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08/12/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0082.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 décembre 2021, P.21.0082.F


N° P.21.0082.F
LE FONCTIONNAIRE SANCTIONNATEUR DÉLÉGUÉ du service public de Wallonie Mobilité Infrastructures,
partie poursuivante,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Audrey Lamy, avocat au barreau de Liège, et Marc Uyttendaele et David Ribant, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. D. Th.
prévenu,
2. THOMASSEN ET FILS, société à responsabilité limitée,
civilement responsable,
défendeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Elisabeth Kiehl, avocat au barreau de Liège.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal correctionnel de L...

N° P.21.0082.F
LE FONCTIONNAIRE SANCTIONNATEUR DÉLÉGUÉ du service public de Wallonie Mobilité Infrastructures,
partie poursuivante,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Audrey Lamy, avocat au barreau de Liège, et Marc Uyttendaele et David Ribant, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. D. Th.
prévenu,
2. THOMASSEN ET FILS, société à responsabilité limitée,
civilement responsable,
défendeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Elisabeth Kiehl, avocat au barreau de Liège.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal correctionnel de Liège, division Huy, statuant en premier et dernier ressort sur une requête des défendeurs en contestation d’une amende administrative infligée par le fonctionnaire sanctionnateur délégué.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller François Stévenart Meeûs a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LES FAITS
Lors d’un contrôle routier effectué le 27 novembre 2019, la police fédérale de la route a constaté que le véhicule conduit par le premier défendeur, propriété du second dont il est le préposé, présentait, d’une part, une surcharge de la masse sur les essieux dans une fourchette comprise entre trente à quarante pourcents du maximum autorisé et, d’autre part, un dépassement de la masse totale de plus de quarante pourcents du maximum autorisé, en contravention aux articles 5, §§ 3 et 4, du décret du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques.
Conformément à l’article 8bis, §§ 3, 6°, 4, 6°, et 7, et à l’article 9, § 1er, 3°, du décret précité, le demandeur a infligé au défendeur une amende administrative unique de mille cinq cents euros, portée à douze mille euros par application des décimes additionnels, assortie d’un sursis d’une durée de trois ans à concurrence de neuf mille euros, décimes additionnels inclus.
Par jugement rendu le 10 décembre 2020, le tribunal a estimé que les préventions déclarées établies procédaient du même comportement matériel, de sorte qu’il s’agit d’un concours idéal d’infractions par unité de réalisation au sens de l’article 65 du Code pénal et que « dans cette mesure, ces préventions ne peuvent donner lieu qu’à l’application d’une seule peine, la plus forte de celles applicables », soit une amende maximale de mille euros, portée à huit mille euros par application des décimes additionnels.
Il s’agit de la décision attaquée.
III. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur le recours exercé par le défendeur, prévenu :
Sur la fin de non-recevoir opposée par les défendeurs au deuxième moyen :
En tant que la fin de non-recevoir est déduite de la circonstance que « l’erreur prétendument commise serait dépourvue de toute influence sur la légalité du dispositif » et que la Cour peut procéder à une substitution de motifs, son examen n'est pas dissociable de celui du moyen lui-même.
Soutenant que le moyen est irrecevable à défaut d’intérêt, au motif que la peine est légalement justifiée, la fin de non-recevoir ne peut davantage être accueillie, puisque l’objet du moyen n’est pas circonscrit à l’une des deux infractions pour lesquelles une peine unique a été prononcée alors que cette peine demeurerait légalement justifiée par l’autre infraction déclarée établie.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 100 du Code pénal, 5, §§ 3 et 4, 8bis, §§ 3, 4, 5 et 7 et 9, § 1er, du décret du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques.
Il reproche au jugement de faire application de l’article 65 du Code pénal en énonçant que les préventions constituent un concours idéal d’infractions par unité de réalisation, de sorte qu’elles ne peuvent donner lieu qu’à l’application d’une seule peine, la plus forte, soit celle sanctionnant le dépassement de la masse maximale autorisée de plus de quarante pourcents, alors que, fort de l’autorisation contenue dans l’article 100 du Code pénal, le législateur wallon a expressément dérogé à la règle du concours visée à l’article 65 du code précité en adoptant l’article 8bis, § 7, du décret du 19 mars 2009.
L’article 5, § 3, du décret du 19 mars 2009 dispose que sont punissables d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 75 euros à 75.000 euros, ou d'une de ces peines seulement, ceux qui conduisent un véhicule ou un train de véhicules dont la masse sur les essieux excède, sans préjudice de l'application de la tolérance de mesure de l'appareil de pesage, le maximum autorisé.
En son paragraphe 4, cet article ajoute que sont punissables d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 75 euros à 75.000 euros, ou d'une de ces peines seulement, ceux qui conduisent un véhicule ou un train de véhicules dont la masse totale excède, sans préjudice de l'application de la tolérance de mesure de l'appareil de pesage, le maximum autorisé.
Conformément à l’article 9, § 1er, 3°, du décret du 19 mars 2009, si les faits sont passibles d'une sanction pénale en vertu de l'article 5, une amende administrative peut être infligée au contrevenant en lieu et place de la sanction pénale et, pour les infractions visées à l'article 5, §§ 3 et 4, son montant est déterminé en appliquant au montant de la perception immédiate les décimes additionnels tels que prévus par la loi du 5 mars 1952 relative aux décimes additionnels sur les amendes pénales.
L’article 8bis, §§ 3, 6°, et 4, 6°, du décret précité dispose qu’en cas d'infractions à l'article 5, §§ 3 et 4, le montant de la perception immédiate est, sans préjudice de l'application de la tolérance de mesure de l'appareil de pesage, de respectivement 2.500 euros en cas de surcharge de la masse sur les essieux de trente pourcents à quarante pourcents et 5.000 euros en cas de dépassement de la masse maximale autorisée de plus de quarante pourcents.
En vertu de l'article 8bis, § 5, 1°, du décret, par dérogation aux paragraphes 3 et 4, les véhicules ou combinaisons de véhicules, dont la masse maximale autorisée ne dépasse pas 3,5 tonnes, se voient infliger un montant de perception immédiate de vingt pourcents des montants prévus aux paragraphes 3 et 4.
L’article 11, alinéa 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, tel que modifié par la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’Etat, précise que, dans les limites des compétences des Communautés et des Régions, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines qui les sanctionnent ; les dispositions du livre Ier du Code pénal s'y appliquent, sauf les exceptions qui peuvent être prévues par décret pour des infractions particulières.
En vertu de l’article 8bis, § 7, du décret précité, si plusieurs infractions visées aux paragraphes 3 à 6 sont constatées simultanément, les montants des perceptions immédiates sont cumulés sans pouvoir dépasser 7.500 euros.
Le cumul déroge à la règle de la peine la plus forte en cas de concours idéal.
Eu égard à l’article 100 du Code pénal, c’est la dérogation qui doit être appliquée.
Il s’en déduit que le tribunal était tenu d’écarter l’application de l’article 65 dudit code.
Le moyen est fondé.
Il n’y a pas lieu d’examiner les premier et troisième moyens qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue ou sans renvoi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur le recours exercé par la défenderesse, civilement responsable :
En raison de la cassation, à prononcer ci-après, de la décision statuant sur l’amende infligée au défendeur, prévenu, la décision condamnant la société à responsabilité limitée Thomassen et Fils, en tant que civilement responsable, au payement de cette amende, est devenue sans objet.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Réserve les frais pour qu’il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause au tribunal correctionnel de Liège, autrement composé.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du huit décembre deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0082.F
Date de la décision : 08/12/2021
Type d'affaire : Autres - Droit administratif - Droit commercial - Droit pénal

Analyses

Ne peut être accueillie la fin de non-recevoir qui soutient que le moyen est irrecevable à défaut d’intérêt, au motif que la peine est légalement justifiée, lorsque l’objet du moyen n’est pas circonscrit à l’une des deux infractions pour lesquelles une peine unique a été prononcée alors que cette peine demeurerait légalement justifiée par l’autre infraction déclarée établie (1). (1) Voir R. DECLERCQ, « Pourvoi en cassation en matière répressive », R.P.D.B., 2015, n° 792.

MOYEN DE CASSATION - MATIERE REPRESSIVE - Intérêt

L’article 11, alinéa 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, tel que modifié par la loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État, précise que, dans les limites des compétences des Communautés et des Régions, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines qui les sanctionnent; les dispositions du livre Ier du Code pénal s'y appliquent, sauf les exceptions qui peuvent être prévues par décret pour des infractions particulières (1). (1) Selon le Conseil d’État, « l’article 100 du Code pénal autorise expressément les lois et règlements particuliers à déroger aux dispositions du premier livre de ce Code. Il s’en déduit que ces règles, et notamment celles qui ont trait au concours d’infractions, ne sont pas d’ordre public », le législateur peut dès lors y déroger et, « eu égard à l’article 11 de la loi spéciale [du 8 août 1980 de réformes institutionnelles], le législateur [régional peut] concevoir un régime pour le concours d’infractions différent de celui qui est consacré par les articles 60 et suivants du Code pénal » (C.E. 1er mars 2019, n° 243.876).

COMMUNAUTE ET REGION [notice2]

En vertu de l’article 8bis, § 7, du décret de la Région wallonne du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques, si plusieurs infractions visées aux paragraphes 3 à 6 sont constatées simultanément (1), les montants des perceptions immédiates sont cumulés sans pouvoir dépasser 7.500 euros; le cumul déroge à la règle de la peine la plus forte en cas de concours idéal; eu égard à l’article 100 du Code pénal, c’est la dérogation qui doit être appliquée; il s’en déduit que le tribunal est tenu d’écarter l’application de l’article 65 dudit code. (1) Selon le Conseil d’État, « l’article 100 du Code pénal autorise expressément les lois et règlements particuliers à déroger aux dispositions du premier livre de ce Code. Il s’en déduit que ces règles, et notamment celles qui ont trait au concours d’infractions, ne sont pas d’ordre public », le législateur peut dès lors y déroger et, « eu égard à l’article 11 de la loi spéciale [du 8 août 1980 de réformes institutionnelles], le législateur [régional peut] concevoir un régime pour le concours d’infractions différent de celui qui est consacré par les articles 60 et suivants du Code pénal » (C.E. 1er mars 2019, n° 243.876); la Cour relève à cet égard que « le tribunal a estimé que les préventions déclarées établies procédaient du même comportement matériel, de sorte qu’il s’agit d’un concours idéal d’infractions par unité de réalisation au sens de l’article 65 du Code pénal » ; quant à cette notion, voir T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, Éléments de droit pénal, Bruxelles, La Charte, 2017, p. 324 ; F. KUTY, Principes généraux du droit pénal belge, T.IV : la peine, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 892 et 934-935.

TRANSPORT - TRANSPORT DE BIENS - Transport par terre. Transport par route [notice3]

En vertu de l’article 8bis, § 7, du décret de la Région wallonne du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques, si plusieurs infractions visées aux paragraphes 3 à 6 sont constatées simultanément (1), les montants des perceptions immédiates sont cumulés sans pouvoir dépasser 7.500 euros; le cumul déroge à la règle de la peine la plus forte en cas de concours idéal; eu égard à l’article 100 du Code pénal, c’est la dérogation qui doit être appliquée; il s’en déduit que le tribunal est tenu d’écarter l’application de l’article 65 dudit code. (1) Selon le Conseil d’État, « l’article 100 du Code pénal autorise expressément les lois et règlements particuliers à déroger aux dispositions du premier livre de ce Code. Il s’en déduit que ces règles, et notamment celles qui ont trait au concours d’infractions, ne sont pas d’ordre public », le législateur peut dès lors y déroger et, « eu égard à l’article 11 de la loi spéciale [du 8 août 1980 de réformes institutionnelles], le législateur [régional peut] concevoir un régime pour le concours d’infractions différent de celui qui est consacré par les articles 60 et suivants du Code pénal » (C.E. 1er mars 2019, n° 243.876) ; la Cour relève à cet égard que « le tribunal a estimé que les préventions déclarées établies procédaient du même comportement matériel, de sorte qu’il s’agit d’un concours idéal d’infractions par unité de réalisation au sens de l’article 65 du Code pénal » ; quant à cette notion, voir T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, Éléments de droit pénal, Bruxelles, La Charte, 2017, p. 324 ; F. KUTY, Principes généraux du droit pénal belge, T.IV : la peine, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 892 et 934-935.

ROULAGE - DIVERS - PEINE - CONCOURS - Concours idéal [notice4]


Références :

[notice2]

Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles - 08-08-1980 - Art. 11 - 02 / No pub 1980080801 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 100 - 01 / No pub 1867060850

[notice3]

Décret de la Région wallonne du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques - 19-03-2009 - Art. 8bis - 68 / No pub 2009202017 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 65 et 100 - 01 / No pub 1867060850

[notice4]

Décret de la Région wallonne du 19 mars 2009 relatif à la conservation du domaine public régional routier et des voies hydrauliques - 19-03-2009 - Art. 8bis - 68 / No pub 2009202017 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 65 et 100 - 01 / No pub 1867060850


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : NOLET DE BRAUWERE MICHEL
Assesseurs : ROGGEN FRANCOISE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-12-08;p.21.0082.f ?

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