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08/05/2008 | CANADA | N°2008_CSC_23

Canada | Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23 (8 mai 2008)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Lake c. Canada (Ministre de la Justice),

[2008] 1 R.C.S. 761, 2008 CSC 23

Date : 20080508

Dossier : 31631

Entre :

Talib Steven Lake

Appelant

et

Canada (Ministre de la Justice)

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 49)

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache,

Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

______________________________

Lake c. Canada (Ministre de la Justice), [2008] 1 R.C.S....

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Lake c. Canada (Ministre de la Justice),

[2008] 1 R.C.S. 761, 2008 CSC 23

Date : 20080508

Dossier : 31631

Entre :

Talib Steven Lake

Appelant

et

Canada (Ministre de la Justice)

Intimé

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein

Motifs de jugement :

(par. 1 à 49)

Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein)

______________________________

Lake c. Canada (Ministre de la Justice), [2008] 1 R.C.S. 761, 2008 CSC 23

Talib Steven Lake Appelant

c.

Canada (Ministre de la Justice) Intimé

Répertorié : Lake c. Canada (Ministre de la Justice)

Référence neutre : 2008 CSC 23.

No du greffe : 31631.

2007 : 6 décembre; 2008 : 8 mai.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.

en appel de la cour d’appel de l’ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (les juges Laskin, Armstrong et MacFarland) (2006), 212 C.C.C. (3d) 51, 145 C.R.R. (2d) 156, [2006] O.J. No. 3485 (QL) (sub nom. United States of America c. Lake), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant l’arrêté d’extradition pris par le ministre de la Justice. Le pourvoi est rejeté.

John Norris, pour l’appelant.

Robert J. Frater et Jeffrey G. Johnston, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge LeBel —

I. Introduction

[1] L’appelant, Talib Steven Lake, à la fois citoyen canadien et américain, risque l’extradition vers les États‑Unis pour y répondre à l’accusation d’avoir distribué illégalement près de 100 grammes de crack à Detroit, au Michigan. À l’issue d’une audience d’extradition, il a été incarcéré, puis le ministre de la Justice a ordonné son extradition. Monsieur Lake se pourvoit devant notre Cour contre la décision de la Cour d’appel de l’Ontario rejetant sa demande de contrôle judiciaire visant l’arrêté ministériel. Il fait valoir que l’extradition constituerait une atteinte injustifiée aux droits que lui garantit le par. 6(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il soutient que le ministre a mal apprécié les facteurs énoncés par notre Cour dans l’arrêt États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, et qu’il a eu tort de conclure que l’extradition était préférable à l’engagement de la poursuite au Canada. Il ajoute que le ministre n’a pas suffisamment justifié sa décision de privilégier l’extradition.

[2] Le présent pourvoi soulève deux questions principales. Premièrement, à quelle norme de contrôle judiciaire est assujetti l’arrêté d’extradition du ministre? Deuxièmement, au regard de cette norme, y a‑t‑il lieu d’infirmer la décision en l’espèce? En liaison avec ces deux questions, l’appelant prétend en outre que le ministre n’a pas suffisamment justifié sa décision d’ordonner l’extradition. Même s’il reconnaît qu’une décision du ministre en la matière appelle généralement la déférence, il soutient que lorsqu’un droit garanti par la Charte entre en jeu, la norme de la décision correcte s’applique. Selon l’intimé, il appert de la jurisprudence de notre Cour qu’il faut également faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation ministérielle des droits constitutionnels du fugitif. Vu la nature de sa décision, lorsqu’il se penche sur ces droits, le ministre doit aussi soupeser des éléments opposés dont plusieurs touchent à la politique étrangère, un domaine dans lequel il possède une plus grande expertise. Un contrôle judiciaire accru et des interventions plus poussées de la part des cours de justice risquent de porter sérieusement atteinte au régime de l’extradition, qui met en jeu les obligations internationales du Canada et constitue un rouage important de la répression du crime.

[3] À mon avis, le ministre a suffisamment justifié sa décision d’ordonner l’extradition. La norme de contrôle applicable demeurait celle de la raisonnabilité, et la décision du ministre était raisonnable. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II. Les faits

[4] En 1997, à Windsor (Ontario), l’appelant a été inculpé d’une série d’infractions liées au trafic de la cocaïne. Selon le ministère public, il était alors citoyen américain et habitait Detroit. Les accusations faisaient suite à une opération d’infiltration menée par l’unité de Windsor de la Section des stupéfiants de la Police provinciale de l’Ontario. L’agent Ralph Faiella a d’abord entendu parler de l’appelant par le cousin de ce dernier, Aaron Walls, à Windsor. En août 1997, M. Walls, qui a toujours habité Windsor, lui a offert du crack que son cousin (M. Lake) devait apporter de Detroit. L’agent a accepté. Ils ont convenu d’une rencontre, et lors de celle‑ci, l’agent Faiella a été présenté à M. Lake, auquel il a acheté 25 grammes de crack pour la somme de 1 700 $ CAN.

[5] Après quelques rencontres, l’agent Faiella a accepté une invitation à jouer au golf avec MM. Walls et Lake. L’agent et l’appelant ont échangé leurs numéros de téléphone, et le second a proposé au premier plusieurs onces de cocaïne au prix de 1 625 $ chacune. Ils ont convenu d’en reparler à une date ultérieure.

[6] Le 18 septembre 1997, lors d’un entretien téléphonique, M. Lake et l’agent Faiella ont pris des dispositions pour la vente de quatre onces de cocaïne. Monsieur Lake a demandé à l’agent de le rencontrer le lundi suivant, soit le 22 septembre 1997, à 11 heures, devant le restaurant Kinko’s à Detroit (Michigan). Informé de l’opération projetée, le F.B.I. (Federal Bureau of Investigation) a accepté de munir l’agent d’un micro‑émetteur de poche et d’assurer une surveillance supplémentaire. L’échange a été intercepté et enregistré par le F.B.I. Il a été établi plus tard que l’agent Faiella avait acheté au total quelque 99,2 grammes de cocaïne.

[7] En octobre 1997, à la résidence de M. Walls à Windsor, l’agent Faiella a acheté à MM. Walls et Lake 96,5 grammes de crack. Le 8 décembre 1997, l’agent Faiella a téléphoné à M. Lake. Ils ont convenu de la vente, le lendemain, de quatre onces supplémentaires de cocaïne. L’agent a rencontré M. Walls et un autre homme à un dépanneur de Windsor, qui ont été arrêtés sur‑le‑champ. Un mandat de perquisition a été exécuté à la résidence de M. Walls. À l’arrivée des agents, M. Lake se trouvait en compagnie d’un autre homme dans la cour arrière et on l’a vu déposer quelque chose au bas de la clôture. Monsieur Lake a été arrêté, et on a saisi un sac de plastique trouvé près de la clôture et qui contenait 65 grammes de crack.

[8] L’appelant a été inculpé de six chefs d’accusation relativement à ces opérations. Il a notamment été accusé d’avoir comploté avec Aaron Walls en vue du trafic de substances désignées entre le 11 et le 22 septembre 1997. Il n’a toutefois pas été inculpé de l’infraction matérielle de trafic quant à l’opération survenue à Detroit. Il a reconnu sa culpabilité pour toutes les accusations.

A. Audience de détermination de la peine

[9] À l’audience de détermination de la peine présidée par le juge Ouellette de la Cour de l’Ontario (Division générale), les avocats ont présenté un exposé conjoint des faits et recommandé que M. Lake soit condamné au total à trois ans d’emprisonnement. Le ministère public a déclaré avoir convenu de cette peine, dont il reconnaissait le caractère [traduction] « plutôt clément pour de telles infractions », parce qu’il avait récemment obtenu copie de l’acte d’accusation déposé en Cour de district (district est du Michigan) pour l’infraction de trafic de cocaïne qui aurait été perpétrée le 22 septembre 1997. En raison du caractère convaincant de la preuve contre l’appelant, le ministère public estimait que M. Lake serait vraisemblablement reconnu coupable de l’infraction aux États‑Unis et qu’il y purgerait une peine d’emprisonnement en sus de celle infligée au Canada. Même s’il prétendait être citoyen canadien du Canada parce que sa mère y était née, l’appelant ne pouvait alors en faire la preuve. L’on s’attendait donc à ce qu’il fasse l’objet d’une procédure d’expulsion au terme de sa peine d’emprisonnement.

[10] L’appelant a été condamné au total à trois ans d’emprisonnement, ce qui s’ajoutait aux huit mois passés sous les verrous avant le procès. À une date indéterminée, il a réussi à prouver sa citoyenneté canadienne et il s’est établi à Windsor après sa mise en liberté.

B. Demande d’extradition et motifs invoqués à l’appui de l’arrêté du ministre

[11] Le 5 mai 2003, après que M. Lake eut purgé sa peine d’emprisonnement au Canada, les États‑Unis ont demandé son extradition pour qu’il subisse son procès relativement à l’accusation de trafic. Le 30 juin 2003, le ministre a pris un arrêté introductif d’instance. Le 31 mai 2004, M. Lake a été incarcéré en vue de son extradition. Dans des observations adressées au ministre, son avocat a soulevé plusieurs arguments à l’encontre de la mesure, mais le 28 février 2005, l’extradition a tout de même été ordonnée.

[12] Dans ses motifs, le ministre a indiqué qu’après examen de la preuve documentaire offerte par les autorités américaines, ainsi que des facteurs énoncés par notre Cour dans l'arrêt Cotroni, les autorités chargées des poursuites avaient décidé qu’il n’était pas justifié de poursuivre M. Lake au Canada. Bien qu’il ait affirmé ne pas vouloir s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, le ministre s’est quand même demandé si la décision d’extrader l’intéressé plutôt que de le poursuivre au Canada respectait ses droits garantis au par. 6(1) de la Charte. Comme la ville de Detroit se trouvait le lieu de l’infraction alléguée, le ministre a conclu que le Canada n’avait pas compétence pour poursuivre. Il a toutefois ajouté que même s’il avait été possible d’engager quelque poursuite au Canada, il aurait reconnu que les États‑Unis possédaient un intérêt supérieur à poursuivre l’appelant afin d’assurer la protection des citoyens américains et de préserver leur confiance dans les lois et le système de justice pénale. Enfin, selon le ministre, l’extradition ne porterait pas indûment atteinte aux droits de M. Lake suivant le par. 6(1) de la Charte.

[13] Le ministre s’est par ailleurs demandé s’il devait refuser l’extradition au motif que M. Lake avait déjà été reconnu coupable et condamné pour les actes visés par la demande d’extradition et l’infraction sous‑jacente à celle‑ci. Il a conclu que, même si les accusations portées au Canada et aux États‑Unis découlaient d’une même enquête et se rapportaient à des actes rattachés les uns aux autres, elles demeuraient séparées et distinctes et visaient deux infractions différentes. Par conséquent, l’extradition de M. Lake n’enfreignait ni l’art. 4 du Traité d’extradition entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, R.T. Can. 1976, no 3, ni l’al. 47a) de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18. Le ministre a également fait observer que le ministère public avait tenu compte de l’acte d’accusation déposé aux États‑Unis pour convenir d’une peine réduite et que le juge Ouellette avait reconnu que M. Lake ferait vraisemblablement l’objet d’un autre procès. Il a ainsi conclu que M. Lake n’avait pas déjà été condamné à une peine pour les actes à l’origine de l’accusation portée aux États‑Unis.

[14] Le ministre a jugé que la durée de temps écoulé entre le dépôt de l’acte d’accusation aux États‑Unis et la demande officielle d’extradition, ne faisait pas de l’affaire l’un des « cas les plus clairs » justifiant l’inexécution des obligations du Canada découlant du Traité. Il a fait remarquer que seulement deux ans s’étaient écoulés entre l’expiration de la peine au Canada et la demande d’extradition. De plus, M. Lake était au courant du dépôt d’un acte d’accusation aux États‑Unis depuis l’audience de détermination de la peine au Canada, de sorte qu’il aurait pu se rendre aux autorités à tout moment pour répondre sans délai à l’accusation. Rien ne permettait de conclure que le délai avait porté atteinte au droit de M. Lake à un procès équitable aux États‑Unis non plus qu’à son droit à une défense pleine et entière. Le ministre a aussi souligné que la peine minimale de 10 ans d’emprisonnement encourue par M. Lake aux Étas‑Unis ne « choquerait pas la conscience » des Canadiens ni ne serait injuste ou tyrannique vu la gravité des faits reprochés. La situation personnelle de M. Lake ne justifiait pas non plus le refus de l’extradition. Selon le ministre, il était certes louable que M. Lake subvienne aux besoins de sa conjointe de fait et de ses enfants à Windsor, mais l’impératif d’éviter que le Canada serve de refuge à des criminels recherchés par la justice devait primer.

C. Historique judiciaire — Cour d’appel de l’Ontario (2006), 212 C.C.C. (3d) 51

[15] À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour d’appel, M. Lake a plaidé que le ministre avait eu tort de conclure que l’extradition ne portait pas atteinte à sa liberté de circulation et d’établissement garantie au par. 6(1) et qu’il avait invoqué des motifs suffisants à l’appui. Il a ajouté que la peine minimale qu’il encourait aux États‑Unis était arbitraire et disproportionnée, de sorte que l’extradition violait les droits que lui conféraient l’art. 7 de la Charte et l’al. 44(1)a) de la Loi sur l’extradition. Le 1er septembre 2006, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté sa demande de contrôle judiciaire.

[16] Au nom des juges unanimes de la Cour d’appel, le juge Laskin a reconnu que le ministre avait l’obligation de bien étayer son arrêté d’extradition. Le ministre devait motiver sa décision de façon que la cour de révision puisse déterminer s’il avait appliqué les bons principes et dûment tenu compte des arguments invoqués à l’encontre l’extradition. En l’espèce, le juge Laskin a conclu que malgré leur concision, les motifs étaient suffisants.

[17] En outre, de l’avis du juge Laskin, il n’y avait pas lieu de modifier la conclusion du ministre selon laquelle l’arrêté d’extradition ne portait pas atteinte de manière injustifiée aux droits que le par. 6(1) garantissait à l’appelant. Pour conclure ainsi, le ministre devait appliquer le critère juridique approprié, mais son appréciation des facteurs dès lors applicables commandait la déférence. Le ministre a jugé à tort que le Canada n’avait pas compétence pour inculper M. Lake de l’infraction matérielle de trafic, mais cette erreur importait peu. En effet, il a ensuite estimé que même si quelque poursuite avait été possible au Canada, l’intérêt des États‑Unis à poursuivre M. Lake aurait été prépondérant. Contrairement à ce que prétend l’appelant, le ministre n’avait pas à renvoyer expressément à tous les facteurs de l’arrêt Cotroni. Citant l’arrêt États‑Unis d’Amérique c. Kwok, [2001] 1 R.C.S. 532, 2001 CSC 18, le juge Laskin a opiné que la décision du ministre devait être confirmée si elle était jugée [traduction] « manifestement raisonnable ». La décision du ministre de s’incliner devant l’intérêt supérieur des États‑Unis à poursuivre M. Lake satisfaisait à cette exigence.

[18] Au sujet du problème de la peine minimale encourue aux États‑Unis, le juge Laskin a rappelé que pour les besoins de l’application de l’art. 7 de la Charte, la question n’était pas celle de savoir si la peine était arbitraire. En effet, il peut s’agir d’une considération valable, mais qui n’est pas déterminante en soi. En fait, pour conclure à une violation de l’art. 7, la peine encourue à l’étranger doit « choquer la conscience » (Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, p. 522) ou être « simplement inacceptable » (États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564, p. 572). De plus, l’al. 44(1)a) de la Loi sur l’extradition dispose que la peine doit être « injuste » ou « tyrannique ». Or, une peine minimale de 10 ans d’emprisonnement pour la distribution de près de 100 grammes d’une drogue mortelle n’est ni choquante ni injuste au point de justifier l’intervention du tribunal. L’appelant soutenait par ailleurs que la peine serait disproportionnée puisque les tribunaux infligent généralement des peines concurrentes pour l’infraction matérielle et le complot visant sa perpétration. Il faisait valoir qu’il purgerait dans les faits des peines consécutives pour ces infractions. Or, selon le juge Laskin, la proportionnalité ne représente une considération pertinente que lorsque la peine est si sévère qu’elle va à l’encontre de ce qui est juste et équitable. La peine encourue par l’appelant était loin d’être aussi sévère, d’autant plus que l’acte d’accusation déposé aux États‑Unis avait été pris en compte lors de la détermination de la peine au Canada.

III. Analyse

[19] L’appelant plaide devant notre Cour que la décision du ministre devrait être infirmée au seul motif que l’extradition porterait atteinte de manière injustifiée aux droits que lui garantit le par. 6(1) de la Charte. Il prétend que son extradition ne servirait aucun des objectifs importants d’une telle mesure. Plus particulièrement, le ministre aurait conclu à tort que le Canada n’avait pas compétence pour engager la poursuite et l’appelant aurait déjà été jugé et puni au Canada pour les actes qui lui sont reprochés aux États‑Unis. Qui plus est, le ministre n’aurait pas tenu compte des facteurs défavorables à l’extradition, de sorte que ses motifs seraient insuffisants. L’appelant ajoute que la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte et qu’à la lumière de ces erreurs, la décision du ministre était incorrecte et devait donc être annulée.

A. Les questions en litige

[20] Notre Cour est appelée à trancher les questions suivantes : (1) à quelle norme de contrôle la décision du ministre est‑elle assujettie lorsque les droits constitutionnels d’un fugitif sont en jeu et, (2) au regard de cette norme, la décision du ministre en l’espèce doit‑elle être confirmée ou annulée? À cela s’ajoute, je le rappelle, la question connexe de savoir si le ministre a suffisamment justifié sa décision. Toutefois, avant de déterminer la norme de contrôle applicable, notre Cour doit se pencher sur la nature de la procédure d’extradition et sur son assujettissement à la Charte.

B. La procédure d’extradition du Canada

[21] Au Canada, la procédure d’extradition comporte deux étapes, l’une relevant du judiciaire, l’autre de l’exécutif. Dans un premier temps, à l’audience relative à l’incarcération, un juge apprécie la preuve et détermine (1) si elle établit à première vue que les actes reprochés constituent un crime dans l’État requérant et au Canada et que ce crime est l’un de ceux que vise le traité bilatéral, puis il détermine (2) si la preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, que la personne dont on demande l’extradition est bien celle qui se trouve devant lui. En outre, l’art. 25 de la Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18 (qui a remplacé le par. 9(3) de la Loi sur l’extradition, L.R.C. 1985, ch. E‑23), lui confère le pouvoir d’accorder réparation pour toute atteinte aux droits constitutionnels du fugitif constatée à cette étape : arrêt Kwok, par. 57.

[22] Une fois l’incarcération ordonnée, le ministre examine le dossier afin de déterminer si la personne devrait être livrée à l’État requérant. Cette démarche se situe « à l’extrême limite législative du processus décisionnel administratif » et revêt essentiellement un caractère politique : Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, p. 659. Le pouvoir discrétionnaire du ministre n’est cependant pas absolu. En effet, il doit être exercé à l’intérieur des limites établies par la Loi sur l’extradition et par la Charte.

[23] Aux termes du par. 44(1) de la Loi sur l’extradition, le ministre refuse l’extradition s’il est convaincu que :

44. (1) . . .

a) soit l’extradition serait injuste ou tyrannique compte tenu de toutes les circonstances;

b) soit la demande d’extradition est présentée dans le but de poursuivre ou de punir l’intéressé pour des motifs fondés sur la race, la nationalité, l’origine ethnique, la langue, la couleur, la religion, les convictions politiques, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap physique ou mental ou le statut de l’intéressé, ou il pourrait être porté atteinte à sa situation pour l’un de ces motifs.

[24] Même si, pour les besoins du présent pourvoi, il n’est pas nécessaire d’analyser en détail le lien entre le par. 44(1) de la Loi sur l’extradition et l’art. 7 de la Charte, il est clair que l’application des deux dispositions soulève souvent des questions semblables et que les garanties qu’elles accordent sont susceptibles de se recouper partiellement. L’extradition contraire aux principes de justice fondamentale est également injuste et tyrannique : Bonamie, Re (2001), 293 A.R. 201 (C.A.). Lorsqu’elle est demandée dans le but de persécuter une personne pour un motif de distinction illicite, l’extradition viole aussi les principes de justice fondamentale : United States of Mexico c. Hurley (1997), 35 O.R. (3d) 481 (C.A.), p. 496‑497.

[25] Le paragraphe 43(1) de la Loi sur l’extradition dispose que la personne incarcérée en vue de son extradition peut présenter des observations à l’encontre de la mesure et que le ministre en tient compte pour rendre sa décision. S’il tranche en faveur de l’extradition, le ministre doit communiquer à l’intéressé les motifs de sa décision : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Plus précisément, il doit répondre à chacune des observations formulées contre l’extradition et expliquer son désaccord avec celles‑ci : United States of America c. Taylor (2003), 175 C.C.C. (3d) 185 (C.A.C.‑B.).

[26] L’intéressé peut en appeler de l’ordonnance d’incarcération et demander le contrôle judiciaire de l’arrêté d’extradition. Suivant l’art. 49 de la Loi sur l’extradition, il peut aussi se pourvoir contre l’incarcération devant la cour d’appel de la province en invoquant une question de droit ou, avec l’autorisation de la cour d’appel, une question de fait, une question de droit et de fait ou tout autre motif. Le paragraphe 57(7) prévoit que la cour d’appel de la province peut réviser sa décision pour les mêmes motifs que la Cour fédérale en application du par. 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. La révision de la décision du ministre par la cour d’appel que prévoit le par. 57(2) relève donc du contrôle de l’action administrative et doit être effectuée au regard de la norme applicable en la matière. Comme je l’explique ci‑après, j’estime que cette norme est celle de la décision raisonnable.

C. L’extradition et la Charte

[27] Pour déterminer si l’extradition respecte la Charte, le ministre tient compte de nombreux facteurs, dont les obligations internationales du Canada et ses relations avec les gouvernements étrangers. Le respect des obligations de l’État canadien en matière d’extradition demeure primordial en raison précisément des objectifs importants du régime de l’extradition. Dans l’arrêt Cotroni, le juge La Forest a expliqué ces objectifs et l’importance de la coopération internationale pour les atteindre (p. 1485) :

Les enquêtes et les poursuites criminelles ainsi que la répression du crime pour la protection des citoyens et le maintien de la paix et de l’ordre public constituent un objectif important de toute société organisée. Il ne serait pas réaliste que la poursuite de cet objectif se confine à l’intérieur de frontières nationales. Il en est ainsi depuis longtemps, mais cela est de plus en plus évident aujourd’hui. Les communications ont éliminé les distances et ont fait du [traduction] « village planétaire » de McLuhan une réalité. La communauté criminelle internationale ne respecte les frontières nationales que lorsqu’elles peuvent permettre de contrecarrer les efforts des autorités judiciaires et des organismes chargés d’appliquer la loi. Le trafic de drogues qui nous intéresse en l’espèce est une entreprise de niveau international dont les enquêtes et les poursuites y relatives ainsi que la répression, exigent le recours à des outils efficaces de coopération internationale. L’extradition est un outil de coopération important et bien établi.

[28] Dans cet arrêt, notre Cour a statué que même si l’extradition constitue une atteinte prima facie à la liberté de circulation et d’établissement des Canadiens garantie au par. 6(1) de la Charte, cette limitation peut être justifiée en vertu de l’article premier. Après avoir souligné les objectifs importants de l’extradition, le juge La Forest a rejeté au nom des juges majoritaires l’argument voulant qu’il soit irrationnel de livrer à un pays étranger un citoyen canadien auquel on reproche des actes pour lesquels il pourrait être traduit en justice au Canada. Il peut s’avérer plus simple de poursuivre un citoyen canadien dans un ressort étranger parce que des témoins ou des éléments de preuve s’y trouvent. En outre, l’État étranger peut avoir un intérêt plus grand à traduire lui‑même le criminel en justice. Après avoir conclu au caractère minimal de l’atteinte, le juge La Forest a fait observer que les « les pratiques d’extradition ont été façonnées autant que possible pour la protection de la liberté de l’individu » (p. 1490).

[29] À propos du choix du ressort dans lequel la poursuite devrait être intentée, le juge La Forest a dit qu’« exiger un examen judiciaire de chaque cas particulier pour découvrir lequel pourrait le plus efficacement et équitablement faire l’objet d’un procès dans un pays ou dans l’autre imposerait une tâche impossible et entraverait sérieusement le fonctionnement du système » (p. 1494). S’appuyant sur les arrêts R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, et R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, il a ajouté que la reconnaissance du pouvoir discrétionnaire du poursuivant demeure conforme à la Charte et que les tribunaux devraient éviter d’intervenir dans son exercice, sauf preuve de motifs irréguliers ou arbitraires. Il a ensuite dressé la liste des facteurs — désormais associés à l’arrêt Cotroni — dont il est généralement tenu compte pour décider soit de poursuivre au Canada, soit de faire droit ou non à la demande d’extradition présentée par les autorités d’un pays étranger :

‑ le lieu où se sont fait sentir ou étaient susceptibles de se faire sentir les effets de l’infraction,

‑ le ressort ayant le plus grand intérêt à poursuivre l’auteur de l’infraction,

‑ le corps policier qui a joué le rôle le plus important dans la conduite de l’enquête,

‑ le ressort ayant porté les accusations,

‑ le ressort prêt à instruire le procès,

‑ le situs des éléments de preuve,

‑ la mobilité des éléments de preuve,

‑ le nombre d’accusés et la possibilité de les juger au même endroit,

‑ le ressort dans lequel ont été accomplis la plupart des actes à l’origine du crime,

‑ la nationalité et le domicile de l’accusé et

‑ le degré de sévérité de la peine encourue par l’accusé dans chacun des ressorts.

[30] L’incidence de chacun de ces facteurs sur la détermination du lieu de la poursuite varie selon le cas. Dans l’arrêt Cotroni, notre Cour ne décide pas qu’il faut leur attribuer une importance dans tous les cas ou qu’un seul ne saurait devenir déterminant dans une affaire donnée. Notre Cour y dresse simplement la liste de certains des facteurs qui militent en faveur soit de l’extradition soit de l’instruction du procès au pays. L’imposition d’un cadre directif au poursuivant sur la manière d’exercer son pouvoir de décider de poursuivre ou non au Canada viderait ce pouvoir discrétionnaire de son sens. Il appartient aux autorités chargées des poursuites d’arrêter les facteurs déterminants; la liste fait simplement état des éléments qui peuvent être pris en compte. Les tribunaux n’interviendront dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant que dans les cas les plus clairs, notamment lorsque la mauvaise foi ou l’irrégularité des motifs sera établie. Faute d’une telle preuve, la décision de ne pas poursuivre une personne au Canada, mais de la livrer aux autorités étrangères qui demandent son extradition n’emporte pas en soi la violation injustifiée de la liberté de circulation et d’établissement garantie au par. 6(1).

[31] Le ministre est par ailleurs souvent appelé à décider si l’extradition porterait atteinte aux droits garantis par l’art. 7 de la Charte. Il se demande alors si la mesure « choquerait la conscience » (Schmidt, p. 522) ou si le fugitif ferait face « à une situation qui est simplement inacceptable » (Allard, p. 572). Dans l’arrêt Schmidt, le juge La Forest a insisté sur la déférence que justifie l’appréciation du ministre :

Il incombe aux tribunaux de faire respecter la Constitution. Nous parlons néanmoins d’un domaine dans lequel l’exécutif sera vraisemblablement bien mieux renseigné que les tribunaux et dans lequel ces derniers doivent se montrer extrêmement circonspects afin d’éviter toute ingérence indue dans des décisions où il y va de la bonne foi et de l’honneur du Canada dans ses relations avec d’autres États. En un mot, l’intervention des tribunaux doit se limiter aux cas où cela s’impose réellement. [p. 523]

[32] Dans l’arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, les juges majoritaires de notre Cour ont expliqué qu’il convenait de soupeser les facteurs favorables et défavorables à l’extradition afin de déterminer si, dans les circonstances, la mesure était de nature à « choquer la conscience ». Dans l’arrêt États‑Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283 2001 CSC 7, la Cour a confirmé la démarche adoptée dans Kindler en précisant toutefois que les mots « choc de la conscience » ne devaient pas « obscurcir la question qui doit être tranchée en bout de ligne, soit celle de savoir si l’extradition est compatible avec les principes de justice fondamentale » (par. 68). Les considérations pertinentes peuvent être propres au fugitif, comme son âge ou sa santé mentale, ou revêtir un caractère général, comme la nature de la peine encourue.

[33] Dans l’affaire Burns, notre Cour devait trancher la question de savoir si l’art. 7 exigeait du ministre, avant qu’il ne prenne un arrêté d’extradition, qu’il obtienne de l’État requérant l’assurance que le fugitif ne serait pas condamné à mort s’il était reconnu coupable des actes reprochés. En concluant qu’une telle garantie s’imposait sauf circonstances exceptionnelles, notre Cour a insisté sur les graves préoccupations philosophiques et pratiques exprimées par le Canada et la communauté internationale au sujet de la peine capitale, en particulier sur son caractère définitif et irréversible. Elle a ajouté que le ministre « n’a[vait] fait état d’aucun objectif d’intérêt public que servirait l’extradition des intimés sans les assurances prévues et que ne servirait pas également de façon substantielle leur extradition assortie de ces assurances » (par. 125 (souligné dans l’original)). Il s’agit d’un exemple de situation critique où la cour de révision modifiera la décision du ministre.

D. La norme de contrôle

[34] Notre Cour a confirmé à maintes reprises que la déférence s’imposait à l’endroit de la décision du ministre de prendre ou non un arrêté d’extradition une fois le fugitif incarcéré. Elle doit aujourd’hui déterminer quelle norme de contrôle judiciaire s’applique à l’appréciation ministérielle des droits constitutionnels du fugitif. Cette norme demeure celle de la raisonnabilité, même lorsque le fugitif fait valoir que l’extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Il ressort de la jurisprudence de notre Cour que pour assurer le respect de la Charte dans le contexte d’une demande d’extradition, le ministre doit tenir compte de considérations opposées et possède à l’égard de bon nombre de celles‑ci une plus grande expertise. L’affirmation selon laquelle les tribunaux n’interviendront que dans les cas exceptionnels où cela « s’impose réellement » traduit bien la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre. La décision ne doit en effet être modifiée que si elle est déraisonnable (Schmidt) (voir l’analyse de la norme de la décision correcte et de la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9).

[35] L’appelant plaide que la norme de la décision correcte s’applique lorsque la décision d’ordonner l’extradition met en jeu les droits constitutionnels de l’intéressé. À son avis, même si la décision du ministre commande habituellement un degré élevé de déférence judiciaire, ce n’est pas le cas en ce qui concerne son appréciation des droits constitutionnels du fugitif. L’appelant reconnaît la supériorité de l’expertise du ministre à l’égard des obligations découlant de traités et des intérêts internationaux du Canada, mais non à propos de la constitutionnalité de ses propres décisions. Il ajoute qu’à l’étape de l’extradition, il appartient à la cour chargée de l’examen de sa décision de statuer sur toute demande de réparation fondée sur la Charte, et il cite le passage suivant de l’arrêt Kwok (par. 80, la juge Arbour) :

Le ministre est tenu de respecter les droits garantis par la Constitution au fugitif lorsqu’il décide, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’extrader ce dernier vers l’État requérant. Toutefois, le ministre n’est pas habilité à décider s’il y a eu violation de la Charte et, dans l’affirmative, à accorder au fugitif la réparation qui convient. Il s’agit là d’une fonction judiciaire et non pas ministérielle. (Voir également le par. 94.)

Enfin, l’appelant soutient que même si, dans l’appréciation des droits garantis par la Charte au fugitif, le ministre tient compte de nombreuses considérations de fait, il se prononce essentiellement sur une question de droit. J’estime pour ma part que l’argumentation de l’appelant est mal fondée, et ce, pour les motifs suivants.

[36] Premièrement, dans cette affaire, la juge Arbour répondait à l’argument de M. Kwok selon lequel le par. 6(1) de la Charte intervenait à l’étape de l’incarcération. L’appelant soutenait en effet que le ministre n’était pas un « “tribunal compétent”, habilité par la Charte à accorder des réparations de nature constitutionnelle » (par. 80). Bien qu’elle ait reconnu que le ministre ne pouvait accorder de réparation pour la violation d’un droit garanti par la Charte, la juge Arbour a précisé que la décision du ministre pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la cour d’appel provinciale. En cas de violation d’un droit garanti par la Charte, la cour d’appel est habilitée à accorder la réparation appropriée. Toutefois, ce raisonnement ne permet aucunement de déterminer la norme de contrôle applicable par la cour d’appel pour décider si la violation d’un droit a eu lieu. Il permet seulement d’écarter l’argument voulant que le tribunal doive se prononcer sur toute allégation d’atteinte aux droits garantis par le par. 6(1) à l’audience relative à l’incarcération.

[37] Deuxièmement, la supériorité de l’expertise du ministre à l’égard des obligations internationales et des affaires étrangères du Canada doit également être prise en compte lors du contrôle judiciaire de sa décision sur l’allégation d’un individu selon laquelle l’extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Le ministre doit certes exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec la Charte, mais son appréciation de toute atteinte aux droits constitutionnels qu’entraîne un arrêté d’extradition reste étroitement liée à son obligation de veiller au respect par le Canada de ses obligations internationales. L’extradition porte à première vue atteinte au droit que le par. 6(1) confère à un citoyen canadien de demeurer au Canada. Toutefois, cette atteinte est généralement susceptible de justification en vertu de l’article premier (arrêt Cotroni). Pour déterminer si la violation est justifiée, le ministre doit prendre en compte non seulement « la possibilité d’intenter des poursuites au Canada mais également l’intérêt de l’État étranger à poursuivre sur son propre territoire le fugitif demandé » : Kwok, par. 93. Par conséquent, lorsqu’il se prononce sur la justification de la violation du droit garanti au par. 6(1), le ministre se fonde en grande partie sur sa décision de reconnaître ou non la priorité de l’intérêt de l’État requérant. Il s’agit essentiellement d’une décision politique, et non juridique. Au regard du droit, cette décision devient inacceptable lorsqu’il est établi que la décision de ne pas poursuivre au Canada s’appuie sur des motifs irréguliers ou arbitraires. Pour ces raisons, la conclusion du ministre selon laquelle la violation du droit conféré au par. 6(1) est justifiée commande un degré élevé de déférence.

[38] De même, l’examen de la conformité de la procédure d’extradition aux droits reconnus au fugitif par l’art. 7 suppose lui aussi une pondération. Le ministre doit en effet soupeser les facteurs favorables et défavorables à la mesure pour déterminer si elle « choquerait la conscience » dans le cas considéré. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, notre Cour s’est penchée sur la norme de contrôle applicable à la décision du ministre à propos de l’existence d’un risque sérieux de torture en cas d’expulsion d’un réfugié. La décision tient en grande partie aux faits, et le ministre doit soupeser divers facteurs dont l’« aspect juridique est négligeable » (par. 39). Notre Cour a donc conclu que la décision du ministre commandait la déférence judiciaire.

[39] La question de savoir si l’extradition « choquerait la conscience » suppose une démarche semblable. Le ministre doit soupeser, d’une part, la situation de l’intéressé et les conséquences de son extradition et, d’autre part, des éléments comme la gravité de l’infraction à l’origine de la demande d’extradition ainsi que l’importance de veiller à ce que le Canada respecte ses obligations internationales et, de manière générale, à ce qu’il ne devienne pas un refuge pour les fugitifs recherchés par la justice. L’appréciation englobera souvent en outre les garanties offertes au fugitif dans l’État requérant et la réalité à laquelle il devra faire face dans ce pays. L’appelant affirme en l’espèce que déterminer si l’extradition porterait indûment atteinte à ses droits constitutionnels demeure foncièrement une question de droit. Il oublie que toutes les décisions de l’exécutif et de l’Administration touchant aux droits d’une personne sont essentiellement des « questions de droit ». Or, elles ne sont pas toutes susceptibles de contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte. Dans l’affaire Suresh, la décision en cause portait clairement sur une question de droit. Notre Cour a conclu que la déférence s’imposait parce que la décision du ministre reposait principalement sur son appréciation des faits. En règle générale, la réévaluation de son appréciation des faits ne se justifie pas. Il en va de même en matière d’extradition.

[40] L’appelant invoque également un certain nombre de décisions de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique où l’appréciation ministérielle des droits constitutionnels d’un fugitif et du caractère injuste ou tyrannique de l’extradition au sens de l’al. 44(1)a) de la Loi sur l’extradition a fait l’objet d’un contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte : Stewart c. Canada (Minister of Justice) (1998), 131 C.C.C. (3d) 423; United States of America c. Gillingham (2004), 184 C.C.C. (3d) 97; United States of America c. Maydak (2004), 190 C.C.C. (3d) 71; United States of America c. Kunze (2005), 194 C.C.C. (3d) 422; Hanson c. Canada (Minister of Justice) (2005), 195 C.C.C. (3d) 46; United States of America c. Fordham (2005), 196 C.C.C. (3d) 39; Ganis c. Canada (Minister of Justice) (2006), 216 C.C.C. (3d) 337. Dans l’affaire Stewart — la première dans laquelle la norme de la décision correcte a été retenue — , le juge Donald a affirmé craindre que [traduction] « la portée du contrôle judiciaire ne soit atténuée de manière inacceptable si la déférence s’imposait à l’égard de l’appréciation [par le ministre] de la constitutionnalité de [sa] propre mesure » (par. 18). En tout respect, je crois que cette crainte était sans fondement. Elle découle d’une interprétation erronée de la fonction qu’exerce le ministre lorsqu’il soupèse les intérêts en jeu dans le contexte d’une demande d’extradition. Elle est aussi incompatible avec la jurisprudence de notre Cour relative au contrôle judiciaire d’une décision en matière d’extradition.

[41] La norme de la raisonnabilité n’exige pas l’adhésion aveugle à l’appréciation ministérielle. Au contraire, elle admet la possibilité de plus d’une conclusion. Il n’appartient pas à la cour de révision de substituer sa propre appréciation des considérations pertinentes. Cette cour doit plutôt déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles. La cour qui applique cette norme dans le contexte d’une demande d’extradition doit alors déterminer si le ministre a tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion susceptible de se justifier au regard de ces faits. À l’instar du juge Laskin de la Cour d’appel, j’estime que le ministre doit se prononcer en appliquant la norme juridique appropriée. Sans l’analyse voulue, la conclusion ministérielle n’est ni rationnelle ni justifiable. Or, lorsque le ministre a choisi le bon critère, sa conclusion devrait être confirmée par la cour à moins qu’elle ne soit déraisonnable. Cette approche ne diminue pas la protection offerte par la Charte. Elle signifie tout simplement que les évaluations des droits et intérêts protégés par le par. 6(1) et l’art. 7 en matière d’extradition supposent des pondérations essentiellement dépendantes de l’appréciation des faits en cause. L’expertise du ministre en la matière et son obligation de veiller au respect des obligations internationales du Canada le rendent plus apte à déterminer si les facteurs pertinents militent ou non en faveur de l’extradition.

E. Application aux faits de l’espèce

[42] L’appelant demande l’annulation de la décision du ministre au motif que l’extradition porterait indûment atteinte aux droits que lui confère le par. 6(1) de la Charte. Comme je l’ai expliqué, cette disposition exige du ministre qu’il examine la possibilité d’une poursuite au pays. Le ministre a conclu que le Canada n’avait pas compétence pour inculper l’appelant de l’infraction matérielle de trafic relativement aux actes commis à Detroit le 22 septembre 1997. Il a cependant ajouté qu’il s’inclinait devant l’intérêt supérieur des États‑Unis à cet égard, que le Canada ait ou non compétence pour inculper l’appelant. À supposer que le Canada ait eu compétence pour poursuivre l’appelant, la question reste de savoir si le ministre pouvait raisonnablement conclure que son extradition vers les États‑Unis ne constitue pas une atteinte injustifiée aux droits garantis au par. 6(1).

[43] Devant notre Cour, l’appelant n’a pas plaidé qu’il pourrait invoquer la défense d’autrefois convict s’il était effectivement inculpé au Canada de l’infraction matérielle de trafic relativement à l’opération du 22 septembre 1997. Il n’a pas non plus soutenu que la décision du ministre violait l’art. 4 du Traité, qui dispose que l’extradition ne peut être accordée si le fugitif a déjà été reconnu coupable ou acquitté des actes qui lui sont reprochés. L’appelant a plutôt prétendu qu’il serait inéquitable de l’extrader sur le fondement de l’accusation de trafic étant donné qu’il avait déjà été jugé et condamné au Canada. Il s’agit selon lui d’un élément pertinent à considérer pour déterminer si la violation de ses droits garantis au par. 6(1) peut se justifier en vertu de l’article premier.

[44] J’estime que la conclusion du ministre n’était pas déraisonnable. L’appelant n’a pas été inculpé de l’infraction matérielle de trafic en liaison avec l’opération du 22 septembre 1997. Il a certes été accusé de complot en vue du trafic de stupéfiants à différentes dates, dont le 22 septembre 1997, mais le complot n’englobe pas l’infraction matérielle. Il est possible d’être reconnu coupable à la fois du complot et de l’infraction matérielle qui en fait l’objet : Sheppe c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 22. Si l’accusé est reconnu coupable des deux chefs, il est généralement condamné à des peines concurrentes. Toutefois, la preuve qu’une personne accusée de complot a bel et bien commis l’infraction matérielle donnera généralement lieu à une peine plus sévère que s’il y avait eu seulement complot.

[45] Le ministre a estimé que la peine infligée à l’appelant au Canada ne tenait pas compte de la perpétration de l’infraction matérielle. À la lecture de la transcription de l’audience de détermination de la peine et de l’exposé conjoint des faits, il a constaté que le juge n’avait pas fait mention de l’accusation portée aux États‑Unis, mais que le ministère public lui avait signalé qu’une peine réduite était demandée en raison de cette inculpation. Même si l’exposé conjoint des faits renvoie à l’opération du 22 septembre 1997 à Detroit, le ministère public a clairement expliqué à l’audience de détermination de la peine qu’il ne demandait pas de condamnation pour cette infraction parce qu’il s’attendait à ce qu’une peine soit infligée à l’appelant aux États‑Unis. Voici l’extrait pertinent de la transcription :

[traduction] Monsieur Lake s’expose à un procès aux États‑Unis sous ce chef d’accusation, et les éléments de preuve réunis contre lui sont convaincants. Et il est fort probable qu’il fasse l’objet d’une déclaration de culpabilité pour les faits du 22 septembre 1997. Le ministère public en a tenu compte en examinant l’ensemble de la situation. D’ailleurs, il s’agit d’un des motifs pour lesquels le ministère public recommande cette peine qui — je le reconnais — est plutôt clémente pour de telles infractions. [d.a., p. 85]

À mon sens, le ministre pouvait raisonnablement conclure, sur la foi de la transcription de l’audience de détermination de la peine, que l’appelant n’avait pas déjà été puni pour les faits à l’origine de l’accusation portée aux États‑Unis.

[46] Par ailleurs, je conviens que le ministre est tenu de motiver sa décision, mais ses motifs ne doivent pas être exhaustifs pour être suffisants. Deux objectifs sous‑tendent son obligation : permettre à l’intéressé de comprendre la décision et à la cour de révision d’apprécier le bien‑fondé de celle‑ci. Les motifs doivent clairement indiquer que le ministre a pris en considération les arguments défavorables à l’extradition présentés par l’intéressé et permettre de comprendre pourquoi il les a rejetés. En l’espèce, malgré son caractère succinct, l’analyse du ministre fondée sur l’arrêt Cotroni suffisait. Le ministre n’est pas tenu d’analyser chacun des facteurs dans le détail. Une justification axée sur les facteurs jugés plus décisifs permet à la cour de révision de statuer sur la raisonnabilité de la conclusion.

[47] Dans la présente affaire, le ministre a affirmé avoir tenu compte des facteurs énoncés dans l’arrêt Cotroni. Pour arriver à sa conclusion, il a insisté sur le fait que les actes reprochés avaient eu lieu aux États‑Unis :

[traduction] . . . je céderais le pas à l’intérêt supérieur des États‑Unis d’Amérique à poursuivre M. Lake. Il appert de la preuve que ce dernier s’est livré au trafic de cocaïne sur le territoire des États‑Unis d’Amérique. L’État requérant est en droit de poursuivre afin d’assurer la protection de ses citoyens et de préserver leur confiance dans les lois et le système de justice pénale. [d.a., p. 17]

[48] Le lieu de l’infraction n’est pas toujours déterminant, mais la conclusion du ministre n’a rien de déraisonnable en l’espèce. Aucun autre élément ne l’emporte clairement sur le fait que les actes reprochés sont survenus aux États‑Unis. L’appelant invoque la sévérité de la peine qu’il encourt aux États‑Unis. Or, notre Cour a déjà confirmé des arrêtés d’extradition visant des individus passibles de longues peines d’emprisonnement pour des infractions liées à la drogue : États‑Unis d’Amérique c. Jamieson, [1996] 1 R.C.S. 465; United States of America c. Whitley (1994), 94 C.C.C. (3d) 99 (C.A. Ont.), confirmé (et motifs retenus) dans [1996] 1 R.C.S. 467; Ross c. United States of America (1994), 93 C.C.C. (3d) 500 (C.A.C.‑B.), confirmé (et motifs retenus) dans [1996] 1 R.C.S. 469. La peine redoutée par un fugitif ne constitue pas en soi un motif suffisant de revenir sur la décision du ministre d’ordonner son extradition. Le fait que le ministre juge préférable de respecter l’intérêt prioritaire des États‑Unis parce que les actes reprochés ont eu lieu dans ce pays constitue un motif suffisant de conclure à la raisonnabilité de sa décision.

IV. Conclusion

[49] Au vu de la jurisprudence de notre Cour, il ne fait aucun doute que la cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision du ministre d’ordonner l’extradition, y compris son appréciation des droits constitutionnels de l’intéressé. Le ministre est tenu d’appliquer les principes de droit corrects, mais sa décision ne peut être infirmée que si elle est déraisonnable. En l’espèce, le ministre a appliqué la norme juridique appropriée et donné des motifs suffisants pour expliquer sa décision d’extrader l’appelant. À mon avis, le choix de faire droit à la demande d’extradition plutôt que de poursuivre au Canada n’est pas déraisonnable. Par conséquent, le pourvoi est rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant : Ruby & Edwardh, Toronto.

Procureur de l’intimé : Procureur général du Canada, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : 2008 CSC 23 ?
Date de la décision : 08/05/2008
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Liberté de circulation et d’établissement - Droit de demeurer au Canada - Extradition - La décision du ministre de la Justice d’ordonner l’extradition d’un fugitif vers les États‑Unis portait‑elle atteinte à la liberté de circulation et d’établissement de l’intéressé? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 6(1).

Extradition - Remise à l’État requérant - Décision du ministre de la Justice d’ordonner l’extradition d’un fugitif vers les États‑Unis - L’extradition portait‑elle indûment atteinte à la liberté de circulation et d’établissement du fugitif? - Le ministre a‑t‑il mal apprécié les facteurs de l’arrêt Cotroni? - A‑t‑il justifié suffisamment sa décision? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 6(1).

Extradition - — Contrôle judiciaire de l’arrêté d’extradition - Norme de contrôle - Décision du ministre de la Justice d’ordonner l’extradition d’un fugitif vers les États‑Unis - La norme de la raisonnabilité s’applique‑t‑elle à la décision du ministre d’ordonner l’extradition d’un fugitif lorsque les droits constitutionnels de ce dernier sont en jeu? - Dans l’affirmative, la décision du ministre était‑elle raisonnable? - Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 57.

En 1997, au Canada, l’appelant a commis un certain nombre d’infractions liées au trafic de la cocaïne et, à Detroit (Michigan), il a vendu du crack à un agent d’infiltration de la Police provinciale de l’Ontario. Il a été inculpé au Canada de six infractions, dont celle de complot en vue de faire le trafic de crack, mais il n’a pas été accusé de trafic de cocaïne en liaison avec l’opération effectuée à Detroit. Il a inscrit des plaidoyers de culpabilité. À l’audience de détermination de la peine, le ministère public a dit recommander une peine plutôt clémente pour ce genre d’infractions parce qu’il était fort probable que l’appelant soit condamné à une peine supplémentaire à l’issue d’un nouveau procès aux États‑Unis. L’appelant a été condamné à des peines concurrentes d’un à trois ans d’emprisonnement. Après que l’appelant eut purgé sa peine d’emprisonnement au Canada, les États‑Unis ont demandé son extradition pour qu’il subisse son procès relativement à l’opération effectuée à Detroit. L’appelant a été incarcéré en vue de son extradition et, en 2005, le ministre de la Justice a ordonné son extradition. La Cour d’appel a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre.

Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Les motifs invoqués par le ministre permettaient à l’appelant de comprendre sa décision et à la cour de révision d’en apprécier le bien‑fondé. Le ministre doit communiquer à l’intéressé les motifs de sa décision et répondre à toute observation formulée contre l’extradition. Cependant, il n’est pas tenu d’analyser en détail chacun des facteurs énoncés dans l’arrêt Cotroni ni de leur accorder la même importance, et rien ne l’empêche de conclure qu’un seul d’entre eux est déterminant. Le lieu de l’infraction commise à l’étranger n’est pas toujours déterminant, mais il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion du ministre en l’espèce, à savoir qu’aucun autre facteur de l’arrêt Cotroni ne l’emporte sur le fait que les actes reprochés à l’appelant sont survenus aux États‑Unis. [25] [30] [46] [48]

L’extradition porte atteinte à première vue au droit que confère à un citoyen canadien le par. 6(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, mais cette atteinte est généralement susceptible de justification en vertu de l’article premier. La révision de l’arrêté d’extradition par la cour d’appel en application de l’art. 57 de la Loi sur l’extradition relève du contrôle de l’action administrative, et la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. La supériorité de l’expertise du ministre à l’égard des obligations internationales et des affaires étrangères du Canada doit également être prise en compte lors du contrôle judiciaire de sa décision concernant la justification de l’extradition. Au regard du droit, l’extradition contrevient au par. 6(1) de la Charte lorsqu’il est établi que la décision de ne pas poursuivre au Canada s’appuie sur des motifs irréguliers ou arbitraires, de sorte que la conclusion du ministre commande un degré élevé de déférence. Le fait que le ministre n’a pas le pouvoir d’accorder une réparation constitutionnelle ne permet pas d’arrêter la norme applicable. L’examen de la conformité de l’extradition à l’art. 7 de la Charte suppose lui aussi une pondération des facteurs favorables et défavorables à la mesure pour déterminer si elle choquerait la conscience. Le ministre doit soupeser, d’une part, la situation de l’intéressé et les conséquences de son extradition et, d’autre part, des éléments comme la gravité de l’infraction à l’origine de la demande d’extradition ainsi que l’importance de veiller à ce que le Canada respecte ses obligations internationales et à ce qu’il ne devienne pas un refuge pour les fugitifs recherchés par la justice. Sa décision est essentiellement politique et se situe à l’extrême limite législative du processus décisionnel administratif. Les tribunaux ne la modifieront que dans les cas exceptionnels où cela s’impose réellement. [22] [26] [34] [36‑39]

Déférer à l’appréciation ministérielle de la constitutionnalité de la décision d’extrader un fugitif n’atténue pas de manière inacceptable la portée du contrôle judiciaire. La cour de révision doit déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles. Elle doit donc se demander si le ministre a tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion défendable au regard de ces faits. La conclusion du ministre doit être confirmée à moins qu’elle ne soit déraisonnable, et ce, parce que les évaluations du ministre fondées sur le par. 6(1) et l’art. 7 de la Charte supposent des pondérations dépendantes de l’appréciation des faits en cause. Le ministre est le mieux placé pour soupeser les facteurs applicables. [40‑41]

La conclusion du ministre selon laquelle l’appelant n’a pas été poursuivi et condamné au Canada pour l’infraction matérielle de trafic perpétrée à Detroit n’est pas déraisonnable. L’appelant n’a pas été inculpé de cette infraction, et le complot dont il a été accusé n’englobait pas l’infraction matérielle. À l’audience de détermination de la peine, le juge n’a pas fait mention de l’accusation portée aux États‑Unis. Le ministère public a recommandé une peine réduite pour les infractions commises au Canada parce qu’il était probable que l’appelant soit déclaré coupable de l’infraction perpétrée à Detroit et qu’il soit condamné à une peine aux États‑Unis. Le fait que le ministre juge préférable de respecter l’intérêt prioritaire des États‑Unis parce que les actes reprochés ont eu lieu dans ce pays constitue un motif suffisant de conclure à la raisonnabilité de sa décision d’extrader l’appelant, y compris sa conclusion selon laquelle la mesure ne contrevient pas au par. 6(1) de la Charte. [44-45] [48]


Parties
Demandeurs : Lake
Défendeurs : Canada (Ministre de la Justice)

Références :

Jurisprudence
Arrêt interprété : États‑Unis d’Amérique c. Kwok, [2001] 1 R.C.S. 532, 2001 CSC 18
arrêts non suivis : Stewart c. Canada (Minister of Justice) (1998), 131 C.C.C. (3d) 423
United States of America c. Gillingham (2004), 184 C.C.C. (3d) 97
United States of America c. Maydak (2004), 190 C.C.C. (3d) 71
United States of America c. Kunze (2005), 194 C.C.C. (3d) 422
Hanson c. Canada (Minister of Justice) (2005), 195 C.C.C. (3d) 46
United States of America c. Fordham (2005), 196 C.C.C. (3d) 39
Ganis c. Canada (Minister of Justice) (2006), 216 C.C.C. (3d) 337
arrêts mentionnés : États‑Unis d’Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469
Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500
États‑Unis c. Allard, [1987] 1 R.C.S. 564
Idziak c. Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631
Bonamie, Re (2001), 293 A.R. 201
United States of Mexico c. Hurley (1997), 35 O.R. (3d) 481
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817
United States of America c. Taylor (2003), 175 C.C.C. (3d) 185
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779
États‑Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, 2001 CSC 7
Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1
Sheppe c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 22
États‑Unis d’Amérique c. Jamieson, [1996] 1 R.C.S. 465
United States of America c. Whitley (1994), 94 C.C.C. (3d) 99, conf. par [1996] 1 R.C.S. 467
Ross c. United States of America (1994), 93 C.C.C. (3d) 500, conf. par [1996] 1 R.C.S. 469.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 6(1), 7.
Loi sur l’extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 25, 43(1), 44(1), 47a), 49, 57(2), 57(7).
Loi sur l’extradition, L.R.C. 1985, ch. E-23, art. 9(3).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, art. 18.1(4).
Traités et autres instruments internationaux
Traité d’extradition entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, art. 4.

Proposition de citation de la décision: Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23 (8 mai 2008)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2008-05-08;2008.csc.23 ?
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