds ait pu changer ses intentions au fil du temps en vue de s'avantager.
[3] Edward Sumio Nishi détient le titre en common law sur une propriété. Rascal Trucking Ltd., qui a avancé des fonds pour faciliter l'acquisition de cette propriété, réclame un intérêt bénéficiaire dans ce bien. Le juge de première instance a conclu que la présomption de fiducie résultoire avait été réfutée. Cette conclusion a été infirmée en appel.
[4] M. Nishi demande maintenant à la Cour de rétablir la décision du juge de première instance en remplaçant la doctrine de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat par la doctrine de l'enrichissement injustifié et de conclure que M. Nishi ne s'est pas enrichi injustement. Subsidiairement, M. Nishi affirme que la présomption de fiducie résultoire a été réfutée. Je ne vois aucune raison de substituer la doctrine de l'enrichissement injustifié à celle de la fiducie résultoire, établie de longue date. Je suis plutôt d'avis d'accueillir le pourvoi en m'appuyant sur les conclusions de faits du juge de première instance selon lesquelles aucune fiducie résultoire n'a été créée en l'espèce.
II. Faits
[5] En 1996, Kismet Enterprises Ltd. était propriétaire d'un terrain d'environ deux acres à Nanaimo, en Colombie‑Britannique. En avril 1996, Kismet a loué la propriété à Rascal, qui a commencé à y exploiter une installation de production de terre végétale.
[6] La production de terre végétale par Rascal a suscité de nombreuses plaintes de la part des résidents du quartier. Par conséquent, la ville de Nanaimo (la « Ville ») a adopté des résolutions déclarant que l'installation constituait une nuisance et autorisant la Ville à enlever la terre si Kismet et Rascal ne le faisaient pas. La Ville a ensuite enlevé la terre et imputé les frais engagés, s'élevant à 110 679,74 $, comme charge grevant la propriété à titre d'arriéré d'impôt. Rascal a intenté une action afin de contester le pouvoir de la Ville d'adopter ces résolutions, et notre Cour a tranché en faveur de la Ville en 2000 ( Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd. , 2000 CSC 13, [2000] 1 R.C.S. 342).
[7] Des dispositions du bail obligeaient Rascal à [ traduction ] « exonérer [Kismet] de toute responsabilité » à l'égard de « tout dommage découlant de [ses] activités sur la propriété », mais Rascal n'a jamais remboursé à Kismet ou à la Ville les frais engagés pour l'enlèvement de la terre.
[8] Kismet est arrivée à la conclusion que, en raison de l'arriéré d'impôt et d'une hypothèque existante consentie à la CIBC, la propriété n'avait plus aucune valeur nette. Elle a donc arrêté de verser les paiements hypothécaires et, en décembre 1997, la CIBC a engagé une procédure de forclusion. Pendant cette procédure, Hans Heringa, le dirigeant de Rascal, a essayé de différentes façons d'acquérir la propriété, mais la CIBC a rejeté ou ignoré ses tentatives.
[9] Au terme de la procédure de forclusion, en mai 2001, la propriété a été vendue à M. Nishi pour 237 500 $. Avant de vendre le terrain à M. Nishi, la CIBC a payé l'arriéré d'impôt à la Ville.
[10] Au moment de l'achat, M. Nishi a reçu l'aide de Rascal, qui lui a remis 85 000 $ en espèces et s'est engagée à payer 25 000 $ sur l'emprunt hypothécaire. M. Heringa a agi à titre de garant de l'hypothèque. À la suite de l'acquisition de la propriété, M. Heringa a informé son personnel que la contribution totale à l'emprunt hypothécaire était de 25 679,74 $. Par conséquent, la contribution totale de Rascal à l'acquisition de la propriété s'élevait à 110 679,74 $, soit le montant exact de l'arriéré d'impôt inscrit à l'égard de la propriété en raison des activités de transformation de terre de Rascal.
[11] Concernant cette aide financière, M. Heringa a envoyé à l'avocat de M. Nishi plusieurs télécopies qui présentaient des offres contenant des modalités différentes. Le 25 mai 2001, M. Heringa a offert de contribuer 85 000 $ en espèces et de s'engager à rembourser 25 000 $ sur l'emprunt hypothécaire, en contrepartie d'une deuxième hypothèque visant à garantir l'intérêt de Rascal dans la propriété et de la moitié inférieure de la propriété. Le texte de la télécopie envoyée le 25 mai 2001 est reproduit en partie ci‑dessous :
[ traduction ]
(1) La somme de 85 000 $ peut servir à l'achat de cette propriété au prix de 232 500 $ plus les frais de justice et les frais afférents à l'enregistrement du titre foncier, lequel sera au nom d'Edward Nishi.
(2) La Banque Royale (Colleen Tourout) doit accepter une première hypothèque. Nous prenons un amortissement sur 25 ans, une période de renouvellement de 5 ans et les paiements incluront les impôts. H. Heringa agira à titre de garant.
(3) Rascal Trucking Ltd. sera responsable de payer 25 000 $ au titre de l'hypothèque.
(4) Nous aimerions qu'Edward Nishi signe les documents relatifs à l'enregistrement d'une deuxième hypothèque de 110 000 $, sans intérêt, afin de garantir l'intérêt de Rascal sur le terrain. Cette deuxième hypothèque ne sera pas enregistrée maintenant, mais peut‑être seulement à une date ultérieure, avec le consentement des deux parties.
(5) Il devrait être convenu que Edward Nishi demandera le transfert de la moitié inférieure de la propriété en faveur de Rascal Trucking Ltd., après la conclusion de la vente, et que Rascal entend utiliser, et éventuellement acquérir , la moitié inférieure de la propriété, à partir du milieu de la voie d'accès supérieure, tel qu'indiqué au plan joint. [Souligné dans l'original; d.a., p. 113‑114.]
[12] Rien n'indique que M. Nishi a accepté cette offre.
[13] Le 28 mai 2001, M. Heringa a envoyé une télécopie dans laquelle il modifiait l'offre précédente et indiquait que [ traduction ] « le montant de 85 000 $ doit servir à l'achat, exempt de toute condition ou exigence, et ces directives sont irrévocables » (d.a., p. 117). Il a affirmé que la demande visant l'obtention d'une deuxième hypothèque et le transfert à Rascal de la moitié inférieure de la propriété n'étaient « que des possibilités, pour consultation [et] examen futurs, et c'est tout » ( ibid . (souligné dans l'original)). Le texte de cette deuxième télécopie est reproduit ci‑dessous :
[ traduction ]
(1) Afin d'éviter toute confusion, la première directive est indépendante et le montant de 85 000 $ doit servir à l'achat, exempt de toute condition ou exigence, et ces directives sont irrévocables. La vente doit être conclue au nom d'Edward Nishi. Les points 2 et 3 ne servent qu'à confirmer ce qui doit se passer.
(2) Les autres points (les points 4 et 5) ne sont que des possibilités, pour consultation et examen futurs, et c'est tout .
(3) Cependant, si vous estimez logique une deuxième hypothèque ou quelque autre élément afin de protéger M. Nishi, Kismet et Rascal, à l'avenir, contre des demandes de la Ville ou des accusations de nuisance, etc. Veuillez nous en informer [. . .] Également, Rascal ne veut pas perdre son statut juridique dérogatoire relativement à la production de terre végétale à cet endroit. [Souligné dans l'original; d.a., p. 117.]
[14] En novembre 2008, Rascal a intenté la présente action en vue d'obtenir un intérêt indivis de 50 pour 100 sur la propriété.
[15] Pour des raisons qui deviendront évidentes, il convient de souligner que M. Heringa et Cidalia Plavetic, la dirigeante de Kismet, avaient entretenu une longue relation commerciale et personnelle. Il convient aussi de noter que M me Plavetic et M. Nishi sont des conjoints de fait et habitent sur la propriété depuis 1997.
III. Historique judiciaire
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique
[16] Rascal a fait valoir trois arguments devant le juge de première instance. Tout d'abord, elle a invoqué l'existence d'une entente entre les parties selon laquelle la moitié de la propriété appartiendrait à Rascal. Le juge de première instance a rejeté cet argument, mais a fait remarquer que [ traduction ] « [l]'intention et le désir [de M. Heringa] de s'assurer un intérêt étaient évidents, mais M. Nishi n'y a pas consenti » (2010 BCSC 649 (CanLII), par. 39).
[17] Ensuite, Rascal a soutenu que, puisqu'elle avait contribué au prix d'achat de la propriété sans en acquérir le titre, une fiducie résultoire a pris naissance de sorte que Rascal avait droit à une part de la propriété au prorata de sa contribution au prix d'achat. Le juge de première instance a rejeté cet argument au motif que, même s'il n'était [ traduction ] « pas question d'une donation », M. Nishi avait déclaré qu'il n'y avait aucune intention que Rascal détienne un intérêt dans le terrain (par. 42 et 47). Le juge de première instance a conclu que le paiement devait permettre à Rascal de s'acquitter de la dette qu'elle avait envers Kismet par suite de l'arriéré d'impôt dont Rascal s'est reconnue responsable aux termes de la disposition d'exonération de responsabilité figurant dans le bail conclu avec Kismet. Le juge s'est également fondé sur le fait que le montant de la contribution (110 679,74 $) correspondait à l'arriéré d'impôt attribuable à Rascal.
[18] Enfin, le juge de première instance a rejeté la prétention de Rascal quant à la création d'une fiducie constructoire fondée sur l'enrichissement injustifié et a conclu que la contribution servait simplement à remettre M me Plavetic, M. Nishi et Kismet dans la même situation que si Rascal n'avait jamais causé la nuisance et l'arriéré d'impôt.
B. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique
[19] La Cour d'appel a accueilli l'appel interjeté par Rascal (2011 BCCA 348, 21 B.C.L.R. (5th) 330). Elle a conclu qu'une présomption de fiducie résultoire a pris naissance en raison du transfert à titre gratuit entre des personnes non apparentées. Cette présomption n'a pas été réfutée parce que le juge de première instance était d'avis qu'il n'était [ traduction ] « pas question d'une donation ». Le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la présomption avait été réfutée puisque cette conclusion était fondée sur l'intention de M. Nishi et non sur celle de Rascal. La Cour d'appel a fait remarquer que c'est l'intention de la personne qui avance les fonds, et non celle de la personne qui les reçoit, qui est pertinente. Le juge du procès avait affirmé que « [l]'intention et le désir [de M. Heringa] de s'assurer un intérêt étaient évidents ». Le fait que Rascal avait l'obligation d'indemniser Kismet de l'arriéré d'impôt ne pouvait servir à réfuter la présomption parce que M. Nishi, le bénéficiaire du transfert, n'avait en droit aucun lien avec Kismet.
IV. Analyse
[20] M. Nishi invoque deux moyens d'appel devant notre Cour. Premièrement, il soutient qu'il conviendrait d'abandonner la doctrine de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat en faveur d'une démarche fondée sur l'enrichissement injustifié, et qu'il n'y avait pas eu d'enrichissement injustifié en l'espèce. Subsidiairement, il plaide que si la doctrine de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat doit être retenue, elle ne s'applique pas en l'espèce. Je suis d'avis ne pas retenir le premier moyen d'appel. J'estime qu'il n'y a aucune raison d'écarter la doctrine, établie depuis longtemps, de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat. Cependant, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi de M. Nishi parce que les faits établis par le juge de première instance ne révélaient pas l'existence d'une fiducie résultoire.
A. La doctrine de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat devrait‑elle être abandonnée?
[21] La fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat est une sorte de fiducie résultoire découlant d'un transfert à titre gratuit qui s'opère lorsqu'une personne contribue au prix d'achat d'un bien sans en acquérir le titre. La présomption de fiducie résultoire découlant d'un transfert à titre gratuit prend naissance quand une personne transfère volontairement un bien à une autre personne qui ne lui est pas liée, ou quand elle acquiert un bien au nom d'une autre personne (D. W. M. Waters, M. R. Gillen et L. D. Smith, dir., Waters' Law of Trusts in Canada (4 e éd. 2012), p. 397).
[22] Comme le juge Cromwell l'a signalé dans Kerr c. Baranow , 2011 CSC 10, [2011] 1 R.C.S. 269, par. 12, il est bien « établi en droit, depuis au moins 1788 en Angleterre (et probablement bien avant), qu'une fiducie à l'égard d'un domaine légal au nom de l'acheteur ou d'une autre personne “est créée” au bénéfice de la personne qui fournit le prix d'achat ». Malgré le fait que la Cour ait, ainsi, récemment souscrit à la doctrine de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat, M. Nishi prétend qu'il faudrait abandonner cette doctrine en faveur de celle de l'enrichissement injustifié. La fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat offre une certitude et une prévisibilité. M. Nishi n'a présenté aucun argument qui justifierait que la Cour renverse sa propre jurisprudence dans ce domaine.
[23] La Cour a récemment examiné les circonstances dans lesquelles elle devrait infirmer une décision antérieure ( R. c. Henry , 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Ontario (Procureur général) c. Fraser , 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; Canada c. Craig , 2012 CSC 43, [2012] 2 R.C.S. 489). Il est préférable de ne pas s'écarter des précédents à moins de raisons impérieuses ( Henry , par. 44). La Cour fait preuve de prudence avant d'infirmer des décisions qui expriment l'avis de majorités claires, surtout quand ces décisions sont récentes ( Fraser , par. 57).
[24] En l'espèce, M. Nishi demande à la Cour de s'écarter de Kerr et de Pecore c. Pecore , 2007 CSC 17, [2007] 1 R.C.S. 795, deux pourvois récemment adoptés à l'unanimité ou par une majorité claire. Ces décisions représentent seulement les plus récentes applications d'une doctrine établie depuis longtemps. Rien ne démontre concrètement que la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat soit inapplicable ou qu'elle ait entraîné des résultats inadmissibles ( Fraser , par. 83). M. Nishi n'a pas non plus démontré que le principe de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat ait été « atténué ou ébranlé par d'autres décisions de notre Cour ou d'autres cours d'appel » ( R. c. B. (K.G.) , [1993] 1 R.C.S. 740, p. 778).
[25] M. Nishi propose quatre raisons d'abandonner le principe de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat et, de façon plus générale, la fiducie résultoire découlant d'un transfert à titre gratuit : le chevauchement de la doctrine de l'enrichissement injustifié pour ce qui est de l'objet, le cadre trop restrictif en ce qui concerne les types d'intention qui motivent les opérations, l'absence de souplesse dans les réparations possibles, et une absence générale de souplesse dans l'analyse de ce type de fiducie résultoire par rapport à la souplesse que permet l'analyse de l'enrichissement injustifié.
[26] Selon le premier argument de M. Nishi, puisque la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat constitue essentiellement une réponse à l'enrichissement injustifié, il n'est pas nécessaire de la conserver à titre de doctrine distincte. Même si ce type de fiducie est considéré comme un concept de nature fondamentalement réparatoire, je ne retiendrais pas cet argument. M. Nishi semble avoir invoqué cet argument de manière expéditive et, en l'absence de préjudice, confusion ou autre désavantage, je ne suis pas convaincu que le chevauchement conceptuel justifie l'abandon du principe de la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat. Cela est particulièrement vrai si l'on tient compte du fait que ce type de fiducie est, depuis au moins 1788, un élément de la common law qui offre une certitude et une prévisibilité lorsqu'une personne a fait une avance de fonds à titre gratuit.
[27] Le deuxième argument de M. Nishi — selon lequel les fiducies résultoires découlant des circonstances d'achat prévoient un cadre trop restrictif en ce qui concerne les types d'intentions qui motivent les opérations — doit être rejeté parce qu'il est fondé sur une interprétation trop étroite de la portée des donations en droit. Il est plus approprié de dissiper les craintes de M. Nishi relatives à la façon dont la Cour d'appel a appliqué ce critère aux faits de l'espèce en examinant le sens juridique du mot « donation ». Ainsi que nous le verrons plus en détail, le concept juridique de la donation est assez vaste pour inclure le type d'avance versée en l'espèce. En droit, une donation n'exige pas l'existence d'une intention philanthropique. La dichotomie opposant fiducie et donation, comme la décrit M. Nishi, n'est pas restrictive. Elle reflète plutôt le fait qu'au moment de faire un transfert d'un bien à titre gratuit, l'auteur du transfert devait avoir eu l'intention soit de céder l'intérêt bénéficiaire (donation), soit de le garder (fiducie).
[28] Les troisième et quatrième arguments de M. Nishi peuvent être examinés ensemble. Essentiellement, M. Nishi soutient qu'il vaut mieux appliquer la doctrine de l'enrichissement injustifié parce qu'elle offre de la souplesse pour ce qui est des facteurs dont il faut tenir compte, qu'elle vise généralement à permettre aux parties d'obtenir justice et qu'elle donne ouverture à des mesures correctives plus larges. Cependant, le désir de souplesse ne constitue pas une raison impérieuse de s'écarter de la décision unanime rendue par notre Cour dans Kerr , publié il y a deux ans seulement. Bien que la souplesse soit certainement souhaitable dans certains domaines du droit, la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat offre une certitude et une prévisibilité du fait qu'elle est fondée sur une règle claire permettant de déterminer qui détient l'intérêt bénéficiaire sur un bien. En l'absence d'opinions fortement dissidentes exprimées au sein de notre Cour, de décisions contradictoires rendues par les cours d'appel provinciales ou d'une doctrine défavorable importante qui justifieraient que soit modifié un domaine du droit si bien établi, il n'y a aucune raison d'abandonner la fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat.
B. Est-ce qu'une fiducie résultoire a été créée en faveur de Rascal?
[29] La contribution de Rascal à l'achat de la propriété a été faite sans contrepartie et Rascal et M. Nishi n'étaient pas apparentés. Par conséquent, la présomption légale de fiducie résultoire s'applique ( Pecore , par. 24 et 27). Il en est ainsi parce que, dans de telles circonstances, l'equity présume l'existence d'un marché, et non d'une donation ( Pecore , par. 24). Dans le contexte d'une fiducie résultoire découlant des circonstances d'achat, il est présumé que la personne qui a avancé le prix d'achat du bien avait l'intention d'acquérir l'intérêt bénéficiaire sur ce bien au prorata de sa contribution (voir Waters' Law of Trusts in Canada , p. 401).
[30] La présomption de fiducie résultoire peut toutefois être réfutée si la personne qui a reçu le bien prouve, selon la prépondérance des probabilités, que la personne qui a avancé les fonds voulait faire une donation ( Pecore , par. 24 et 44). L'intention pertinente est celle de la personne qui a avancé les fonds au moment où elle l'a fait ( Pecore , par. 59). Par conséquent, pour réfuter la présomption en l'espèce, M. Nishi doit prouver que Rascal avait l'intention de faire une donation au moment où elle a fait une contribution au prix d'achat, en mai 2001.
[31] À mon avis, le juge de première instance a eu raison de conclure que la présomption a été réfutée en l'espèce. Sur la télécopie datée du 28 mai 2001, M. Heringa a indiqué que la contribution au prix d'achat et son intention de payer 25 000 $ de l'emprunt hypothécaire étaient [ traduction ] « exempt[s] de toute condition ou exigence, et ces directives sont irrévocables » (d.a., p. 117). Comme il en sera question plus loin, une contribution au prix d'achat faite sans aucune intention d'imposer des conditions ou des exigences constitue une donation en droit. M. Heringa a plaidé qu'il y avait soit une entente selon laquelle une partie du terrain devait lui être transférée, soit une intention qu'il détienne un intérêt bénéficiaire, mais le juge de première instance a privilégié le témoignage de M. Nishi (par. 40).
[32] La Cour d'appel a conclu que les conclusions du juge de première instance selon lesquelles (1) il n'était pas question d'une donation, et (2) l'intention de M. Heringa d'obtenir un intérêt sur la propriété était évidente, signifiaient que la présomption de fiducie résultoire n'avait pas été réfutée. J'estime que la Cour d'appel a fait erreur en tirant ces conclusions des motifs du juge de première instance en ce qui concerne ces deux questions clés.
(1) Le sens de « donation »
[33] Le juge de première instance a conclu qu'il n'était [ traduction ] « pas question d'une donation » (par. 42). Selon la Cour d'appel, cela signifiait que la présomption de fiducie résultoire n'avait donc pas été réfutée puisque, pour la réfuter, M. Nishi devait prouver que la contribution était une donation. À mon humble avis, la Cour d'appel a commis une erreur en examinant cette déclaration en vase clos et en la considérant comme concluante quant au raisonnement du juge de première instance.
[34] Dans ses motifs, tout de suite après avoir affirmé qu'il n'était [ traduction ] « pas question d'une donation », le juge de première instance affirme que « [l]a présomption de fiducie résultoire peut être réfutée si le détenteur du titre démontre que le paiement ne visait pas à créer un intérêt bénéficiaire » (par. 42). Cela démontre que le juge comprenait que le critère applicable à la réfutation de la présomption était fondé sur l'absence de l'intention de créer un intérêt bénéficiaire pour l'auteur du transfert. Le juge de première instance n'aurait pas eu besoin de poursuivre son analyse après avoir affirmé qu'il n'était pas question d'une donation s'il n'avait pas été d'avis que le critère applicable pour déterminer si la présomption de fiducie résultoire n'avait pas été réfutée consistait à savoir si l'auteur du transfert avait l'intention d'acquérir un intérêt bénéficiaire.
[35] Le juge de première instance a conclu que M. Nishi s'était acquitté du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption de fiducie résultoire. Par cette conclusion, ses motifs donnent à croire qu'il a établi une distinction entre une donation et l'absence d'une intention de l'auteur du transfert de détenir un intérêt bénéficiaire après le transfert. Même s'il a fait cette distinction, sa conclusion selon laquelle il n'existait aucune intention de créer pour Rascal un intérêt bénéficiaire sur la propriété revient à dire, en droit, qu'il y avait une intention de faire une donation à M. Nishi. Le juge de première instance a commis une erreur en établissant une distinction entre une donation et l'intention de créer un intérêt bénéficiaire pour la personne qui reçoit les fonds, mais cette erreur était sans conséquence.
[36] En effet, l'erreur du juge de première instance peut fort bien s'expliquer par les sources doctrinales vu que c ertains auteurs ont formulé le critère applicable à la réfutation de la présomption de fiducie résultoire en des termes relatifs à l'intention de ne pas détenir un intérêt bénéficiaire sur le bien. Par exemple, dans Snell's Equity , le type de preuve requis pour réfuter la présomption est décrit comme étant [ traduction ] « tout élément de preuve qui tend à indiquer que l'intention de A était que B détienne l'intérêt bénéficiaire sur le bien acquis avec l'argent de A » (J. McGhee, dir., Snell's Equity (32 e éd. 2010), par. 25‑012). De même, dans Oosterhoff on Trusts , la présomption de fiducie résultoire est décrite comme [ traduction ] « une présomption selon laquelle le donateur apparent n'avait pas l'intention de donner la propriété bénéficiaire du bien au destinataire » (A. H. Oosterhoff et autres, dir., Oosterhoff on Trusts : Text, Commentary and Materials (7 e éd. 2009), p. 640).
[37] À mon avis, ces énoncés ne sont qu'une autre façon d'indiquer si l'intention de l'auteur du transfert était de faire une donation. Il n'existe pas une autre catégorie d'intention qui permette de réfuter la présomption. Dans les pourvois Pecore et Kerr , la Cour n'a pas reconnu une catégorie d'intention différente, autre que l'intention de faire une donation, qui permettrait de réfuter la présomption. Cela correspond à ce que d'autres auteurs ont écrit, notamment dans Waters' Law of Trusts in Canada , où il est indiqué que la preuve nécessaire à la réfutation de la présomption est l'intention [ traduction ] « de donner le bien » (p. 401; voir aussi p. 406 et 409). Au Canada, il ressort de la jurisprudence qu'il n'y a aucune différence entre l'intention de faire une donation et l'intention que l'auteur du transfert ne détienne pas l'intérêt bénéficiaire. Autrement dit, dans le cas d'un transfert à titre gratuit, il y a une donation en droit quand la preuve démontre que, au moment du transfert, l'auteur voulait que le destinataire détienne l'intérêt bénéficiaire sur le bien acquis.
[38] Un examen des motifs du juge de première instance considérés dans leur contexte global confirme que selon lui, l'intention de Rascal, au moment de l'avance de fonds, était de faire une donation — c.‑à‑d. contribuer au prix d'achat sans acquérir un intérêt bénéficiaire sur la propriété. Le juge de première instance a conclu que la contribution de Rascal au prix d'achat était attribuable au fait qu'elle reconnaissait avoir imposé des frais à Kismet, l'entreprise qui appartenait à M me Plavetic, l'amie de M. Heringa. Comme je l'expliquerai plus loin, cette intention d'honorer les obligations de Rascal envers Kismet en faisant un paiement à M. Nishi n'est pas incompatible avec la conclusion qu'une donation a été faite. De plus, comme il ressort clairement de la télécopie du 28 mai 2001, l'intention déclarée de Rascal était d'avancer des fonds, sans aucune condition comme l'obtention d'un intérêt bénéficiaire sur une partie du terrain.
[39] Le propos du juge de première instance selon lequel il n'était [ traduction ] « pas question d'une donation » a été tenu alors qu'il examinait le point de vue de M. Nishi et de M me Plavetic sur le but du paiement :
[ traduction ] En l'espèce, il n'est pas question d'une donation. Ni M. Nishi ni M me Plavetic n'ont considéré la contribution de la demanderesse comme une donation. [par. 42]
M. Nishi et M me Plavetic ne considéraient pas le paiement comme une donation parce que, comme le juge de première instance l'a ensuite expliqué, Rascal s'était reconnue responsable d'une dette envers Kismet relativement à l'arriéré d'impôt découlant de ses activités de production de terre végétale. Cependant, il n'était pas logique pour Rascal de faire ce paiement directement à Kismet puisque cette dernière était assujettie à d'autres obligations et était essentiellement dissoute. Si Rascal avait fait le paiement à Kismet, elle n'aurait pas aidé les amis de M. Heringa à obtenir le titre de propriété. Par conséquent, la contribution au prix d'achat permettait à Rascal de respecter son engagement moral d'une façon qui avantageait réellement les amis de M. Heringa. Ainsi, il y avait toujours la possibilité qu'ils puissent éventuellement consentir à une deuxième hypothèque ou à un transfert d'une partie de la propriété à Rascal.
[40] De fait, lorsque M. Heringa a donné ses instructions à son personnel à propos du versement de sa contribution à l'hypothèque, il a mentionné le montant d'arriéré d'impôt (110 679,74 $) au cent près. Il faut nécessairement en déduire que M. Heringa considérait que les paiements étaient liés à cette obligation morale. Si M. Heringa entendait, à ce moment‑là, que Rascal acquière un intérêt bénéficiaire sur la propriété, l'obligation morale n'aurait pas été respectée puisque Rascal aurait utilisé le paiement pour obtenir un intérêt correspondant sur le terrain et non pour s'acquitter de son obligation morale. Autrement dit, pour les parties, un paiement ne peut être utilisé à la fois pour s'acquitter de l'obligation morale et pour obtenir un intérêt bénéficiaire sur le terrain. Les deux intentions sont incompatibles.
(2) Preuve de l'intention de Rascal
[41] Les éléments de preuve postérieurs au transfert à titre gratuit peuvent être admissibles pour montrer la véritable intention de l'auteur du transfert ( Pecore , par. 59). Toutefois, c'est l'intention de l'auteur du transfert au moment du transfert qui est déterminante. La difficulté que posent les éléments de preuve postérieurs au transfert est qu'ils peuvent être intéressés ou qu'ils peuvent résulter d'un changement d'intention de la part de l'auteur du transfert ( Pecore , par. 59).
[42] Dans ses motifs, le juge de première instance a fait deux remarques au sujet de l'intention de Rascal. En examinant la question de savoir si Rascal et M. Nishi avaient convenu qu'une partie de la propriété serait cédée à Rascal, le juge a déclaré que [ traduction ] « [l]'intention et le désir [de M. Heringa] de s'assurer un intérêt étaient évidents, mais M. Nishi n'y a pas consenti » (par. 39). Plus loin dans ses motifs, le juge a affirmé qu'il avait « expressément accepté le témoignage de M. Nishi selon lequel il n'y avait aucune intention d'accorder à Rascal un intérêt dans le terrain » (par. 47). À mon avis, aucune de ces affirmations n'est incompatible avec la conclusion du juge de première instance selon laquelle la présomption de fiducie résultoire a été réfutée.
[43] La première affirmation du juge de première instance a été faite lorsqu'il a examiné la question de savoir si M. Heringa et M. Nishi avaient conclu un contrat aux termes duquel un intérêt dans le terrain devait être cédé à M. Heringa. Le juge a affirmé ce qui suit :
[ traduction ] L'intention et le désir [de M. Heringa] de s'assurer un intérêt étaient évidents, mais M. Nishi n'y a pas consenti . Par conséquent, je conclus qu' il n'y avait aucune entente suivant laquelle M. Heringa devait se voir accorder un intérêt dans le terrain ou un titre de propriété de celui‑ci. [Je souligne; par. 39.]
Il ressort clairement de la télécopie du 25 mai 2001 — dans laquelle il demandait la conclusion d'une entente prévoyant la cession et le transfert à Rascal de la moitié inférieure du terrain — que M. Heringa désirait conclure une entente suivant laquelle la moitié de la propriété lui serait cédée. Cependant, M. Heringa a retiré cette demande dans la télécopie envoyée le 28 mai 2001 lorsqu'il a déclaré que le soutien financier était exempt de toute condition ou exigence.
[44] Rascal a plaidé devant la Cour que la conclusion du juge de première instance selon laquelle [ traduction ] « [l]'intention et le désir [de M. Heringa] de s'assurer un intérêt étaient évidents » constitue une conclusion de fait sur l'intention de Rascal de détenir un intérêt bénéficiaire sur la propriété en contrepartie de l'avance de fonds. Les conclusions du juge de première instance en ce qui concerne l'intention et le désir de conclure un contrat ne devraient toutefois pas être appliquées à la question de la fiducie résultoire puisque le juge a choisi de ne pas le faire. De toute évidence, le juge de première instance n'a pas considéré sa conclusion relative à l'intention de conclure un contrat comme étant déterminante de l'intention pour les besoins de l'analyse de la fiducie résultoire. M. Heringa a retiré cette demande dans la télécopie du 28 mai 2001 en déclarant que le soutien financier était exempt de toute condition ou exigence. Il était loisible au juge d'organiser ses conclusions de fait de cette manière.
[45] Concernant la deuxième affirmation du juge de première instance — selon laquelle il [ traduction ] « avait accepté le témoignage de M. Nishi selon lequel il n'y avait aucune intention d'accorder à Rascal un intérêt dans le terrain » — le juge de première instance ne faisait pas seulement référence au témoignage de M. Nishi établissant sa propre intention à ce moment‑là, mais aussi au témoignage de M. Nishi au sujet de l'intention de M. Heringa et de Rascal à ce moment‑là. C'est ce qui découle de son analyse du fait que Rascal se reconnaissait responsable de la dette (par. 45 et 47).
[46] Au procès, Rascal a soutenu qu'au moment de faire la contribution au prix d'achat, M. Heringa et elle souhaitaient qu'elle conserve l'intérêt bénéficiaire au prorata de sa contribution. Le juge de première instance a essentiellement conclu qu'il ne pouvait s'appuyer sur le témoignage de M. Heringa quant à l'intention de Rascal au moment du transfert. Suivant la mise en garde formulée par la Cour dans Pecore , cette conclusion illustre parfaitement la raison pour laquelle les éléments de preuve postérieurs au fait devraient être examinés avec scepticisme, parce qu'ils démontrent souvent un changement d'intention et non l'intention au moment de l'avance de fonds. Il était loisible au juge de première instance d'arriver à cette conclusion, laquelle était bien étayée par la preuve, surtout la télécopie de M. Heringa datée du 28 mai 2001. La décision du juge de première instance n'est pas erronée et doit être rétablie.
V. Dispositif
[47] La conclusion du juge de première instance selon laquelle la présomption de fiducie résultoire avait été réfutée est bien fondée. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir la décision du juge de première instance avec dépens en faveur de M. Nishi devant toutes les cours.
Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours.
Procureurs de l'appelant : Fasken Martineau DuMoulin, Vancouver.
Procureurs de l'intimée : Dentons Canada, Vancouver.