N° P.22.0892.F
I. B. G.,
ayant pour conseil Maître Isabelle Leroy, avocat au barreau de Charleroi,
II. F. M.,
ayant pour conseils Maîtres Alaya Kahloun et Mustapha El Hajjami, avocats au barreau de Bruxelles,
accusés, détenus,
demandeurs en cassation,
les pourvois contre
1. M. J., et
2. F. S.,
agissant en nom personnel et en qualité d’administrateurs légaux des biens de leur fille mineure M. M.,
3. M. S.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre l’arrêt de motivation, rendu le 2 juin 2022, contre l’arrêt de condamnation, rendu le 3 juin 2022, et contre l’arrêt civil rendu à cette même date, par la cour d’assises de la province du Hainaut.
Le premier demandeur fait valoir un moyen et le second en invoque quatre, chacun dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Frédéric Lugentz a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de G. B. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt de motivation :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 1138, 4°, du Code judiciaire et 66 du Code pénal.
Le demandeur reproche à l’arrêt de se contredire et de méconnaître la notion légale de participation en le reconnaissant coupable, avec le second demandeur, de meurtres pour faciliter le vol, alors qu’aux termes de la même décision, le coaccusé A. N. est reconnu coupable, en qualité de coauteur, du même fait, mais sous la qualification de vol à l’aide de violences ayant causé la mort sans intention de la donner. Selon le moyen, la participation punissable admise par le juge du fond suppose que tous les coauteurs déclarés coupables le soient d’un fait identique, c’est-à-dire recouvert par une seule qualification : le participant n’est punissable que parce que son acte emprunte sa criminalité à l’infraction accomplie par l’auteur principal de sorte que, selon le demandeur, le décès des victimes ne peut résulter à la fois d’un meurtre et d’un homicide involontaire.
Pour être coupable de participation à un crime ou à un délit, il faut notamment que l’agent y ait contribué de la manière déterminée par la loi.
En outre, le caractère punissable d'un acte de participation est subordonné à la réalisation d'une même infraction principale.
En revanche, il résulte des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans l’interprétation de cette disposition par la Cour européenne des droits de l’homme, et 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le droit à un procès équitable requiert une appréciation distincte des circonstances aggravantes réelles dans le chef de chaque participant à l’infraction principale.
Il s’ensuit, d’une part, que lorsque plusieurs personnes sont accusées d’avoir participé à un vol avec une ou plusieurs des circonstances aggravantes prévues aux articles 468, 471, 472, 474 et 475 du Code pénal, la cour d'assises doit, à ce sujet, poser au jury une question individualisée et, d’autre part, par voie de conséquence, que la qualification retenue peut être différente selon les participants, en fonction de celles de ces circonstances aggravantes que chacun d’eux a admises en connaissance de cause ou à la réalisation desquelles il a pris part.
En tant qu’il procède de la prémisse inverse, le moyen manque en droit.
Ainsi, la cour d’assises a pu, sans se contredire, estimer, d’une part, qu’eu égard à la nature des violences exercées par les demandeurs au préjudice de deux personnes âgées et visiblement vulnérables, ceux-ci n’avaient pu ignorer que les coups étaient susceptibles de causer le décès des victimes, et, d’autre part, que si le troisième coaccusé avait accepté la possibilité du recours à des violences, un doute subsistait cependant quant à sa conscience de leurs conséquences létales.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt de condamnation :
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les peines ont été légalement appliquées aux faits déclarés constants par le jury.
3. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt qui statue sur les actions civiles exercées par les défendeurs contre le demandeur :
Des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, il n’apparaît pas que le pourvoi ait été signifié aux défendeurs.
Le pourvoi est irrecevable.
B. Sur le pourvoi de M. F. :
1. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt de motivation :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de la foi due aux actes. Il reproche à l’arrêt de décider que le demandeur est coupable du vol avec circonstances aggravantes, en ayant notamment égard au fait que les accusés ont reconnu avoir procédé à deux repérages des lieux et ont indiqué que deux d’entre eux étaient armés lors du second passage. Selon le demandeur, ni les procès-verbaux de ses interrogatoires par la police ni le procès-verbal relatant les débats devant la cour d’assises ne révèlent qu’il aurait reconnu avoir été présent lors du second repérage et qu’il aurait admis avoir été armé ce jour-là.
Mais par aucune considération, la cour d’assises ne s’est référée aux auditions du demandeur par la police ou au procès-verbal des débats devant la cour.
Ainsi, la cour d’assises n’a pu violer la foi due à ces actes.
Le moyen manque en fait.
Sur l’ensemble du deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution et 344 du Code d’instruction criminelle, ainsi que de la méconnaissance de la notion légale de présomption de fait.
En tant qu’il invoque la violation de l’article 344 du Code d’instruction criminelle sans indiquer en quoi l’arrêt aurait méconnu cette disposition, relative à la motivation de la peine, le moyen, imprécis, est irrecevable.
Le moyen reproche d’abord à la motivation de l’arrêt d’être contradictoire et ambigüe. Il fait grief à la cour d’assises d’avoir reconnu le demandeur coupable en ayant égard aux aveux de G. B., alors que l’arrêt concède par ailleurs que lesdits aveux furent évolutifs, c’est-à-dire, selon le moyen, dépourvus de fiabilité.
Mais il n’est pas contradictoire d’énoncer, d’une part, qu’un coaccusé a désigné le demandeur comme étant l’un des voleurs qui est entré dans la maison des victimes, de sorte qu’il s’agit là d’un élément, parmi d’autres que l’arrêt relève, permettant de conclure à sa culpabilité et, d’autre part, que les dires de ce coaccusé furent évolutifs.
Par ailleurs, de la circonstance que, selon les constatations du juge, un accusé a fait des déclarations évolutives, il ne s’ensuit pas que les aveux qu’elles contiennent doivent être tenus pour dépourvus de toute valeur probante, de sorte que la décision qui les admet cependant serait susceptible de deux interprétations.
Dès lors, les énonciations critiquées par le demandeur sont également étrangères au grief d’ambiguïté que le moyen prétend dénoncer.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
En tant qu’il postule que les aveux du coaccusé B. furent déterminants de la décision de déclarer le demandeur coupable, le moyen procède d’une hypothèse.
À cet égard, il est irrecevable.
Le moyen fait également grief à la cour d’assises d’avoir jugé fiables les aveux du coaccusé B., alors que leur caractère évolutif, admis par la cour, interdisait à cette dernière de leur attribuer la moindre valeur probante : dès lors, de ses constatations que le coaccusé avait consenti de tels aveux, la cour d’assises n’a pu déduire la décision que le demandeur était coupable.
Se bornant ainsi à critiquer l’appréciation souveraine, par la cour d’assises, de la valeur probante des éléments débattus devant elle, le moyen, dans cette mesure, est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 66 et 475 du Code pénal et 344 du Code d’instruction criminelle.
En tant qu’il invoque à nouveau la violation de l’article 344 du Code d’instruction criminelle sans indiquer en quoi l’arrêt aurait méconnu cette disposition, relative à la motivation de la peine, le moyen, imprécis, est irrecevable.
Le demandeur reproche à l’arrêt de ne pas contenir de motivation individualisée quant à sa participation à la circonstance aggravante de meurtre. Il fait grief à la cour d’assises d’avoir justifié cette décision par des motifs identiques à ceux énoncés à l’appui de la déclaration de culpabilité du coaccusé B., alors que le rôle et la personnalité des deux accusés étaient différents.
Le droit à un procès équitable, tel que garanti par les articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 14.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ne s’oppose pas à ce que des circonstances aggravantes réelles soient reconnues dans le chef de toutes les personnes ayant participé au vol, qu’elles aient accepté ces circonstances aggravantes en connaissance de cause ou qu’elles aient été impliquées dans l’exécution de ce fait.
La décision que plusieurs coauteurs sont coupables d’un tel vol requiert une appréciation distincte, pour chaque participant, des circonstances aggravantes réelles, ce qui suppose une analyse individuelle du comportement de chacun.
L’obligation de procéder à une telle analyse n’interdit toutefois pas au juge de fonder sur les mêmes éléments de fait l’imputation de pareilles circonstances aggravantes à plusieurs participants.
Dans la mesure où il procède d’une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
Le moyen fait également grief à la cour d’assises de ne pas avoir indiqué pour quel motif les meurtres, en tant que conséquences du vol commis à l’aide de violences, étaient prévisibles pour le demandeur.
Après avoir décrit les coups portés aux victimes, qualifiées d’ostensiblement vulnérables en raison de leur âge, les endroits du corps où ils furent assénés et leur violence, l’arrêt énonce que « de tels coups portés par ou en présence d’un coauteur impliquent nécessairement qu’ils ont chacun prévu le décès comme la conséquence normale de leur comportement, si bien que les moyens mis en œuvre étaient, dans le cours normal des choses, de nature à entraîner la mort des deux victimes ».
Ainsi, la cour d’assises a légalement justifié sa décision que le demandeur était coauteur de deux meurtres commis pour faciliter le vol ou en assurer l’impunité.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Pour le surplus, en tant qu’il critique l’appréciation en fait de la cour d’assises ou exige, pour son examen, la vérification d’éléments de fait, laquelle n’est pas au pouvoir de la Cour, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
2. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt de condamnation :
Sur le quatrième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 21ter du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Le demandeur reproche à la cour d’assises de l’avoir condamné à la peine comminée par la loi alors que, selon lui, la durée excessive de la procédure, soit plus de cinq ans et deux mois depuis son inculpation, sans que le dossier paraisse complexe ni que la défense en ait retardé l’instruction, imposait à la cour d’assises de constater que le délai raisonnable pour le juger était dépassé, de sorte qu’une sanction moins sévère eût dû être appliquée.
Mais il n’apparaît d’aucune pièce à laquelle la Cour peut avoir égard que le demandeur ait fait valoir devant la cour d’assises que le délai raisonnable pour le juger était dépassé.
Ne pouvant être proposé pour la première fois devant la Cour, le moyen est irrecevable.
Et les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les peines ont été légalement appliquées aux faits déclarés constants par le jury.
3. En tant que le pourvoi est dirigé contre l’arrêt qui statue sur les actions civiles exercées par les défendeurs contre le demandeur :
Le demandeur n’invoque aucun moyen spécifique.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cents quarante et un euros cinquante centimes dont I) sur le pourvoi de G. B.: cent vingt euros septante-cinq centimes dus et II) sur le pourvoi de M. F. : cent vingt euros septante-cinq centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.