COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Québec (Procureur général) c. Canada, 2011 CSC 11, [2011] 1 R.C.S. 368
Date : 20110303
Dossier : 33524
Entre :
Procureur général du Québec
Appelant
et
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
Intimée
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement :
(par. 1 à 49)
Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell)
Québec (Procureur général) c. Canada, 2011 CSC 11, [2011] 1 R.C.S. 368
Procureur général du Québec Appelant
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada Intimée
Répertorié : Québec (Procureur général) c. Canada
No du greffe : 33524.
2010 : 14 octobre; 2011 : 3 mars.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel fédérale
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale (les juges Létourneau, Nadon et Pelletier), 2009 CAF 361, 400 N.R. 323, [2009] A.C.F. no 1580 (QL), 2009 CarswellNat 4265, qui a confirmé une décision du juge de Montigny, 2008 CF 713, 359 F.T.R. 1, [2008] A.C.F. no 896 (QL), 2008 CarswellNat 1700. Pourvoi rejeté.
Dominique Rousseau et Mélanie Paradis, pour l’appelant.
René LeBlanc et Bernard Letarte, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction [1] Dans ce pourvoi formé de plein droit par le procureur général du Québec en vertu de l’art. 35.1 de la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, la Cour doit se prononcer sur l’obligation du gouvernement fédéral de partager, en vertu du Régime d’assistance publique du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-1 (« RAPC »), abrogé par la Loi d’exécution du budget 1995, L.C. 1995, ch. 17, art. 31-32, les coûts de certains services sociaux dispensés au Québec entre 1973 et 1996. Le litige met en cause deux catégories de services spécifiques : les services sociaux dispensés en milieu scolaire (« SSMS ») entre 1973 et 1996, ainsi que les services de soutien offerts aux personnes handicapées vivant en ressources résidentielles (« SSPH ») entre 1986 et 1996. Un troisième volet, relatif aux coûts des services correctionnels pour les jeunes délinquants, a été abandonné par l’appelant après le jugement de première instance.
[2] Le procureur général du Québec conteste le refus du gouvernement fédéral de partager les coûts de ces deux catégories de services aux termes du RAPC. En réponse, le gouvernement fédéral soutient que les SSMS ne sont pas des services visés par le RAPC et que les coûts des SSPH sont partagés depuis 1977 en vertu d’une autre loi fédérale. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale lui ont donné raison et ont rejeté la réclamation présentée par le procureur général du Québec.
[3] Pour les motifs qui suivent, je propose de rejeter le pourvoi avec dépens.
II. Origine du litige [4] Pour bien comprendre l’origine du présent litige, il convient de rappeler le rôle joué par le gouvernement fédéral dans le développement des politiques sociales au Canada au 20e siècle. Traditionnellement et pendant longtemps, ce rôle est demeuré fort limité. D’ailleurs, on sait que les programmes de sécurité sociale, fédéraux et provinciaux, ont connu un développement lent et tardif jusqu’à la Grande Dépression de 1929 et la Deuxième Guerre mondiale. Avant cette époque, le gouvernement fédéral se retranchait généralement derrière le partage constitutionnel des compétences pour laisser aux provinces le soin d’offrir et surtout de financer les services sociaux à la population.
[5] La situation a cependant changé à partir des années 30. Devant les pressions insistantes de secteurs divers de la société canadienne en faveur d’interventions étatiques dans le domaine social et en raison de sa situation fiscale après la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral a accepté de jouer un rôle accru dans le financement des programmes sociaux destinés à la population canadienne. Cet accroissement de la participation du gouvernement fédéral dans le développement des politiques sociales s’est traduit par une intervention à double volet.
[6] D’une part, le gouvernement fédéral a joué un rôle clé dans la création d’un certain nombre de programmes de sécurité du revenu orientés vers des clientèles particulières. Pour ce faire, il a dû s’entendre avec les provinces pour modifier la Constitution de façon à permettre au Parlement de légiférer en matière d’assurance-chômage et de pensions de vieillesse (Loi constitutionnelle de 1940 (R.-U.), 3 & 4 Geo. VI, ch. 36, art. 1, ajoutant l’art. 91(2A); Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1951 (R.-U.), 14 & 15 Geo. VI, ch. 32, art. 1, ajoutant l’art. 94A, ensuite modifié par la Loi constitutionnelle de 1964 (R.-U.), 12 & 13 Eliz. II, ch. 73, art. 1; voir Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général), 2008 CSC 68, [2008] 3 R.C.S. 511; Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance-emploi (Can.), art. 22 et 23, 2005 CSC 56, [2005] 2 R.C.S. 669). Ces modifications constitutionnelles mettaient en œuvre l’une des recommandations de la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces, mieux connue sous le nom de Commission Rowell-Sirois. Au nombre des programmes universels de sécurité du revenu mis sur pied par le gouvernement fédéral figurent ceux relatifs à l’assurance-chômage, aux allocations familiales ainsi qu’à la sécurité de la vieillesse. Ce dernier programme a été ultérieurement complété par le programme relatif au supplément de revenu garanti prévoyant des allocations additionnelles aux personnes âgées dont le revenu se situe en deçà du minimum prévu.
[7] D’autre part, le gouvernement fédéral est intervenu de façon tout autant ciblée dans le champ de l’assistance sociale. Puisqu’il reconnaissait toujours que la responsabilité de la mise sur pied des programmes sociaux incombait d’abord et avant tout aux provinces et estimait que le besoin de mesures d’assistance sociale diminuerait à mesure que les programmes de sécurité du revenu prendraient de l’ampleur, le gouvernement fédéral a choisi de structurer son intervention dans ce domaine autour de certaines des clientèles les plus vulnérables de la société. Il a alors décidé de participer à l’établissement de programmes destinés à des clientèles particulières et non de créer un régime national et universel de sécurité sociale. Dans cette optique, le gouvernement fédéral a notamment adopté la Loi sur les aveugles, S.R.C. 1952, ch. 17, et la Loi sur les invalides, S.C. 1953-54, ch. 55.
[8] Ainsi, l’adoption d’objectifs particuliers pour ses interventions a caractérisé le rôle joué par le gouvernement fédéral dans le développement des politiques sociales au Canada au cours de l’après-guerre. Chacune de ses interventions s’adressait à une clientèle particulière, comme les personnes âgées, les chômeurs, les familles, les aveugles ou les invalides. Le RAPC a été adopté dans cette logique.
[9] Le RAPC (titre abrégé de la Loi autorisant le Canada à contribuer aux frais des régimes visant à fournir une assistance publique et des services de protection sociale aux personnes nécessiteuses et à leur égard) a été adopté en 1966 et les paiements sous ce régime ont été supprimés à partir de 1996 par la Loi d’exécution du budget 1995, qui a en même temps introduit le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Depuis ce changement de régime, le gouvernement fédéral contribue aux coûts des programmes sociaux mis en place par les provinces sous forme de subventions versées per capita.
[10] Dès sa création, le RAPC s’inscrivait dans le plan de lutte du gouvernement fédéral contre la pauvreté. La méthode d’intervention qu’il adoptait correspondait à celle des programmes fédéraux d’assistance sélective déjà en vigueur qui s’adressaient à des clientèles spécifiques. Le RAPC ne s’inspirait pas du modèle des régimes sociaux universels qui ont commencé à apparaître dans les années 60 — comme celui qu’encadrait la législation fédérale connue maintenant comme la Loi canadienne sur la santé, L.R.C. 1985, ch. C-6, établi en 1966 à l’échelle du pays. Il était plutôt destiné à réaliser les promesses du gouvernement fédéral à l’égard des groupes les plus vulnérables de la société canadienne.
[11] Essentiellement, le RAPC était un régime de partage des coûts des services destinés à fournir un filet social de dernier recours. Il se présentait comme un instrument sélectif et résiduel de lutte à la pauvreté, créé pour protéger des catégories de personnes placées dans une situation financière particulièrement précaire. En effet, selon les termes mêmes du RAPC, il ne visait qu’à partager les coûts des services provinciaux s’adressant aux « personnes nécessiteuses » et aux personnes susceptibles de le devenir en l’absence de tels services sociaux. Le libellé du préambule du RAPC confirmait le caractère spécifique de la forme de lutte contre la pauvreté choisie par le Parlement fédéral :
Considérant que le Parlement du Canada, reconnaissant que l’instauration de mesures convenables d’assistance publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et l’élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l’assistance publique intéressent tous les Canadiens, désire encourager l’amélioration et l’élargissement des régimes d’assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada en partageant dans une plus large mesure avec les provinces les frais de ces programmes . . .
[12] En vertu de l’art. 4 du RAPC, le gouvernement fédéral et ceux des provinces pouvaient conclure un accord sur le partage des coûts de certains programmes d’« assistance publique » et des « services de protection sociale fournis dans la province » :
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, conclure avec toute province un accord prévoyant le paiement, par le Canada à la province, de contributions aux frais encourus par la province et des municipalités de la province, au titre :
a) de l’assistance publique fournie, en conformité avec la législation provinciale, par des organismes approuvés par la province ou à la demande de ceux-ci;
b) des services de protection sociale fournis, en conformité avec la législation provinciale, dans la province par des organismes approuvés par la province.
À l’instar des autres provinces canadiennes, le Québec a signé un accord de cette nature avec le gouvernement fédéral en 1967.
[13] Au cours de la période d’application du RAPC, le gouvernement fédéral a versé environ 98 milliards de dollars aux provinces canadiennes, dont près de 34 milliards de dollars au Québec à titre de contribution financière aux services visés par l’une ou l’autre des catégories mentionnées à l’art. 4 du RAPC. En l’espèce, le litige provient du refus du gouvernement fédéral de considérer les coûts des SSMS et des SSPH comme admissibles au partage en vertu du RAPC. Le Québec estime à au moins 285 millions de dollars la contribution dont il affirme avoir été privé en raison de l’interprétation donnée par le gouvernement fédéral à la portée du RAPC.
[14] En premier lieu, le gouvernement fédéral a refusé de partager les coûts des SSMS, c’est-à-dire des services dispensés par des travailleurs sociaux dans les écoles du Québec, au motif que ceux-ci constituaient des services à vocation universelle qui s’adressaient à une clientèle débordant largement celle visée par le RAPC. Alors que le RAPC ciblait les mineurs que l’on peut regrouper sous le vocable de « jeunes en besoin de protection », d’après le gouvernement fédéral, les SSMS s’adressent à tout élève sans égard au milieu socio-économique dont il provient. En outre, le gouvernement fédéral justifie son refus de partager les coûts des SSMS par le fait que ces services visent essentiellement à appuyer la mission éducative de l’école. À ses yeux, le rôle des SSMS correspond alors mal à l’objectif de lutte contre la pauvreté poursuivi par le RAPC et les SSMS sont, au surplus, expressément exclus du partage en vertu du RAPC par l’exception relative aux services d’enseignement contenue à l’art. 2 du RAPC.
[15] Le procureur général du Québec conteste cette interprétation. À son avis, les SSMS constituent des « services de protection sociale » au sens de l’art. 2 du RAPC. Puisqu’ils s’adressent majoritairement à une clientèle défavorisée, le Québec soutient que les SSMS luttent contre la pauvreté de façon préventive. En ce sens, ils n’ont pas comme principal objet de supporter la mission éducative de l’école. À ce chapitre, le procureur général du Québec insiste sur l’effet de la réorganisation administrative effectuée au Québec au début des années 70, à l’occasion de laquelle la gestion des SSMS a été confiée au ministère des Affaires sociales (actuel ministère de la Santé et des Services sociaux). Jusqu’à cette date, la gestion des SSMS incombait au réseau de l’éducation. Aux yeux de l’appelant, cette réorganisation a profondément transformé la nature des services dispensés dans les écoles : depuis ce moment, c’est l’enfant, plutôt que l’élève, qui devient le sujet d’attention des travailleurs sociaux. Dans ce nouveau cadre d’opération, l’école ne représente qu’un point de convergence des élèves facilitant l’intervention des travailleurs sociaux.
[16] En second lieu, le gouvernement fédéral refuse, depuis le 1er avril 1977, de partager les coûts des SSPH au motif qu’il y contribue déjà en vertu de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis, L.C. 1976-77, ch. 10 (« Loi de 1977 sur les accords fiscaux »). Contrairement aux services dispensés dans des ressources résidentielles dont la clientèle requiert un encadrement ponctuel, les SSPH offerts dans des ressources résidentielles dont la clientèle requiert une assistance continue seraient des « soins en établissement pour adultes » au sens du par. 27(8) de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux et de l’al. 24(2)b) du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis, DORS/78-587 (« Règlement de 1977 sur les accords fiscaux »). Par conséquent, le gouvernement fédéral plaide que les SSPH tombent sous le coup de l’exception résiduelle prévue à l’al. 5(2)c) du RAPC, qui exclut du partage en vertu du RAPC les frais des services qu’il est tenu de partager avec les provinces en application de toute autre loi fédérale. Toutefois, je souligne que les coûts des services offerts dans les ressources résidentielles dont la clientèle ne requiert pas une assistance continue ont été partagés en vertu du RAPC jusqu’à la cessation graduelle des paiements sous ce régime entre 1996 et 2000.
[17] Le procureur général du Québec conteste que les services dispensés dans des ressources résidentielles dont la clientèle requiert une assistance continue constituent des « soins en établissement pour adultes ». À la lumière du processus de désinstitutionalisation qui s’est opéré au Québec à partir des années 60, le procureur général du Québec soutient que les SSPH doivent être considérés comme des soins dispensés au « domicile » des usagers plutôt qu’au sein d’un « établissement pour adultes ». Il souligne d’ailleurs que cette réalité se traduit par le fait que ceux-ci assument leurs frais d’hébergement et d’alimentation et signent parfois eux-mêmes les baux de leur logement.
[18] Le conflit entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral au sujet du partage des coûts de ces programmes n’a jamais trouvé de solution politique. Devant l’impasse, le procureur général du Québec a intenté, le 23 décembre 1996, un recours en jugement déclaratoire devant la Cour fédérale en vue de faire reconnaître l’obligation du gouvernement fédéral de rembourser au Québec la moitié des coûts des SSMS pour la période 1973-1996 et des SSPH pour la période 1986-1996. Initialement, la réclamation du Québec incluait également un volet relatif aux services dispensés aux jeunes délinquants pour la période 1979-1984, qui a été abandonné comme je l’ai noté plus haut.
III. Historique judiciaire A. Cour fédérale, 2008 CF 713 (CanLII) (le juge de Montigny) [19] La Cour fédérale a rejeté complètement la réclamation du Québec. D’abord, le juge de Montigny a conclu que les coûts des SSMS n’étaient pas partageables en vertu du RAPC. À son avis, les SSMS ne constituent pas des « services de protection sociale » au sens de l’art. 2 du RAPC puisqu’ils « n’ont rien à voir avec [la] lutte à la pauvreté du RAPC » (par. 323). Ils sont plutôt des services sociaux qui s’adressent à une clientèle universelle, en l’occurrence les élèves québécois, et qui contribuent à la mission éducative de l’école en faisant des problèmes liés à la fréquentation et à la réussite scolaires le moteur de l’intervention des travailleurs sociaux.
[20] Même si les SSMS avaient pu être considérés comme des « services de protection sociale », le juge de Montigny aurait refusé le partage réclamé par le Québec en vertu du RAPC, puisqu’ils étaient compris dans l’exception relative aux « services qui concernent uniquement ou principalement l’enseignement » à l’art. 2 du RAPC. Le premier juge a rejeté l’interprétation proposée par le procureur général du Québec, qui suggérait de réduire la signification du mot « enseignement » à la simple transmission de connaissances. Au terme d’une analyse croisée des versions anglaise et française du RAPC, il a plutôt conclu que le législateur avait opté pour une conception ouverte de l’enseignement englobant à la fois l’apprentissage scolaire traditionnel et le développement complet de l’enfant (par. 328).
[21] Ensuite, le juge de Montigny a conclu que les SSPH étaient des « soins en établissement pour adultes » au sens de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux et du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux et qu’ils étaient déjà subventionnés sous le régime de cette loi. Tout en reconnaissant que le processus de désinstitutionalisation avait changé le visage des soins dispensés aux personnes souffrant d’un handicap, il s’est dit d’avis que l’intensité des services offerts aux usagers des ressources résidentielles à assistance continue était demeurée sensiblement la même qu’à l’époque où les patients étaient placés en institution. À ses yeux, la notion d’intensité des services offerts était inhérente et implicite dans celle de soins en « établissement ». Par conséquent, il s’est appuyé sur la nature résiduelle du RAPC, consacrée par l’al. 5(2)c), pour refuser d’imposer au gouvernement fédéral le partage des coûts des SSPH dont la clientèle requiert une assistance continue.
B. Cour d’appel fédérale, 2009 CAF 361, 400 N.R. 323 (les juges Létourneau, Nadon et Pelletier) [22] La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel du procureur général du Québec. Dans un premier temps, le juge Létourneau a conclu que l’analyse du juge de première instance à l’égard des SSMS ne prêtait le flanc à aucune critique. Il a plutôt confirmé son accord avec la conclusion que ces services n’avaient pas pour objet de lutter contre la pauvreté. Bien qu’il ait reconnu que le RAPC permettait de financer des programmes sociaux visant à lutter contre la pauvreté de façon préventive, il a conclu que la mise en place de tels programmes devait être justifiée par une « réelle et non une hypothétique proximité des besoins » (par. 24). À son avis, c’est donc à bon droit que le juge de première instance a refusé de considérer les SSMS comme admissibles au partage en vertu du RAPC à titre de « services de protection sociale ».
[23] Dans un second temps, le juge Létourneau a disposé de l’admissibilité des SSPH au partage en vertu du RAPC de façon expéditive. Il s’est contenté d’affirmer que le jugement de première instance n’était entaché d’aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour d’appel fédérale sur ce point.
IV. Analyse [24] Ce pourvoi soulève des questions d’interprétation législative dont la complexité est attribuable au nombre et à la technicité des dispositions législatives régissant les transferts fédéraux aux provinces en matière de services sociaux. Essentiellement, la Cour doit déterminer si les SSMS et les SSPH sont admissibles au partage en vertu du RAPC. Dans le premier cas, la question fondamentale consiste à examiner si les SSMS sont des « services de protection sociale fournis dans la province » au sens de l’art. 2 du RAPC. Dans l’affirmative, il s’agira ensuite de déterminer si les SSMS sont néanmoins exclus du partage en vertu du RAPC par l’application de l’exception relative aux « services qui concernent uniquement ou principalement l’enseignement » contenue au même article. Dans le second cas, il faudra rechercher si le gouvernement fédéral partage déjà les coûts des SSPH à titre de « soins en établissement pour adultes » au sens de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux. Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe.
[25] La décision rendue dans l’affaire Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, dont notre Cour a souvent souligné l’importance, rappelle qu’en l’absence d’erreurs manifestes et dominantes dans l’appréciation de la preuve, le débat devant les cours d’appel doit se dérouler en fonction des faits constatés par le juge de première instance. En l’espèce, les erreurs identifiées par le procureur général du Québec ne sont pas des erreurs de ce type. Mon analyse des questions de droit en litige dans ce pourvoi se basera donc sur les conclusions de fait du juge de première instance.
A. Les SSMS au regard de la définition des « services de protection sociale fournis dans la province » [26] Devant notre Cour, le procureur général du Québec plaide que les SSMS constituent des « services de protection sociale » au sens de l’art. 2 du RAPC. En dépit de l’universalité des services offerts, il argue que les SSMS combattent la pauvreté de façon préventive dans la mesure où ils sont principalement utilisés par des enfants provenant de milieux socio-économiques défavorisés. Le procureur général du Québec reproche donc au juge de première instance d’avoir conclu que la notion de « services de protection sociale » ne s’étendait qu’aux services sociaux destinés exclusivement aux personnes démunies (m.a., par. 28). Il prétend que les programmes sociaux à vocation universelle sont admissibles, quoique le partage des coûts sera limité aux services dispensés à la clientèle visée par le RAPC (m.a., par. 41).
[27] Sur le plan des principes, le procureur général du Québec a raison d’affirmer que la définition des « services de protection sociale » n’est pas tributaire de la clientèle visée par les programmes sociaux mis en place par les provinces. Il est effectivement possible que tous les bénéficiaires d’un « service de protection sociale » ne fassent pas partie de la clientèle visée par le RAPC. Cependant, ce reproche du procureur général du Québec à l’égard du juge de première instance est mal fondé. Dans un pareil cas, celui-ci a constaté que le gouvernement fédéral et la province concernée procédaient à un découpage faisant appel à un mécanisme complexe afin de déterminer la proportion des coûts admissibles au partage (par. 56).
[28] Mais au-delà de ce découpage, encore faut-il que les services universels en question respectent les prescriptions du RAPC donnant ouverture au partage des coûts. À ce propos, il convient de reproduire les passages pertinents des définitions de « services de protection sociale » et de « services de protection sociale fournis dans la province » contenues à l’art. 2 du RAPC :
2. . . .
« services de protection sociale » Services qui ont pour objet d’atténuer, de supprimer ou de prévenir les causes et les effets de la pauvreté, du manque de soins à l’égard des enfants ou de la dépendance de l’assistance publique . . .
« services de protection sociale fournis dans la province » Services de protection sociale fournis dans la province en conformité avec la législation provinciale à des personnes nécessiteuses ou à des personnes qui deviendront vraisemblablement des personnes nécessiteuses si de tels services ne sont pas fournis . . .
[29] Bien que le débat devant les tribunaux inférieurs ait surtout porté sur la notion de « services de protection sociale », ces deux définitions sont essentielles pour interpréter la portée de l’al. 4b) du RAPC. À la lumière de celles-ci, il appert que le gouvernement fédéral ne devra partager les coûts d’un service que s’il a pour objet de lutter contre la pauvreté et s’il est dispensé à des personnes nécessiteuses ou à des personnes qui le deviendront en l’absence d’un tel service (Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1993] 1 R.C.S. 1080, p. 1123, le juge Sopinka). En l’espèce, il s’agit donc de vérifier si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les SSMS n’étaient pas admissibles au partage en vertu du RAPC.
[30] Pour ce faire, il faut d’abord déterminer la signification des mots « [s]ervices qui ont pour objet d’atténuer, de supprimer ou de prévenir les causes et les effets de la pauvreté ». À mon avis, ce libellé suggère que la raison d’être d’un « service de protection sociale » doit être de lutter contre la pauvreté. Ainsi, un service ne sera qualifié de « service de protection sociale » que si sa mise sur pied a été spécifiquement motivée par la volonté de lutter contre la pauvreté de façon curative ou préventive. En pratique, cela se traduira par la présence d’un lien étroit entre la nature des services et l’éradication des causes ou des effets de la pauvreté. Dans cette perspective, si un service mis en place ne contribue à la lutte contre la pauvreté que de façon incidente, indirecte ou par extension, il ne pourra être qualifié de « service de protection sociale » aux fins du partage des coûts en vertu du RAPC. L’exigence du lien étroit fera alors défaut.
[31] En l’espèce, le juge de première instance a rejeté la prétention selon laquelle il existerait un lien étroit entre les SSMS et la lutte contre la pauvreté, même de façon préventive. Il a plutôt conclu que le véritable objet des SSMS était de contribuer à la mission éducative de l’école. Cette conclusion s’appuie sur une considération sérieuse de la preuve testimoniale et documentaire. En effet, le juge de Montigny a passé en revue tous les témoignages et commenté les principales pièces documentaires, qui supportent amplement cette conclusion. En conséquence, je suis d’avis que la Cour n’a aucune raison d’intervenir à l’égard de celle-ci. À elle seule, cette conclusion suffit pour emporter le rejet de l’appel quant à ce premier volet de la réclamation présentée par le procureur général du Québec.
[32] Toutefois, le procureur général du Québec plaide aussi que les SSMS sont admissibles au partage en vertu du RAPC dans la mesure où ils sont dispensés à une « clientèle défavorisée » (m.a., par. 64). Avec égards, cette prétention est erronée. Il est sans doute exact que bon nombre des élèves du réseau scolaire québécois sont des personnes nécessiteuses au sens du RAPC. Il est possible aussi que beaucoup des interventions des travailleurs sociaux en milieu scolaire s’effectuent en rapport avec ces élèves. Cependant, la composition de la clientèle scolaire ne change pas la nature des SSMS. En effet, ceux-ci demeurent un programme destiné au soutien des activités du réseau scolaire, et non à la lutte contre la pauvreté. Sa finalité ne permet pas de le rendre admissible au mécanisme de partage des coûts des services sociaux. C’est ce qu’avait d’ailleurs conclu le juge de première instance en insistant sur la finalité propre aux SSMS (par. 323).
[33] En raison de cette conclusion, je n’ai pas à me prononcer sur la question d’interprétation soulevée par l’appelant à propos de l’application de l’exclusion contenue à l’art. 2 du RAPC relative aux « services qui concernent uniquement ou principalement l’enseignement ». Je passerai donc maintenant à l’examen du problème de partage des coûts des SSPH.
B. La signification du mot « établissement » dans la Loi de 1977 sur les accords fiscaux et le partage des coûts des SSPH [34] Jusqu’au 1er avril 1977, le gouvernement fédéral a partagé, en vertu du RAPC, les coûts des services sociaux dispensés à des personnes handicapées vivant en ressources résidentielles dans la mesure où ceux-ci étaient dispensés dans des « foyers de soins spéciaux » au sens de l’art. 2 du RAPC. L’entrée en vigueur de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux a cependant modifié en profondeur les règles de partage des coûts des SSPH. En raison de la création d’un programme visant à financer les services complémentaires de santé, certains services, auparavant financés en vertu du RAPC à titre de « foyers de soins spéciaux », l’ont été désormais à titre de « soins en établissement pour adultes » en vertu de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux. Par ailleurs, l’al. 5(2)c) du RAPC confirmait toujours le caractère résiduel du RAPC, en disposant que les frais partageables au sens du RAPC excluent les coûts des services dont le partage entre le gouvernement fédéral et les provinces est prévu dans une autre loi fédérale. L’application de ce principe a alors provoqué des difficultés entre le gouvernement du Québec et les autorités fédérales.
[35] Après l’entrée en vigueur de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux, le gouvernement fédéral a continué de partager en vertu du RAPC les coûts liés aux SSPH dont la clientèle ne requiert pas une assistance continue. Cependant, il s’est appuyé sur l’al. 5(2)c) du RAPC pour refuser de partager les coûts des SSPH dont la clientèle nécessite une assistance continue. Pour le gouvernement fédéral, ces derniers services sont essentiellement des « soins en établissement pour adultes » au sens de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux.
[36] L’unique question sur laquelle notre Cour est appelée à se prononcer pour statuer sur l’admissibilité des SSPH au partage en vertu du RAPC concerne la signification de la notion de « soins en établissement pour adultes » contenue au par. 27(8) de la Loi de 1977 sur les accords fiscaux. Comme je le rappelle plus haut, l’appelant n’admet pas que les SSPH soient ainsi qualifiés parce qu’il considère que ceux-ci sont dispensés au « domicile » des bénéficiaires. Cette prétention de l’appelant comporte deux dimensions, que j’examinerai successivement : la première porte sur la nature même des ressources résidentielles, tandis que la seconde a trait à l’étendue des services offerts au sein de celles-ci.
[37] L’article 24 du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux constitue une disposition essentielle dans l’analyse de l’argument du procureur général du Québec. Je crois utile de reproduire ici en partie le texte de cette disposition qui détermine la nature d’un établissement pour l’application du programme fédéral :
24. (1) Aux fins du présent article,
. . .
« établissement » désigne
a) dans le cas d’un service autre que celui en hôpitaux psychiatriques convertis, un établissement ou une partie d’un établissement qui répond à la définition d’un foyer de soins spéciaux en vertu de l’article 8 du Règlement du Régime d’assistance publique du Canada . . .
(2) . . .
b) « soins en établissement pour adultes » désigne un service dispensé par un établissement pour adultes et comprenant
(i) les soins personnels et de surveillance selon les besoins des résidents de l’établissement,
(ii) l’aide dispensée aux résidents de l’établissement pour leur permettre d’accomplir des activités courantes, des activités récréatives et sociales, et d’autres services connexes pour satisfaire à leurs besoins psycho-sociaux,
(iii) les services nécessaires à l’exploitation de l’établissement, et
(iv) les repas et le logement . . .
[38] Le procureur général du Québec prétend d’abord que les ressources résidentielles ne sont pas des « établissements » au sens de l’al. 8f) du Règlement du Régime d’assistance publique du Canada, C.R.C. 1978, ch. 382 (« Règlement du RAPC »). Celui-ci prévoit que :
8. Aux fins de la définition de « foyer de soins spéciaux » de l’article 2 de la Loi, les catégories suivantes d’établissements résidentiels de bien-être social sont prescrites aux fins de la Loi comme étant des foyers de soins spéciaux :
. . .
f) tout établissement de bien-être social dont le principal objet est de fournir à ses résidents des soins personnels ou infirmiers ou de les réadapter socialement,
dont les normes [. . .] sont, de l’avis de l’autorité provinciale, conformes aux normes généralement agréées dans la province relativement aux établissements de bien-être social de ce genre.
[39] Le procureur général du Québec s’appuie sur la dernière partie de cette disposition pour affirmer que les critères prévus dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives, L.Q. 1991, ch. 42 (« LSSSS »), une loi québécoise, doivent être utilisés pour déterminer si les ressources résidentielles seront qualifiées d’« établissement » au sens du Règlement du RAPC. Je ne souscris pas à cette interprétation. À mon avis, le procureur général du Québec commet une erreur de droit lorsqu’il affirme que l’al. 8f) du Règlement du RAPC opère un renvoi à la législation provinciale au sujet des critères permettant de qualifier d’« établissement » un lieu d’hébergement pour personnes handicapées. Je crois plutôt que le renvoi à la législation provinciale vise la qualité des services qui y sont dispensés.
[40] Ainsi, il faut lire l’art. 8 in fine du Règlement du RAPC comme une condition visant à assujettir le partage des coûts au respect des « normes généralement agréées dans la province ». C’est donc dire qu’en vertu du RAPC, le gouvernement fédéral n’assumait l’obligation de partager les coûts des services dispensés dans les « foyers de soins spéciaux » que dans la mesure où ils respectaient les normes de qualité prévues dans la législation provinciale à l’égard de ce type d’établissement. Il est raisonnable de conclure que le gouvernement fédéral se soit simplement assuré de ne pas partager les coûts des services dont la qualité ne respecte pas les normes provinciales. Dans cette optique, l’art. 8 in fine représentait ni plus ni moins qu’une garantie pour le gouvernement fédéral que le RAPC ne constituait pas un chèque en blanc donné aux provinces, sans égards à la qualité des services fournis. À mon avis, l’intimée a raison d’affirmer que la mention, dans l’annexe A de l’accord conclu avec le Québec en vertu de l’art. 4 du RAPC, des « foyers de soins spéciaux » agréés selon les normes provinciales représentait la méthode appropriée pour obtenir cette garantie (m.i., par. 169).
[41] En outre, il ne faut pas oublier que le RAPC a été institué par une loi de crédits ayant pour objet de remédier à un déséquilibre constaté entre les recettes fiscales perçues par le gouvernement fédéral et les dépenses supportées par les provinces. En ce sens, la prétention du procureur général du Québec signifierait que le Parlement du Canada aurait laissé aux provinces le soin de déterminer la portée d’une loi de crédits fédérale. Je suis incapable de me convaincre que telle ait pu être l’intention du législateur fédéral au moment de rédiger le RAPC.
[42] Si telle était l’interprétation à donner à l’al. 8f) du Règlement du RAPC, il faudrait se résoudre à conclure qu’avant l’abrogation du RAPC, il aurait été loisible aux provinces de modifier leur législation respective afin de changer les paramètres de ce qu’elles considèrent comme des « établissements » dans le but d’échapper à l’application de l’exception résiduelle prévue à l’al. 5(2)c) du RAPC. Comme l’affirme l’intimée dans son mémoire, l’interprétation suggérée par le procureur général du Québec aurait « pour effet de priver le gouvernement du Canada de tout pouvoir d’appréciation des réclamations des provinces en regard de la législation qu’il a pour mandat d’administrer » (par. 168). Pour ces raisons, l’argument selon lequel la LSSSS doit servir à interpréter la notion d’« établissement » contenue dans la législation et la réglementation fédérales doit être rejeté.
[43] Ensuite, le procureur général du Québec insiste sur le fait que la gamme des services offerts au sein des ressources résidentielles ne répond pas aux conditions cumulatives prévues à l’al. 24(2)b) du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux, qui définit la notion de « soins en établissement pour adultes ». Il plaide que les ressources résidentielles ne peuvent être considérées comme des « établissements » au sens de cet alinéa car elles ne fournissent pas les repas et le logement aux bénéficiaires. L’interprétation suggérée par le procureur général du Québec est basée sur la conception que les ressources résidentielles ne « dispensent » pas les services relatifs aux repas et au logement des bénéficiaires puisque ceux-ci en défraient eux-mêmes les coûts.
[44] Cet argument doit également être rejeté. Ce n’est pas parce que la plupart des bénéficiaires des SSPH défraient eux-mêmes les coûts de leurs repas et de leur logement — à l’aide de prestations de sécurité sociale — que les ressources résidentielles ne leur dispensent pas ces services. À l’égard des repas, la preuve au procès a révélé que les bénéficiaires ne font ni l’épicerie ni la cuisine eux-mêmes (par. 405). Quant au logement, selon la preuve, bien que certains bénéficiaires signent un bail, les centres d’accueil et de réadaptation (« CAR ») ou les centres de réadaptation en déficience intellectuelle (« CRDI »), coordonnent et surveillent toujours sur le plan administratif l’activité des ressources résidentielles, qui assument la responsabilité de placer ou de déplacer les bénéficiaires (par. 395). Ce choix n’appartient pas aux bénéficiaires.
[45] Par conséquent, même en présumant que le montant des prestations d’assistance sociale couvre la totalité des dépenses liées aux repas et au logement des bénéficiaires — ce qui apparaît néanmoins douteux — , il est impossible de conclure que ces services ne sont pas dispensés par un établissement pour adultes au sens de l’al. 24(2)b) du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux. En réalité, sans le soutien des CAR ou des CRDI, les bénéficiaires des SSPH dont la condition requiert une assistance continue seraient incapables de se nourrir et ne seraient pas logés dans de telles ressources résidentielles. En définitive, je ne peux conclure, comme le procureur général du Québec le suggère, que les ressources résidentielles dispensent des soins à domicile plutôt que des « soins en établissement pour adultes ». La désinstitutionalisation constitue un objectif social valable, mais elle ne modifie pas le cadre juridique établi en vertu des lois fédérales pertinentes pour le partage des coûts en vertu du RAPC.
[46] À l’instar du juge de première instance, je suis d’avis que l’intensité des services offerts par les ressources résidentielles représente un paramètre central de la qualification de celles-ci à titre de « foyers de soins spéciaux » au sein desquels sont dispensés des « soins en établissement pour adultes ». Quoique l’intensité ne soit pas en soi un critère de qualification en vertu de l’al. 24(2)b) du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux, il me semble évident que cette notion est implicite à l’ensemble des paramètres qui y sont cumulativement énoncés. Elle est même explicite au regard du sous-al. 24(2)b)(ii) qui fait référence aux services qui sont dispensés aux bénéficiaires afin de leur permettre d’accomplir leurs activités courantes, récréatives et sociales.
[47] Ainsi, une ressource résidentielle qui ne fournirait pas l’ensemble de ces services ne posséderait pas l’« intensité » nécessaire pour se qualifier en vertu de ce sous-alinéa. À l’inverse, une ressource résidentielle qui dispense l’ensemble des services mentionnés à l’al. 24(2)b) du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux sera légitimement considérée comme prodiguant des « soins en établissement pour adultes ». Dans un tel cas, il sera possible de conclure que l’établissement en question a pour « principal objet [. . .] de fournir à ses résidents des soins personnels ou infirmiers ou de les réadapter socialement » au sens de l’al. 8f) du Règlement sur le RAPC.
[48] En l’espèce, les conclusions de fait du juge de première instance démontrent que les ressources résidentielles au sein desquelles sont dispensés les SSPH dont la clientèle requiert une assistance continue correspondent à des établissements visés par l’al. 24(2)b) du Règlement de 1977 sur les accords fiscaux. En effet, le juge de Montigny a conclu à juste titre que les services dispensés dans les ressources résidentielles couvraient « tous les aspects de la vie quotidienne » (par. 405). Puisque le procureur général du Québec n’a pu identifier aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour, l’exception résiduelle de l’al. 5(2)c) du RAPC doit donc trouver application, puisque le gouvernement fédéral partage les coûts des services des établissements en question en vertu d’une autre loi, soit la Loi de 1977 sur les accords fiscaux. En conséquence, le partage des coûts des SSPH en vertu du RAPC ne pouvait être ordonné.
V. Dispositif [49] Pour ces motifs, le pourvoi est rejeté avec dépens.
ANNEXE
Régime d’assistance publique du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-1
[Préambule] Considérant que le Parlement du Canada, reconnaissant que l’instauration de mesures convenables d’assistance publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et l’élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l’assistance publique intéressent tous les Canadiens, désire encourager l’amélioration et l’élargissement des régimes d’assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada en partageant dans une plus large mesure avec les provinces les frais de ces programmes,
. . .
définitions
2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
. . .
« assistance publique » Aide sous toutes ses formes aux personnes nécessiteuses ou à leur égard en vue de fournir, ou de prendre les mesures pour que soient fournis, l’ensemble ou l’un quelconque ou plusieurs des services suivants :
a) la nourriture, le logement, le vêtement, le combustible, les services d’utilité publique, les fournitures ménagères et les services répondant aux besoins personnels (ci-après appelés « besoins fondamentaux »);
b) les articles réglementaires, accessoires à l’exercice d’un métier ou autre emploi, ainsi que les services répondant aux autres besoins spéciaux réglementaires de toute nature;
c) les soins dans un foyer de soins spéciaux;
d) les déplacements et moyens de transport;
e) les obsèques et enterrements;
f) les services de santé;
g) les services réglementaires de protection sociale dont l’acquisition est faite par un organisme approuvé par une province ou à la demande d’un tel organisme;
h) les allocations de menues dépenses et autres services réglementaires répondant aux besoins des résidents ou malades des hôpitaux ou autres établissements réglementaires.
. . .
« foyer de soins spéciaux » Établissement de protection sociale qui est d’un genre défini par règlement, pour l’application de la présente loi, à titre de foyer de soins spéciaux et qui figure dans la liste d’une annexe à un accord conclu en vertu de l’article 4. Sont exclus de la présente définition les hôpitaux, les établissements correctionnels et les établissements dont le principal objet est l’enseignement, à l’exception de la partie d’un hôpital utilisée à titre d’établissement résidentiel de protection sociale et qui figure dans la liste d’une annexe à un accord conclu en vertu de l’article 4.
. . .
« personne nécessiteuse » Selon le cas :
a) personne qui, par suite de son incapacité d’obtenir un emploi, de la perte de son principal soutien de famille, de sa maladie, de son invalidité, de son âge ou de toute autre cause acceptable pour l’autorité provinciale, est reconnue incapable — sur vérification par l’autorité provinciale qui tient compte des besoins matériels de cette personne et des revenus et ressources dont elle dispose pour satisfaire ces besoins — de subvenir convenablement à ses propres besoins ou à ses propres besoins et à ceux des personnes qui sont à sa charge ou de l’une ou plusieurs d’entre elles;
b) personne âgée de moins de vingt et un ans qui est confiée aux soins ou à la garde d’une autorité chargée de la protection infantile ou placée sous le contrôle ou la surveillance d’une telle autorité, ou personne qui est un enfant placé en foyer nourricier selon la définition des règlements.
Pour l’application de l’alinéa e) de la définition de « assistance publique », est assimilée à une personne nécessiteuse une personne décédée qui était une personne visée par l’alinéa a) ou b) de la présente définition au moment de son décès ou qui, bien qu’elle ne fût pas une telle personne au moment de son décès, aurait été reconnue être une telle personne si une demande d’assistance publique avait été faite pour elle ou à son égard immédiatement avant son décès.
« services de protection sociale » Services qui ont pour objet d’atténuer, de supprimer ou de prévenir les causes et les effets de la pauvreté, du manque de soins à l’égard des enfants ou de la dépendance de l’assistance publique et notamment :
a) services de réadaptation;
b) services sociaux personnels, services d’orientation, d’évaluation des besoins et de référence;
c) services d’adoption;
d) services ménagers à domicile, services de soins de jour et autres services similaires;
e) services de développement communautaire;
f) services de consultation, de recherche et d’évaluation en ce qui concerne les programmes de protection sociale;
g) services administratifs, de secrétariat et de commis aux écritures, y compris ceux de formation du personnel, relatifs à la fourniture de tout service mentionné ci-dessus ou de l’assistance publique.
Sont exclus de la présente définition les services qui concernent uniquement ou principalement l’enseignement, la correction ou tout autre domaine réglementaire ou, sauf pour l’application de la définition de « assistance publique », les services fournis sous forme d’assistance publique.
« services de protection sociale fournis dans la province » Services de protection sociale fournis dans la province en conformité avec la législation provinciale à des personnes nécessiteuses ou à des personnes qui deviendront vraisemblablement des personnes nécessiteuses si de tels services ne sont pas fournis, ou à leur égard.
. . .
Accord autorisé
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, conclure avec toute province un accord prévoyant le paiement, par le Canada à la province, de contributions aux frais encourus par la province et des municipalités de la province, au titre :
a) de l’assistance publique fournie, en conformité avec la législation provinciale, par des organismes approuvés par la province ou à la demande de ceux-ci;
b) des services de protection sociale fournis, en conformité avec la législation provinciale, dans la province par des organismes approuvés par la province.
Contributions
5. . . .
(2) Au présent article, l’expression « frais » ne comprend pas :
. . .
c) tous frais que le Canada a partagés ou est tenu de partager de quelque manière avec la province, ou que le Canada a supportés ou est tenu de supporter, en conformité avec quelque autre partie ou avec quelque loi fédérale;
Règlement du Régime d’assistance publique du Canada, C.R.C. 1978, ch. 382
8. Aux fins de la définition de « foyer de soins spéciaux » de l’article 2 de la Loi, les catégories suivantes d’établissements résidentiels de bien-être social sont prescrites aux fins de la Loi comme étant des foyers de soins spéciaux :
a) les foyers de vieillards,
b) les maisons de repos,
c) les auberges pour les indigents ambulants,
d) les établissements de soins pour enfants,
e) les foyers pour mères célibataires, et
f) tout établissement de bien-être social dont le principal objet est de fournir à ses résidents des soins personnels ou infirmiers ou de les réadapter socialement,
dont les normes (sauf aux fins de la disposition 5(1)b)(i)(B) de la Loi) sont, de l’avis de l’autorité provinciale, conformes aux normes généralement agréées dans la province relativement aux établissements de bien-être social de ce genre.
Loi de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis, L.C. 1976-77, ch. 10
27. . . .
(8) Dans la présente Partie, « programme des services complémentaires de santé », en ce qui concerne une province, est un programme qui comprend les services suivants, plus particulièrement définis par les règlements, offerts à tous les résidents de cette province, à savoir :
a) soins intermédiaires en maison de repos;
b) soins en établissement pour adultes;
c) hôpitaux psychiatriques convertis;
d) soins à domicile;
e) soins ambulatoires.
Règlement de 1977 sur les accords fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces et sur le financement des programmes établis, DORS/78-587
24. (1) Aux fins du présent article,
. . .
« établissement » désigne
a) dans le cas d’un service autre que celui en hôpitaux psychiatriques convertis, un établissement ou une partie d’un établissement qui répond à la définition d’un foyer de soins spéciaux en vertu de l’article 8 du Règlement du Régime d’assistance publique du Canada . . .
(2) . . .
b) « soins en établissement pour adultes » désigne un service dispensé par un établissement pour adultes et comprenant
(i) les soins personnels et de surveillance selon les besoins des résidents de l’établissement,
(ii) l’aide dispensée aux résidents de l’établissement pour leur permettre d’accomplir des activités courantes, des activités récréatives et sociales, et d’autres services connexes pour satisfaire à leurs besoins psycho-sociaux,
(iii) les services nécessaires à l’exploitation de l’établissement, et
(iv) les repas et le logement jusqu’à concurrence du montant mensuel total ou partiel, sauf pour un montant obtenu en soustrayant, pour chaque bénéficiaire du service,
(A) le montant mensuel total ou partiel qui est exigible par le bénéficiaire du service en vertu des lois de la province au titre d’indemnités de confort, de l’habillement, des médicaments et des produits biologiques, des services nécessaires à la fourniture de médicaments et de produits biologiques et des biens et services médicaux et chirurgicaux, et qui est assujetti au partage des frais en vertu du Régime d’assistance publique du Canada,
d’un
(B) montant égal au montant mensuel total ou partiel de la pension de vieillesse et du montant maximal du supplément exigible par le bénéficiaire, qui n’est pas marié, en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse;
Pourvoi rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant : Chamberland, Gagnon, Québec.
Procureur de l’intimée : Procureur général du Canada, Ottawa.