N° P.22.0093.F
N. A.
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Amaury Gossé et Rohan Van Vooren, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 22 décembre 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur fait valoir trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 149 de la Constitution.
Quant à la première branche :
Le moyen reproche aux juges d’appel d’avoir déclaré les poursuites recevables nonobstant les comportements adoptés et les propos tenus par les policiers lors de leur intervention, lesquels ont été dénoncés dans les conclusions du demandeur et partiellement objectivés par les enregistrements sonores réalisés avec son téléphone portable. Selon le demandeur, les actes et propos reprochés à la police ont irrémédiablement violé ses droits de défense et porté atteinte à toute possibilité de tenue d’un procès équitable.
Tout en reconnaissant que certains propos tenus par les policiers peuvent être qualifiés de peu respectueux, la cour d’appel a d’abord considéré que le demandeur, par son attitude, avait contribué à entretenir un rapport de défiance avec les agents de la force publique.
Selon l’arrêt, le demandeur a
- communiqué un code de déverrouillage inexact de son téléphone portable, bien qu’invité à plusieurs reprises par les enquêteurs à le révéler ;
- pris l’initiative d’enregistrer ses échanges avec les policiers à leur insu, pour apparaître, dans le cadre de ceux-ci, sous un jour favorable ;
- appelé plusieurs fois à l’aide sans motif apparent ;
- cherché en vain à faire dire ou répéter des propos que les policiers lui auraient tenus avant le déclenchement de l’enregistrement.
Ensuite, l’arrêt constate qu’il n’apparaît à aucun moment que les agents ont brutalisé le demandeur, tenu des propos racistes à son égard ou proféré des menaces de nature à porter atteinte à son intégrité physique.
Par ces considérations et constatations, les juges d’appel ont légalement justifié leur décision qu’il n’existait pas d’irrégularité susceptible d’entraîner l’irrecevabilité des poursuites.
À cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Et en tant qu’il critique la décision des juges d’appel que les faits et propos invoqués ne sont pas établis ou ne sont pas de nature à porter atteinte de manière irrémédiable à l’exercice des poursuites dans le respect du droit à un procès équitable, le demandeur ne formule à l’encontre de l’arrêt que des griefs qui se heurtent à l’appréciation souveraine des éléments de la cause par le juge du fond.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Quant à la seconde branche :
Le moyen reproche à l’arrêt de ne pas répondre aux conclusions du demandeur, qui invoquaient la violation de la présomption d’innocence au motif que les agents auraient pris fait et cause pour la plaignante et auraient tenu pour établis des faits, y compris antérieurs à ceux de la cause, dénoncés par celle-ci.
Mais au paragraphe 4.6 de l’arrêt, les juges d’appel ont exposé les motifs pour lesquels ils ont considéré que les agents s’étaient bornés à récapituler les dires de la plaignante et à lui demander de les confirmer et de les préciser, sans lui dicter ce qu’elle devait déclarer. Ils ont encore estimé que l’enregistrement réalisé par le demandeur ne permettait pas de tenir ses griefs pour établis et que, se sachant probablement enregistrés, les policiers n’auraient pas commis de telles irrégularités sans, d’abord, éloigner l’appareil.
Ainsi, les juges d’appel ont répondu aux conclusions du demandeur en leur opposant une appréciation différente et ont régulièrement motivé leur décision qu’aucune irrégularité n’entachait les devoirs querellés.
Le moyen, qui procède d’une lecture incomplète de l’arrêt, manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Pris de la violation des articles 204 et 210 du Code d’instruction criminelle, et de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, le moyen fait grief à l’arrêt de déclarer établie l’infraction de coups ou blessures volontaires (prévention B) sur la base de la déclaration de la victime, alors que le premier juge avait écarté des débats cet élément de preuve et que, en l’absence de critiques à cet égard dans le formulaire de griefs du ministère public, aucun moyen d’ordre public n’autorisait les juges d’appel à fonder la condamnation du demandeur sur ladite déclaration définitivement écartée par le tribunal correctionnel.
Par essence, l’appel a pour but et pour effet de déférer au juge du second degré de juridiction la connaissance de la cause soumise au premier juge.
L’arrêt considère qu’en raison des appels formés par le demandeur et par le ministère public, la cour d’appel est saisie des faits de la prévention B, notamment en ce qui concerne la question de la culpabilité du demandeur. Par ailleurs, la décision attaquée ne constate pas que la déclaration d’appel ou la requête d’appel du ministère public auraient exclu, de la portée du recours formé par ce dernier, la décision du premier juge relative à la déposition de la plaignante précitée.
Il s’ensuit que, en raison de l’effet dévolutif des recours, les juges d’appel devaient procéder à un nouvel examen, en fait et en droit, du fondement de l’action publique intentée du chef de la prévention B, sans pouvoir exclure l’élément de preuve rejeté par le jugement entrepris.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Pris de la violation de la notion légale de présomption de fait, le moyen soutient que la cour d’appel n’a pas pu exclure toute manipulation par les enquêteurs des déclarations de la victime, en ayant constaté que ceux-ci n’avaient pas éloigné le téléphone portable du demandeur susceptible d’enregistrer l’audition, puisque, ainsi que l’arrêt le relève, les policiers ont dit au demandeur qu’à défaut de remettre le code d’accès du téléphone, ils le détruiraient et que, comme l’a relevé le demandeur dans ses conclusions, ils ont mis cette menace à exécution, en cassant son téléphone.
La présomption de fait est un mode de preuve par lequel le juge déduit l'existence d'un ou plusieurs faits inconnus à partir d'un ou plusieurs faits connus.
L’existence des faits sur lesquels se fonde le juge est souverainement constatée par lui et les conséquences qu’il tire, à titre de présomptions, des faits qu'il déclare constants sont abandonnées par la loi aux lumières et à la prudence de ce juge et relèvent de son appréciation souveraine, dès lors qu'il ne déduit pas de ces faits ainsi constatés des conséquences qui seraient sans lien avec eux ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
L’arrêt constate que les policiers ont tenu les propos précités. Mais il précise qu’ils l’ont été « lorsque les policiers ont demandé au prévenu le code de déverrouillage de son GSM ». A cet égard, l’arrêt ne constate pas que les policiers auraient menacé le demandeur au cours de l’audition de la plaignante, ni, d’ailleurs, qu’ils auraient cassé le téléphone du demandeur.
Les juges d’appel ont relevé, spécifiquement en ce qui concerne l’audition de la victime, que l’écoute des conversations enregistrées permettait de penser que les policiers savaient que le téléphone portable du demandeur se trouvait à proximité immédiate du lieu de l’audition et que cet appareil pouvait enregistrer l’audition.
Du constat que les enquêteurs n’ont pas réagi à cette situation en éloignant l’appareil susceptible d’enregistrer la déclaration de la plaignante et leurs propres propos, les juges d’appel ont pu déduire, sans avoir méconnu la notion de présomption de fait, que les policiers n’avaient pas eu l’intention de manipuler cette déposition.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de nonante-quatre euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz, François Stévenart Meeûs et Ignacio de la Serna, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux par Eric de Formanoir, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.