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24/02/2005 | CANADA | N°2005_CSC_6

Canada | Marche c. Cie d'Assurance Halifax, 2005 CSC 6 (24 février 2005)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Marche c. Cie d’Assurance Halifax,

[2005] 1 R.C.S. 47, 2005 CSC 6

Date : 20050224

Dossier : 29754

Entre :

Theresa Marche et Gary Fitzgerald

Appelants

c.

La Compagnie d’Assurance Halifax

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 45)

Motifs dissidents :

(par. 46 à 123)

La juge en chef McLachlin (avec l’a

ccord des juges Major, Binnie, Deschamps et Fish)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge Charron)

______________________________

Marche c. Cie d’Assuranc...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Marche c. Cie d’Assurance Halifax,

[2005] 1 R.C.S. 47, 2005 CSC 6

Date : 20050224

Dossier : 29754

Entre :

Theresa Marche et Gary Fitzgerald

Appelants

c.

La Compagnie d’Assurance Halifax

Intimée

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish et Charron

Motifs de jugement :

(par. 1 à 45)

Motifs dissidents :

(par. 46 à 123)

La juge en chef McLachlin (avec l’accord des juges Major, Binnie, Deschamps et Fish)

Le juge Bastarache (avec l’accord de la juge Charron)

______________________________

Marche c. Cie d’Assurance Halifax, [2005] 1 R.C.S. 47, 2005 CSC 6

Theresa Marche et Gary Fitzgerald Appelants

c.

La Compagnie d’Assurance Halifax Intimée

Répertorié : Marche c. Cie d’Assurance Halifax

Référence neutre : 2005 CSC 6.

No du greffe : 29754.

2004 : 2 novembre; 2005 : 24 février.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish et Charron.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle-écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (la juge en chef Glube et les juges Oland et Hamilton) (2003), 214 N.S.R. (2d) 1, 47 C.C.L.I. (3d) 165, 671 A.P.R. 1, [2003] I.L.R. ¶I-4197, [2003] N.S.J. No. 121 (QL), 2003 NSCA 32, qui a infirmé un jugement du juge MacAdam (2002), 202 N.S.R. (2d) 345, 632 A.P.R. 345, [2002] N.S.J. No. 157 (QL), 2002 NSSC 62. Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Charron sont dissidents.

Derrick J. Kimball, Nash T. Brogan et H. Heidi Foshay Kimball, pour les appelants.

Scott C. Norton, c.r., et Daniela Bassan, pour l’intimée.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, Deschamps et Fish rendu par

La Juge en chef —

I. Introduction

1 Il s’agit de la triste affaire d’un couple, Mme Marche et M. Fitzgerald, qui a fait l’acquisition de la maison de famille de M. Fitzgerald, l’a convertie en deux appartements et, ayant quitté le Cap‑Breton à la recherche de travail en Colombie‑Britannique, l’a perdue dans un incendie. Ils l’avaient assurée auprès de La Compagnie d’Assurance Halifax (« Halifax »). Celle‑ci a toutefois refusé de les indemniser pour le sinistre. Jusqu’à peu avant l’incendie, la maison était occupée. Cependant, invoquant une inoccupation antérieure dont, selon elle, les propriétaires auraient dû l’aviser en vertu de la police d’assurance, Halifax soutenait que cette inoccupation équivalait à un changement dans les circonstances constitutives du risque, lequel, selon la condition légale 4, a pour effet d’annuler la couverture d’assurance.

2 D’après le juge de première instance, à supposer qu’ils aient violé la condition légale 4 en n’avisant pas Halifax d’une inoccupation antérieure, les propriétaires devraient être dégagés des conséquences de cette violation selon l’art. 171 de l’Insurance Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 231 (la « Loi sur les assurances »), lequel dispose qu’une condition d’une police d’assurance ne lie pas l’assuré si le tribunal la juge « injuste ou déraisonnable » : (2002), 202 N.S.R. (2d) 345, 2002 NSSC 62. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a infirmé cette décision au motif que l’art. 171 ne s’applique pas aux conditions légales, mais uniquement aux conditions facultatives de la police d’assurance : (2003), 214 N.S.R. (2d) 1, 2003 NSCA 32.

3 Je conclus que l’art. 171 de la Loi sur les assurances s’applique aux conditions légales et qu’il y a lieu de rétablir la décision du juge de première instance.

II. Les faits

4 Personne ne conteste vraiment les faits pertinents en l’espèce. Il est clair que les propriétaires ont laissé la maison inoccupée quand ils sont partis pour la Colombie‑Britannique. Ils n’ont pas avisé Halifax que la propriété était vacante et qu’ils cherchaient des locataires pour les deux appartements. La propriété est demeurée vacante entre septembre et début décembre 1998, date de l’emménagement du frère de M. Fitzgerald, Danny. Le loyer étant en souffrance, Mme Marche a fait couper l’eau à la mi‑janvier 1999 et enlever les boîtes électriques à la fin du même mois. Bien que l’intention ait été de faire partir Danny, il n’a pas été établi qu’il ait déménagé. Le jour de l’incendie, le 7 février 1999, ses effets personnels se trouvaient toujours dans la maison.

5 Dans ces circonstances, Halifax n’a pu établir l’inoccupation au moment du sinistre. Elle a cependant refusé toute indemnisation sous le régime du contrat d’assurance au motif que Mme Marche et M. Fitzgerald ne l’avaient pas avisée d’une inoccupation antérieure, soit avant l’emménagement de Danny, et que cette inoccupation représentait un changement dans les circonstances constitutives du risque, lequel a entraîné la nullité de la police d’assurance.

III. Analyse

6 L’assureur a fait valoir que les assurés avaient violé la condition légale 4 en ne l’avisant pas d’une inoccupation antérieure. Le juge de première instance, sans conclure à une violation, a indiqué qu’il aurait de toute façon accordé l’exemption prévue à l’art. 171 de la Loi sur les assurances. La question fondamentale en l’espèce, comme on l’a fait valoir, est de savoir si l’art. 171 s’applique aux conditions légales. Dans l’affirmative, il s’agit de savoir s’il y a eu violation de la loi et s’il y a lieu d’accorder l’exemption.

A. L’article 171 de la Loi sur les assurances s’applique‑t‑il à la condition légale 4?

7 Le texte de l’art. 171 de la Loi sur les assurances de la Nouvelle‑Écosse prévoit ce qui suit :

[traduction]

171 Lorsqu’un contrat :

. . .

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

8 Le litige sur la question de savoir si l’art. 171 s’applique aux conditions légales masque une question plus profonde : que veut‑on dire lorsqu’on affirme que l’art. 171 s’applique ou ne s’applique pas à une condition légale?

9 Pour certains, il s’agit de savoir si l’art. 171 de la Loi sur les assurances pourrait servir à modifier le contrat et à supprimer des conditions qui, de par la loi, font partie intégrante de toute police d’assurance. Vue dans cette optique, la question commande une réponse négative. En effet, le législateur ne peut vraiment pas avoir voulu conférer aux juges de première instance le pouvoir de déclarer déraisonnables à première vue les conditions qu’il a rendues obligatoires dans tous les contrats d’assurance.

10 Pour d’autres, il s’agit de savoir si l’art. 171 vise non seulement à supprimer des conditions qui sont à première vue déraisonnables (s’il en est), mais aussi à remédier aux effets de l’application des conditions qui, selon les circonstances de l’affaire, sont déraisonnables dans leur application ou draconiennes dans leurs effets. Vue sous cet angle, la question prend une tout autre couleur; à mon avis, c’est un aspect plus intéressant, car on évite ainsi un résultat injuste qui autrement serait inéluctable.

11 Le libellé de l’art. 171 permet de voir la question dans les deux optiques. Toutefois, à mon sens, la seconde correspond davantage aux objectifs réparateurs de la disposition.

12 Par conséquent, il s’agit essentiellement de savoir si l’art. 171 s’applique aux conditions légales qui sont déraisonnables ou injustes dans leur application. Pour les raisons qui suivent, je conclus par l’affirmative.

(1) Arguments en faveur de l’application de l’art. 171 pour lever les conditions légales déraisonnables ou injustes

a) L’article 171 apporte une solution de droit et devrait recevoir une interprétation large

13 Dans Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778, la Cour a statué que la disposition sur la levée de la déchéance, l’art. 109 de la Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26, ne se limitait pas aux « conditions légales » et qu’elle pouvait s’appliquer aux « conditions contractuelles », même s’il est fait expressément mention de « conditions légales » dans la disposition. L’une des principales raisons tient au fait que la disposition apporte une solution de droit et qu’elle devrait être interprétée de manière large. De même, en l’espèce, l’art. 171 vise à remédier aux conditions injustes ou déraisonnables des polices d’assurance et devrait, de ce fait, recevoir une interprétation large. Cette méthode d’interprétation est étayée par le par. 9(5) de l’Interpretation Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 235, qui dispose que [traduction] « [c]haque disposition est censée apporter une solution de droit et s’interpréter de manière à assurer la réalisation de ses objectifs . . . ».

b) Le libellé de l’art. 171 est suffisamment large pour englober les conditions légales

14 La condition légale 4, étant une clause du contrat, est visée par le membre de phrase [traduction] « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte [. . .] une condition », qui circonscrit l’application de l’art. 171. Le terme « condition » n’est pas qualifié par un adjectif restrictif. Par conséquent, l’art. 171 semble à première vue s’appliquer tant aux conditions négociées qu’aux conditions légales.

15 L’inclusion des conditions légales dans le terme « condition » à l’art. 171 peut être compatible avec la présomption en faveur du sens ordinaire et non technique du terme : R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 41. Rien ne permet d’inférer automatiquement que le terme « condition » exclut les « conditions légales »; le libellé de la loi confirme donc la validité de cette interprétation.

16 L’assureur soulève plusieurs arguments à l’encontre de la thèse de l’interprétation selon le « sens ordinaire » du terme. Aucun n’est convaincant.

17 Premièrement, l’assureur soutient que, les conditions légales étant obligatoires, le membre de phrase « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte » à l’art. 171 implique que la condition est nécessairement de nature contractuelle puisqu’un contrat doit comporter une condition légale. Cependant, ce membre de phrase est également compatible avec l’intention d’englober tant les conditions légales, qui sont obligatoires, que les garanties, conditions et stipulations facultatives. Étant donné que les conditions légales figurent dans le contrat d’assurance, le membre de phrase « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte » peut s’interpréter comme s’il les englobait.

18 Deuxièmement, l’assureur souligne que dans [traduction] « une stipulation, une condition ou une garantie », les termes sont regroupés et qu’il n’est pas question de « stipulation légale » ou « garantie légale ». Il s’ensuit de là, selon lui, que la condition en question est de nature contractuelle : mémoire de l’intimée, par. 30. Cependant, il ressort clairement de la lecture de l’ensemble de la Loi sur les assurances que l’emploi du terme « condition » donne peu de précisions. Les conditions légales sont désignées comme étant des « conditions » : p. ex., le par. 167(2) de la Loi sur les assurances (voir annexe A). Dans toute cette loi, les « conditions légales » sont aussi dites « conditions obligatoires » : p. ex., l’al. 159(1)d). Le fait que le terme « condition » puisse englober les « conditions légales » est renforcé par le par. 32(1), qui précise « condition légale ou autre », et par le par. 169(3), qui mentionne « condition contractuelle » : Loi sur les assurances. Ainsi, une lecture de l’ensemble de la loi ne permet pas d’appuyer la prétention de l’assureur.

19 Troisièmement, l’assureur fait valoir que la seule autre disposition d’exemption de la Loi sur les assurances qui pourrait s’appliquer aux contrats d’assurance‑incendie, soit l’art. 33 « lev[ée] de la déchéance » (dont il est convenu qu’elle ne s’applique pas en l’espèce), mentionne expressément les conditions légales alors que ce n’est pas le cas de l’art. 171. Cette mention expresse des conditions légales renforce la thèse que seul l’art. 33 s’applique aux conditions légales et que l’art. 171 ne vise que les dispositions contractuelles facultatives. Cette conclusion n’a toutefois qu’une pertinence limitée compte tenu du fait que l’historique et l’objectif des deux dispositions sont différents, de l’interprétation large consacrée au terme « conditions légales » dans Falk Bros. et de l’emploi généralement imprécis du terme « condition » dans l’ensemble de la Loi sur les assurances.

20 En résumé, le libellé de l’art. 171 englobe les conditions légales.

c) L’historique de l’art. 171

21 L’alinéa 9(5)g) de l’Interpretation Act de la Nouvelle‑Écosse préconise la prise en compte de [traduction] « l’historique de la législation sur la question » comme outil d’interprétation des lois. Cet énoncé est renforcé par le principe directeur en matière d’interprétation qui veut que tout changement législatif ait un but.

22 La disposition qui a précédé l’art. 171 mentionne expressément les conditions légales :

[traduction]

11 Lorsque le taux de la prime varie selon l’utilisateur, l’état, l’emplacement ou l’entretien du bien assuré, la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale énonçant toute stipulation relative à cet utilisateur, état, emplacement ou entretien, et pareille clause n’est pas réputée modifier quelque condition légale que ce soit. Cette clause ne lie l’assuré que dans la mesure où le tribunal saisi d’une question y afférente juge la clause juste et raisonnable.

(Fire Insurance Policy Act, R.S.N.S. 1954, ch. 100, antérieurement S.N.S. 1930, ch. 7)

23 Cette disposition (et celles qui l’ont précédée) a permis le maintien des conditions facultatives, non prévues par la loi, qui ne présentaient pas d’incompatibilité avec les conditions légales, et leur assurait un caractère exécutoire si le tribunal les jugeait « justes et raisonnables ». Le tribunal pouvait accorder l’exemption, mais uniquement à l’égard des conditions facultatives, non prévues par la loi.

24 En 1956, la législature a remplacé l’art. 11 par l’actuel art. 171, qui n’établit aucune distinction entre les conditions légales et les conditions facultatives et qui prévoit que le tribunal peut lever les conditions en général s’il les juge « injustes ou déraisonnables ». Voir Fire Insurance Act, S.N.S. 1956, ch. 6.

25 Ainsi, avant 1956, la législature a clairement indiqué que les tribunaux ne pouvaient lever les conditions légales. En 1956, elle a précisé qu’ils pouvaient lever les conditions en général. Je le répète, le principe directeur en matière d’interprétation veut que tout changement législatif ait un but. Cela confirme que l’art. 171 est censé s’appliquer à toutes les conditions, légales ou non.

26 En fait, selon l’assureur, nous devrions procéder comme si la loi n’avait pas été modifiée en 1956 et l’interpréter comme auparavant. Agir ainsi va à l’encontre des règles d’interprétation reconnues.

27 Loin d’appuyer la thèse de l’assureur, l’historique de l’art. 171 démontre que cette disposition est destinée à s’appliquer aux conditions légales.

d) La jurisprudence

28 Dans les affaires portant sur la question de savoir si l’art. 171 (ou son équivalent) s’applique aux conditions légales, le tribunal a conclu par l’affirmative : Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18 (B.R. Alb.), p. 27; 528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470 (C.S.J.), par. 24 (distinction faite d’avec les faits de la cause Krupich pour d’autres motifs). Jusqu’à présent, les tribunaux n’ont pas adopté l’interprétation préconisée par l’assureur intimé pour l’art. 171. Malgré ces décisions, les législatures n’ont pris aucune mesure pour modifier le libellé. Cela est révélateur : Falk Bros.

29 Bref, parmi les rares décisions rendues sur la question, seule celle de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse, qui est portée en appel en l’espèce, confirme que l’art. 171 (ou son équivalent) ne s’applique pas aux conditions légales. Dans les décisions judiciaires invoquées par l’assureur à l’appui de sa thèse que, selon les tribunaux, l’art. 171 ne s’applique pas aux conditions légales, ceux‑ci ne se sont en fait pas prononcés sur ce point : p. ex., Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662 (C.S. Alb.); Kekarainen c. Oreland Movers Ltd., [1981] 3 W.W.R. 534 (B.R. Man.); Poast c. Royal Insurance Co. of Canada (1983), 21 Man. R. (2d) 67 (B.R.).

(2) Arguments à l’encontre de l’application de l’art. 171 pour lever les conditions légales déraisonnables ou injustes

30 Après avoir traité des arguments de l’assureur au sujet du libellé de l’art. 171, de son historique et de la jurisprudence en la matière, je vais maintenant examiner son argument le plus solide : par définition, les conditions légales ne peuvent être déraisonnables ni injustes et ne peuvent donc être visées par l’art. 171.

31 L’assureur prétend que les conditions légales visent à apporter une solution de droit et à renforcer les droits de l’assuré plutôt qu’à les restreindre. Elles sont donc, par définition, « justes et raisonnables », et l’art. 171 ne peut s’appliquer à leur égard : décision de la Cour d’appel, par. 53‑54; Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95 (C.P.), p. 99, à laquelle souscrit le professeur J. A. Rendall dans ses notes critiques relatives à Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18, p. 19.

32 Cet argument ne tient pas compte du fait qu’une condition d’assurance peut paraître à première vue raisonnable et juste, mais qu’elle peut être déraisonnable et injuste dans son application. À titre d’exemple, la question de savoir si un changement est « important dans l’appréciation du risque » est extrêmement complexe et tributaire des faits, et l’application rigoureuse peut se révéler injuste ou déraisonnable d’après les circonstances particulières de l’affaire. À cet égard, les auteurs C. Brown et J. Menezes concluent : [traduction] « [u]ne façon fondamentale — et apparemment inchangée au fil des ans — d’aborder la question de savoir ce qui est injuste ou déraisonnable consiste à statuer d’après les faits et non en des termes généraux tout à fait abstraits » : Insurance Law in Canada (2e éd. 1991), p. 190.

33 La méthode concrète énoncée par Brown et Menezes s’impose de par le libellé de l’article même. Comme nous l’avons déjà mentionné, on ne peut vraiment pas prêter au législateur l’intention de prescrire des clauses qui sont injustes à première vue. Les mots « injuste » et « déraisonnable » qualifiant une condition n’ont guère de sens à moins de se rapporter aux effets qu’elle peut créer. C’est pour cette raison qu’à première vue, sans égard aux effets qui en découlent, peu de clauses de contrat d’assurance pourraient vraisemblablement être qualifiées d’injustes ou de déraisonnables. Pour comprendre l’art. 171, il faut se demander quelles sont les incidences de l’application de la clause.

34 Enfin, le principe énoncé par Brown et Menezes qu’il faut apprécier l’expression « injuste ou déraisonnable » au cas par cas et non dans l’abstrait reflète l’objet réparateur de l’art. 171. Conclure que seule la condition interprétée dans l’abstrait doit être injuste ou déraisonnable, sans égard aux incidences qui découlent de son application, serait incompatible avec le large objectif réparateur de la disposition qui est de protéger le public contre des conditions d’assurance injustes ou déraisonnables.

35 L’expression « injuste ou déraisonnable » à l’art. 171 permet à la Cour d’examiner l’application de la clause. On ne prétend pas qu’il en soit autrement des conditions facultatives, non prévues par la loi. Si c’était le cas, il n’existerait aucun fondement à la thèse qu’en ce qui concerne les conditions légales, l’examen ne s’attache qu’à la condition sans égard aux conséquences de son application. Si l’on prend en compte les conséquences, l’argument que, par définition, les conditions légales ne peuvent jamais être injustes ou déraisonnables ne tient pas. C’est à cette étape qu’échoue le principal argument de l’assureur, à savoir que l’art. 171 ne peut s’appliquer, car les conditions légales doivent toujours être justes et raisonnables.

(3) Conclusion sur l’application de l’art. 171 aux conditions légales

36 D’après l’objectif réparateur de l’art. 171, son libellé, son historique et la jurisprudence, on peut conclure que l’art. 171 s’applique aux conditions légales. Les arguments en sens contraire ne réussissent pas à écarter ces considérations. Je conclus que l’art. 171 s’applique à la condition légale 4. Si l’application des conditions entraîne des résultats injustes ou déraisonnables, la Cour peut accorder l’exemption prévue à l’art. 171.

B. Le juge de première instance a‑t‑il fait erreur en levant la condition légale?

(1) La nullité de la police d’assurance selon la condition légale 4 est‑elle établie?

37 Nous sommes confrontés ici à une difficulté. Selon le juge de première instance, il n’y a pas eu de changement dans les circonstances constitutives du risque qui représente une violation de la condition légale 4. Il a simplement déclaré :

[traduction] Dans la mesure où l’inoccupation a pu être une cause de nullité de la police d’assurance, je suis convaincu qu’il serait à la fois injuste et déraisonnable de donner effet à l’exclusion de la couverture d’assurance pour cause d’inoccupation, étant donné que la maison a été occupée par la suite jusqu’à peu avant l’incendie et qu’il n’y avait aucune violation de loi au moment du sinistre. [par. 63]

38 La juge Oland, de la Cour d’appel, a cependant conclu que Halifax avait démontré que l’inoccupation représentait un changement dans les circonstances constitutives du risque au sens de la condition légale 4 et que, de ce fait, les assurés étaient tenus d’aviser leur assureur de l’inoccupation. La juge Oland, notant qu’ils n’ont pas avisé leur assureur et jugeant que l’observation subséquente de la condition ne permettait pas de remédier au changement dans les circonstances constitutives du risque, a conclu que le contrat devenait nul dès la date de la violation.

39 Voici le texte de la condition légale 4 :

[traduction]

ANNEXE DE LA PARTIE VII

CONDITIONS LÉGALES

4 Changement important — Un changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance est une cause de nullité de la partie du contrat ainsi touchée, à moins qu’un avis de ce changement ne soit promptement donné par écrit à l’assureur ou à son agent local. L’assureur ainsi avisé peut rembourser, le cas échéant, la part non acquise de la prime versée et résilier le contrat, ou aviser par écrit l’assuré que, s’il désire que le contrat demeure en vigueur, il doit, dans les 15 jours qui suivent la réception de l’avis, verser à l’assureur une surprime. À défaut de paiement, le contrat cesse d’être en vigueur et l’assureur rembourse, le cas échéant, la part non acquise de la prime versée.

40 Selon un principe bien établi du droit des assurances, l’inoccupation peut constituer un changement dans les circonstances constitutives du risque : p. ex., Arcand c. Grenville Patron Mutual Fire Insurance Co. (1923), 25 O.W.N. 175 (H.C.), comme en témoigne la pratique courante et reconnue d’insérer dans les polices d’assurance une clause d’exclusion pour cause d’inoccupation de plus de 30 jours. Halifax n’a sans doute pas été en mesure d’invoquer cette clause en l’espèce parce que le juge MacAdam avait conclu à l’occupation du bien jusqu’à peu avant le sinistre. Cependant, elle pouvait toujours se fonder sur la condition légale 4 pour annuler la police d’assurance au motif qu’un [traduction] « changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance est une cause de nullité de la partie du contrat ainsi touchée » : annexe de la partie VII de la Loi sur les assurances.

41 Les assurés soutiennent qu’une inoccupation bien des mois avant l’incendie ne devrait pas entraîner le rejet de leur demande d’indemnisation pour l’incendie qui a détruit leur maison. Aucune preuve concrète ne lie cette inoccupation antérieure aux circonstances réelles de l’incendie, qui serait d’origine criminelle. Selon eux, si la décision de la Cour d’appel est confirmée, il pourrait arriver que la police d’assurance devienne nulle du fait qu’une inoccupation (p. ex. pendant les vacances) n’a pas été signalée avant la survenance d’un incendie sans rapport avec la situation. Cela pourrait avoir de graves répercussions dans le cas des biens locatifs, qui peuvent souvent demeurer vacants pendant que les propriétaires cherchent des locataires acceptables. De plus, même si la première clause de la condition légale 4 dispose que le changement [traduction] « est une cause de nullité de la partie du contrat ainsi touchée . . . », le reste de la disposition permet de penser que le contrat demeure en vigueur jusqu’à la survenance d’événements précis, comme la résiliation par l’assureur. Il s’ensuit, poursuit‑on, que le contrat ne prend pas fin automatiquement avant qu’il ne soit remédié au changement dans les circonstances constitutives du risque. Il s’agit alors de savoir si l’assureur avait le droit de résilier le contrat en raison du changement antérieur du risque auquel il a été remédié. On peut soutenir que, lorsqu’il a été remédié au changement, il s’agit tout au plus d’une dette et qu’il n’est alors guère justifié de prendre en conséquence une mesure aussi draconnienne que l’annulation de la police d’assurance.

42 L’assureur, pour sa part, peut faire valoir que le défaut de notification du changement l’a privé de la possibilité d’annuler le contrat avant le sinistre. De plus, il n’est pas essentiel qu’il y ait un lien de causalité entre la violation de la loi et le sinistre : voir l’affaire Henwood c. Prudential Insurance Co. of America, [1967] R.C.S. 720, où la couverture d’assurance a été refusée parce que l’assurée n’avait pas révélé qu’elle souffrait de dépression clinique et où elle a été ensuite tuée dans un accident d’automobile sans rapport avec cet état. On pourrait soutenir que ce raisonnement ne s’applique pas à l’omission d’aviser d’un changement du risque qui a par la suite été rectifié et qui n’entre donc pas en jeu au moment du sinistre. Bien des événements peuvent entraîner un changement temporaire du risque — p. ex., une inoccupation de courte durée ou la défaillance d’une pompe de puisard. Les propriétaires sont‑ils tenus, au risque de perdre leur couverture d’assurance, d’aviser les assureurs de ces problèmes temporaires même après y avoir remédié et même s’ils sont désormais sans conséquence?

43 En conclusion, la condition légale 4 n’est pas un modèle de clarté. On peut avancer des arguments à l’appui et à l’encontre de la thèse qu’en l’espèce son application entraîne la nullité de la police d’assurance. Faute d’arguments en nombre suffisant sur la question, il vaut mieux qu’elle soit réglée par voie de modification législative ou dans une autre affaire.

(2) Si la violation de la condition légale 4 emporte nullité du contrat d’assurance, le tribunal devrait‑il accorder l’exemption prévue à l’art. 171 de la Loi sur les assurances?

44 Selon le juge de première instance, si l’application de la condition légale 4 emporte nullité du contrat d’assurance, le tribunal devrait remédier à cette situation en appliquant l’art. 171 de la Loi sur les assurances, car le logement auparavant vacant ne l’était plus avant le sinistre. Cette conclusion n’est pas vraiment contestée; l’assureur a principalement soutenu que l’art. 171 ne s’appliquait pas à la condition légale 4. Ayant conclu à son application, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du juge de première instance sur ce point.

IV. Conclusion

45 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de confirmer la décision du juge de première instance, avec dépens en faveur des appelants/assurés dans toutes les cours.

Version française des motifs des juges Bastarache et Charron rendus par

Le juge Bastarache (dissident) —

I. Introduction

46 La seule question en litige en l’espèce est celle de l’interprétation de l’art. 171 de l’Insurance Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 231 (la « Loi sur les assurances »), et de son application à la condition légale 4. L’article 171 confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de remédier à l’annulation d’un contrat d’assurance‑incendie s’il juge injuste ou déraisonnable une stipulation, une condition ou une garantie. Selon la condition légale 4, le contrat d’assurance devient nul si l’assureur n’est pas promptement avisé par écrit d’un changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance.

47 L’assurance est devenue un élément essentiel de notre société. [traduction] « Publique ou privée, obligatoire ou volontaire, l’assurance touche quotidiennement tout le monde » : D. Boivin, Insurance Law (2004), p. 1. Mais quel est l’objet du droit des assurances? Le droit des assurances assure un contrôle et veille au [traduction] « juste équilibre entre la nécessité pour les assureurs de maintenir une viabilité financière suffisante et les attentes raisonnables de leurs clients » : C. Brown, Insurance Law in Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 1‑1.

48 Le commerce de l’assurance est l’un des premiers secteurs à être réglementés, les législatures ayant cherché à limiter l’impact économique des compagnies d’assurances ainsi que les effets des pratiques commerciales et de l’insolvabilité des assureurs : M. G. Baer et J. A. Rendall, Cases on the Canadian Law of Insurance (6e éd. 2000), p. 27‑28. L’incursion des législatures provinciales dans les principaux aspects des relations entre assurés et assureurs s’est d’abord manifestée sur le plan du fond et de la forme des contrats d’assurance‑incendie. En effet, les critiques du public à l’égard des pratiques commerciales et du contenu des polices d’assurance étaient tellement répandues que les législatures ont fixé les modalités générales des polices d’assurance‑incendie, lesquelles ont ouvert la voie aux conditions légales que nous connaissons maintenant : Baer et Rendall, p. 74‑75.

49 Le régime dans lequel s’inscrivent l’art. 171 et la condition légale 4 (changement dans les circonstances constitutives du risque) existe dans toutes les lois provinciales en matière d’assurance qui traitent de l’assurance‑incendie (à l’exception de Québec, qui aborde cet aspect dans le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64) : Insurance Act, R.S.B.C. 1996, ch. 226, art. 129 (« exclusions injustes ») et 126; Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, par. 552(1) (« stipulations particulières ») et art. 549; The Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26, art. 131 (« stipulations particulières ») et 128; Loi sur les assurances, L.R.M. 1987, ch. I40, art. 145 (« exclusions injustes ») et 142; Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 151 (« stipulations particulières ») et 148; Loi sur les assurances, L.R.N.‑B. 1973, ch. I‑12, art. 130 et 127; Insurance Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. I‑4, art. 117 (« exclusions ou conditions injustes et déraisonnables n’ayant pas de force obligatoire, lorsque ») et 114; Fire Insurance Act, R.S.N.L. 1990, ch. F‑10, art. 11 (« stipulations particulières ») et 8, et ann., par. 4; Loi sur les assurances, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. I‑4, art. 67 (« stipulations spéciales ») et par. 64(2); Loi sur les assurances, L.R.Y. 1986, ch. 91, art. 71 (« stipulations spéciales ») et 68.

50 Je maintiens que l’interprétation de l’art. 171 de la Loi sur les assurances ne peut mener qu’à une seule conclusion : l’art. 171 ne s’applique pas aux conditions légales. Par conséquent, la décision de la Cour d’appel devrait être confirmée.

II. Remarques préliminaires

51 La Juge en chef ayant résumé succinctement les faits pertinents de l’espèce, il est inutile de répéter cette partie de ses motifs. J’aimerais néanmoins préciser quelques faits importants.

52 La Juge en chef a qualifié la situation de « triste affaire d’un couple » qui a perdu la maison qu’il avait convertie en deux appartements (par. 1). Sans contester les faits, je ne suis pas d’accord avec cette qualification. La propriété était vacante bien avant l’incendie et a été par la suite occupée par le frère de M. Fitzgerald, Danny, en vertu d’une entente de location. Lorsque Danny a cessé de payer le loyer, les assurés ne restaient pas là à se demander ce qu’il fallait faire; ils étaient résolus à l’expulser. En fait, Mme Marche a pris les dispositions nécessaires pour faire couper l’eau et enlever les boîtes électriques. Le fait que les assurés n’aient peut‑être pas eu d’intention malveillante, mais aient agi seulement par ignorance des obligations qui leur incombaient en vertu de la police d’assurance ne rend nullement cette affaire particulière. Ils ont à dessein laissé la propriété vacante, sans eau ni électricité. Il ne faut pas oublier que c’est le législateur qui a rédigé la disposition en cause et que La Compagnie d’Assurance Halifax (« Halifax ») n’a fait que demander l’application de la police d’assurance.

53 La juge en chef McLachlin indique au par. 4 de ses motifs que, même si l’intention des assurés était de faire partir Danny, il n’a pas été établi qu’il ait déménagé puisque ses effets personnels se trouvaient toujours dans la maison. En fait, le juge de première instance a conclu que [traduction] « l’incendie s’est apparemment déclaré peu après que Danny eut quitté les lieux », pour ensuite ajouter que [traduction] « Danny a tenté de trouver un autre logement et il se pourrait même qu’il ait déménagé peu avant l’incendie » : (2002), 202 N.S.R. (2d) 345, 2002 NSSC 62, par. 25. Cette version est davantage compatible avec le fait qu’il n’y avait ni eau ni électricité dans la maison et que les événements sont survenus en février. Je crois qu’il est raisonnable de conclure que Danny avait quitté la propriété même s’il y avait laissé certains de ses effets personnels.

III. Principes généraux d’interprétation des lois

54 L’interprétation des lois au Canada a fait l’objet de nombreux ouvrages (voir R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002); P.‑A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999); R. N. Graham, Statutory Interpretation : Theory and Practice (2001)). La Cour a mentionné à maintes reprises et ce, dans divers contextes, qu’elle préconisait la méthode d’interprétation législative énoncée par E. A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, le juge Estey (droit fiscal); Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, p. 1134, le juge en chef Dickson (droit administratif); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, le juge Iacobucci (droit du travail); R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33, la juge en chef McLachlin (droit criminel); R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56, par. 28, le juge Iacobucci (amirauté); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27, le juge Iacobucci (droit de l’immigration); Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26, le juge Iacobucci (droit de la radiocommunication).)

55 Même si les facteurs énumérés par Driedger créent le cadre nécessaire à l’interprétation d’une disposition législative, la Cour a, dans Chieu, par. 28, souligné qu’il ne fallait pas appliquer à la lettre les facteurs d’interprétation, étant donné qu’ils sont étroitement liés et interdépendants.

56 En outre, comme l’a souligné l’assureur, le législateur a intégré la même approche dans le par. 9(5) de l’Interpretation Act, R.S.N.S. 1989, ch. 235, lequel exige un examen de l’objet de la disposition, du droit antérieur et de l’historique de la législation en cette matière lorsqu’il s’agit d’interpréter une disposition :

[traduction]

9. . . .

(5) Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète d’une manière qui soit compatible avec la réalisation de son objet, compte tenu notamment :

a) de l’opportunité et de la nécessité d’adopter le texte;

b) des circonstances de son adoption;

c) du tort à réparer;

d) de l’objet à réaliser;

e) du droit antérieur, y compris les autres textes en la matière ou en matière semblable;

f) des conséquences d’une interprétation donnée;

g) de l’historique de la législation en cette matière.

57 S’il est vrai que l’on peut et que l’on doit considérer le droit antérieur et l’historique législatif comme faisant partie des éléments à prendre en compte, comme l’indique l’Interpretation Act, ces facteurs, surtout dans un contexte non constitutionnel, sont subordonnés à l’obligation d’interpréter chaque disposition en fonction de son objet, déterminé d’après l’examen de la Loi dans son ensemble. La souveraineté du Parlement devrait guider les tribunaux, comme la Cour l’a confirmé dans Bell ExpressVu, par. 62 :

Les textes législatifs sont l’expression de la volonté du législateur. Ils complètent, modifient ou remplacent la common law. Plus précisément, lorsqu’une loi est en jeu dans une instance judiciaire, il incombe au tribunal (sauf contestation fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel) de l’interpréter et de l’appliquer conformément à l’intention souveraine du législateur.

IV. L’application des principes à l’art. 171

58 Pour décider de l’interprétation à donner à la disposition législative en cause dans le présent pourvoi, j’examinerai tout d’abord le sens ordinaire et grammatical des termes employés. J’interpréterai ensuite la disposition dans son contexte. Cette analyse comprendra un examen (i) du contexte immédiat de l’expression à l’étude; (ii) du contexte général de la disposition, y compris l’objet et l’intention du législateur, et (iii) du contexte externe, c.‑à‑d. l’historique de la disposition contestée. Bien qu’à première vue, aucun de ces facteurs ne semble en soi concluant, c’est leur incidence globale qui est déterminante.

A. Sens ordinaire et grammatical

59 L’interprétation commence avec l’examen du sens ordinaire. Mais en quoi consiste cette première étape? À la p. 21, la professeure Sullivan explique :

[traduction] L’expression « sens ordinaire » est souvent employée en interprétation législative, mais pas de façon uniforme. On l’assimile parfois à la définition donnée par le dictionnaire, parfois au sens littéral, et parfois au sens qui se dégage d’une lecture des termes à interpréter dans leur contexte global. La plupart du temps, cependant, on l’associe à la première impression du lecteur, c.‑à‑d. au sens qui lui vient spontanément lorsqu’il lit les termes dans leur contexte immédiat . . .

60 Par conséquent, comme l’a dit le juge Gonthier dans Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735, le sens ordinaire est « le sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition ».

61 L’assureur fait observer que le passage introductif de l’al. 171b) est [traduction] « [l]orsqu’un contrat comporte », et non « [l]orsqu’un contrat est réputé comporter », ce qui laisse entendre que, dans le premier cas, les clauses ont été négociées entre les parties et qu’elles sont donc contractuelles, alors que dans le second cas, les conditions légales font automatiquement partie de tout contrat conformément au par. 167(2) de la Loi sur les assurances.

62 L’assureur prétend également que, contrairement aux autres dispositions de la Loi (lesquelles seront examinées plus loin), l’expression « une condition » n’est pas qualifiée par l’adjectif « légale » ou le terme « légale ou autre ». Il conclut qu’en l’absence d’un tel qualificatif, elle s’entend de la définition ordinaire donnée à cette notion dans un contrat, c.‑à‑d. d’une disposition contractuelle. À mon avis, le fait que le législateur ait employé le mot « condition » de manière interchangeable — parfois dans le sens exclusif de condition légale, d’autres fois dans le sens de condition légale et de condition contractuelle — ne permet pas de tirer une conclusion claire de cette lecture.

63 À l’issue de cette étape préliminaire, je reconnais qu’il est difficile de trancher la question; la balance ne semble pas pencher du côté de l’une ou l’autre des parties. Cependant, l’analyse ne s’arrête pas là. La Cour a déjà reconnu qu’il faut, dans chaque cas, passer ensuite à l’examen du contexte global des termes à interpréter (Chieu, par. 34; voir aussi Sullivan, p. 20).

B. Contexte global

64 La méthode moderne reconnaît le rôle important que joue inévitablement le contexte dans l’interprétation par les tribunaux du texte d’une loi. Il ne fait aucun doute que les mots prennent la couleur de leur environnement : Bell ExpressVu, par. 27.

65 Lu dans son contexte global, l’al. 171b) n’a pas pour objet, selon moi, de libérer un assuré de l’obligation de respecter une condition légale. Un certain nombre de facteurs contextuels, que je vais maintenant essayer d’examiner, étayent cette conclusion.

66 J’examinerai en trois étapes ce deuxième facteur de la méthode moderne. Premièrement, j’étudierai soigneusement le contexte immédiat des termes contestés : la disposition dans laquelle ils sont employés et toutes celles qui s’y rapportent étroitement. Deuxièmement, je poursuivrai avec l’analyse du contexte général de la disposition, c.‑à‑d. de la Loi dans son ensemble, pour déterminer l’intention du législateur. Enfin, je passerai en revue le contexte externe, à savoir les circonstances historiques de l’adoption de l’art. 171 (voir Sullivan, p. 260‑262).

(1) Contexte immédiat : la règle noscitur a sociis (règle des mots associés)

67 L’assureur soutient que la lecture de l’art. 171 nous permet de constater que le mot « condition » est relié par la conjonction « ou » aux notions de « stipulation » et de « garantie ». Selon une règle d’interprétation bien connue, on ne peut pas prendre un terme ou une expression et les lire en faisant abstraction des termes voisins. « Le sens d’un terme est révélé par son association à d’autres termes : il est connu par ceux auxquels il est associé » : 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 195 (soulignement omis).

68 À la p. 173 de son ouvrage, la professeure Sullivan définit ainsi la règle des mots associés :

[traduction] La règle des mots associés est invoquée à bon droit lorsque au moins deux termes reliés par les conjonctions « et » ou « ou » ont une fonction grammaticale et logique analogue dans une disposition. Ce parallélisme pousse le lecteur à chercher une caractéristique commune entre ces termes. Il s’appuie ensuite sur cette caractéristique pour dissiper l’ambiguïté des termes ou en restreindre le sens. Souvent, les mots ont le sens restreint de leur dénominateur commun le plus général.

69 Cette règle d’interprétation des lois a été appliquée à maintes reprises par la Cour : Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, p. 328‑329; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 64; 2747‑3174 Québec Inc., par. 195; R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6, par. 51.

70 Lorsqu’on applique la règle des mots associés à un terme figurant dans une liste, on doit chercher une caractéristique commune à ces termes, [traduction] « le sens du mot le plus général se limite à un sens analogue à celui du mot le plus spécifique » : R. c. Goulis (1981), 33 O.R. (2d) 55 (C.A.), p. 61. Il ne faut pas étudier les dispositions législatives dans l’absolu. « Le contenu d’une disposition “est enrichi par le reste de l’article dans lequel il est situé . . .” » : Canadien Pacifique, par. 64; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 647. En l’espèce, même si, pris isolément, le mot « condition » pourrait avoir une connotation générale, son association avec les mots « stipulation » et « garantie » en limite le sens. Comme l’a fait valoir l’assureur, selon la Loi sur les assurances, les notions de stipulation « légale » ou de garantie « légale » n’existent pas. Une stipulation ou une garantie sont nécessairement contractuelles. Par conséquent, la liste devrait être restreinte par le dénominateur commun de tous les termes : le contrat. Chacune de ces dispositions est de nature contractuelle. Dans l’examen de ce facteur, il ne faut pas confondre le contexte immédiat de la loi avec son contexte général. Ces deux facteurs, bien que liés, doivent être examinés séparément : il faut étudier le contexte particulier d’une expression ou d’un mot avant de se reporter au contexte général de la loi.

71 Il est nécessaire de garder cette règle à l’esprit durant l’examen du contexte général, c.‑à‑d. l’examen de l’art. 171 dans le contexte des autres dispositions de la Loi sur les assurances (et plus particulièrement de l’art. 33 que j’aborderai à fond ultérieurement). [traduction] « [L]us isolément, les mots sont pratiquement vides de sens » : Sullivan, p. 259. On peut en dire autant des dispositions dans le cadre de la Loi sur les assurances.

(2) Contexte général : l’esprit de la Loi sur les assurances, l’objet et l’intention du législateur

72 « Œuvre d’un législateur rationnel et logique, la loi est censée former un système : chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble, au sens de chacun des éléments : “chaque disposition légale doit être envisagée, relativement aux autres, comme la fraction d’un ensemble complet” . . . » : Côté, p. 388. Voir aussi Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, p. 365.

73 De toute évidence, le régime général établi par la Loi sur les assurances vise à façonner le droit des contrats d’assurance et le commerce de l’assurance en Nouvelle‑Écosse. Pour la réglementation des contrats, la Loi divise l’assurance en plusieurs catégories, chacune d’elles étant régie par des règles différentes. La Loi comprend 12 parties couvrant des sujets tels que la délivrance de permis d’agent et d’expert d’assurances, et les peines découlant des infractions à la Loi.

74 Lorsqu’il est question d’assurance‑incendie, il est possible de dégager le cadre d’analyse applicable des dispositions générales de la partie II (contrats d’assurance dans la province) et des dispositions particulières de la partie VII (assurance‑incendie). Il importe de souligner que, même si ces deux parties sont maintenant distinctes et constituent une fraction du vaste régime d’assurance en Nouvelle‑Écosse, l’ensemble du cadre législatif applicable en matière d’assurance‑incendie formait, au moment de son adoption, un seul texte législatif, la Fire Insurance Policy Act. Je passerai en revue le fondement historique de la disposition litigieuse dans mon analyse du contexte externe.

a) Partie VII — Assurance‑incendie

75 La partie VII porte sur différents aspects du contrat d’assurance‑incendie, notamment l’étendue de la couverture contre l’incendie (art. 163), le contenu de la police (art. 164) et le contrat de renouvellement (art. 166). Elle comprend aussi l’art. 171, la disposition litigieuse. La partie VII revêt une grande importance; elle prescrit les conditions légales obligatoires. Selon le par. 167(2), sont réputées faire partie de tous les contrats d’assurance‑incendie les 15 conditions légales figurant en annexe. Aucune omission dans une condition légale ni aucun changement ou rajout qui y est apporté ne lient l’assuré. Par conséquent, la police d’assurance‑incendie comporte une partie obligatoire qui se présente sous la forme de conditions légales que ni l’assureur ni l’assuré ne peuvent écarter.

76 En l’espèce, la condition légale 4 est au cœur du litige. Comme je l’ai mentionné précédemment, elle exige de l’assuré qu’il avise promptement par écrit l’assureur ou son agent local de tout changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel il exerce un contrôle et dont il a connaissance. Ne pas observer cette condition est une cause de nullité du contrat. L’assureur a fait valoir au procès que les assurés avaient violé la condition légale 4 en ne l’avisant pas de l’inoccupation de la propriété en question. Ce point de vue a été retenu par la Cour d’appel. Cette conclusion n’est pas contestée devant notre Cour.

77 L’assureur soutient que l’objet des conditions légales obligatoires est d’accroître, et non de limiter, les droits de l’assuré; par définition, elles sont donc « justes et raisonnables ». Cet argument a été accepté par la Cour d’appel. Je suis d’accord avec l’assureur parce que, selon moi, et je vais l’expliquer davantage plus loin, les conditions légales, considérées comme un ensemble, et leur caractère obligatoire sont la solution qu’a trouvée le législateur pour créer un régime équitable. Chaque condition est juste et raisonnable dans la mesure où elle est nécessaire à l’équilibre du régime. La Juge en chef estime que la thèse selon laquelle une condition légale peut paraître à première vue raisonnable et juste ne tient pas compte du fait qu’elle peut être déraisonnable ou injuste dans son application (par. 32). Je regrette de ne pouvoir dire qu’il s’agit là de la méthode qui convient à l’interprétation de cette disposition.

78 Il faut d’abord se demander quel est l’objet des conditions légales. La réponse à cette question se trouve dans les décisions du Conseil privé d’Angleterre ainsi que dans celles de la Cour. Dans Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95, lord Dunedin déclare (p. 99) :

[traduction] L’objet principal des conditions légales est d’empêcher l’assureur de se soustraire, au moyen d’exceptions habilement libellées qui n’ont pas été spécialement portées à l’attention de l’assuré, à la responsabilité juste et raisonnable qu’il devrait assumer aux termes d’une police d’assurance‑incendie. Les lords juges conviennent [. . .] que ces conditions devraient, en cas de doute, être considérées comme élargissant plutôt que comme réduisant la responsabilité de l’assureur.

79 En outre, la Cour a reconnu dans City of London Fire Insurance Co. c. Smith (1888), 15 R.C.S. 69, p. 79‑80, la nature spéciale des conditions légales :

[traduction] Les conditions légales étant elles‑mêmes rédigées comme étant des conditions justes et raisonnables à imposer, la modification visant à les rendre moins exigeantes doit nécessairement être juste et raisonnable, et c’est seulement si la modification impose à l’assuré un fardeau plus lourd que la condition légale en cette matière que pourrait survenir un litige exigeant d’un juge ou d’un tribunal qu’il décide s’il s’agit d’une modification juste et raisonnable que la compagnie doit imposer.

80 Par conséquent, l’objet des conditions légales est d’assurer l’équité entre l’assuré et l’assureur.

81 L’auteur Brown établit clairement une distinction entre la condition légale et [traduction] « la stipulation, la condition ou la garantie » lorsqu’il traite de l’objet susmentionné (p. 20‑8 et 20‑9) :

[traduction] Cet objectif de protéger le consommateur ressort du fait que les conditions légales doivent figurer dans la police, bien que cette exigence ne s’applique pas aux reçus intérimaires ni aux polices provisoires. Qu’elles figurent ou non au contrat, elles sont réputées faire partie du contrat d’assurance‑incendie, et les omissions dans ces conditions ainsi que les modifications qui y sont apportées ne lient pas l’assuré. Cela n’empêche pas les parties d’inclure dans le contrat certaines stipulations, conditions ou garanties importantes dans l’appréciation du risque relativement à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré, pourvu qu’elles ne soient pas incompatibles avec les conditions légales (et pourvu qu’elles ne soient pas jugées injustes ou déraisonnables). En outre, ce qui peut sembler être une modification possible, donc invalide, pourrait n’être qu’une restriction valide de la description du risque ou une exclusion. [Je souligne.]

82 Je suis donc d’accord avec la juge Oland, de la Cour d’appel, lorsqu’elle déclare qu’il faut considérer les conditions légales, qui, selon la loi, doivent obligatoirement être incorporées dans les contrats d’assurance pour protéger l’assuré, comme étant justes et raisonnables : (2003), 214 N.S.R. (2d) 1, 2003 NSCA 32, par. 54.

83 Cela dit, il importe de concilier l’inclusion par le législateur des conditions légales dans les contrats d’assurance‑incendie avec le libellé de l’art. 171. Dans Rizzo & Rizzo Shoes, par. 27, la Cour a reconnu que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes :

. . . on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif. . .

84 Je conviens avec l’assureur qu’il serait à la fois illogique et incohérent de considérer que l’art. 171 s’applique aux conditions légales figurant dans la partie VII. Tout comme lui, je crois qu’il serait déraisonnable et incongru qu’une même loi, d’une part, prescrive que les conditions légales sont obligatoires pour assurer l’équité entre les deux parties et, d’autre part, permette de les lever parce qu’elles sont déraisonnables ou injustes en application de l’art. 171. Cela irait à l’encontre de l’objet des conditions légales et en ferait des conditions inutiles et futiles. Il nous faut présumer que, en cherchant à protéger l’assuré contre les manœuvres astucieuses employées par l’assureur dans la rédaction de sa police, le législateur a prévu des conditions justes et raisonnables pour l’assuré et l’assureur et qu’il voulait les voir appliquées, et non levées par son propre régime législatif. Il est possible que certains ne soient pas d’accord avec la position adoptée par le législateur, en l’absence de toute contestation fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel, mais on ne peut se servir de l’interprétation pour se soustraire au régime législatif.

85 Dans ses notes relatives à la décision Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18, p. 20, le professeur J. A. Rendall a adopté la même position :

[traduction] Il est tout à fait logique qu’un tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, puisse inclure une disposition légale dans un contrat, dans le but de limiter la liberté contractuelle qui autrement permettrait aux assureurs d’imposer des modalités sévères, sous forme de clauses d’exclusion et de conditions. Il ne fait aucun doute que c’est précisément ce que fait le par. 238(1) [l’équivalent de l’art. 171 de la Loi sur les assurances de la Nouvelle‑Écosse] et ce qu’il est censé faire. Il semble évident que jamais il n’a été prévu que le par. 238(1) confère au tribunal le pouvoir de décider si l’une des conditions légales, qui doivent obligatoirement être incorporées dans toutes les polices d’assurance‑incendie en application du par. 235(1), pourrait être considérée comme étant « injuste ou déraisonnable ». Les conditions légales ont été rédigées selon la conception du législateur quant aux modalités d’un contrat d’assurance qui sont « justes et raisonnables », et ces conditions font partie de tous les contrats en vertu de l’énoncé législatif clair du par. 235(1). [Je souligne.]

86 En outre, les conditions légales permettent de réaliser l’un des objectifs fondamentaux de la réglementation du secteur de l’assurance : limiter la liberté contractuelle dont jouissent les compagnies d’assurances. À cet égard, le professeur Boivin a exprimé l’opinion suivante à propos de cet objectif législatif (p. 59‑60) :

[traduction] [Cet] objectif législatif [. . .] vise à compenser le faible pouvoir de négociation qu’ont les consommateurs d’assurances par rapport aux assureurs. Les polices d’assurance sont, à bien des égards importants, des contrats d’adhésion. Les discussions préalables à la conclusion du contrat tendent à porter principalement sur l’objet de l’assurance, sur le montant de la couverture et sur la prime afférente. Cependant, les sources les plus fréquentes de litiges — les conditions, les restrictions et les exclusions de la couverture — sont elles‑mêmes imposées sans négociation. Mais cela ne représente que la moitié du problème pour les consommateurs. La connaissance est une autre différence qui existe entre l’assureur et l’assuré. . .

Compte tenu de cette réalité, la formation et l’exécution d’un contrat sont des dimensions importantes du problème que pose pour les provinces et les territoires la réglementation du secteur de l’assurance. . .

Les « conditions légales » constituent une autre caractéristique importante de ce cadre législatif. [. . .] [L]es conditions légales sont des dispositions contractuelles particulières rédigées par le législateur et elles sont réputées faire partie de tous les contrats formés dans la province ou le territoire correspondant en matière d’assurance accidents et maladies, d’assurance‑automobile ou d’assurance‑incendie. Ces conditions peuvent être comparées aux conditions implicites imposées par les tribunaux, sauf que — fait important — elles échappent au contrôle des parties contractantes. Les assureurs ne peuvent procéder à des omissions dans ces conditions ni y apporter des changements ou rajouts. Quant aux catégories d’assurance autres que celles relatives aux accidents et maladies, à l’automobile ou à l’incendie, les législatures provinciales et territoriales ont opté pour une forme d’intervention législative plus classique : elles accordent des droits et imposent des obligations correspondantes. [Je souligne.]

87 À mon avis, il ressort clairement de l’objet des conditions légales que le législateur voulait élever un certain nombre d’entre elles à un niveau suprême et faire en sorte qu’elles soient hors de la portée des assureurs et des assurés. J’affirme que l’art. 171 a été adopté pour servir de complément aux conditions légales obligatoires et non de disposition remédiant à l’application de ces conditions. L’objectif du législateur était d’encadrer le contrat d’assurance‑incendie et de protéger l’assuré contre les abus et l’autorité excessive des compagnies d’assurances (Rendall, p. 20). En fait, la protection de l’assuré est garantie par deux éléments : les conditions légales obligatoires (art. 167) et la disposition d’exemption (art. 171). Chacune d’elles a une fin particulière; ensemble, elles créent un tout.

88 Selon la juge en chef McLachlin, la présomption selon laquelle le législateur a adopté des conditions légales qui sont justes et raisonnables peut être réfutée par l’examen des conséquences que la condition peut créer dans un cas donné. J’estime que ce point de vue va à l’encontre du libellé même des dispositions et de l’intention du législateur. Pour ce qui est des conséquences, le législateur a été clair, comme je vais le démontrer dans mon analyse de l’art. 33. J’ajouterai que, de toute manière, les assurés en l’espèce n’ont pas été en mesure d’établir que la disposition était injuste à sa simple lecture ou dans son application. S’il est injuste d’appliquer la condition 4 alors que l’assureur n’a commis aucune faute et que l’inobservation de la condition ou l’incendie n’ont rien d’inhabituel, la condition légale 4 n’est plus une modalité obligatoire du contrat. L’injustice ne peut pas simplement découler du fait que la violation de la condition contractuelle est survenue avant l’incendie, car la disposition résolutoire n’aurait alors aucun sens. Le changement dans les circonstances constitutives du risque est un élément qui est prévu pour qu’il ne soit pas nécessaire d’établir un lien de causalité. L’argument qu’il est injuste pour l’assureur d’appliquer la condition légale 4 parce qu’il n’existe aucun lien de causalité entre son inobservation et l’incendie est sans fondement; on peut en dire autant de la plupart des conditions légales. À mon avis, l’historique de l’art. 171 et son lien avec l’art. 33 empêchent tout examen des conséquences d’une condition légale. Sinon, chacune des 15 conditions légales serait susceptible d’être déraisonnable ou injuste; cette conclusion serait incompatible avec l’objet de la Loi et créerait une grande incertitude chez les deux parties.

89 J’estime en outre que les considérations d’intérêt général, dont je traiterai à la section VI de mes motifs, sont défavorables à la réfutation de la présomption. Il est possible que l’on soit naturellement enclin à protéger l’assuré contre la personne morale dans tous les cas; cependant, il ne faut pas oublier que le législateur a pris les mesures qu’il estime nécessaires pour protéger l’assuré et garantir l’équité entre les deux parties au contrat. En rédigeant les dispositions obligatoires, le législateur a spécifiquement tenu compte du fait que la compagnie d’assurances n’a d’autre choix que de se fier aux renseignements fournis par l’assuré.

90 Je conclus donc que la seule interprétation possible du régime établi dans la partie VII de la Loi sur les assurances est que celui‑ci confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exemption prévue à l’art. 171 s’ils jugent injuste ou déraisonnable une condition « contractuelle ». L’article 171 ne devrait pas s’appliquer aux conditions légales parce qu’il les contrecarrerait et rejetterait l’approche complémentaire adoptée à l’égard des art. 167 et 171 de la Loi sur les assurances.

b) Partie II — Contrats d’assurance dans la province

91 La partie II de la Loi sur les assurances comprend des dispositions générales qui sont applicables à tous les contrats d’assurance en Nouvelle‑Écosse (sous réserve de certaines exceptions non applicables en l’espèce) à moins d’incompatibilité avec une autre disposition de la Loi. La partie II s’applique donc aux contrats d’assurance‑incendie.

92 La partie II porte sur différents aspects des contrats d’assurance, notamment la remise de la police d’assurance (art. 18), les effets du non‑paiement de la prime (art. 21) et la présentation des formules destinées à établir la preuve du sinistre (art. 23). J’aimerais attirer l’attention sur l’art. 33, la disposition relative à la « levée de la déchéance ». L’article 33 prévoit qu’un tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation de l’assurance lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire (ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire), s’il juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance. Selon l’assureur, il existe un parallèle entre l’art. 33 et l’art. 171, argument que la juge en chef McLachlin rejette rapidement du fait que l’historique et l’objet des deux dispositions sont différents. Je suis en profond désaccord. À vrai dire, j’estime que l’historique des dispositions corrobore la théorie de leur nature complémentaire. Je traiterai ultérieurement de ce facteur externe. Pour l’instant, un examen du libellé de l’art. 33 s’impose :

[traduction]

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

93 Le libellé de l’art. 33 est explicite et clair : il permet de remédier à la déchéance de l’assurance résultant de l’observation imparfaite d’une condition « légale » à la suite d’un sinistre. Par contre, l’art. 171 permet qu’« une stipulation, une condition ou une garantie » figurant dans un contrat ne lie pas l’assuré si le tribunal la juge injuste ou déraisonnable. L’observation de la disposition et la nature de celle‑ci sont des notions distinctes, ce dont le législateur a tenu compte. Une autre différence importante entre les deux dispositions réside dans la détermination du caractère injuste : d’une part, l’art. 33 parle de ce que les tribunaux estiment injuste dans les conséquences de l’inobservation des conditions légales; d’autre part, l’art. 171 ne porte que sur les conditions injustes, non pas sur leurs conséquences. L’interprétation judiciaire ne peut ignorer ou modifier les différences qui existent entre ces deux types de disposition d’exemption applicables aux contrats d’assurance‑incendie; sinon, cela reviendrait à prêter à l’art. 171 un sens que le législateur a choisi de donner exclusivement à l’art. 33.

94 Bien qu’actuellement les art. 33 et 171 ne figurent pas dans la même partie de la Loi sur les assurances (ce qui n’était pas le cas il n’y a pas si longtemps, comme il ressort de l’examen du contexte externe que j’aborderai plus loin), ils donnent une bonne indication de l’intention du législateur. On ne saurait interpréter le libellé explicite de l’art. 33 comme renvoyant aux conditions légales sans remarquer l’absence d’un tel libellé dans l’art. 171. Les termes employés sont différents.

c) Les autres dispositions

95 Selon l’assureur, puisque le législateur a explicitement fait référence aux « conditions légales » tout au long des parties II, V et VII de la Loi sur les assurances, s’il avait voulu que le membre de phrase « une stipulation, une condition ou une garantie » à l’art. 171 s’applique aux « conditions légales », il l’aurait mentionné expressément. Le modèle qui se dessine quant à l’utilisation d’un membre de phrase dans d’autres parties d’une loi est un facteur sur lequel s’appuient les tribunaux pour déterminer le contexte en matière d’interprétation législative. On présume que le législateur s’exprime avec soin et uniformité de sorte que, dans une loi ou un autre texte législatif, les mêmes modèles d’expression ont la même signification et les modèles différents revêtent des sens différents : Sullivan, p. 162‑166. Un exemple de l’application de cette présomption figure dans l’arrêt de la Cour Ulybel Enterprises, par. 42, où le juge Iacobucci écrit :

D’ailleurs, si le législateur avait voulu que les expressions « le produit de leur aliénation » et « le produit de son aliénation » figurant respectivement aux par. 71(1) et 72(1) se limitent au produit de la vente de marchandises périssables, il aurait pu le dire explicitement, comme il l’a fait au par. 70(3) ainsi qu’aux par. 72(2) et 72(3). Au contraire, un modèle se dessine clairement quant à l’utilisation des expressions en cause : dans certains articles, elles sont expressément limitées au produit de la vente des marchandises périssables, alors que dans d’autres dispositions, elles renvoient de façon plus générale à tous les genres de biens saisis en vertu de la Loi et au produit de leur vente.

(Voir aussi Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 60.)

96 La juge en chef McLachlin estime que l’emploi du terme « condition » donne peu de précisions lorsque la Loi est lue dans son ensemble (par. 18). Je ne suis pas d’accord. À mon avis, bien que l’emploi du mot « condition » ne soit pas complètement sans équivoque, il faut présumer, comme je l’ai indiqué précédemment, que le législateur s’exprime avec uniformité et cohérence. En l’espèce, lorsqu’il veut parler des « conditions légales », il le fait expressément. À cet égard, voici huit exemples tirés de la Loi :

[traduction]

Avis à l’assuré ou à l’assureur

29 Sous réserve de toute condition légale, les avis, quels qu’ils soient, donnés par l’assureur, lorsqu’il n’est prévu aucun mode de transmission, peuvent être envoyés par courrier recommandé à la dernière adresse connue de l’assuré qui est indiquée dans son dossier ou, en l’absence d’un tel dossier, à l’adresse que l’assuré a indiquée dans sa demande, ou remis en mains propres à l’assuré, et les avis donnés par l’assuré peuvent être envoyés par courrier recommandé à la dernière adresse connue de l’assureur dans la province ou, subsidiairement, envoyés par courrier recommandé ou remis en mains propres à l’agent autorisé de l’assureur.

Le tribunal peut remédier à la déchéance

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

Conditions légales

74 Sous réserve de l’article 75, les conditions énoncées à l’annexe de la présente partie sont réputées faire partie de tout contrat autre qu’un contrat d’assurance collective et doivent figurer dans la police faisant partie du contrat sous la rubrique « Conditions légales », ou y être annexées.

Omission des conditions légales

75 (1) La condition légale qui ne s’applique pas aux prestations prévues au contrat peut être omise dans la police ou modifiée de façon à devenir applicable.

Avis des conditions légales

76 Dans le cas d’une police d’assurance contre les accidents du type non renouvelable établie pour une durée d’au plus six mois, ou concernant un billet de voyage, il n’est pas nécessaire que les conditions légales figurent dans la police ou y soient annexées, si celle‑ci contient l’avis suivant en caractères bien apparents :

Malgré toute autre disposition ci‑incluse, le présent contrat est assujetti aux conditions légales de la Loi sur les assurances concernant les contrats d’assurance‑accident.

Observation imparfaite d’une condition légale

102 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur une question ou une chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire, en tant que personne assurée ou réclamant, à l’égard du sinistre couvert par l’assurance, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal saisi d’une question y afférente juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

Définition de « police »

167 (1) Dans le présent article, « police » ne s’entend pas des reçus intérimaires ou des polices provisoires.

Conditions légales

(2) Les conditions énoncées à l’annexe de la présente partie sont réputées faire partie de tout contrat et doivent figurer dans chaque police sous la rubrique « Conditions légales »; aucune omission dans une condition légale ni aucun changement ou rajout qui y est apporté ne lient l’assuré.

Notification d’annulation ou de modification

168 . . .

(2) Le délai et le mode de transmission de l’avis prévu au paragraphe (1) sont les mêmes que ceux de l’avis d’annulation envoyé à l’assuré en conformité avec les conditions légales du contrat.

97 Ce dernier exemple illustre à quel point le législateur n’hésite pas à mentionner explicitement ce type particulier de condition dans d’autres dispositions de la Loi. Cet autre facteur oriente davantage l’analyse vers la non‑application de l’art. 171 aux conditions légales.

(3) Contexte externe : historique législatif

98 Selon la professeure Sullivan, [traduction] « [u]ne des façons les plus efficaces de dégager l’objet d’une mesure législative consiste à retracer l’évolution de la loi, depuis sa création jusqu’à sa forme actuelle en passant par ses modifications successives » : Sullivan, p. 218. L’auteure affirme en outre (p. 218) :

[traduction] La reconstitution peut dévoiler la décision antérieure du législateur d’adopter une nouvelle politique ou de s’engager dans une nouvelle direction; elle peut révéler une tendance ou évolution graduelle dans la politique législative; ou elle peut révéler l’objet initial de la loi et démontrer que cet objet est demeuré inchangé au cours des modifications qui se sont succédées jusqu’à aujourd’hui. [Je souligne.]

99 Il est bien établi que l’évolution législative peut servir à l’interprétation d’une loi, puisque les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant : Ulybel Enterprises, par. 33; Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 667; Sullivan, p. 471‑472.

100 Dans les observations qu’il a présentées à la Cour, l’assureur a retracé en détail l’évolution de l’art. 171. Je reproduis à l’annexe B les différentes versions de la disposition qui ont été adoptées entre 1899 et 1989, année de la dernière refonte. L’évolution de l’art. 171 montre comment les dispositions qui l’ont précédé ont toujours visé les dispositions contractuelles plutôt que les conditions légales.

101 Selon la Juge en chef, le seul principe d’interprétation reconnu est celui qui présume qu’« une modification [. . .] [a] été faite de propos délibéré en vue d’introduire un changement de règle » : Côté, p. 530. Je regrette de ne pouvoir souscrire à cette opinion. S’il existe une présomption de changement de fond en common law, elle peut être réfutée : voir Sullivan, p. 473; Côté, p. 533. C’est donc une erreur de présumer que, en toutes circonstances, une modification de la loi annonce une modification du droit. En fait, la modification pourrait avoir pour but de préciser et d’instruire et non pas de changer l’interprétation de la loi ou, comme la Cour l’a dit dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, p. 1286, « de rendre exprès et explicite ce qui était auparavant implicite ».

102 On trouve un exemple de simple « changement de forme » (par opposition à « changement de fond ») dans les motifs de la juge Wilson dans Skoke‑Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106. Dans ce pourvoi, la Cour était appelée à interpréter l’expression « quelque chose qui en trouble l’ordre ou la solennité » du par. 172(3) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, et, plus précisément, à décider si un acte qui, sans troubler l’ordre, dérangeait néanmoins d’autres paroissiens à cause de sa dimension idéologique devrait être interdit par la disposition. Avant de conclure par la négative, la juge Wilson a examiné l’évolution de la disposition. Aux pages 130‑131, elle écrit :

Il est significatif qu’à compter de 1869, la loi ne sanctionne le trouble, l’interruption ou le dérangement d’une assemblée religieuse que si cela est fait « par des discours profanes, ou une conduite grossière ou indécente, ou en faisant du bruit ». La poursuite soutient que la modification de l’article en 1953‑54, au moment de la révision en profondeur du Code criminel, en a élargi la portée et que ces restrictions ne sont plus applicables. Cela ne paraît cependant pas avoir été l’intention du législateur.

Il me semble qu’en adoptant le par. 161(3) du Code de 1953‑54, le législateur a tout simplement voulu employer des termes généraux plutôt que spécifiques pour sanctionner les comportements qu’on jugeait susceptibles de perturber l’ordre ou la solennité d’une assemblée. Je ne crois pas qu’il cherchait par là à étendre la portée de la disposition aux actes paisibles de défiance de l’autorité religieuse. Le fait que l’art. 161 du Code de 1953‑54 (tout comme l’art. 172 du Code actuel) fait partie des infractions regroupées sous la rubrique « Inconduite » renforce mon opinion. Je crois donc que l’expression « quelque chose » doit être atténuée de manière à ne viser que les choses telles les discours profanes, la conduite grossière ou indécente ou le tapage. Lorsque, comme en l’espèce, les actes des appelants sont paisibles et ordonnés, j’hésiterais à conclure qu’il y a eu infraction, même si ces actes ont effectivement troublé légèrement l’ordre ou la solennité de l’office comme l’a constaté le juge du procès. [Je souligne.]

103 Il est donc possible de conclure que [traduction] « même la modification radicale du libellé est destinée à simplifier, sinon à moderniser le style de la disposition, et non pas à en changer le fond » : Sullivan, p. 477; voir aussi R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 62‑75. Je maintiens que c’est le cas en l’espèce.

104 Au cours de son histoire, comme il ressort de l’annexe B, la disposition d’exemption, à savoir l’art. 171, a revêtu trois formes différentes : une en 1899, une autre en 1930 et une dernière en 1956. À mon avis, les formes adoptées en 1899 et en 1930 sont claires et explicites : le législateur ciblait les dispositions contractuelles. Les mentions [traduction] « la condition [. . .] autre que celles énoncées à l’article 2 de la présente loi », en 1899, et [traduction] « la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale », en 1930, confirment la distinction entre les conditions légales et les conditions contractuelles. Dans les deux cas, « condition » et « clause » renvoient aux dispositions contractuelles négociées entre les parties, ces dispositions étant différentes des conditions légales dont le législateur a prévu l’inclusion obligatoire dans la police d’assurance. Entre 1899 et 1989, le législateur peut avoir donné aux dispositions contractuelles le titre de « stipulations », « clauses », « conditions » et « garanties », mais j’affirme qu’il n’a jamais eu l’intention de faire en sorte que les conditions légales soient visées par l’art. 171.

105 Dans la deuxième édition de leur ouvrage Insurance Law in Canada (1991), p. 178, C. Brown et J. Menezes expliquent pourquoi cette disposition d’exemption s’est modifiée au fil des ans :

[traduction] De beaucoup restreinte, la liste des conditions légales demeure une partie immuable de la police, comme elle l’a été depuis les années 1920. Cependant, comme les sujets visés par les conditions légales sont maintenant beaucoup moins nombreux, l’assureur doit davantage traiter des éléments non mentionnés et dispose d’une plus grande liberté pour le faire. De ce fait, la portée du libellé de la disposition traitant du pouvoir discrétionnaire des tribunaux à l’égard des modalités des polices d’assurance‑incendie a été élargie dans le but de maintenir ce mécanisme de contrôle.

Ils affirment plus loin (p. 188) :

[traduction] Le recours à un contrat légal comme moyen de protection contre les abus commis par les assureurs dans la rédaction des polices a inévitablement eu pour conséquence que le contrat est excessivement rigide et, parfois, inapplicable. Les tribunaux ont atténué cette rigidité en établissant une distinction entre les conditions de la police et la description du risque. Lorsqu’une stipulation de la police portant sur l’utilisation ou l’emplacement de l’objet de la police semblait éminemment raisonnable et juste, les tribunaux pouvaient faire abstraction du défaut de respecter les exigences formelles relatives à la modification des conditions légales, en considérant que la stipulation en cause fait partie de la description du risque.

106 Effectivement, le nombre de conditions légales est passé de 25 en 1900 à 15 en 1956, année où le législateur a modifié l’art. 171 pour lui donner le libellé qu’on lui connaît aujourd’hui. C’est donc avec un nombre relativement réduit de conditions légales, qui sont obligatoires, que le législateur a, en modifiant le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exemption prévue à l’art. 171, cherché à protéger l’assuré contre l’augmentation des conditions contractuelles qui s’ensuivrait.

107 Ainsi, l’article 171 a toujours visé les conditions contractuelles ou, comme les a appelées la Juge en chef, les conditions facultatives.

108 L’analyse de l’évolution de l’art. 33 est aussi très révélatrice. L’historique chronologique de la disposition est reproduit à l’annexe B. Avant tout, il importe de noter que la disposition relative à la levée de la déchéance, l’actuel art. 33, était par le passé connexe à la disposition à l’étude dans une loi qui s’appliquait exclusivement à l’assurance‑incendie. Entre 1899 et 1968, lorsqu’elles ne se suivaient pas, ces deux dispositions n’étaient séparées que de quelques clauses.

109 En 1930, le législateur a modifié l’art. 33 (l’art. 10 à l’époque) pour lui donner son libellé actuel et, plus précisément, pour qualifier la condition de « légale ». Jamais le législateur n’a adopté les mêmes modifications à l’égard de l’art. 171, pas même en 1956, lorsqu’il lui a donné sa formulation et sa présentation actuelles. Ce n’est qu’en 1966 qu’il a décidé, à l’art. 2 de An Act to Amend Chapter 9 of the Acts of 1962, the Insurance Act, S.N.S. 1966, ch. 79, de déplacer l’art. 33 pour l’incorporer dans la partie II de la Loi sur les assurances, faisant ainsi en sorte qu’il s’applique aux autres catégories d’assurance que l’assurance‑incendie. Cette modification a été adoptée le 17 décembre 1968 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1969. Cependant, cela ne change rien au fait que, entre 1956 et 1968 (notamment, après la refonte en 1962 de toutes les lois en matière d’assurance pour n’en faire qu’une seule), les deux dispositions d’exemption se trouvaient dans la même partie de la Loi et chacune d’elles avait un libellé distinct. Elles étaient manifestement complémentaires. Par ailleurs, le législateur est censé éviter les termes superflus ou dénués de sens : Sullivan, p. 158. En l’espèce, il est évident que le législateur voulait utiliser un libellé distinct qui différencie les deux dispositions d’exemption.

110 L’article 33 est très précis : il s’applique aux conditions légales. Il est aussi de portée très étendue, mentionnant [traduction] « la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre ». La Cour a donné à la disposition équivalente en Saskatchewan une interprétation large dans Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778. Étendre l’application de l’art. 171, comme le propose la Juge en chef, pour englober les conditions légales et les effets de leur application dans des cas donnés, modifierait sa nature et diminuerait considérablement sa valeur et son utilité. À mon avis, le raisonnement de la Juge en chef nous amène à faire abstraction de l’intention du législateur quant au caractère de deux dispositions parallèles et distinctes.

111 En somme, les contextes immédiat, général et externe démontrent que le législateur voulait mettre en place un régime où l’art. 171 ne s’appliquerait pas aux conditions légales. L’évolution de la disposition contestée illustre le rôle connexe que joue l’art. 171 à l’égard des conditions légales et du par. 167(2). Chaque disposition a donc une fonction spéciale, et en modifier l’exercice détruirait son objet et, encore plus important, l’harmonie sous‑jacente à l’ensemble du régime d’assurance.

V. Jurisprudence

112 L’article 171 et son équivalent dans les autres provinces ont très rarement été contestés : Baer et Rendall, p. 642. Les assurés font valoir que la jurisprudence portant sur la question de l’exemption étaye leur position.

113 J’estime que ces décisions n’appuient pas leur argumentation. Certaines de ces causes, outre leurs différences sur le plan des faits, portent sur une [traduction] « clause d’exclusion pour cause d’inoccupation » et non sur une condition légale (voir Hirst c. Commercial Union Assurance Co. of Canada (1978), 8 B.C.L.R. 396 (C.S.), conf. par (1979), 70 B.C.L.R. (2d) 361 (C.A.)), ou, dans certains cas, à la fois sur une condition légale et sur une clause d’exclusion (voir Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662 (C.S. Alb.); 528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470 (C.S.J.)). Non seulement la présente affaire ne porte pas sur une clause d’exclusion, mais aucune conclusion n’a été formulée quant à la présence d’une telle clause dans la police, à son applicabilité ou à un manquement à son égard.

114 De plus, les décisions citées par les assurés portent sur l’application des principes établis par l’art. 171 — quant à savoir si une situation était injuste ou déraisonnable — plutôt que sur la nature de la disposition relative aux conditions légales (voir Hirst (C.A.); 528852 Ontario). La juge en chef McLachlin cite la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18. Tout d’abord, dans Krupich, la cour n’a examiné la question de la disposition d’exemption que de manière incidente, après avoir conclu que l’assuré n’avait fait aucune fausse déclaration. Cela s’est produit dans le contexte d’un examen des conséquences de l’application des conditions légales : Krupich, p. 27‑28. Le professeur Rendall a vivement critiqué la décision de ce tribunal d’instance inférieure dans ses notes relatives à Krupich; il a soutenu que le raisonnement de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta était très mal fondé et créait une confusion entre les dispositions contractuelles (exclusions prévues par la police) et les conditions légales (p. 21) :

[traduction] On ne sait pas trop si le juge Moshansky veut dire qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 238(1) [l’équivalent de l’art. 171 de la Loi sur les assurances de la Nouvelle‑Écosse] pour faire échec à un moyen de défense fondé sur la condition légale 1, sur la condition légale 4 ou sur une modalité contractuelle prévoyant l’annulation de la police en cas d’inoccupation de plus de 30 jours. Il est bien évident que seul le troisième moyen de défense est visé par le pouvoir conféré au juge Moshansky par le par. 238(1). On pourrait être porté à croire que la dernière déclaration du juge Moshansky au sujet du caractère injuste ou déraisonnable de la mise en vigueur de la « disposition relative à l’annulation de la police pour cause d’inoccupation » constitue le passage dominant et signifie qu’il cherche seulement à remédier aux effets d’une clause contractuelle d’exclusion en vertu du par. 238(1). Malheureusement, le juge Moshansky affirme très clairement dans un passage antérieur qu’il appliquerait le par. 238(1) même s’il avait conclu à la non‑communication d’un renseignement important qui aurait rendu le contrat susceptible d’annulation à l’initiative de l’assureur.

(Le juge MacAdam, de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, a repris les mêmes termes pour conclure qu’il serait à la fois injuste et déraisonnable de donner effet à l’exclusion pour cause d’inoccupation (par. 63).)

115 Je reprends donc les propos du professeur Rendall et confirme que la décision Krupich est mal fondée; quoi qu’il en soit, les commentaires de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta n’étaient qu’incidents.

116 Comme je l’ai précédemment signalé, je conclus donc qu’il s’agit ici d’un pourvoi pour lequel aucune décision antérieure ne saurait faire la lumière sur la question soulevée ni servir de précédent.

VI. Considérations d’intérêt général

117 En l’espèce, les bonnes intentions alléguées des assurés ne peuvent influer sur la détermination de l’applicabilité de l’art. 171 aux conditions légales. L’ignorance de l’obligation de divulguer (que les assurés auraient dû connaître) ou le défaut d’en apprécier l’importance n’excusera pas l’assuré : E. R. H. Ivamy, General Principles of Insurance Law (6e éd. 1993), p. 174. Le fait que les assurés n’ont pas avisé l’assureur de l’inoccupation de la propriété parce qu’ils ne savaient pas qu’ils devaient divulguer ce renseignement ne peut avoir d’incidence sur l’application de l’art. 171 aux conditions légales parce que, dans les faits, cette divulgation annulerait les conditions. De même, il n’est pas allégué que Halifax a agi de mauvaise foi lorsqu’elle a traité la réclamation des assurés. Je répète qu’il ne faut pas examiner les conséquences de la condition légale 4 selon l’art. 171; ce qu’il faut examiner, c’est la condition elle‑même. La conduite des assurés serait un facteur à considérer seulement si la Cour décidait que la disposition d’exemption s’applique aux conditions légales; la Cour devrait alors déterminer si, en l’espèce, la condition légale 4 était juste et raisonnable. Compte tenu de ma conclusion quant à cette première question, je n’ai pas à m’engager dans la deuxième analyse.

118 La juge en chef McLachlin postule qu’en raison de l’imprécision et de la nature corrective de l’art. 171, celui‑ci devrait être interprété en faveur des assurés. Bien que l’aspect correctif d’une disposition puisse dans certaines circonstances être pertinent, je ne crois pas qu’il ait une quelconque importance en l’espèce. Dans le commerce de l’assurance, tous les intervenants, assurés et assureurs, doivent, pour maintenir un système cohérent et bien défini, respecter leurs obligations. L’assureur doit pouvoir se fier à l’assuré pour lui communiquer tous les faits importants concernant le risque. Les renseignements que l’assuré doit divulguer en application de la condition légale 4 sont ceux qu’il connaît véritablement ou dont il est raisonnable de penser qu’il connaisse. De toute évidence, les renseignements divulgués sont personnels et difficilement disponibles pour l’assureur. Comment alors l’assureur est‑il censé être au courant de ces renseignements? Il se peut qu’il ne découvre la vérité qu’après le sinistre. Il ne dispose d’aucun autre outil pour déterminer s’il y a changement dans les circonstances constitutives du risque. Certains auteurs affirment que des faits, d’ordinaire importants, peuvent perdre de leur importance si l’assureur aurait pu les découvrir au cours d’une enquête : Ivamy, p. 154‑155. Il se peut que ce soit la règle générale, mais en l’espèce il serait injuste et inconcevable d’obliger l’assureur à communiquer régulièrement avec l’assuré pour faire confirmer qu’il n’y a aucun changement dans le risque. De plus, il ne faut pas oublier que les assurés sont des propriétaires. L’entreprise dans laquelle ils se sont lancés comporte des obligations auxquelles ils ne peuvent échapper. Ainsi, il ne s’agit pas d’un cas où l’assureur a négligé les renseignements reçus et a fermé les yeux devant la réalité. Halifax ne s’est pas volontairement aveuglée; au contraire, elle a été tenue dans le noir total.

119 Dans la même veine, je retiens le commentaire de la juge Oland, lorsqu’elle écrit (par. 56) :

[traduction] En outre, il ressort clairement du libellé de la condition légale 4 que l’assuré a l’obligation d’aviser l’assureur. Cela reflète la réalité que, sauf dans des circonstances inhabituelles, l’assureur ne sera pas autrement au courant d’un changement dans le risque. La faculté qu’a l’assureur d’apprécier le risque et de refuser la garantie ou d’y apporter des changements est une caractéristique essentielle de la souscription en matière d’assurance. Il est également probable que de nombreux assurés, pensant qu’un changement pourrait contrevenir à la condition légale 4 ou à toute autre condition de leur police d’assurance, communiquent déjà, par prudence, avec leur assureur. [Premier soulignement ajouté; second soulignement dans l’original.]

120 L’assureur et l’assuré ont besoin de certitude quant au contrat qu’ils ont conclu. Leurs obligations doivent être bien définies et précises. Ils doivent pouvoir se fier au contrat d’assurance sans craindre qu’une intervention du tribunal vienne modifier leurs droits et obligations.

121 Je pense que l’interprétation de la Loi sur les assurances ainsi que la jurisprudence n’appuient pas la position des assurés.

VII. Conclusion

122 La Loi sur les assurances est une loi rédigée avec beaucoup de précision dont l’objet est de créer un équilibre entre l’obligation de divulgation et la tendance à l’abus qu’autorise la liberté contractuelle (Baer et Rendall, p. 419). Cependant, cette structure n’est pas une exigence constitutionnelle et, en l’espèce, les parties n’ont pas soulevé de question constitutionnelle.

123 Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de confirmer la décision de la Cour d’appel.

ANNEXE A

Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231

[traduction]

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

167 . . .

(2) Les conditions énoncées à l’annexe de la présente partie sont réputées faire partie de tout contrat et doivent figurer dans chaque police sous la rubrique « Conditions légales »; aucune omission dans une condition légale ni aucun changement ou rajout qui y est apporté ne lient l’assuré.

171 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 163;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

ANNEXE B

1899 — The Fire Insurance Policy Act, S.N.S. 1899, ch. 30

[traduction]

[Conditions nulles et non avenues dans certains cas]

26. Est nulle et non avenue la condition comprise ou incluse dans une nouvelle police ou dans un renouvellement de police, autre que celles énoncées à l’article 2 de la présente loi, si le tribunal ou le juge saisi d’une question y afférente juge la condition injuste et déraisonnable.

[Disposition relative à l’observation non rigoureuse des conditions portant sur la preuve, pour cause de nécessité, d’erreur, etc.]

27. (1) Lorsque, pour cause de nécessité, d’accident ou d’erreur, l’assuré n’a pas rigoureusement observé les conditions d’un contrat d’assurance‑incendie portant sur un bien situé dans la province quant à la preuve du sinistre qu’il doit faire à l’assureur à la suite de l’incendie; ou lorsque l’assuré, ou son représentant, a transmis de bonne foi à l’assureur un état de la perte ou une preuve du sinistre, conformément à toute disposition ou condition du contrat, et que par la suite, l’assureur, par l’entremise de son agent ou par d’autre moyen, s’oppose à la réclamation pour d’autres motifs que l’observation imparfaite de ces conditions ou omet d’aviser l’assuré par écrit qu’il s’oppose à la réclamation, dans un délai raisonnable suivant la réception de l’état ou de la preuve, et de lui préciser quels sont les renseignements qui seraient lacunaires, le cas échéant; ou lorsque, pour tout autre motif, le tribunal ou le juge saisi d’une question connexe estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour cause d’observation imparfaite de ces conditions, aucune opposition relative à la suffisance de cet état ou de cette preuve ou à un état ou une preuve modifié ou complémentaire (selon le cas) ne peut, en aucun cas, être autorisée de façon à libérer la compagnie de sa responsabilité à l’égard du contrat d’assurance, quel que soit le lieu où il a été conclu.

1900 — The Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1900, ch. 147

[traduction]

[Conditions nulles et non avenues dans certains cas]

6. Est nulle et non avenue la condition comprise ou incluse dans une nouvelle police ou dans un renouvellement de police, autre que celles énoncées dans la première annexe du présent chapitre, si le tribunal ou le juge saisi d’une question y afférente juge la condition injuste et déraisonnable.

[Disposition relative à l’observation non rigoureuse des conditions portant sur la preuve, pour cause de nécessité, d’erreur, etc.]

7. Aucune opposition relative à la suffisance d’un état de la perte ou d’une preuve du sinistre ou à un état ou une preuve modifié ou complémentaire (selon le cas) ne peut, en aucun cas, être autorisée de façon à libérer la compagnie de sa responsabilité à l’égard du contrat d’assurance, quel que soit le lieu où il a été conclu, dans les cas suivants :

a) pour cause de nécessité, d’accident ou d’erreur, l’assuré n’a pas rigoureusement observé les conditions d’un contrat d’assurance‑incendie portant sur un bien situé dans la province quant à la preuve du sinistre qu’il doit faire à l’assureur à la suite de l’incendie;

b) l’assuré, ou son représentant, a transmis de bonne foi à l’assureur un état de la perte ou une preuve du sinistre, conformément à toute disposition ou condition du contrat, et par la suite, l’assureur, par l’entremise de son agent ou par un autre moyen, s’oppose à la réclamation pour d’autres motifs que l’observation imparfaite de ces conditions ou omet d’aviser l’assuré par écrit qu’il s’oppose à la réclamation, dans un délai raisonnable suivant la réception de l’état ou de la preuve, et de lui préciser quels sont les renseignements qui seraient lacunaires, le cas échéant;

c) pour tout autre motif, le tribunal ou le juge saisi d’une question connexe juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour cause d’observation imparfaite de ces conditions.

1923 — The Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1923, ch. 211

[traduction]

[Conditions nulles et non avenues]

6. Est nulle et non avenue la condition comprise ou incluse dans une nouvelle police ou dans un renouvellement de police, autre que celles énoncées dans la première annexe du présent chapitre, si le tribunal ou le juge saisi d’une question y afférente juge la condition injuste et déraisonnable.

[Disposition relative à l’observation non rigoureuse des conditions portant sur la preuve, pour cause de nécessité, d’erreur, etc.]

7. Aucune opposition relative à la suffisance d’un état de la perte ou d’une preuve du sinistre ou à un état ou une preuve modifié ou complémentaire (selon le cas) ne peut, en aucun cas, être autorisée de façon à libérer la compagnie de sa responsabilité à l’égard du contrat d’assurance, quel que soit le lieu où il a été conclu, dans les cas suivants :

a) pour cause de nécessité, d’accident ou d’erreur, l’assuré n’a pas rigoureusement observé les conditions d’un contrat d’assurance‑incendie portant sur un bien situé dans la province quant à la preuve du sinistre qu’il doit faire à l’assureur à la suite de l’incendie;

b) l’assuré, ou son représentant, a transmis de bonne foi à l’assureur un état de la perte ou une preuve du sinistre, conformément à toute disposition ou condition du contrat, et par la suite, l’assureur, par l’entremise de son agent ou par un autre moyen, s’oppose à la réclamation pour d’autres motifs que l’observation imparfaite de ces conditions ou omet d’aviser l’assuré par écrit qu’il s’oppose à la réclamation, dans un délai raisonnable suivant la réception de l’état ou de la preuve, et de lui préciser quels sont les renseignements qui seraient lacunaires, le cas échéant;

c) pour tout autre motif, le tribunal ou le juge saisi d’une question connexe juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour cause d’observation imparfaite de ces conditions.

1930 — The Fire Insurance Policy Act, 1930, S.N.S. 1930, ch. 7

[traduction]

[Lorsque le taux varie selon l’utilisateur . . .]

11. Lorsque le taux de la prime varie selon l’utilisateur, l’état, l’emplacement ou l’entretien du bien assuré, la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale énonçant toute stipulation relative à cet utilisateur, état, emplacement ou entretien, et pareille clause n’est pas réputée modifier quelque condition légale que ce soit. Cette clause ne lie l’assuré que dans la mesure où le tribunal saisi d’une question y afférente juge la clause juste et raisonnable.

[Le tribunal peut remédier à la déchéance en cas d’observation imparfaite d’une condition légale portant sur la preuve]

10. Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1954 — Fire Insurance Policy Act, R.S.N.S. 1954, ch. 100

[traduction]

[Lorsque le taux varie selon l’utilisateur . . .]

11 Lorsque le taux de la prime varie selon l’utilisateur, l’état, l’emplacement ou l’entretien du bien assuré, la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale énonçant toute stipulation relative à cet utilisateur, état, emplacement ou entretien, et pareille clause n’est pas réputée modifier quelque condition légale que ce soit. Cette clause ne lie l’assuré que dans la mesure où le tribunal saisi d’une question y afférente juge la clause juste et raisonnable.

[Le tribunal peut remédier à la déchéance en cas d’observation imparfaite d’une condition légale portant sur la preuve]

10 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1956 — Fire Insurance Act, S.N.S. 1956, ch. 6

[traduction]

[Exemption de l’applicabilité des clauses injustes ou déraisonnables]

16 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 5;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

19 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1962 — Insurance Act, S.N.S. 1962, ch. 9

[traduction]

[Exemption de l’application des clauses injustes ou déraisonnables]

124 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 113;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

127 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1967 — Insurance Act, R.S.N.S. 1967, ch. 148

[traduction]

[Exemption de l’application des clauses injustes ou déraisonnables]

126 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 115;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

129 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1989 — Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231

[traduction]

[Exemption]

171 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 163;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Charron sont dissidents.

Procureurs des appelants : Kimball Brogan, Wolfville, Nouvelle-Écosse.

Procureurs de l’intimée : Stewart McKelvey Stirling Scales, Halifax.

Marche c. Cie d’Assurance Halifax, [2005] 1 R.C.S. 47, 2005 CSC 6

Theresa Marche et Gary Fitzgerald Appelants

c.

La Compagnie d’Assurance Halifax Intimée

Répertorié : Marche c. Cie d’Assurance Halifax

Référence neutre : 2005 CSC 6.

No du greffe : 29754.

2004 : 2 novembre; 2005 : 24 février.

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Major, Bastarache, Binnie, Deschamps, Fish et Charron.

en appel de la cour d’appel de la nouvelle-écosse

Assurance — Assurance-incendie — Conditions légales — Changement dans les circonstances constitutives du risque — Inoccupation — Destruction du bien des assurés dans un incendie — Refus d’indemnisation de la part de l’assureur au motif que les assurés ne l’ont pas informé d’une inoccupation antérieure — Condition légale permettant l’annulation du contrat d’assurance-incendie si l’assureur n’est pas promptement avisé d’un changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance — Disposition de la loi sur les assurances accordant au tribunal le pouvoir discrétionnaire de remédier à l’annulation du contrat d’assurance-incendie si la stipulation, la condition ou la garantie est injuste ou déraisonnable — La disposition d’exemption s’applique-t-elle aux conditions légales? — Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231, art. 171, ann. de la partie VII, condition légale 4.

Les assurés ont fait l’acquisition d’une maison, l’ont convertie en deux appartements et ont quitté le Cap-Breton à la recherche de travail en Colombie‑Britannique. La maison est restée vacante un certain temps avant l’emménagement d’un locataire. Elle a été par la suite détruite dans un incendie et l’assureur a refusé d’indemniser les assurés, faisant observer que ceux-ci ne l’avaient pas avisé d’une inoccupation antérieure. L’assureur soutient que cette inoccupation équivaut à un changement dans les circonstances constitutives du risque, lequel, selon la condition légale 4 de la partie VII (assurance-incendie) de l’Insurance Act (N.-É.) (la « Loi »), a pour effet d’annuler la couverture d’assurance. D’après le juge de première instance, à supposer qu’ils aient violé la condition légale 4 en n’avisant pas l’assureur d’une inoccupation antérieure, les assurés devraient être dégagés des conséquences de cette violation selon l’art. 171 de la Loi, lequel dispose qu’une condition d’une police d’assurance ne lie pas l’assuré si le tribunal la juge « injuste ou déraisonnable ». La Cour d’appel a infirmé cette décision au motif que l’art. 171 s’applique non pas aux conditions légales, mais uniquement aux conditions contractuelles.

Arrêt (les juges Bastarache et Charron sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Deschamps et Fish : L’article 171 de la Loi s’applique aux conditions légales qui sont déraisonnables ou injustes dans leur application. Premièrement, l’article 171 vise à remédier aux conditions injustes ou déraisonnables des polices d’assurance et devrait, de ce fait, recevoir une interprétation large. Deuxièmement, à première vue, il semble s’appliquer tant aux conditions contractuelles qu’aux conditions légales. Le terme « condition » dans cette disposition n’est pas qualifié par un adjectif restrictif. Étant donné que les conditions légales figurent dans le contrat d’assurance, elles sont englobées dans le membre de phrase [traduction] « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte [. . .] une condition », qui définit l’application de l’art. 171. De plus, vu l’emploi imprécis du terme « condition » dans toute la Loi, une lecture de l’ensemble de cette loi, notamment de l’art. 33, ne permet pas d’appuyer la prétention que le terme « condition » à l’art. 171 vise uniquement les conditions contractuelles. Troisièmement, la disposition qui a précédé l’art. 171 mentionne expressément les conditions légales, ce qui n’est pas le cas de la version actuelle. L’historique de l’art. 171 et le principe directeur en matière d’interprétation selon lequel tout changement législatif a un but confirment que l’art. 171 est censé s’appliquer à toutes les conditions, légales ou non. [13-27]

L’expression « injuste ou déraisonnable » à l’art. 171 permet au tribunal d’examiner l’application des conditions légales. Une condition d’assurance peut paraître à première vue raisonnable et juste, mais elle peut être déraisonnable et injuste dans son application. Les mots « injuste » et « déraisonnable » qualifiant une condition n’ont guère de sens à moins de se rapporter aux effets qu’elle peut créer. Conclure que seule la condition interprétée dans l’abstrait doit être injuste ou déraisonnable, sans égard aux incidences qui découlent de son application, serait incompatible avec le large objectif réparateur de l’art. 171 qui est de protéger le public contre des conditions d’assurance injustes ou déraisonnables. [30-35]

Compte tenu de la conclusion que l’art. 171 s’applique aux conditions légales, il n’y a aucune raison de modifier la décision du juge de première instance selon laquelle, si l’application de la condition légale 4 emporte nullité du contrat d’assurance, le tribunal devrait remédier à cette situation en appliquant l’art. 171, car le logement auparavant vacant ne l’était plus avant le sinistre. [44]

Les juges Bastarache et Charron (dissidents) : L’article 171 de la Loi ne s’applique pas aux conditions légales. Cette conclusion découle de l’analyse de ses contextes immédiat, général et externe. [58-111]

On ne peut pas prendre un terme ou une expression et les lire en faisant abstraction des termes voisins. En l’espèce, pris isolément, le mot « condition » pourrait avoir une connotation générale, mais son association avec les mots « stipulation » et « garantie » à l’art. 171 en limite le sens. Étant donné que, selon la Loi, les notions de stipulation « légale » ou de garantie « légale » n’existent pas, une stipulation ou une garantie sont nécessairement contractuelles. Par conséquent, la liste devrait être restreinte par le dénominateur commun de tous les termes : le contrat. [67] [70]

L’analyse du contexte général étaye cette interprétation. L’objet des conditions légales est d’assurer l’équité entre l’assuré et l’assureur. Les conditions légales, considérées comme un ensemble, et leur caractère obligatoire indiquent que l’intention du législateur est de créer un régime équitable. Chaque condition est juste et raisonnable dans la mesure où elle est nécessaire à l’équilibre du régime. Les effets de l’application des conditions légales dans des cas donnés ne peuvent être examinés sous le régime de l’art. 171, car ils ne changent pas le caractère « juste et raisonnable » de la condition. Une même loi ne peut pas, d’une part, prescrire que les conditions légales sont obligatoires pour assurer l’équité entre les deux parties et, d’autre part, permettre de les lever parce qu’elles sont déraisonnables ou injustes en application de l’art. 171, car cela irait à l’encontre de l’objet des conditions légales. L’article 171 a été adopté pour servir de complément aux conditions légales obligatoires (art. 167) et non de disposition remédiant à l’application de ces conditions. Par conséquent, la seule interprétation possible du régime établi dans la partie VII de la Loi est que celui-ci confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exemption prévue à l’art. 171 s’ils jugent injuste ou déraisonnable une condition « contractuelle ». Cette interprétation est compatible avec l’art. 33 de la partie II (contrats d’assurance dans la province) de la Loi, qui permet expressément de remédier à la déchéance de l’assurance résultant de l’observation imparfaite d’une condition légale. [77-94]

Pour ce qui est du contexte externe, l’historique de l’art. 171 montre clairement que les dispositions qui ont précédé cette disposition ont toujours visé les dispositions contractuelles plutôt que les conditions légales. C’est ce que révèle également l’analyse de l’évolution de l’art. 33, qui était par le passé connexe à la disposition à l’étude. [98-110]

Enfin, les bonnes intentions alléguées des assurés en l’espèce ne peuvent influer sur la détermination de l’applicabilité de l’art. 171 aux conditions légales. L’ignorance de l’obligation de divulguer ou le défaut d’en apprécier l’importance n’excusera pas l’assuré. [117]

Jurisprudence

Citée par la juge en chef McLachlin

Arrêts mentionnés : Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778; Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18; 528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470; Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662; Kekarainen c. Oreland Movers Ltd., [1981] 3 W.W.R. 534; Poast c. Royal Insurance Co. of Canada (1983), 21 Man. R. (2d) 67; Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95; Arcand c. Grenville Patron Mutual Fire Insurance Co. (1923), 25 O.W.N. 175; Henwood c. Prudential Insurance Co. of America, [1967] R.C.S. 720.

Citée par le juge Bastarache (dissident)

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031; R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6; R. c. Goulis (1981), 33 O.R. (2d) 55; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350; Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95; City of London Fire Insurance Co. c. Smith (1888), 15 R.C.S. 69; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660; Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; Skoke-Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778; Hirst c. Commercial Union Assurance Co. of Canada (1978), 8 B.C.L.R. 396, conf. par (1979), 70 B.C.L.R. (2d) 361; Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662; 528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470; Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18.

Lois et règlements cités

Act to Amend Chapter 9 of the Acts of 1962, the Insurance Act, S.N.S. 1966, ch. 79, art. 2.

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64.

Fire Insurance Act, R.S.N.L. 1990, ch. F-10, art. 8, 11, ann., par. 4.

Fire Insurance Act, S.N.S. 1956, ch. 6, art. 16, 19.

Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1900, ch. 147, art. 6, 7.

Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1923, ch. 211, art. 6, 7.

Fire Insurance Policy Act, R.S.N.S. 1954, ch. 100, art. 10, 11.

Fire Insurance Policy Act, S.N.S. 1899, ch. 30, art. 26, 27(1).

Fire Insurance Policy Act, 1930, S.N.S. 1930, ch. 7, art. 10, 11.

Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I-3, art. 549, 552(1).

Insurance Act, R.S.B.C. 1996, ch. 226, art. 126, 129.

Insurance Act, R.S.N.S. 1967, ch. 148, art. 126, 129.

Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231, art. 18, 21, 23, 32(1), 33, 159(1)d), 163, 164, 166, 167(2), 169(3), 171, ann. de la partie VII, art. 4.

Insurance Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. I-4, art. 114, 117.

Insurance Act, S.N.S. 1962, ch. 9, art. 124, 127.

Interpretation Act, R.S.N.S. 1989, ch. 235, art. 9(5).

Loi sur les assurances, L.R.M. 1987, ch. I40, art. 142, 145.

Loi sur les assurances, L.R.N.-B. 1973, ch. I-12, art. 127, 130.

Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 148, 151.

Loi sur les assurances, L.R.T.N.-O. 1988, ch. I-4, art. 64(2), 67.

Loi sur les assurances, L.R.Y. 1986, ch. 91, art. 68, 71.

Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S-26, art. 128, 131.

Doctrine citée

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Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.

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Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (la juge en chef Glube et les juges Oland et Hamilton) (2003), 214 N.S.R. (2d) 1, 47 C.C.L.I. (3d) 165, 671 A.P.R. 1, [2003] I.L.R. ¶I-4197, [2003] N.S.J. No. 121 (QL), 2003 NSCA 32, qui a infirmé un jugement du juge MacAdam (2002), 202 N.S.R. (2d) 345, 632 A.P.R. 345, [2002] N.S.J. No. 157 (QL), 2002 NSSC 62. Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Charron sont dissidents.

Derrick J. Kimball, Nash T. Brogan et H. Heidi Foshay Kimball, pour les appelants.

Scott C. Norton, c.r., et Daniela Bassan, pour l’intimée.

Version française du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Major, Binnie, Deschamps et Fish rendu par

La Juge en chef —

I. Introduction

124 Il s’agit de la triste affaire d’un couple, Mme Marche et M. Fitzgerald, qui a fait l’acquisition de la maison de famille de M. Fitzgerald, l’a convertie en deux appartements et, ayant quitté le Cap‑Breton à la recherche de travail en Colombie‑Britannique, l’a perdue dans un incendie. Ils l’avaient assurée auprès de La Compagnie d’Assurance Halifax (« Halifax »). Celle‑ci a toutefois refusé de les indemniser pour le sinistre. Jusqu’à peu avant l’incendie, la maison était occupée. Cependant, invoquant une inoccupation antérieure dont, selon elle, les propriétaires auraient dû l’aviser en vertu de la police d’assurance, Halifax soutenait que cette inoccupation équivalait à un changement dans les circonstances constitutives du risque, lequel, selon la condition légale 4, a pour effet d’annuler la couverture d’assurance.

125 D’après le juge de première instance, à supposer qu’ils aient violé la condition légale 4 en n’avisant pas Halifax d’une inoccupation antérieure, les propriétaires devraient être dégagés des conséquences de cette violation selon l’art. 171 de l’Insurance Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 231 (la « Loi sur les assurances »), lequel dispose qu’une condition d’une police d’assurance ne lie pas l’assuré si le tribunal la juge « injuste ou déraisonnable » : (2002), 202 N.S.R. (2d) 345, 2002 NSSC 62. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a infirmé cette décision au motif que l’art. 171 ne s’applique pas aux conditions légales, mais uniquement aux conditions facultatives de la police d’assurance : (2003), 214 N.S.R. (2d) 1, 2003 NSCA 32.

126 Je conclus que l’art. 171 de la Loi sur les assurances s’applique aux conditions légales et qu’il y a lieu de rétablir la décision du juge de première instance.

II. Les faits

127 Personne ne conteste vraiment les faits pertinents en l’espèce. Il est clair que les propriétaires ont laissé la maison inoccupée quand ils sont partis pour la Colombie‑Britannique. Ils n’ont pas avisé Halifax que la propriété était vacante et qu’ils cherchaient des locataires pour les deux appartements. La propriété est demeurée vacante entre septembre et début décembre 1998, date de l’emménagement du frère de M. Fitzgerald, Danny. Le loyer étant en souffrance, Mme Marche a fait couper l’eau à la mi‑janvier 1999 et enlever les boîtes électriques à la fin du même mois. Bien que l’intention ait été de faire partir Danny, il n’a pas été établi qu’il ait déménagé. Le jour de l’incendie, le 7 février 1999, ses effets personnels se trouvaient toujours dans la maison.

128 Dans ces circonstances, Halifax n’a pu établir l’inoccupation au moment du sinistre. Elle a cependant refusé toute indemnisation sous le régime du contrat d’assurance au motif que Mme Marche et M. Fitzgerald ne l’avaient pas avisée d’une inoccupation antérieure, soit avant l’emménagement de Danny, et que cette inoccupation représentait un changement dans les circonstances constitutives du risque, lequel a entraîné la nullité de la police d’assurance.

III. Analyse

129 L’assureur a fait valoir que les assurés avaient violé la condition légale 4 en ne l’avisant pas d’une inoccupation antérieure. Le juge de première instance, sans conclure à une violation, a indiqué qu’il aurait de toute façon accordé l’exemption prévue à l’art. 171 de la Loi sur les assurances. La question fondamentale en l’espèce, comme on l’a fait valoir, est de savoir si l’art. 171 s’applique aux conditions légales. Dans l’affirmative, il s’agit de savoir s’il y a eu violation de la loi et s’il y a lieu d’accorder l’exemption.

A. L’article 171 de la Loi sur les assurances s’applique‑t‑il à la condition légale 4?

130 Le texte de l’art. 171 de la Loi sur les assurances de la Nouvelle‑Écosse prévoit ce qui suit :

[traduction]

171 Lorsqu’un contrat :

. . .

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

131 Le litige sur la question de savoir si l’art. 171 s’applique aux conditions légales masque une question plus profonde : que veut‑on dire lorsqu’on affirme que l’art. 171 s’applique ou ne s’applique pas à une condition légale?

132 Pour certains, il s’agit de savoir si l’art. 171 de la Loi sur les assurances pourrait servir à modifier le contrat et à supprimer des conditions qui, de par la loi, font partie intégrante de toute police d’assurance. Vue dans cette optique, la question commande une réponse négative. En effet, le législateur ne peut vraiment pas avoir voulu conférer aux juges de première instance le pouvoir de déclarer déraisonnables à première vue les conditions qu’il a rendues obligatoires dans tous les contrats d’assurance.

133 Pour d’autres, il s’agit de savoir si l’art. 171 vise non seulement à supprimer des conditions qui sont à première vue déraisonnables (s’il en est), mais aussi à remédier aux effets de l’application des conditions qui, selon les circonstances de l’affaire, sont déraisonnables dans leur application ou draconiennes dans leurs effets. Vue sous cet angle, la question prend une tout autre couleur; à mon avis, c’est un aspect plus intéressant, car on évite ainsi un résultat injuste qui autrement serait inéluctable.

134 Le libellé de l’art. 171 permet de voir la question dans les deux optiques. Toutefois, à mon sens, la seconde correspond davantage aux objectifs réparateurs de la disposition.

135 Par conséquent, il s’agit essentiellement de savoir si l’art. 171 s’applique aux conditions légales qui sont déraisonnables ou injustes dans leur application. Pour les raisons qui suivent, je conclus par l’affirmative.

(1) Arguments en faveur de l’application de l’art. 171 pour lever les conditions légales déraisonnables ou injustes

a) L’article 171 apporte une solution de droit et devrait recevoir une interprétation large

136 Dans Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778, la Cour a statué que la disposition sur la levée de la déchéance, l’art. 109 de la Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26, ne se limitait pas aux « conditions légales » et qu’elle pouvait s’appliquer aux « conditions contractuelles », même s’il est fait expressément mention de « conditions légales » dans la disposition. L’une des principales raisons tient au fait que la disposition apporte une solution de droit et qu’elle devrait être interprétée de manière large. De même, en l’espèce, l’art. 171 vise à remédier aux conditions injustes ou déraisonnables des polices d’assurance et devrait, de ce fait, recevoir une interprétation large. Cette méthode d’interprétation est étayée par le par. 9(5) de l’Interpretation Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 235, qui dispose que [traduction] « [c]haque disposition est censée apporter une solution de droit et s’interpréter de manière à assurer la réalisation de ses objectifs . . . ».

b) Le libellé de l’art. 171 est suffisamment large pour englober les conditions légales

137 La condition légale 4, étant une clause du contrat, est visée par le membre de phrase [traduction] « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte [. . .] une condition », qui circonscrit l’application de l’art. 171. Le terme « condition » n’est pas qualifié par un adjectif restrictif. Par conséquent, l’art. 171 semble à première vue s’appliquer tant aux conditions négociées qu’aux conditions légales.

138 L’inclusion des conditions légales dans le terme « condition » à l’art. 171 peut être compatible avec la présomption en faveur du sens ordinaire et non technique du terme : R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002), p. 41. Rien ne permet d’inférer automatiquement que le terme « condition » exclut les « conditions légales »; le libellé de la loi confirme donc la validité de cette interprétation.

139 L’assureur soulève plusieurs arguments à l’encontre de la thèse de l’interprétation selon le « sens ordinaire » du terme. Aucun n’est convaincant.

140 Premièrement, l’assureur soutient que, les conditions légales étant obligatoires, le membre de phrase « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte » à l’art. 171 implique que la condition est nécessairement de nature contractuelle puisqu’un contrat doit comporter une condition légale. Cependant, ce membre de phrase est également compatible avec l’intention d’englober tant les conditions légales, qui sont obligatoires, que les garanties, conditions et stipulations facultatives. Étant donné que les conditions légales figurent dans le contrat d’assurance, le membre de phrase « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte » peut s’interpréter comme s’il les englobait.

141 Deuxièmement, l’assureur souligne que dans [traduction] « une stipulation, une condition ou une garantie », les termes sont regroupés et qu’il n’est pas question de « stipulation légale » ou « garantie légale ». Il s’ensuit de là, selon lui, que la condition en question est de nature contractuelle : mémoire de l’intimée, par. 30. Cependant, il ressort clairement de la lecture de l’ensemble de la Loi sur les assurances que l’emploi du terme « condition » donne peu de précisions. Les conditions légales sont désignées comme étant des « conditions » : p. ex., le par. 167(2) de la Loi sur les assurances (voir annexe A). Dans toute cette loi, les « conditions légales » sont aussi dites « conditions obligatoires » : p. ex., l’al. 159(1)d). Le fait que le terme « condition » puisse englober les « conditions légales » est renforcé par le par. 32(1), qui précise « condition légale ou autre », et par le par. 169(3), qui mentionne « condition contractuelle » : Loi sur les assurances. Ainsi, une lecture de l’ensemble de la loi ne permet pas d’appuyer la prétention de l’assureur.

142 Troisièmement, l’assureur fait valoir que la seule autre disposition d’exemption de la Loi sur les assurances qui pourrait s’appliquer aux contrats d’assurance‑incendie, soit l’art. 33 « lev[ée] de la déchéance » (dont il est convenu qu’elle ne s’applique pas en l’espèce), mentionne expressément les conditions légales alors que ce n’est pas le cas de l’art. 171. Cette mention expresse des conditions légales renforce la thèse que seul l’art. 33 s’applique aux conditions légales et que l’art. 171 ne vise que les dispositions contractuelles facultatives. Cette conclusion n’a toutefois qu’une pertinence limitée compte tenu du fait que l’historique et l’objectif des deux dispositions sont différents, de l’interprétation large consacrée au terme « conditions légales » dans Falk Bros. et de l’emploi généralement imprécis du terme « condition » dans l’ensemble de la Loi sur les assurances.

143 En résumé, le libellé de l’art. 171 englobe les conditions légales.

c) L’historique de l’art. 171

144 L’alinéa 9(5)g) de l’Interpretation Act de la Nouvelle‑Écosse préconise la prise en compte de [traduction] « l’historique de la législation sur la question » comme outil d’interprétation des lois. Cet énoncé est renforcé par le principe directeur en matière d’interprétation qui veut que tout changement législatif ait un but.

145 La disposition qui a précédé l’art. 171 mentionne expressément les conditions légales :

[traduction]

11 Lorsque le taux de la prime varie selon l’utilisateur, l’état, l’emplacement ou l’entretien du bien assuré, la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale énonçant toute stipulation relative à cet utilisateur, état, emplacement ou entretien, et pareille clause n’est pas réputée modifier quelque condition légale que ce soit. Cette clause ne lie l’assuré que dans la mesure où le tribunal saisi d’une question y afférente juge la clause juste et raisonnable.

(Fire Insurance Policy Act, R.S.N.S. 1954, ch. 100, antérieurement S.N.S. 1930, ch. 7)

146 Cette disposition (et celles qui l’ont précédée) a permis le maintien des conditions facultatives, non prévues par la loi, qui ne présentaient pas d’incompatibilité avec les conditions légales, et leur assurait un caractère exécutoire si le tribunal les jugeait « justes et raisonnables ». Le tribunal pouvait accorder l’exemption, mais uniquement à l’égard des conditions facultatives, non prévues par la loi.

147 En 1956, la législature a remplacé l’art. 11 par l’actuel art. 171, qui n’établit aucune distinction entre les conditions légales et les conditions facultatives et qui prévoit que le tribunal peut lever les conditions en général s’il les juge « injustes ou déraisonnables ». Voir Fire Insurance Act, S.N.S. 1956, ch. 6.

148 Ainsi, avant 1956, la législature a clairement indiqué que les tribunaux ne pouvaient lever les conditions légales. En 1956, elle a précisé qu’ils pouvaient lever les conditions en général. Je le répète, le principe directeur en matière d’interprétation veut que tout changement législatif ait un but. Cela confirme que l’art. 171 est censé s’appliquer à toutes les conditions, légales ou non.

149 En fait, selon l’assureur, nous devrions procéder comme si la loi n’avait pas été modifiée en 1956 et l’interpréter comme auparavant. Agir ainsi va à l’encontre des règles d’interprétation reconnues.

150 Loin d’appuyer la thèse de l’assureur, l’historique de l’art. 171 démontre que cette disposition est destinée à s’appliquer aux conditions légales.

d) La jurisprudence

151 Dans les affaires portant sur la question de savoir si l’art. 171 (ou son équivalent) s’applique aux conditions légales, le tribunal a conclu par l’affirmative : Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18 (B.R. Alb.), p. 27; 528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470 (C.S.J.), par. 24 (distinction faite d’avec les faits de la cause Krupich pour d’autres motifs). Jusqu’à présent, les tribunaux n’ont pas adopté l’interprétation préconisée par l’assureur intimé pour l’art. 171. Malgré ces décisions, les législatures n’ont pris aucune mesure pour modifier le libellé. Cela est révélateur : Falk Bros.

152 Bref, parmi les rares décisions rendues sur la question, seule celle de la Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse, qui est portée en appel en l’espèce, confirme que l’art. 171 (ou son équivalent) ne s’applique pas aux conditions légales. Dans les décisions judiciaires invoquées par l’assureur à l’appui de sa thèse que, selon les tribunaux, l’art. 171 ne s’applique pas aux conditions légales, ceux‑ci ne se sont en fait pas prononcés sur ce point : p. ex., Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662 (C.S. Alb.); Kekarainen c. Oreland Movers Ltd., [1981] 3 W.W.R. 534 (B.R. Man.); Poast c. Royal Insurance Co. of Canada (1983), 21 Man. R. (2d) 67 (B.R.).

(2) Arguments à l’encontre de l’application de l’art. 171 pour lever les conditions légales déraisonnables ou injustes

153 Après avoir traité des arguments de l’assureur au sujet du libellé de l’art. 171, de son historique et de la jurisprudence en la matière, je vais maintenant examiner son argument le plus solide : par définition, les conditions légales ne peuvent être déraisonnables ni injustes et ne peuvent donc être visées par l’art. 171.

154 L’assureur prétend que les conditions légales visent à apporter une solution de droit et à renforcer les droits de l’assuré plutôt qu’à les restreindre. Elles sont donc, par définition, « justes et raisonnables », et l’art. 171 ne peut s’appliquer à leur égard : décision de la Cour d’appel, par. 53‑54; Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95 (C.P.), p. 99, à laquelle souscrit le professeur J. A. Rendall dans ses notes critiques relatives à Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18, p. 19.

155 Cet argument ne tient pas compte du fait qu’une condition d’assurance peut paraître à première vue raisonnable et juste, mais qu’elle peut être déraisonnable et injuste dans son application. À titre d’exemple, la question de savoir si un changement est « important dans l’appréciation du risque » est extrêmement complexe et tributaire des faits, et l’application rigoureuse peut se révéler injuste ou déraisonnable d’après les circonstances particulières de l’affaire. À cet égard, les auteurs C. Brown et J. Menezes concluent : [traduction] « [u]ne façon fondamentale — et apparemment inchangée au fil des ans — d’aborder la question de savoir ce qui est injuste ou déraisonnable consiste à statuer d’après les faits et non en des termes généraux tout à fait abstraits » : Insurance Law in Canada (2e éd. 1991), p. 190.

156 La méthode concrète énoncée par Brown et Menezes s’impose de par le libellé de l’article même. Comme nous l’avons déjà mentionné, on ne peut vraiment pas prêter au législateur l’intention de prescrire des clauses qui sont injustes à première vue. Les mots « injuste » et « déraisonnable » qualifiant une condition n’ont guère de sens à moins de se rapporter aux effets qu’elle peut créer. C’est pour cette raison qu’à première vue, sans égard aux effets qui en découlent, peu de clauses de contrat d’assurance pourraient vraisemblablement être qualifiées d’injustes ou de déraisonnables. Pour comprendre l’art. 171, il faut se demander quelles sont les incidences de l’application de la clause.

157 Enfin, le principe énoncé par Brown et Menezes qu’il faut apprécier l’expression « injuste ou déraisonnable » au cas par cas et non dans l’abstrait reflète l’objet réparateur de l’art. 171. Conclure que seule la condition interprétée dans l’abstrait doit être injuste ou déraisonnable, sans égard aux incidences qui découlent de son application, serait incompatible avec le large objectif réparateur de la disposition qui est de protéger le public contre des conditions d’assurance injustes ou déraisonnables.

158 L’expression « injuste ou déraisonnable » à l’art. 171 permet à la Cour d’examiner l’application de la clause. On ne prétend pas qu’il en soit autrement des conditions facultatives, non prévues par la loi. Si c’était le cas, il n’existerait aucun fondement à la thèse qu’en ce qui concerne les conditions légales, l’examen ne s’attache qu’à la condition sans égard aux conséquences de son application. Si l’on prend en compte les conséquences, l’argument que, par définition, les conditions légales ne peuvent jamais être injustes ou déraisonnables ne tient pas. C’est à cette étape qu’échoue le principal argument de l’assureur, à savoir que l’art. 171 ne peut s’appliquer, car les conditions légales doivent toujours être justes et raisonnables.

(3) Conclusion sur l’application de l’art. 171 aux conditions légales

159 D’après l’objectif réparateur de l’art. 171, son libellé, son historique et la jurisprudence, on peut conclure que l’art. 171 s’applique aux conditions légales. Les arguments en sens contraire ne réussissent pas à écarter ces considérations. Je conclus que l’art. 171 s’applique à la condition légale 4. Si l’application des conditions entraîne des résultats injustes ou déraisonnables, la Cour peut accorder l’exemption prévue à l’art. 171.

B. Le juge de première instance a‑t‑il fait erreur en levant la condition légale?

(1) La nullité de la police d’assurance selon la condition légale 4 est‑elle établie?

160 Nous sommes confrontés ici à une difficulté. Selon le juge de première instance, il n’y a pas eu de changement dans les circonstances constitutives du risque qui représente une violation de la condition légale 4. Il a simplement déclaré :

[traduction] Dans la mesure où l’inoccupation a pu être une cause de nullité de la police d’assurance, je suis convaincu qu’il serait à la fois injuste et déraisonnable de donner effet à l’exclusion de la couverture d’assurance pour cause d’inoccupation, étant donné que la maison a été occupée par la suite jusqu’à peu avant l’incendie et qu’il n’y avait aucune violation de loi au moment du sinistre. [par. 63]

161 La juge Oland, de la Cour d’appel, a cependant conclu que Halifax avait démontré que l’inoccupation représentait un changement dans les circonstances constitutives du risque au sens de la condition légale 4 et que, de ce fait, les assurés étaient tenus d’aviser leur assureur de l’inoccupation. La juge Oland, notant qu’ils n’ont pas avisé leur assureur et jugeant que l’observation subséquente de la condition ne permettait pas de remédier au changement dans les circonstances constitutives du risque, a conclu que le contrat devenait nul dès la date de la violation.

162 Voici le texte de la condition légale 4 :

[traduction]

ANNEXE DE LA PARTIE VII

CONDITIONS LÉGALES

4 Changement important — Un changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance est une cause de nullité de la partie du contrat ainsi touchée, à moins qu’un avis de ce changement ne soit promptement donné par écrit à l’assureur ou à son agent local. L’assureur ainsi avisé peut rembourser, le cas échéant, la part non acquise de la prime versée et résilier le contrat, ou aviser par écrit l’assuré que, s’il désire que le contrat demeure en vigueur, il doit, dans les 15 jours qui suivent la réception de l’avis, verser à l’assureur une surprime. À défaut de paiement, le contrat cesse d’être en vigueur et l’assureur rembourse, le cas échéant, la part non acquise de la prime versée.

163 Selon un principe bien établi du droit des assurances, l’inoccupation peut constituer un changement dans les circonstances constitutives du risque : p. ex., Arcand c. Grenville Patron Mutual Fire Insurance Co. (1923), 25 O.W.N. 175 (H.C.), comme en témoigne la pratique courante et reconnue d’insérer dans les polices d’assurance une clause d’exclusion pour cause d’inoccupation de plus de 30 jours. Halifax n’a sans doute pas été en mesure d’invoquer cette clause en l’espèce parce que le juge MacAdam avait conclu à l’occupation du bien jusqu’à peu avant le sinistre. Cependant, elle pouvait toujours se fonder sur la condition légale 4 pour annuler la police d’assurance au motif qu’un [traduction] « changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance est une cause de nullité de la partie du contrat ainsi touchée » : annexe de la partie VII de la Loi sur les assurances.

164 Les assurés soutiennent qu’une inoccupation bien des mois avant l’incendie ne devrait pas entraîner le rejet de leur demande d’indemnisation pour l’incendie qui a détruit leur maison. Aucune preuve concrète ne lie cette inoccupation antérieure aux circonstances réelles de l’incendie, qui serait d’origine criminelle. Selon eux, si la décision de la Cour d’appel est confirmée, il pourrait arriver que la police d’assurance devienne nulle du fait qu’une inoccupation (p. ex. pendant les vacances) n’a pas été signalée avant la survenance d’un incendie sans rapport avec la situation. Cela pourrait avoir de graves répercussions dans le cas des biens locatifs, qui peuvent souvent demeurer vacants pendant que les propriétaires cherchent des locataires acceptables. De plus, même si la première clause de la condition légale 4 dispose que le changement [traduction] « est une cause de nullité de la partie du contrat ainsi touchée . . . », le reste de la disposition permet de penser que le contrat demeure en vigueur jusqu’à la survenance d’événements précis, comme la résiliation par l’assureur. Il s’ensuit, poursuit‑on, que le contrat ne prend pas fin automatiquement avant qu’il ne soit remédié au changement dans les circonstances constitutives du risque. Il s’agit alors de savoir si l’assureur avait le droit de résilier le contrat en raison du changement antérieur du risque auquel il a été remédié. On peut soutenir que, lorsqu’il a été remédié au changement, il s’agit tout au plus d’une dette et qu’il n’est alors guère justifié de prendre en conséquence une mesure aussi draconnienne que l’annulation de la police d’assurance.

165 L’assureur, pour sa part, peut faire valoir que le défaut de notification du changement l’a privé de la possibilité d’annuler le contrat avant le sinistre. De plus, il n’est pas essentiel qu’il y ait un lien de causalité entre la violation de la loi et le sinistre : voir l’affaire Henwood c. Prudential Insurance Co. of America, [1967] R.C.S. 720, où la couverture d’assurance a été refusée parce que l’assurée n’avait pas révélé qu’elle souffrait de dépression clinique et où elle a été ensuite tuée dans un accident d’automobile sans rapport avec cet état. On pourrait soutenir que ce raisonnement ne s’applique pas à l’omission d’aviser d’un changement du risque qui a par la suite été rectifié et qui n’entre donc pas en jeu au moment du sinistre. Bien des événements peuvent entraîner un changement temporaire du risque — p. ex., une inoccupation de courte durée ou la défaillance d’une pompe de puisard. Les propriétaires sont‑ils tenus, au risque de perdre leur couverture d’assurance, d’aviser les assureurs de ces problèmes temporaires même après y avoir remédié et même s’ils sont désormais sans conséquence?

166 En conclusion, la condition légale 4 n’est pas un modèle de clarté. On peut avancer des arguments à l’appui et à l’encontre de la thèse qu’en l’espèce son application entraîne la nullité de la police d’assurance. Faute d’arguments en nombre suffisant sur la question, il vaut mieux qu’elle soit réglée par voie de modification législative ou dans une autre affaire.

(2) Si la violation de la condition légale 4 emporte nullité du contrat d’assurance, le tribunal devrait‑il accorder l’exemption prévue à l’art. 171 de la Loi sur les assurances?

167 Selon le juge de première instance, si l’application de la condition légale 4 emporte nullité du contrat d’assurance, le tribunal devrait remédier à cette situation en appliquant l’art. 171 de la Loi sur les assurances, car le logement auparavant vacant ne l’était plus avant le sinistre. Cette conclusion n’est pas vraiment contestée; l’assureur a principalement soutenu que l’art. 171 ne s’appliquait pas à la condition légale 4. Ayant conclu à son application, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du juge de première instance sur ce point.

IV. Conclusion

168 Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de confirmer la décision du juge de première instance, avec dépens en faveur des appelants/assurés dans toutes les cours.

Version française des motifs des juges Bastarache et Charron rendus par

Le juge Bastarache (dissident) —

I. Introduction

169 La seule question en litige en l’espèce est celle de l’interprétation de l’art. 171 de l’Insurance Act de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1989, ch. 231 (la « Loi sur les assurances »), et de son application à la condition légale 4. L’article 171 confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de remédier à l’annulation d’un contrat d’assurance‑incendie s’il juge injuste ou déraisonnable une stipulation, une condition ou une garantie. Selon la condition légale 4, le contrat d’assurance devient nul si l’assureur n’est pas promptement avisé par écrit d’un changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance.

170 L’assurance est devenue un élément essentiel de notre société. [traduction] « Publique ou privée, obligatoire ou volontaire, l’assurance touche quotidiennement tout le monde » : D. Boivin, Insurance Law (2004), p. 1. Mais quel est l’objet du droit des assurances? Le droit des assurances assure un contrôle et veille au [traduction] « juste équilibre entre la nécessité pour les assureurs de maintenir une viabilité financière suffisante et les attentes raisonnables de leurs clients » : C. Brown, Insurance Law in Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 1, p. 1‑1.

171 Le commerce de l’assurance est l’un des premiers secteurs à être réglementés, les législatures ayant cherché à limiter l’impact économique des compagnies d’assurances ainsi que les effets des pratiques commerciales et de l’insolvabilité des assureurs : M. G. Baer et J. A. Rendall, Cases on the Canadian Law of Insurance (6e éd. 2000), p. 27‑28. L’incursion des législatures provinciales dans les principaux aspects des relations entre assurés et assureurs s’est d’abord manifestée sur le plan du fond et de la forme des contrats d’assurance‑incendie. En effet, les critiques du public à l’égard des pratiques commerciales et du contenu des polices d’assurance étaient tellement répandues que les législatures ont fixé les modalités générales des polices d’assurance‑incendie, lesquelles ont ouvert la voie aux conditions légales que nous connaissons maintenant : Baer et Rendall, p. 74‑75.

172 Le régime dans lequel s’inscrivent l’art. 171 et la condition légale 4 (changement dans les circonstances constitutives du risque) existe dans toutes les lois provinciales en matière d’assurance qui traitent de l’assurance‑incendie (à l’exception de Québec, qui aborde cet aspect dans le Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64) : Insurance Act, R.S.B.C. 1996, ch. 226, art. 129 (« exclusions injustes ») et 126; Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I‑3, par. 552(1) (« stipulations particulières ») et art. 549; The Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26, art. 131 (« stipulations particulières ») et 128; Loi sur les assurances, L.R.M. 1987, ch. I40, art. 145 (« exclusions injustes ») et 142; Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 151 (« stipulations particulières ») et 148; Loi sur les assurances, L.R.N.‑B. 1973, ch. I‑12, art. 130 et 127; Insurance Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. I‑4, art. 117 (« exclusions ou conditions injustes et déraisonnables n’ayant pas de force obligatoire, lorsque ») et 114; Fire Insurance Act, R.S.N.L. 1990, ch. F‑10, art. 11 (« stipulations particulières ») et 8, et ann., par. 4; Loi sur les assurances, L.R.T.N.‑O. 1988, ch. I‑4, art. 67 (« stipulations spéciales ») et par. 64(2); Loi sur les assurances, L.R.Y. 1986, ch. 91, art. 71 (« stipulations spéciales ») et 68.

173 Je maintiens que l’interprétation de l’art. 171 de la Loi sur les assurances ne peut mener qu’à une seule conclusion : l’art. 171 ne s’applique pas aux conditions légales. Par conséquent, la décision de la Cour d’appel devrait être confirmée.

II. Remarques préliminaires

174 La Juge en chef ayant résumé succinctement les faits pertinents de l’espèce, il est inutile de répéter cette partie de ses motifs. J’aimerais néanmoins préciser quelques faits importants.

175 La Juge en chef a qualifié la situation de « triste affaire d’un couple » qui a perdu la maison qu’il avait convertie en deux appartements (par. 1). Sans contester les faits, je ne suis pas d’accord avec cette qualification. La propriété était vacante bien avant l’incendie et a été par la suite occupée par le frère de M. Fitzgerald, Danny, en vertu d’une entente de location. Lorsque Danny a cessé de payer le loyer, les assurés ne restaient pas là à se demander ce qu’il fallait faire; ils étaient résolus à l’expulser. En fait, Mme Marche a pris les dispositions nécessaires pour faire couper l’eau et enlever les boîtes électriques. Le fait que les assurés n’aient peut‑être pas eu d’intention malveillante, mais aient agi seulement par ignorance des obligations qui leur incombaient en vertu de la police d’assurance ne rend nullement cette affaire particulière. Ils ont à dessein laissé la propriété vacante, sans eau ni électricité. Il ne faut pas oublier que c’est le législateur qui a rédigé la disposition en cause et que La Compagnie d’Assurance Halifax (« Halifax ») n’a fait que demander l’application de la police d’assurance.

176 La juge en chef McLachlin indique au par. 4 de ses motifs que, même si l’intention des assurés était de faire partir Danny, il n’a pas été établi qu’il ait déménagé puisque ses effets personnels se trouvaient toujours dans la maison. En fait, le juge de première instance a conclu que [traduction] « l’incendie s’est apparemment déclaré peu après que Danny eut quitté les lieux », pour ensuite ajouter que [traduction] « Danny a tenté de trouver un autre logement et il se pourrait même qu’il ait déménagé peu avant l’incendie » : (2002), 202 N.S.R. (2d) 345, 2002 NSSC 62, par. 25. Cette version est davantage compatible avec le fait qu’il n’y avait ni eau ni électricité dans la maison et que les événements sont survenus en février. Je crois qu’il est raisonnable de conclure que Danny avait quitté la propriété même s’il y avait laissé certains de ses effets personnels.

III. Principes généraux d’interprétation des lois

177 L’interprétation des lois au Canada a fait l’objet de nombreux ouvrages (voir R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e éd. 2002); P.‑A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999); R. N. Graham, Statutory Interpretation : Theory and Practice (2001)). La Cour a mentionné à maintes reprises et ce, dans divers contextes, qu’elle préconisait la méthode d’interprétation législative énoncée par E. A. Driedger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, le juge Estey (droit fiscal); Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, p. 1134, le juge en chef Dickson (droit administratif); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, le juge Iacobucci (droit du travail); R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33, la juge en chef McLachlin (droit criminel); R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56, par. 28, le juge Iacobucci (amirauté); Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3, par. 27, le juge Iacobucci (droit de l’immigration); Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, par. 26, le juge Iacobucci (droit de la radiocommunication).)

178 Même si les facteurs énumérés par Driedger créent le cadre nécessaire à l’interprétation d’une disposition législative, la Cour a, dans Chieu, par. 28, souligné qu’il ne fallait pas appliquer à la lettre les facteurs d’interprétation, étant donné qu’ils sont étroitement liés et interdépendants.

179 En outre, comme l’a souligné l’assureur, le législateur a intégré la même approche dans le par. 9(5) de l’Interpretation Act, R.S.N.S. 1989, ch. 235, lequel exige un examen de l’objet de la disposition, du droit antérieur et de l’historique de la législation en cette matière lorsqu’il s’agit d’interpréter une disposition :

[traduction]

9. . . .

(5) Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète d’une manière qui soit compatible avec la réalisation de son objet, compte tenu notamment :

a) de l’opportunité et de la nécessité d’adopter le texte;

b) des circonstances de son adoption;

c) du tort à réparer;

d) de l’objet à réaliser;

e) du droit antérieur, y compris les autres textes en la matière ou en matière semblable;

f) des conséquences d’une interprétation donnée;

g) de l’historique de la législation en cette matière.

180 S’il est vrai que l’on peut et que l’on doit considérer le droit antérieur et l’historique législatif comme faisant partie des éléments à prendre en compte, comme l’indique l’Interpretation Act, ces facteurs, surtout dans un contexte non constitutionnel, sont subordonnés à l’obligation d’interpréter chaque disposition en fonction de son objet, déterminé d’après l’examen de la Loi dans son ensemble. La souveraineté du Parlement devrait guider les tribunaux, comme la Cour l’a confirmé dans Bell ExpressVu, par. 62 :

Les textes législatifs sont l’expression de la volonté du législateur. Ils complètent, modifient ou remplacent la common law. Plus précisément, lorsqu’une loi est en jeu dans une instance judiciaire, il incombe au tribunal (sauf contestation fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel) de l’interpréter et de l’appliquer conformément à l’intention souveraine du législateur.

IV. L’application des principes à l’art. 171

181 Pour décider de l’interprétation à donner à la disposition législative en cause dans le présent pourvoi, j’examinerai tout d’abord le sens ordinaire et grammatical des termes employés. J’interpréterai ensuite la disposition dans son contexte. Cette analyse comprendra un examen (i) du contexte immédiat de l’expression à l’étude; (ii) du contexte général de la disposition, y compris l’objet et l’intention du législateur, et (iii) du contexte externe, c.‑à‑d. l’historique de la disposition contestée. Bien qu’à première vue, aucun de ces facteurs ne semble en soi concluant, c’est leur incidence globale qui est déterminante.

A. Sens ordinaire et grammatical

182 L’interprétation commence avec l’examen du sens ordinaire. Mais en quoi consiste cette première étape? À la p. 21, la professeure Sullivan explique :

[traduction] L’expression « sens ordinaire » est souvent employée en interprétation législative, mais pas de façon uniforme. On l’assimile parfois à la définition donnée par le dictionnaire, parfois au sens littéral, et parfois au sens qui se dégage d’une lecture des termes à interpréter dans leur contexte global. La plupart du temps, cependant, on l’associe à la première impression du lecteur, c.‑à‑d. au sens qui lui vient spontanément lorsqu’il lit les termes dans leur contexte immédiat . . .

183 Par conséquent, comme l’a dit le juge Gonthier dans Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, p. 735, le sens ordinaire est « le sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition ».

184 L’assureur fait observer que le passage introductif de l’al. 171b) est [traduction] « [l]orsqu’un contrat comporte », et non « [l]orsqu’un contrat est réputé comporter », ce qui laisse entendre que, dans le premier cas, les clauses ont été négociées entre les parties et qu’elles sont donc contractuelles, alors que dans le second cas, les conditions légales font automatiquement partie de tout contrat conformément au par. 167(2) de la Loi sur les assurances.

185 L’assureur prétend également que, contrairement aux autres dispositions de la Loi (lesquelles seront examinées plus loin), l’expression « une condition » n’est pas qualifiée par l’adjectif « légale » ou le terme « légale ou autre ». Il conclut qu’en l’absence d’un tel qualificatif, elle s’entend de la définition ordinaire donnée à cette notion dans un contrat, c.‑à‑d. d’une disposition contractuelle. À mon avis, le fait que le législateur ait employé le mot « condition » de manière interchangeable — parfois dans le sens exclusif de condition légale, d’autres fois dans le sens de condition légale et de condition contractuelle — ne permet pas de tirer une conclusion claire de cette lecture.

186 À l’issue de cette étape préliminaire, je reconnais qu’il est difficile de trancher la question; la balance ne semble pas pencher du côté de l’une ou l’autre des parties. Cependant, l’analyse ne s’arrête pas là. La Cour a déjà reconnu qu’il faut, dans chaque cas, passer ensuite à l’examen du contexte global des termes à interpréter (Chieu, par. 34; voir aussi Sullivan, p. 20).

B. Contexte global

187 La méthode moderne reconnaît le rôle important que joue inévitablement le contexte dans l’interprétation par les tribunaux du texte d’une loi. Il ne fait aucun doute que les mots prennent la couleur de leur environnement : Bell ExpressVu, par. 27.

188 Lu dans son contexte global, l’al. 171b) n’a pas pour objet, selon moi, de libérer un assuré de l’obligation de respecter une condition légale. Un certain nombre de facteurs contextuels, que je vais maintenant essayer d’examiner, étayent cette conclusion.

189 J’examinerai en trois étapes ce deuxième facteur de la méthode moderne. Premièrement, j’étudierai soigneusement le contexte immédiat des termes contestés : la disposition dans laquelle ils sont employés et toutes celles qui s’y rapportent étroitement. Deuxièmement, je poursuivrai avec l’analyse du contexte général de la disposition, c.‑à‑d. de la Loi dans son ensemble, pour déterminer l’intention du législateur. Enfin, je passerai en revue le contexte externe, à savoir les circonstances historiques de l’adoption de l’art. 171 (voir Sullivan, p. 260‑262).

(1) Contexte immédiat : la règle noscitur a sociis (règle des mots associés)

190 L’assureur soutient que la lecture de l’art. 171 nous permet de constater que le mot « condition » est relié par la conjonction « ou » aux notions de « stipulation » et de « garantie ». Selon une règle d’interprétation bien connue, on ne peut pas prendre un terme ou une expression et les lire en faisant abstraction des termes voisins. « Le sens d’un terme est révélé par son association à d’autres termes : il est connu par ceux auxquels il est associé » : 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 195 (soulignement omis).

191 À la p. 173 de son ouvrage, la professeure Sullivan définit ainsi la règle des mots associés :

[traduction] La règle des mots associés est invoquée à bon droit lorsque au moins deux termes reliés par les conjonctions « et » ou « ou » ont une fonction grammaticale et logique analogue dans une disposition. Ce parallélisme pousse le lecteur à chercher une caractéristique commune entre ces termes. Il s’appuie ensuite sur cette caractéristique pour dissiper l’ambiguïté des termes ou en restreindre le sens. Souvent, les mots ont le sens restreint de leur dénominateur commun le plus général.

192 Cette règle d’interprétation des lois a été appliquée à maintes reprises par la Cour : Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279, p. 328‑329; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, par. 64; 2747‑3174 Québec Inc., par. 195; R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6, par. 51.

193 Lorsqu’on applique la règle des mots associés à un terme figurant dans une liste, on doit chercher une caractéristique commune à ces termes, [traduction] « le sens du mot le plus général se limite à un sens analogue à celui du mot le plus spécifique » : R. c. Goulis (1981), 33 O.R. (2d) 55 (C.A.), p. 61. Il ne faut pas étudier les dispositions législatives dans l’absolu. « Le contenu d’une disposition “est enrichi par le reste de l’article dans lequel il est situé . . .” » : Canadien Pacifique, par. 64; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 647. En l’espèce, même si, pris isolément, le mot « condition » pourrait avoir une connotation générale, son association avec les mots « stipulation » et « garantie » en limite le sens. Comme l’a fait valoir l’assureur, selon la Loi sur les assurances, les notions de stipulation « légale » ou de garantie « légale » n’existent pas. Une stipulation ou une garantie sont nécessairement contractuelles. Par conséquent, la liste devrait être restreinte par le dénominateur commun de tous les termes : le contrat. Chacune de ces dispositions est de nature contractuelle. Dans l’examen de ce facteur, il ne faut pas confondre le contexte immédiat de la loi avec son contexte général. Ces deux facteurs, bien que liés, doivent être examinés séparément : il faut étudier le contexte particulier d’une expression ou d’un mot avant de se reporter au contexte général de la loi.

194 Il est nécessaire de garder cette règle à l’esprit durant l’examen du contexte général, c.‑à‑d. l’examen de l’art. 171 dans le contexte des autres dispositions de la Loi sur les assurances (et plus particulièrement de l’art. 33 que j’aborderai à fond ultérieurement). [traduction] « [L]us isolément, les mots sont pratiquement vides de sens » : Sullivan, p. 259. On peut en dire autant des dispositions dans le cadre de la Loi sur les assurances.

(2) Contexte général : l’esprit de la Loi sur les assurances, l’objet et l’intention du législateur

195 « Œuvre d’un législateur rationnel et logique, la loi est censée former un système : chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble, au sens de chacun des éléments : “chaque disposition légale doit être envisagée, relativement aux autres, comme la fraction d’un ensemble complet” . . . » : Côté, p. 388. Voir aussi Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, p. 365.

196 De toute évidence, le régime général établi par la Loi sur les assurances vise à façonner le droit des contrats d’assurance et le commerce de l’assurance en Nouvelle‑Écosse. Pour la réglementation des contrats, la Loi divise l’assurance en plusieurs catégories, chacune d’elles étant régie par des règles différentes. La Loi comprend 12 parties couvrant des sujets tels que la délivrance de permis d’agent et d’expert d’assurances, et les peines découlant des infractions à la Loi.

197 Lorsqu’il est question d’assurance‑incendie, il est possible de dégager le cadre d’analyse applicable des dispositions générales de la partie II (contrats d’assurance dans la province) et des dispositions particulières de la partie VII (assurance‑incendie). Il importe de souligner que, même si ces deux parties sont maintenant distinctes et constituent une fraction du vaste régime d’assurance en Nouvelle‑Écosse, l’ensemble du cadre législatif applicable en matière d’assurance‑incendie formait, au moment de son adoption, un seul texte législatif, la Fire Insurance Policy Act. Je passerai en revue le fondement historique de la disposition litigieuse dans mon analyse du contexte externe.

a) Partie VII — Assurance‑incendie

198 La partie VII porte sur différents aspects du contrat d’assurance‑incendie, notamment l’étendue de la couverture contre l’incendie (art. 163), le contenu de la police (art. 164) et le contrat de renouvellement (art. 166). Elle comprend aussi l’art. 171, la disposition litigieuse. La partie VII revêt une grande importance; elle prescrit les conditions légales obligatoires. Selon le par. 167(2), sont réputées faire partie de tous les contrats d’assurance‑incendie les 15 conditions légales figurant en annexe. Aucune omission dans une condition légale ni aucun changement ou rajout qui y est apporté ne lient l’assuré. Par conséquent, la police d’assurance‑incendie comporte une partie obligatoire qui se présente sous la forme de conditions légales que ni l’assureur ni l’assuré ne peuvent écarter.

199 En l’espèce, la condition légale 4 est au cœur du litige. Comme je l’ai mentionné précédemment, elle exige de l’assuré qu’il avise promptement par écrit l’assureur ou son agent local de tout changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel il exerce un contrôle et dont il a connaissance. Ne pas observer cette condition est une cause de nullité du contrat. L’assureur a fait valoir au procès que les assurés avaient violé la condition légale 4 en ne l’avisant pas de l’inoccupation de la propriété en question. Ce point de vue a été retenu par la Cour d’appel. Cette conclusion n’est pas contestée devant notre Cour.

200 L’assureur soutient que l’objet des conditions légales obligatoires est d’accroître, et non de limiter, les droits de l’assuré; par définition, elles sont donc « justes et raisonnables ». Cet argument a été accepté par la Cour d’appel. Je suis d’accord avec l’assureur parce que, selon moi, et je vais l’expliquer davantage plus loin, les conditions légales, considérées comme un ensemble, et leur caractère obligatoire sont la solution qu’a trouvée le législateur pour créer un régime équitable. Chaque condition est juste et raisonnable dans la mesure où elle est nécessaire à l’équilibre du régime. La Juge en chef estime que la thèse selon laquelle une condition légale peut paraître à première vue raisonnable et juste ne tient pas compte du fait qu’elle peut être déraisonnable ou injuste dans son application (par. 32). Je regrette de ne pouvoir dire qu’il s’agit là de la méthode qui convient à l’interprétation de cette disposition.

201 Il faut d’abord se demander quel est l’objet des conditions légales. La réponse à cette question se trouve dans les décisions du Conseil privé d’Angleterre ainsi que dans celles de la Cour. Dans Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95, lord Dunedin déclare (p. 99) :

[traduction] L’objet principal des conditions légales est d’empêcher l’assureur de se soustraire, au moyen d’exceptions habilement libellées qui n’ont pas été spécialement portées à l’attention de l’assuré, à la responsabilité juste et raisonnable qu’il devrait assumer aux termes d’une police d’assurance‑incendie. Les lords juges conviennent [. . .] que ces conditions devraient, en cas de doute, être considérées comme élargissant plutôt que comme réduisant la responsabilité de l’assureur.

202 En outre, la Cour a reconnu dans City of London Fire Insurance Co. c. Smith (1888), 15 R.C.S. 69, p. 79‑80, la nature spéciale des conditions légales :

[traduction] Les conditions légales étant elles‑mêmes rédigées comme étant des conditions justes et raisonnables à imposer, la modification visant à les rendre moins exigeantes doit nécessairement être juste et raisonnable, et c’est seulement si la modification impose à l’assuré un fardeau plus lourd que la condition légale en cette matière que pourrait survenir un litige exigeant d’un juge ou d’un tribunal qu’il décide s’il s’agit d’une modification juste et raisonnable que la compagnie doit imposer.

203 Par conséquent, l’objet des conditions légales est d’assurer l’équité entre l’assuré et l’assureur.

204 L’auteur Brown établit clairement une distinction entre la condition légale et [traduction] « la stipulation, la condition ou la garantie » lorsqu’il traite de l’objet susmentionné (p. 20‑8 et 20‑9) :

[traduction] Cet objectif de protéger le consommateur ressort du fait que les conditions légales doivent figurer dans la police, bien que cette exigence ne s’applique pas aux reçus intérimaires ni aux polices provisoires. Qu’elles figurent ou non au contrat, elles sont réputées faire partie du contrat d’assurance‑incendie, et les omissions dans ces conditions ainsi que les modifications qui y sont apportées ne lient pas l’assuré. Cela n’empêche pas les parties d’inclure dans le contrat certaines stipulations, conditions ou garanties importantes dans l’appréciation du risque relativement à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré, pourvu qu’elles ne soient pas incompatibles avec les conditions légales (et pourvu qu’elles ne soient pas jugées injustes ou déraisonnables). En outre, ce qui peut sembler être une modification possible, donc invalide, pourrait n’être qu’une restriction valide de la description du risque ou une exclusion. [Je souligne.]

205 Je suis donc d’accord avec la juge Oland, de la Cour d’appel, lorsqu’elle déclare qu’il faut considérer les conditions légales, qui, selon la loi, doivent obligatoirement être incorporées dans les contrats d’assurance pour protéger l’assuré, comme étant justes et raisonnables : (2003), 214 N.S.R. (2d) 1, 2003 NSCA 32, par. 54.

206 Cela dit, il importe de concilier l’inclusion par le législateur des conditions légales dans les contrats d’assurance‑incendie avec le libellé de l’art. 171. Dans Rizzo & Rizzo Shoes, par. 27, la Cour a reconnu que le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes :

. . . on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif. . .

207 Je conviens avec l’assureur qu’il serait à la fois illogique et incohérent de considérer que l’art. 171 s’applique aux conditions légales figurant dans la partie VII. Tout comme lui, je crois qu’il serait déraisonnable et incongru qu’une même loi, d’une part, prescrive que les conditions légales sont obligatoires pour assurer l’équité entre les deux parties et, d’autre part, permette de les lever parce qu’elles sont déraisonnables ou injustes en application de l’art. 171. Cela irait à l’encontre de l’objet des conditions légales et en ferait des conditions inutiles et futiles. Il nous faut présumer que, en cherchant à protéger l’assuré contre les manœuvres astucieuses employées par l’assureur dans la rédaction de sa police, le législateur a prévu des conditions justes et raisonnables pour l’assuré et l’assureur et qu’il voulait les voir appliquées, et non levées par son propre régime législatif. Il est possible que certains ne soient pas d’accord avec la position adoptée par le législateur, en l’absence de toute contestation fondée sur des motifs d’ordre constitutionnel, mais on ne peut se servir de l’interprétation pour se soustraire au régime législatif.

208 Dans ses notes relatives à la décision Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18, p. 20, le professeur J. A. Rendall a adopté la même position :

[traduction] Il est tout à fait logique qu’un tribunal, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, puisse inclure une disposition légale dans un contrat, dans le but de limiter la liberté contractuelle qui autrement permettrait aux assureurs d’imposer des modalités sévères, sous forme de clauses d’exclusion et de conditions. Il ne fait aucun doute que c’est précisément ce que fait le par. 238(1) [l’équivalent de l’art. 171 de la Loi sur les assurances de la Nouvelle‑Écosse] et ce qu’il est censé faire. Il semble évident que jamais il n’a été prévu que le par. 238(1) confère au tribunal le pouvoir de décider si l’une des conditions légales, qui doivent obligatoirement être incorporées dans toutes les polices d’assurance‑incendie en application du par. 235(1), pourrait être considérée comme étant « injuste ou déraisonnable ». Les conditions légales ont été rédigées selon la conception du législateur quant aux modalités d’un contrat d’assurance qui sont « justes et raisonnables », et ces conditions font partie de tous les contrats en vertu de l’énoncé législatif clair du par. 235(1). [Je souligne.]

209 En outre, les conditions légales permettent de réaliser l’un des objectifs fondamentaux de la réglementation du secteur de l’assurance : limiter la liberté contractuelle dont jouissent les compagnies d’assurances. À cet égard, le professeur Boivin a exprimé l’opinion suivante à propos de cet objectif législatif (p. 59‑60) :

[traduction] [Cet] objectif législatif [. . .] vise à compenser le faible pouvoir de négociation qu’ont les consommateurs d’assurances par rapport aux assureurs. Les polices d’assurance sont, à bien des égards importants, des contrats d’adhésion. Les discussions préalables à la conclusion du contrat tendent à porter principalement sur l’objet de l’assurance, sur le montant de la couverture et sur la prime afférente. Cependant, les sources les plus fréquentes de litiges — les conditions, les restrictions et les exclusions de la couverture — sont elles‑mêmes imposées sans négociation. Mais cela ne représente que la moitié du problème pour les consommateurs. La connaissance est une autre différence qui existe entre l’assureur et l’assuré. . .

Compte tenu de cette réalité, la formation et l’exécution d’un contrat sont des dimensions importantes du problème que pose pour les provinces et les territoires la réglementation du secteur de l’assurance. . .

Les « conditions légales » constituent une autre caractéristique importante de ce cadre législatif. [. . .] [L]es conditions légales sont des dispositions contractuelles particulières rédigées par le législateur et elles sont réputées faire partie de tous les contrats formés dans la province ou le territoire correspondant en matière d’assurance accidents et maladies, d’assurance‑automobile ou d’assurance‑incendie. Ces conditions peuvent être comparées aux conditions implicites imposées par les tribunaux, sauf que — fait important — elles échappent au contrôle des parties contractantes. Les assureurs ne peuvent procéder à des omissions dans ces conditions ni y apporter des changements ou rajouts. Quant aux catégories d’assurance autres que celles relatives aux accidents et maladies, à l’automobile ou à l’incendie, les législatures provinciales et territoriales ont opté pour une forme d’intervention législative plus classique : elles accordent des droits et imposent des obligations correspondantes. [Je souligne.]

210 À mon avis, il ressort clairement de l’objet des conditions légales que le législateur voulait élever un certain nombre d’entre elles à un niveau suprême et faire en sorte qu’elles soient hors de la portée des assureurs et des assurés. J’affirme que l’art. 171 a été adopté pour servir de complément aux conditions légales obligatoires et non de disposition remédiant à l’application de ces conditions. L’objectif du législateur était d’encadrer le contrat d’assurance‑incendie et de protéger l’assuré contre les abus et l’autorité excessive des compagnies d’assurances (Rendall, p. 20). En fait, la protection de l’assuré est garantie par deux éléments : les conditions légales obligatoires (art. 167) et la disposition d’exemption (art. 171). Chacune d’elles a une fin particulière; ensemble, elles créent un tout.

211 Selon la juge en chef McLachlin, la présomption selon laquelle le législateur a adopté des conditions légales qui sont justes et raisonnables peut être réfutée par l’examen des conséquences que la condition peut créer dans un cas donné. J’estime que ce point de vue va à l’encontre du libellé même des dispositions et de l’intention du législateur. Pour ce qui est des conséquences, le législateur a été clair, comme je vais le démontrer dans mon analyse de l’art. 33. J’ajouterai que, de toute manière, les assurés en l’espèce n’ont pas été en mesure d’établir que la disposition était injuste à sa simple lecture ou dans son application. S’il est injuste d’appliquer la condition 4 alors que l’assureur n’a commis aucune faute et que l’inobservation de la condition ou l’incendie n’ont rien d’inhabituel, la condition légale 4 n’est plus une modalité obligatoire du contrat. L’injustice ne peut pas simplement découler du fait que la violation de la condition contractuelle est survenue avant l’incendie, car la disposition résolutoire n’aurait alors aucun sens. Le changement dans les circonstances constitutives du risque est un élément qui est prévu pour qu’il ne soit pas nécessaire d’établir un lien de causalité. L’argument qu’il est injuste pour l’assureur d’appliquer la condition légale 4 parce qu’il n’existe aucun lien de causalité entre son inobservation et l’incendie est sans fondement; on peut en dire autant de la plupart des conditions légales. À mon avis, l’historique de l’art. 171 et son lien avec l’art. 33 empêchent tout examen des conséquences d’une condition légale. Sinon, chacune des 15 conditions légales serait susceptible d’être déraisonnable ou injuste; cette conclusion serait incompatible avec l’objet de la Loi et créerait une grande incertitude chez les deux parties.

212 J’estime en outre que les considérations d’intérêt général, dont je traiterai à la section VI de mes motifs, sont défavorables à la réfutation de la présomption. Il est possible que l’on soit naturellement enclin à protéger l’assuré contre la personne morale dans tous les cas; cependant, il ne faut pas oublier que le législateur a pris les mesures qu’il estime nécessaires pour protéger l’assuré et garantir l’équité entre les deux parties au contrat. En rédigeant les dispositions obligatoires, le législateur a spécifiquement tenu compte du fait que la compagnie d’assurances n’a d’autre choix que de se fier aux renseignements fournis par l’assuré.

213 Je conclus donc que la seule interprétation possible du régime établi dans la partie VII de la Loi sur les assurances est que celui‑ci confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exemption prévue à l’art. 171 s’ils jugent injuste ou déraisonnable une condition « contractuelle ». L’article 171 ne devrait pas s’appliquer aux conditions légales parce qu’il les contrecarrerait et rejetterait l’approche complémentaire adoptée à l’égard des art. 167 et 171 de la Loi sur les assurances.

b) Partie II — Contrats d’assurance dans la province

214 La partie II de la Loi sur les assurances comprend des dispositions générales qui sont applicables à tous les contrats d’assurance en Nouvelle‑Écosse (sous réserve de certaines exceptions non applicables en l’espèce) à moins d’incompatibilité avec une autre disposition de la Loi. La partie II s’applique donc aux contrats d’assurance‑incendie.

215 La partie II porte sur différents aspects des contrats d’assurance, notamment la remise de la police d’assurance (art. 18), les effets du non‑paiement de la prime (art. 21) et la présentation des formules destinées à établir la preuve du sinistre (art. 23). J’aimerais attirer l’attention sur l’art. 33, la disposition relative à la « levée de la déchéance ». L’article 33 prévoit qu’un tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation de l’assurance lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire (ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire), s’il juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance. Selon l’assureur, il existe un parallèle entre l’art. 33 et l’art. 171, argument que la juge en chef McLachlin rejette rapidement du fait que l’historique et l’objet des deux dispositions sont différents. Je suis en profond désaccord. À vrai dire, j’estime que l’historique des dispositions corrobore la théorie de leur nature complémentaire. Je traiterai ultérieurement de ce facteur externe. Pour l’instant, un examen du libellé de l’art. 33 s’impose :

[traduction]

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

216 Le libellé de l’art. 33 est explicite et clair : il permet de remédier à la déchéance de l’assurance résultant de l’observation imparfaite d’une condition « légale » à la suite d’un sinistre. Par contre, l’art. 171 permet qu’« une stipulation, une condition ou une garantie » figurant dans un contrat ne lie pas l’assuré si le tribunal la juge injuste ou déraisonnable. L’observation de la disposition et la nature de celle‑ci sont des notions distinctes, ce dont le législateur a tenu compte. Une autre différence importante entre les deux dispositions réside dans la détermination du caractère injuste : d’une part, l’art. 33 parle de ce que les tribunaux estiment injuste dans les conséquences de l’inobservation des conditions légales; d’autre part, l’art. 171 ne porte que sur les conditions injustes, non pas sur leurs conséquences. L’interprétation judiciaire ne peut ignorer ou modifier les différences qui existent entre ces deux types de disposition d’exemption applicables aux contrats d’assurance‑incendie; sinon, cela reviendrait à prêter à l’art. 171 un sens que le législateur a choisi de donner exclusivement à l’art. 33.

217 Bien qu’actuellement les art. 33 et 171 ne figurent pas dans la même partie de la Loi sur les assurances (ce qui n’était pas le cas il n’y a pas si longtemps, comme il ressort de l’examen du contexte externe que j’aborderai plus loin), ils donnent une bonne indication de l’intention du législateur. On ne saurait interpréter le libellé explicite de l’art. 33 comme renvoyant aux conditions légales sans remarquer l’absence d’un tel libellé dans l’art. 171. Les termes employés sont différents.

c) Les autres dispositions

218 Selon l’assureur, puisque le législateur a explicitement fait référence aux « conditions légales » tout au long des parties II, V et VII de la Loi sur les assurances, s’il avait voulu que le membre de phrase « une stipulation, une condition ou une garantie » à l’art. 171 s’applique aux « conditions légales », il l’aurait mentionné expressément. Le modèle qui se dessine quant à l’utilisation d’un membre de phrase dans d’autres parties d’une loi est un facteur sur lequel s’appuient les tribunaux pour déterminer le contexte en matière d’interprétation législative. On présume que le législateur s’exprime avec soin et uniformité de sorte que, dans une loi ou un autre texte législatif, les mêmes modèles d’expression ont la même signification et les modèles différents revêtent des sens différents : Sullivan, p. 162‑166. Un exemple de l’application de cette présomption figure dans l’arrêt de la Cour Ulybel Enterprises, par. 42, où le juge Iacobucci écrit :

D’ailleurs, si le législateur avait voulu que les expressions « le produit de leur aliénation » et « le produit de son aliénation » figurant respectivement aux par. 71(1) et 72(1) se limitent au produit de la vente de marchandises périssables, il aurait pu le dire explicitement, comme il l’a fait au par. 70(3) ainsi qu’aux par. 72(2) et 72(3). Au contraire, un modèle se dessine clairement quant à l’utilisation des expressions en cause : dans certains articles, elles sont expressément limitées au produit de la vente des marchandises périssables, alors que dans d’autres dispositions, elles renvoient de façon plus générale à tous les genres de biens saisis en vertu de la Loi et au produit de leur vente.

(Voir aussi Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 60.)

219 La juge en chef McLachlin estime que l’emploi du terme « condition » donne peu de précisions lorsque la Loi est lue dans son ensemble (par. 18). Je ne suis pas d’accord. À mon avis, bien que l’emploi du mot « condition » ne soit pas complètement sans équivoque, il faut présumer, comme je l’ai indiqué précédemment, que le législateur s’exprime avec uniformité et cohérence. En l’espèce, lorsqu’il veut parler des « conditions légales », il le fait expressément. À cet égard, voici huit exemples tirés de la Loi :

[traduction]

Avis à l’assuré ou à l’assureur

29 Sous réserve de toute condition légale, les avis, quels qu’ils soient, donnés par l’assureur, lorsqu’il n’est prévu aucun mode de transmission, peuvent être envoyés par courrier recommandé à la dernière adresse connue de l’assuré qui est indiquée dans son dossier ou, en l’absence d’un tel dossier, à l’adresse que l’assuré a indiquée dans sa demande, ou remis en mains propres à l’assuré, et les avis donnés par l’assuré peuvent être envoyés par courrier recommandé à la dernière adresse connue de l’assureur dans la province ou, subsidiairement, envoyés par courrier recommandé ou remis en mains propres à l’agent autorisé de l’assureur.

Le tribunal peut remédier à la déchéance

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

Conditions légales

74 Sous réserve de l’article 75, les conditions énoncées à l’annexe de la présente partie sont réputées faire partie de tout contrat autre qu’un contrat d’assurance collective et doivent figurer dans la police faisant partie du contrat sous la rubrique « Conditions légales », ou y être annexées.

Omission des conditions légales

75 (1) La condition légale qui ne s’applique pas aux prestations prévues au contrat peut être omise dans la police ou modifiée de façon à devenir applicable.

Avis des conditions légales

76 Dans le cas d’une police d’assurance contre les accidents du type non renouvelable établie pour une durée d’au plus six mois, ou concernant un billet de voyage, il n’est pas nécessaire que les conditions légales figurent dans la police ou y soient annexées, si celle‑ci contient l’avis suivant en caractères bien apparents :

Malgré toute autre disposition ci‑incluse, le présent contrat est assujetti aux conditions légales de la Loi sur les assurances concernant les contrats d’assurance‑accident.

Observation imparfaite d’une condition légale

102 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur une question ou une chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire, en tant que personne assurée ou réclamant, à l’égard du sinistre couvert par l’assurance, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal saisi d’une question y afférente juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

Définition de « police »

167 (1) Dans le présent article, « police » ne s’entend pas des reçus intérimaires ou des polices provisoires.

Conditions légales

(2) Les conditions énoncées à l’annexe de la présente partie sont réputées faire partie de tout contrat et doivent figurer dans chaque police sous la rubrique « Conditions légales »; aucune omission dans une condition légale ni aucun changement ou rajout qui y est apporté ne lient l’assuré.

Notification d’annulation ou de modification

168 . . .

(2) Le délai et le mode de transmission de l’avis prévu au paragraphe (1) sont les mêmes que ceux de l’avis d’annulation envoyé à l’assuré en conformité avec les conditions légales du contrat.

220 Ce dernier exemple illustre à quel point le législateur n’hésite pas à mentionner explicitement ce type particulier de condition dans d’autres dispositions de la Loi. Cet autre facteur oriente davantage l’analyse vers la non‑application de l’art. 171 aux conditions légales.

(3) Contexte externe : historique législatif

221 Selon la professeure Sullivan, [traduction] « [u]ne des façons les plus efficaces de dégager l’objet d’une mesure législative consiste à retracer l’évolution de la loi, depuis sa création jusqu’à sa forme actuelle en passant par ses modifications successives » : Sullivan, p. 218. L’auteure affirme en outre (p. 218) :

[traduction] La reconstitution peut dévoiler la décision antérieure du législateur d’adopter une nouvelle politique ou de s’engager dans une nouvelle direction; elle peut révéler une tendance ou évolution graduelle dans la politique législative; ou elle peut révéler l’objet initial de la loi et démontrer que cet objet est demeuré inchangé au cours des modifications qui se sont succédées jusqu’à aujourd’hui. [Je souligne.]

222 Il est bien établi que l’évolution législative peut servir à l’interprétation d’une loi, puisque les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant : Ulybel Enterprises, par. 33; Gravel c. Cité de St‑Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, p. 667; Sullivan, p. 471‑472.

223 Dans les observations qu’il a présentées à la Cour, l’assureur a retracé en détail l’évolution de l’art. 171. Je reproduis à l’annexe B les différentes versions de la disposition qui ont été adoptées entre 1899 et 1989, année de la dernière refonte. L’évolution de l’art. 171 montre comment les dispositions qui l’ont précédé ont toujours visé les dispositions contractuelles plutôt que les conditions légales.

224 Selon la Juge en chef, le seul principe d’interprétation reconnu est celui qui présume qu’« une modification [. . .] [a] été faite de propos délibéré en vue d’introduire un changement de règle » : Côté, p. 530. Je regrette de ne pouvoir souscrire à cette opinion. S’il existe une présomption de changement de fond en common law, elle peut être réfutée : voir Sullivan, p. 473; Côté, p. 533. C’est donc une erreur de présumer que, en toutes circonstances, une modification de la loi annonce une modification du droit. En fait, la modification pourrait avoir pour but de préciser et d’instruire et non pas de changer l’interprétation de la loi ou, comme la Cour l’a dit dans Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, p. 1286, « de rendre exprès et explicite ce qui était auparavant implicite ».

225 On trouve un exemple de simple « changement de forme » (par opposition à « changement de fond ») dans les motifs de la juge Wilson dans Skoke‑Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106. Dans ce pourvoi, la Cour était appelée à interpréter l’expression « quelque chose qui en trouble l’ordre ou la solennité » du par. 172(3) du Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, et, plus précisément, à décider si un acte qui, sans troubler l’ordre, dérangeait néanmoins d’autres paroissiens à cause de sa dimension idéologique devrait être interdit par la disposition. Avant de conclure par la négative, la juge Wilson a examiné l’évolution de la disposition. Aux pages 130‑131, elle écrit :

Il est significatif qu’à compter de 1869, la loi ne sanctionne le trouble, l’interruption ou le dérangement d’une assemblée religieuse que si cela est fait « par des discours profanes, ou une conduite grossière ou indécente, ou en faisant du bruit ». La poursuite soutient que la modification de l’article en 1953‑54, au moment de la révision en profondeur du Code criminel, en a élargi la portée et que ces restrictions ne sont plus applicables. Cela ne paraît cependant pas avoir été l’intention du législateur.

Il me semble qu’en adoptant le par. 161(3) du Code de 1953‑54, le législateur a tout simplement voulu employer des termes généraux plutôt que spécifiques pour sanctionner les comportements qu’on jugeait susceptibles de perturber l’ordre ou la solennité d’une assemblée. Je ne crois pas qu’il cherchait par là à étendre la portée de la disposition aux actes paisibles de défiance de l’autorité religieuse. Le fait que l’art. 161 du Code de 1953‑54 (tout comme l’art. 172 du Code actuel) fait partie des infractions regroupées sous la rubrique « Inconduite » renforce mon opinion. Je crois donc que l’expression « quelque chose » doit être atténuée de manière à ne viser que les choses telles les discours profanes, la conduite grossière ou indécente ou le tapage. Lorsque, comme en l’espèce, les actes des appelants sont paisibles et ordonnés, j’hésiterais à conclure qu’il y a eu infraction, même si ces actes ont effectivement troublé légèrement l’ordre ou la solennité de l’office comme l’a constaté le juge du procès. [Je souligne.]

226 Il est donc possible de conclure que [traduction] « même la modification radicale du libellé est destinée à simplifier, sinon à moderniser le style de la disposition, et non pas à en changer le fond » : Sullivan, p. 477; voir aussi R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, par. 62‑75. Je maintiens que c’est le cas en l’espèce.

227 Au cours de son histoire, comme il ressort de l’annexe B, la disposition d’exemption, à savoir l’art. 171, a revêtu trois formes différentes : une en 1899, une autre en 1930 et une dernière en 1956. À mon avis, les formes adoptées en 1899 et en 1930 sont claires et explicites : le législateur ciblait les dispositions contractuelles. Les mentions [traduction] « la condition [. . .] autre que celles énoncées à l’article 2 de la présente loi », en 1899, et [traduction] « la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale », en 1930, confirment la distinction entre les conditions légales et les conditions contractuelles. Dans les deux cas, « condition » et « clause » renvoient aux dispositions contractuelles négociées entre les parties, ces dispositions étant différentes des conditions légales dont le législateur a prévu l’inclusion obligatoire dans la police d’assurance. Entre 1899 et 1989, le législateur peut avoir donné aux dispositions contractuelles le titre de « stipulations », « clauses », « conditions » et « garanties », mais j’affirme qu’il n’a jamais eu l’intention de faire en sorte que les conditions légales soient visées par l’art. 171.

228 Dans la deuxième édition de leur ouvrage Insurance Law in Canada (1991), p. 178, C. Brown et J. Menezes expliquent pourquoi cette disposition d’exemption s’est modifiée au fil des ans :

[traduction] De beaucoup restreinte, la liste des conditions légales demeure une partie immuable de la police, comme elle l’a été depuis les années 1920. Cependant, comme les sujets visés par les conditions légales sont maintenant beaucoup moins nombreux, l’assureur doit davantage traiter des éléments non mentionnés et dispose d’une plus grande liberté pour le faire. De ce fait, la portée du libellé de la disposition traitant du pouvoir discrétionnaire des tribunaux à l’égard des modalités des polices d’assurance‑incendie a été élargie dans le but de maintenir ce mécanisme de contrôle.

Ils affirment plus loin (p. 188) :

[traduction] Le recours à un contrat légal comme moyen de protection contre les abus commis par les assureurs dans la rédaction des polices a inévitablement eu pour conséquence que le contrat est excessivement rigide et, parfois, inapplicable. Les tribunaux ont atténué cette rigidité en établissant une distinction entre les conditions de la police et la description du risque. Lorsqu’une stipulation de la police portant sur l’utilisation ou l’emplacement de l’objet de la police semblait éminemment raisonnable et juste, les tribunaux pouvaient faire abstraction du défaut de respecter les exigences formelles relatives à la modification des conditions légales, en considérant que la stipulation en cause fait partie de la description du risque.

229 Effectivement, le nombre de conditions légales est passé de 25 en 1900 à 15 en 1956, année où le législateur a modifié l’art. 171 pour lui donner le libellé qu’on lui connaît aujourd’hui. C’est donc avec un nombre relativement réduit de conditions légales, qui sont obligatoires, que le législateur a, en modifiant le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exemption prévue à l’art. 171, cherché à protéger l’assuré contre l’augmentation des conditions contractuelles qui s’ensuivrait.

230 Ainsi, l’article 171 a toujours visé les conditions contractuelles ou, comme les a appelées la Juge en chef, les conditions facultatives.

231 L’analyse de l’évolution de l’art. 33 est aussi très révélatrice. L’historique chronologique de la disposition est reproduit à l’annexe B. Avant tout, il importe de noter que la disposition relative à la levée de la déchéance, l’actuel art. 33, était par le passé connexe à la disposition à l’étude dans une loi qui s’appliquait exclusivement à l’assurance‑incendie. Entre 1899 et 1968, lorsqu’elles ne se suivaient pas, ces deux dispositions n’étaient séparées que de quelques clauses.

232 En 1930, le législateur a modifié l’art. 33 (l’art. 10 à l’époque) pour lui donner son libellé actuel et, plus précisément, pour qualifier la condition de « légale ». Jamais le législateur n’a adopté les mêmes modifications à l’égard de l’art. 171, pas même en 1956, lorsqu’il lui a donné sa formulation et sa présentation actuelles. Ce n’est qu’en 1966 qu’il a décidé, à l’art. 2 de An Act to Amend Chapter 9 of the Acts of 1962, the Insurance Act, S.N.S. 1966, ch. 79, de déplacer l’art. 33 pour l’incorporer dans la partie II de la Loi sur les assurances, faisant ainsi en sorte qu’il s’applique aux autres catégories d’assurance que l’assurance‑incendie. Cette modification a été adoptée le 17 décembre 1968 et est entrée en vigueur le 1er janvier 1969. Cependant, cela ne change rien au fait que, entre 1956 et 1968 (notamment, après la refonte en 1962 de toutes les lois en matière d’assurance pour n’en faire qu’une seule), les deux dispositions d’exemption se trouvaient dans la même partie de la Loi et chacune d’elles avait un libellé distinct. Elles étaient manifestement complémentaires. Par ailleurs, le législateur est censé éviter les termes superflus ou dénués de sens : Sullivan, p. 158. En l’espèce, il est évident que le législateur voulait utiliser un libellé distinct qui différencie les deux dispositions d’exemption.

233 L’article 33 est très précis : il s’applique aux conditions légales. Il est aussi de portée très étendue, mentionnant [traduction] « la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre ». La Cour a donné à la disposition équivalente en Saskatchewan une interprétation large dans Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778. Étendre l’application de l’art. 171, comme le propose la Juge en chef, pour englober les conditions légales et les effets de leur application dans des cas donnés, modifierait sa nature et diminuerait considérablement sa valeur et son utilité. À mon avis, le raisonnement de la Juge en chef nous amène à faire abstraction de l’intention du législateur quant au caractère de deux dispositions parallèles et distinctes.

234 En somme, les contextes immédiat, général et externe démontrent que le législateur voulait mettre en place un régime où l’art. 171 ne s’appliquerait pas aux conditions légales. L’évolution de la disposition contestée illustre le rôle connexe que joue l’art. 171 à l’égard des conditions légales et du par. 167(2). Chaque disposition a donc une fonction spéciale, et en modifier l’exercice détruirait son objet et, encore plus important, l’harmonie sous‑jacente à l’ensemble du régime d’assurance.

V. Jurisprudence

235 L’article 171 et son équivalent dans les autres provinces ont très rarement été contestés : Baer et Rendall, p. 642. Les assurés font valoir que la jurisprudence portant sur la question de l’exemption étaye leur position.

236 J’estime que ces décisions n’appuient pas leur argumentation. Certaines de ces causes, outre leurs différences sur le plan des faits, portent sur une [traduction] « clause d’exclusion pour cause d’inoccupation » et non sur une condition légale (voir Hirst c. Commercial Union Assurance Co. of Canada (1978), 8 B.C.L.R. 396 (C.S.), conf. par (1979), 70 B.C.L.R. (2d) 361 (C.A.)), ou, dans certains cas, à la fois sur une condition légale et sur une clause d’exclusion (voir Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662 (C.S. Alb.); 528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470 (C.S.J.)). Non seulement la présente affaire ne porte pas sur une clause d’exclusion, mais aucune conclusion n’a été formulée quant à la présence d’une telle clause dans la police, à son applicabilité ou à un manquement à son égard.

237 De plus, les décisions citées par les assurés portent sur l’application des principes établis par l’art. 171 — quant à savoir si une situation était injuste ou déraisonnable — plutôt que sur la nature de la disposition relative aux conditions légales (voir Hirst (C.A.); 528852 Ontario). La juge en chef McLachlin cite la décision de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18. Tout d’abord, dans Krupich, la cour n’a examiné la question de la disposition d’exemption que de manière incidente, après avoir conclu que l’assuré n’avait fait aucune fausse déclaration. Cela s’est produit dans le contexte d’un examen des conséquences de l’application des conditions légales : Krupich, p. 27‑28. Le professeur Rendall a vivement critiqué la décision de ce tribunal d’instance inférieure dans ses notes relatives à Krupich; il a soutenu que le raisonnement de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta était très mal fondé et créait une confusion entre les dispositions contractuelles (exclusions prévues par la police) et les conditions légales (p. 21) :

[traduction] On ne sait pas trop si le juge Moshansky veut dire qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le par. 238(1) [l’équivalent de l’art. 171 de la Loi sur les assurances de la Nouvelle‑Écosse] pour faire échec à un moyen de défense fondé sur la condition légale 1, sur la condition légale 4 ou sur une modalité contractuelle prévoyant l’annulation de la police en cas d’inoccupation de plus de 30 jours. Il est bien évident que seul le troisième moyen de défense est visé par le pouvoir conféré au juge Moshansky par le par. 238(1). On pourrait être porté à croire que la dernière déclaration du juge Moshansky au sujet du caractère injuste ou déraisonnable de la mise en vigueur de la « disposition relative à l’annulation de la police pour cause d’inoccupation » constitue le passage dominant et signifie qu’il cherche seulement à remédier aux effets d’une clause contractuelle d’exclusion en vertu du par. 238(1). Malheureusement, le juge Moshansky affirme très clairement dans un passage antérieur qu’il appliquerait le par. 238(1) même s’il avait conclu à la non‑communication d’un renseignement important qui aurait rendu le contrat susceptible d’annulation à l’initiative de l’assureur.

(Le juge MacAdam, de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse, a repris les mêmes termes pour conclure qu’il serait à la fois injuste et déraisonnable de donner effet à l’exclusion pour cause d’inoccupation (par. 63).)

238 Je reprends donc les propos du professeur Rendall et confirme que la décision Krupich est mal fondée; quoi qu’il en soit, les commentaires de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta n’étaient qu’incidents.

239 Comme je l’ai précédemment signalé, je conclus donc qu’il s’agit ici d’un pourvoi pour lequel aucune décision antérieure ne saurait faire la lumière sur la question soulevée ni servir de précédent.

VI. Considérations d’intérêt général

240 En l’espèce, les bonnes intentions alléguées des assurés ne peuvent influer sur la détermination de l’applicabilité de l’art. 171 aux conditions légales. L’ignorance de l’obligation de divulguer (que les assurés auraient dû connaître) ou le défaut d’en apprécier l’importance n’excusera pas l’assuré : E. R. H. Ivamy, General Principles of Insurance Law (6e éd. 1993), p. 174. Le fait que les assurés n’ont pas avisé l’assureur de l’inoccupation de la propriété parce qu’ils ne savaient pas qu’ils devaient divulguer ce renseignement ne peut avoir d’incidence sur l’application de l’art. 171 aux conditions légales parce que, dans les faits, cette divulgation annulerait les conditions. De même, il n’est pas allégué que Halifax a agi de mauvaise foi lorsqu’elle a traité la réclamation des assurés. Je répète qu’il ne faut pas examiner les conséquences de la condition légale 4 selon l’art. 171; ce qu’il faut examiner, c’est la condition elle‑même. La conduite des assurés serait un facteur à considérer seulement si la Cour décidait que la disposition d’exemption s’applique aux conditions légales; la Cour devrait alors déterminer si, en l’espèce, la condition légale 4 était juste et raisonnable. Compte tenu de ma conclusion quant à cette première question, je n’ai pas à m’engager dans la deuxième analyse.

241 La juge en chef McLachlin postule qu’en raison de l’imprécision et de la nature corrective de l’art. 171, celui‑ci devrait être interprété en faveur des assurés. Bien que l’aspect correctif d’une disposition puisse dans certaines circonstances être pertinent, je ne crois pas qu’il ait une quelconque importance en l’espèce. Dans le commerce de l’assurance, tous les intervenants, assurés et assureurs, doivent, pour maintenir un système cohérent et bien défini, respecter leurs obligations. L’assureur doit pouvoir se fier à l’assuré pour lui communiquer tous les faits importants concernant le risque. Les renseignements que l’assuré doit divulguer en application de la condition légale 4 sont ceux qu’il connaît véritablement ou dont il est raisonnable de penser qu’il connaisse. De toute évidence, les renseignements divulgués sont personnels et difficilement disponibles pour l’assureur. Comment alors l’assureur est‑il censé être au courant de ces renseignements? Il se peut qu’il ne découvre la vérité qu’après le sinistre. Il ne dispose d’aucun autre outil pour déterminer s’il y a changement dans les circonstances constitutives du risque. Certains auteurs affirment que des faits, d’ordinaire importants, peuvent perdre de leur importance si l’assureur aurait pu les découvrir au cours d’une enquête : Ivamy, p. 154‑155. Il se peut que ce soit la règle générale, mais en l’espèce il serait injuste et inconcevable d’obliger l’assureur à communiquer régulièrement avec l’assuré pour faire confirmer qu’il n’y a aucun changement dans le risque. De plus, il ne faut pas oublier que les assurés sont des propriétaires. L’entreprise dans laquelle ils se sont lancés comporte des obligations auxquelles ils ne peuvent échapper. Ainsi, il ne s’agit pas d’un cas où l’assureur a négligé les renseignements reçus et a fermé les yeux devant la réalité. Halifax ne s’est pas volontairement aveuglée; au contraire, elle a été tenue dans le noir total.

242 Dans la même veine, je retiens le commentaire de la juge Oland, lorsqu’elle écrit (par. 56) :

[traduction] En outre, il ressort clairement du libellé de la condition légale 4 que l’assuré a l’obligation d’aviser l’assureur. Cela reflète la réalité que, sauf dans des circonstances inhabituelles, l’assureur ne sera pas autrement au courant d’un changement dans le risque. La faculté qu’a l’assureur d’apprécier le risque et de refuser la garantie ou d’y apporter des changements est une caractéristique essentielle de la souscription en matière d’assurance. Il est également probable que de nombreux assurés, pensant qu’un changement pourrait contrevenir à la condition légale 4 ou à toute autre condition de leur police d’assurance, communiquent déjà, par prudence, avec leur assureur. [Premier soulignement ajouté; second soulignement dans l’original.]

243 L’assureur et l’assuré ont besoin de certitude quant au contrat qu’ils ont conclu. Leurs obligations doivent être bien définies et précises. Ils doivent pouvoir se fier au contrat d’assurance sans craindre qu’une intervention du tribunal vienne modifier leurs droits et obligations.

244 Je pense que l’interprétation de la Loi sur les assurances ainsi que la jurisprudence n’appuient pas la position des assurés.

VII. Conclusion

245 La Loi sur les assurances est une loi rédigée avec beaucoup de précision dont l’objet est de créer un équilibre entre l’obligation de divulgation et la tendance à l’abus qu’autorise la liberté contractuelle (Baer et Rendall, p. 419). Cependant, cette structure n’est pas une exigence constitutionnelle et, en l’espèce, les parties n’ont pas soulevé de question constitutionnelle.

246 Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et de confirmer la décision de la Cour d’appel.

ANNEXE A

Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231

[traduction]

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

167 . . .

(2) Les conditions énoncées à l’annexe de la présente partie sont réputées faire partie de tout contrat et doivent figurer dans chaque police sous la rubrique « Conditions légales »; aucune omission dans une condition légale ni aucun changement ou rajout qui y est apporté ne lient l’assuré.

171 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 163;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

ANNEXE B

1899 — The Fire Insurance Policy Act, S.N.S. 1899, ch. 30

[traduction]

[Conditions nulles et non avenues dans certains cas]

26. Est nulle et non avenue la condition comprise ou incluse dans une nouvelle police ou dans un renouvellement de police, autre que celles énoncées à l’article 2 de la présente loi, si le tribunal ou le juge saisi d’une question y afférente juge la condition injuste et déraisonnable.

[Disposition relative à l’observation non rigoureuse des conditions portant sur la preuve, pour cause de nécessité, d’erreur, etc.]

27. (1) Lorsque, pour cause de nécessité, d’accident ou d’erreur, l’assuré n’a pas rigoureusement observé les conditions d’un contrat d’assurance‑incendie portant sur un bien situé dans la province quant à la preuve du sinistre qu’il doit faire à l’assureur à la suite de l’incendie; ou lorsque l’assuré, ou son représentant, a transmis de bonne foi à l’assureur un état de la perte ou une preuve du sinistre, conformément à toute disposition ou condition du contrat, et que par la suite, l’assureur, par l’entremise de son agent ou par d’autre moyen, s’oppose à la réclamation pour d’autres motifs que l’observation imparfaite de ces conditions ou omet d’aviser l’assuré par écrit qu’il s’oppose à la réclamation, dans un délai raisonnable suivant la réception de l’état ou de la preuve, et de lui préciser quels sont les renseignements qui seraient lacunaires, le cas échéant; ou lorsque, pour tout autre motif, le tribunal ou le juge saisi d’une question connexe estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour cause d’observation imparfaite de ces conditions, aucune opposition relative à la suffisance de cet état ou de cette preuve ou à un état ou une preuve modifié ou complémentaire (selon le cas) ne peut, en aucun cas, être autorisée de façon à libérer la compagnie de sa responsabilité à l’égard du contrat d’assurance, quel que soit le lieu où il a été conclu.

1900 — The Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1900, ch. 147

[traduction]

[Conditions nulles et non avenues dans certains cas]

6. Est nulle et non avenue la condition comprise ou incluse dans une nouvelle police ou dans un renouvellement de police, autre que celles énoncées dans la première annexe du présent chapitre, si le tribunal ou le juge saisi d’une question y afférente juge la condition injuste et déraisonnable.

[Disposition relative à l’observation non rigoureuse des conditions portant sur la preuve, pour cause de nécessité, d’erreur, etc.]

7. Aucune opposition relative à la suffisance d’un état de la perte ou d’une preuve du sinistre ou à un état ou une preuve modifié ou complémentaire (selon le cas) ne peut, en aucun cas, être autorisée de façon à libérer la compagnie de sa responsabilité à l’égard du contrat d’assurance, quel que soit le lieu où il a été conclu, dans les cas suivants :

a) pour cause de nécessité, d’accident ou d’erreur, l’assuré n’a pas rigoureusement observé les conditions d’un contrat d’assurance‑incendie portant sur un bien situé dans la province quant à la preuve du sinistre qu’il doit faire à l’assureur à la suite de l’incendie;

b) l’assuré, ou son représentant, a transmis de bonne foi à l’assureur un état de la perte ou une preuve du sinistre, conformément à toute disposition ou condition du contrat, et par la suite, l’assureur, par l’entremise de son agent ou par un autre moyen, s’oppose à la réclamation pour d’autres motifs que l’observation imparfaite de ces conditions ou omet d’aviser l’assuré par écrit qu’il s’oppose à la réclamation, dans un délai raisonnable suivant la réception de l’état ou de la preuve, et de lui préciser quels sont les renseignements qui seraient lacunaires, le cas échéant;

c) pour tout autre motif, le tribunal ou le juge saisi d’une question connexe juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour cause d’observation imparfaite de ces conditions.

1923 — The Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1923, ch. 211

[traduction]

[Conditions nulles et non avenues]

6. Est nulle et non avenue la condition comprise ou incluse dans une nouvelle police ou dans un renouvellement de police, autre que celles énoncées dans la première annexe du présent chapitre, si le tribunal ou le juge saisi d’une question y afférente juge la condition injuste et déraisonnable.

[Disposition relative à l’observation non rigoureuse des conditions portant sur la preuve, pour cause de nécessité, d’erreur, etc.]

7. Aucune opposition relative à la suffisance d’un état de la perte ou d’une preuve du sinistre ou à un état ou une preuve modifié ou complémentaire (selon le cas) ne peut, en aucun cas, être autorisée de façon à libérer la compagnie de sa responsabilité à l’égard du contrat d’assurance, quel que soit le lieu où il a été conclu, dans les cas suivants :

a) pour cause de nécessité, d’accident ou d’erreur, l’assuré n’a pas rigoureusement observé les conditions d’un contrat d’assurance‑incendie portant sur un bien situé dans la province quant à la preuve du sinistre qu’il doit faire à l’assureur à la suite de l’incendie;

b) l’assuré, ou son représentant, a transmis de bonne foi à l’assureur un état de la perte ou une preuve du sinistre, conformément à toute disposition ou condition du contrat, et par la suite, l’assureur, par l’entremise de son agent ou par un autre moyen, s’oppose à la réclamation pour d’autres motifs que l’observation imparfaite de ces conditions ou omet d’aviser l’assuré par écrit qu’il s’oppose à la réclamation, dans un délai raisonnable suivant la réception de l’état ou de la preuve, et de lui préciser quels sont les renseignements qui seraient lacunaires, le cas échéant;

c) pour tout autre motif, le tribunal ou le juge saisi d’une question connexe juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour cause d’observation imparfaite de ces conditions.

1930 — The Fire Insurance Policy Act, 1930, S.N.S. 1930, ch. 7

[traduction]

[Lorsque le taux varie selon l’utilisateur . . .]

11. Lorsque le taux de la prime varie selon l’utilisateur, l’état, l’emplacement ou l’entretien du bien assuré, la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale énonçant toute stipulation relative à cet utilisateur, état, emplacement ou entretien, et pareille clause n’est pas réputée modifier quelque condition légale que ce soit. Cette clause ne lie l’assuré que dans la mesure où le tribunal saisi d’une question y afférente juge la clause juste et raisonnable.

[Le tribunal peut remédier à la déchéance en cas d’observation imparfaite d’une condition légale portant sur la preuve]

10. Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1954 — Fire Insurance Policy Act, R.S.N.S. 1954, ch. 100

[traduction]

[Lorsque le taux varie selon l’utilisateur . . .]

11 Lorsque le taux de la prime varie selon l’utilisateur, l’état, l’emplacement ou l’entretien du bien assuré, la police peut contenir une clause non incompatible avec une condition légale énonçant toute stipulation relative à cet utilisateur, état, emplacement ou entretien, et pareille clause n’est pas réputée modifier quelque condition légale que ce soit. Cette clause ne lie l’assuré que dans la mesure où le tribunal saisi d’une question y afférente juge la clause juste et raisonnable.

[Le tribunal peut remédier à la déchéance en cas d’observation imparfaite d’une condition légale portant sur la preuve]

10 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1956 — Fire Insurance Act, S.N.S. 1956, ch. 6

[traduction]

[Exemption de l’applicabilité des clauses injustes ou déraisonnables]

16 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 5;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

19 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1962 — Insurance Act, S.N.S. 1962, ch. 9

[traduction]

[Exemption de l’application des clauses injustes ou déraisonnables]

124 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 113;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

127 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1967 — Insurance Act, R.S.N.S. 1967, ch. 148

[traduction]

[Exemption de l’application des clauses injustes ou déraisonnables]

126 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 115;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

129 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal juge injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

1989 — Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231

[traduction]

[Exemption]

171 Lorsqu’un contrat :

a) ou bien exclut un sinistre qui serait autrement compris dans la garantie prescrite par l’article 163;

b) ou bien comporte une stipulation, une condition ou une garantie qui est ou peut être importante dans l’appréciation du risque, notamment une disposition relative à l’usage, à l’état, à l’emplacement ou à l’entretien du bien assuré,

l’assuré n’est pas lié par l’exclusion, la stipulation, la condition ou la garantie en cause si elle est jugée injuste ou déraisonnable par le tribunal saisi d’une question y afférente.

[Levée de la déchéance]

33 Lorsque l’assuré n’a qu’imparfaitement observé une condition légale portant sur la preuve du sinistre qu’il doit faire ou sur une autre question ou chose qu’il a l’obligation de faire ou de ne pas faire à l’égard du sinistre, qu’il s’ensuit une déchéance ou une annulation totale ou partielle de l’assurance et que le tribunal estime injuste la déchéance ou l’annulation de l’assurance pour ce motif, le tribunal peut remédier à la déchéance ou à l’annulation aux conditions qu’il estime justes.

Pourvoi accueilli, les juges Bastarache et Charron sont dissidents.

Procureurs des appelants : Kimball Brogan, Wolfville, Nouvelle-Écosse.

Procureurs de l’intimée : Stewart McKelvey Stirling Scales, Halifax.


Synthèse
Référence neutre : 2005 CSC 6 ?
Date de la décision : 24/02/2005
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Assurance - Assurance-incendie - Conditions légales - Changement dans les circonstances constitutives du risque - Inoccupation - Destruction du bien des assurés dans un incendie - Refus d’indemnisation de la part de l’assureur au motif que les assurés ne l’ont pas informé d’une inoccupation antérieure - Condition légale permettant l’annulation du contrat d’assurance-incendie si l’assureur n’est pas promptement avisé d’un changement dans les circonstances constitutives du risque sur lequel l’assuré exerce un contrôle et dont il a connaissance - Disposition de la loi sur les assurances accordant au tribunal le pouvoir discrétionnaire de remédier à l’annulation du contrat d’assurance-incendie si la stipulation, la condition ou la garantie est injuste ou déraisonnable - La disposition d’exemption s’applique-t-elle aux conditions légales? - Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231, art. 171, ann. de la partie VII, condition légale 4.

Les assurés ont fait l’acquisition d’une maison, l’ont convertie en deux appartements et ont quitté le Cap-Breton à la recherche de travail en Colombie‑Britannique. La maison est restée vacante un certain temps avant l’emménagement d’un locataire. Elle a été par la suite détruite dans un incendie et l’assureur a refusé d’indemniser les assurés, faisant observer que ceux-ci ne l’avaient pas avisé d’une inoccupation antérieure. L’assureur soutient que cette inoccupation équivaut à un changement dans les circonstances constitutives du risque, lequel, selon la condition légale 4 de la partie VII (assurance-incendie) de l’Insurance Act (N.-É.) (la « Loi »), a pour effet d’annuler la couverture d’assurance. D’après le juge de première instance, à supposer qu’ils aient violé la condition légale 4 en n’avisant pas l’assureur d’une inoccupation antérieure, les assurés devraient être dégagés des conséquences de cette violation selon l’art. 171 de la Loi, lequel dispose qu’une condition d’une police d’assurance ne lie pas l’assuré si le tribunal la juge « injuste ou déraisonnable ». La Cour d’appel a infirmé cette décision au motif que l’art. 171 s’applique non pas aux conditions légales, mais uniquement aux conditions contractuelles.

Arrêt (les juges Bastarache et Charron sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Major, Binnie, Deschamps et Fish : L’article 171 de la Loi s’applique aux conditions légales qui sont déraisonnables ou injustes dans leur application. Premièrement, l’article 171 vise à remédier aux conditions injustes ou déraisonnables des polices d’assurance et devrait, de ce fait, recevoir une interprétation large. Deuxièmement, à première vue, il semble s’appliquer tant aux conditions contractuelles qu’aux conditions légales. Le terme « condition » dans cette disposition n’est pas qualifié par un adjectif restrictif. Étant donné que les conditions légales figurent dans le contrat d’assurance, elles sont englobées dans le membre de phrase [traduction] « [l]orsqu’un contrat [. . .] comporte [. . .] une condition », qui définit l’application de l’art. 171. De plus, vu l’emploi imprécis du terme « condition » dans toute la Loi, une lecture de l’ensemble de cette loi, notamment de l’art. 33, ne permet pas d’appuyer la prétention que le terme « condition » à l’art. 171 vise uniquement les conditions contractuelles. Troisièmement, la disposition qui a précédé l’art. 171 mentionne expressément les conditions légales, ce qui n’est pas le cas de la version actuelle. L’historique de l’art. 171 et le principe directeur en matière d’interprétation selon lequel tout changement législatif a un but confirment que l’art. 171 est censé s’appliquer à toutes les conditions, légales ou non. [13-27]

L’expression « injuste ou déraisonnable » à l’art. 171 permet au tribunal d’examiner l’application des conditions légales. Une condition d’assurance peut paraître à première vue raisonnable et juste, mais elle peut être déraisonnable et injuste dans son application. Les mots « injuste » et « déraisonnable » qualifiant une condition n’ont guère de sens à moins de se rapporter aux effets qu’elle peut créer. Conclure que seule la condition interprétée dans l’abstrait doit être injuste ou déraisonnable, sans égard aux incidences qui découlent de son application, serait incompatible avec le large objectif réparateur de l’art. 171 qui est de protéger le public contre des conditions d’assurance injustes ou déraisonnables. [30-35]

Compte tenu de la conclusion que l’art. 171 s’applique aux conditions légales, il n’y a aucune raison de modifier la décision du juge de première instance selon laquelle, si l’application de la condition légale 4 emporte nullité du contrat d’assurance, le tribunal devrait remédier à cette situation en appliquant l’art. 171, car le logement auparavant vacant ne l’était plus avant le sinistre. [44]

Les juges Bastarache et Charron (dissidents) : L’article 171 de la Loi ne s’applique pas aux conditions légales. Cette conclusion découle de l’analyse de ses contextes immédiat, général et externe. [58-111]

On ne peut pas prendre un terme ou une expression et les lire en faisant abstraction des termes voisins. En l’espèce, pris isolément, le mot « condition » pourrait avoir une connotation générale, mais son association avec les mots « stipulation » et « garantie » à l’art. 171 en limite le sens. Étant donné que, selon la Loi, les notions de stipulation « légale » ou de garantie « légale » n’existent pas, une stipulation ou une garantie sont nécessairement contractuelles. Par conséquent, la liste devrait être restreinte par le dénominateur commun de tous les termes : le contrat. [67] [70]

L’analyse du contexte général étaye cette interprétation. L’objet des conditions légales est d’assurer l’équité entre l’assuré et l’assureur. Les conditions légales, considérées comme un ensemble, et leur caractère obligatoire indiquent que l’intention du législateur est de créer un régime équitable. Chaque condition est juste et raisonnable dans la mesure où elle est nécessaire à l’équilibre du régime. Les effets de l’application des conditions légales dans des cas donnés ne peuvent être examinés sous le régime de l’art. 171, car ils ne changent pas le caractère « juste et raisonnable » de la condition. Une même loi ne peut pas, d’une part, prescrire que les conditions légales sont obligatoires pour assurer l’équité entre les deux parties et, d’autre part, permettre de les lever parce qu’elles sont déraisonnables ou injustes en application de l’art. 171, car cela irait à l’encontre de l’objet des conditions légales. L’article 171 a été adopté pour servir de complément aux conditions légales obligatoires (art. 167) et non de disposition remédiant à l’application de ces conditions. Par conséquent, la seule interprétation possible du régime établi dans la partie VII de la Loi est que celui-ci confère aux tribunaux le pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exemption prévue à l’art. 171 s’ils jugent injuste ou déraisonnable une condition « contractuelle ». Cette interprétation est compatible avec l’art. 33 de la partie II (contrats d’assurance dans la province) de la Loi, qui permet expressément de remédier à la déchéance de l’assurance résultant de l’observation imparfaite d’une condition légale. [77-94]

Pour ce qui est du contexte externe, l’historique de l’art. 171 montre clairement que les dispositions qui ont précédé cette disposition ont toujours visé les dispositions contractuelles plutôt que les conditions légales. C’est ce que révèle également l’analyse de l’évolution de l’art. 33, qui était par le passé connexe à la disposition à l’étude. [98-110]

Enfin, les bonnes intentions alléguées des assurés en l’espèce ne peuvent influer sur la détermination de l’applicabilité de l’art. 171 aux conditions légales. L’ignorance de l’obligation de divulguer ou le défaut d’en apprécier l’importance n’excusera pas l’assuré. [117]


Parties
Demandeurs : Marche
Défendeurs : Cie d'Assurance Halifax

Références :

Jurisprudence
Citée par la juge en chef McLachlin
Arrêts mentionnés : Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778
Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18
528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470
Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662
Kekarainen c. Oreland Movers Ltd., [1981] 3 W.W.R. 534
Poast c. Royal Insurance Co. of Canada (1983), 21 Man. R. (2d) 67
Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95
Arcand c. Grenville Patron Mutual Fire Insurance Co. (1923), 25 O.W.N. 175
Henwood c. Prudential Insurance Co. of America, [1967] R.C.S. 720.
Citée par le juge Bastarache (dissident)
Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114
Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27
R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2
R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, 2001 CSC 56
Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3
Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42
Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724
2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919
Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279
Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031
R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, 2004 CSC 6
R. c. Goulis (1981), 33 O.R. (2d) 55
R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606
Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350
Curtis’s and Harvey Ltd. c. North British and Mercantile Insurance Co. (1920), 55 D.L.R. 95
City of London Fire Insurance Co. c. Smith (1888), 15 R.C.S. 69
Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437
Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660
Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252
Skoke-Graham c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 106
R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686
Falk Bros. Industries Ltd. c. Elance Steel Fabricating Co., [1989] 2 R.C.S. 778
Hirst c. Commercial Union Assurance Co. of Canada (1978), 8 B.C.L.R. 396, conf. par (1979), 70 B.C.L.R. (2d) 361
Nahayowski c. Pearl Assurance Co. (1964), 45 W.W.R. 662
528852 Ontario Inc. c. Royal Insurance Co. (2000), 51 O.R. (3d) 470
Krupich c. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18.
Lois et règlements cités
Act to Amend Chapter 9 of the Acts of 1962, the Insurance Act, S.N.S. 1966, ch. 79, art. 2.
Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64.
Fire Insurance Act, R.S.N.L. 1990, ch. F-10, art. 8, 11, ann., par. 4.
Fire Insurance Act, S.N.S. 1956, ch. 6, art. 16, 19.
Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1900, ch. 147, art. 6, 7.
Fire Insurance Policies’ Act, R.S.N.S. 1923, ch. 211, art. 6, 7.
Fire Insurance Policy Act, R.S.N.S. 1954, ch. 100, art. 10, 11.
Fire Insurance Policy Act, S.N.S. 1899, ch. 30, art. 26, 27(1).
Fire Insurance Policy Act, 1930, S.N.S. 1930, ch. 7, art. 10, 11.
Insurance Act, R.S.A. 2000, ch. I-3, art. 549, 552(1).
Insurance Act, R.S.B.C. 1996, ch. 226, art. 126, 129.
Insurance Act, R.S.N.S. 1967, ch. 148, art. 126, 129.
Insurance Act, R.S.N.S. 1989, ch. 231, art. 18, 21, 23, 32(1), 33, 159(1)d), 163, 164, 166, 167(2), 169(3), 171, ann. de la partie VII, art. 4.
Insurance Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. I-4, art. 114, 117.
Insurance Act, S.N.S. 1962, ch. 9, art. 124, 127.
Interpretation Act, R.S.N.S. 1989, ch. 235, art. 9(5).
Loi sur les assurances, L.R.M. 1987, ch. I40, art. 142, 145.
Loi sur les assurances, L.R.N.-B. 1973, ch. I-12, art. 127, 130.
Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 148, 151.
Loi sur les assurances, L.R.T.N.-O. 1988, ch. I-4, art. 64(2), 67.
Loi sur les assurances, L.R.Y. 1986, ch. 91, art. 68, 71.
Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S-26, art. 128, 131.
Doctrine citée
Baer, Marvin G., and James A. Rendall. Cases on the Canadian Law of Insurance, 6th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 2000.
Boivin, Denis. Insurance Law. Toronto : Irwin Law, 2004.
Brown, Craig. Insurance Law in Canada. Scarborough, Ont. : Carswell, 1999 (loose‑leaf updated 2004, release 3).
Brown, Craig, and Julio Menezes. Insurance Law in Canada, 2nd ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1991.
Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 3e éd. Montréal : Thémis, 1999.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Graham, Randal N. Statutory Interpretation : Theory and Practice. Toronto : Emond Montgomery, 2001.
Ivamy, E. R. Hardy. General Principles of Insurance Law, 6th ed. London : Butterworths, 1993.
Rendall, James A. Annotation to Krupich v. Safeco Insurance Co. of America (1985), 16 C.C.L.I. 18.
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Markham, Ont. : Butterworths, 2002.

Proposition de citation de la décision: Marche c. Cie d'Assurance Halifax, 2005 CSC 6 (24 février 2005)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2005-02-24;2005.csc.6 ?
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