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29/09/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0523.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 septembre 2021, P.21.0523.F


N° P.21.0523.F
T. B.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Guerric Goubau, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premi

er moyen :
Pris de la violation des articles 4, 5 et 12 du décret du 20 juillet 1831 sur la press...

N° P.21.0523.F
T. B.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Guerric Goubau, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
La demanderesse invoque cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L’avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Pris de la violation des articles 4, 5 et 12 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse, le moyen reproche à la cour d’appel de ne pas avoir appliqué d’office la prescription de trois mois prévue lorsque la calomnie est dirigée contre un fonctionnaire public ou un agent de l’autorité publique.
L’article 4 du décret exige que la calomnie ait atteint une personne ayant agi dans un caractère public à raison de faits relatifs à ses fonctions, ce qui suppose qu’elle accomplisse, en vertu d’une délégation directe ou indirecte de la Nation, des actes de la puissance publique. L’objectif du régime de la courte prescription institué par le décret est, en effet, de faciliter le contrôle des citoyens sur les actes de l’administration publique.
Un acte de puissance publique est une décision qui ressortit à l’exercice de l’autorité publique. Susceptible de s’appliquer indépendamment du consentement de son destinataire, l’acte administratif unilatéral exprime la souveraineté de l’Etat.
La courte prescription n’ayant pas été invoquée par la demanderesse devant les juges du fond, leur arrêt ne contient aucune précision quant au statut et aux responsabilités de la victime, dont il est seulement précisé qu’il s’agit d’un professeur de mathématiques employé dans une école que le moyen dit ressortir à l’enseignement communal officiel.
L’enseignement des mathématiques, fût-il dispensé dans un établissement scolaire relevant du réseau officiel, ne constitue pas, à lui seul, dans le chef du professeur qui en est chargé, l’exercice d’une prérogative de puissance publique.
D’où il suit qu’en s’abstenant de relever d’office la prescription visée au décret, la cour d’appel n’a contrevenu à aucune de ses dispositions.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
La demanderesse reproche à l’arrêt de se borner à relever les éléments constitutifs du délit de calomnie sans vérifier si la poursuite dont elle fait l’objet, et qui porte atteinte à sa liberté d’expression, est prévue par la loi, répond à un but légitime, est proportionnée à l’objectif visé et s’avère nécessaire dans une société démocratique.
Devant la cour d’appel, la demanderesse a déposé des conclusions soutenant que ses propos n’avaient pas obéi à une intention méchante, qu’elle n’a fait qu’user de son droit à la liberté d’expression, qu’elle n’avait d’autre souci que de protéger ses enfants et lutter contre la discrimination scolaire.
En revanche, les juges du fond n’ont pas été saisis d’un moyen tiré de la violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, violation associée à l’exercice de l’action publique mue à charge de la demanderesse du chef de calomnie.
La demanderesse n’a pas soutenu, devant la cour d’appel, que cette poursuite serait dénuée de base légale. Elle n’a pas fait valoir que la protection des personnes contre l’atteinte à leur honneur et à leur réputation ne constituait pas un besoin social impérieux dans un Etat démocratique. Elle n’a pas conclu au caractère disproportionné de l’incrimination de calomnie par rapport à la réalisation de ce besoin social.
Il ne saurait dès lors être fait grief à la cour d’appel de ne pas s’être livrée à un contrôle de proportionnalité qui ne lui a pas été demandé.
L’affirmation suivant laquelle les propos de la demanderesse s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général, ne trouve pas d’appui dans les constatations de l’arrêt, d’après lequel il ne s’agissait pas d’un débat mais d’une agression verbale injustifiée.
Le fait de réprimer le délit de calomnie conformément aux articles 443 et 444 du Code pénal ne constitue pas une restriction à l’exercice du droit à la liberté d’expression inconciliable avec l’article 10 de la Convention.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
L’article 444, alinéa 4, du Code pénal prévoit que l’auteur de la calomnie sera puni lorsque les imputations auront été faites dans un lieu quelconque, en présence de la personne offensée et devant témoins.
La demanderesse reproche à l’arrêt de se contenter de la présence d’un seul témoin pour dire la prévention établie, alors que la mise de ce terme au pluriel indique qu’il en faut au moins deux.
L’interprétation littérale du texte légal, proposée par la demanderesse, ne trouve pas d’appui dans les débats relatifs à l’adoption du Code pénal du 8 juin 1867.
De la genèse de l’article 444 dudit code, il ressort que la répression du duel n’a paru admissible qu’à la condition que les citoyens trouvent dans la loi, plutôt que dans les armes, des dispositions protégeant efficacement leur honneur.
La version originale du quatrième alinéa de cet article n’exigeait pas la condition relative à la présence de témoins. Cette version admettait la calomnie par cela seul que l’imputation avait été proférée en présence de la personne offensée, fût-ce en tête-à-tête avec elle.
Il fut observé alors que, l’offensé étant l’unique témoin du délit, il ne pouvait y avoir d’atteinte à son honneur, et que la preuve en devenait délicate puisque tributaire de sa seule déclaration.
C’est à la suite de cette observation que les mots « et devant témoins » furent ajoutés.
Or, aucune disposition légale ne fait de la pluralité des témoignages une condition formelle de leur admissibilité.
Il s’ensuit que, dans la mesure où il s’agit d’une question de preuve, le délit de calomnie par imputation faite en présence de la personne offensée et devant « témoins » peut être déclaré établi quand bien même il n’y en a eu qu’un.
Pour faire perdre son caractère outrageant à l’imputation faite dans un lieu privé, il faut qu’elle ait été proférée hors de la présence de tous témoins, car elle ne peut plus, dans ce cas, porter atteinte à l’honneur de la victime ni l’exposer au mépris public, alors qu’elle le peut si un tiers est présent.
Le moyen manque en droit.
Sur le quatrième moyen :
La demanderesse soutient que l’arrêt ne répond pas à ses conclusions quant au caractère avenu de l’opposition.
D’après ces conclusions, les conseils des parties ont pris la médiation réparatrice proposée par le procureur du Roi sur la base de l’article 553 du Code d’instruction criminelle pour celle qui, conformément à l’article 216ter dudit code, a pour effet d’éteindre l’action publique.
C’est à la faveur de cette confusion que la demanderesse, conseillée par son avocat, n’a pas comparu. Induite en erreur et bénéficiant dès lors d’une excuse légitime, elle a conclu qu’une renonciation au droit de comparaître et de se défendre n’était pas démontrée dans son chef.
A ces conclusions, l’arrêt oppose, par adoption des motifs du jugement dont appel, que le courrier du procureur du Roi suggérant à la prévenue le recours à une médiation avec les autres parties, précisait bien que « ce type de médiation ne remplace pas la procédure judiciaire mais peut la compléter utilement ».
Au vu de cette explication donnée à la prévenue, les juges d’appel en ont déduit que la confusion née dans l’esprit de son conseil ne constituait ni un cas de force majeure ni une cause d’excuse légitime.
Ces considérations répondent à la défense invoquée.
Le moyen manque en fait.
Sur le cinquième moyen :
La demanderesse fait valoir que la force majeure ou l’excuse légitime qui permettent de déclarer l’opposition avenue doivent s’interpréter en ce sens que, pour la juger telle, le comportement du prévenu doit pouvoir s’analyser comme n’impliquant aucune renonciation au droit de comparaître.
Il ressort des pièces de la procédure que la demanderesse était représentée à l’audience du 27 juin 2017, que son avocat a demandé la remise de l’affaire, pour conclure, à l’audience du 17 octobre 2017, et que le 12 juin 2017, le procureur du Roi a adressé à la prévenue une lettre l’informant qu’il lui était loisible de recourir à une procédure de médiation tout en précisant que ce type de médiation ne remplaçait pas la procédure judiciaire.
De ces circonstances, les juges d’appel ont pu légalement déduire que, ne procédant ni d’un cas de force majeure ni d’une excuse légitime, l’absence délibérée de la demanderesse révélait son intention de ne pas comparaître.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-quatre euros vingt et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0523.F
Date de la décision : 29/09/2021
Type d'affaire : Droit pénal - Droit international public

Analyses

L’article 4 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse exige que la calomnie ait atteint une personne ayant agi dans un caractère public à raison de faits relatifs à ses fonctions, ce qui suppose qu’elle accomplisse, en vertu d’une délégation directe ou indirecte de la Nation, des actes de la puissance publique; l’objectif du régime de la courte prescription institué par le décret est, en effet, de faciliter le contrôle des citoyens sur les actes de l’administration publique (1); l’enseignement des mathématiques, fût-il dispensé dans un établissement scolaire relevant du réseau officiel, ne constitue pas, à lui seul, dans le chef du professeur qui en est chargé, l’exercice d’une prérogative de puissance publique (2). (1) Voir Cass. 22 janvier 1917, Pas. 1917, p. 374. (2) Voir les concl. « dit en substance », partiellement contraires, du MP, selon qui le premier moyen, nouveau, était irrecevable ; contra décisions, citées dans les Novelles, selon lesquelles ont un caractère public, lorsqu’ils agissent pour l’acquit de leur fonctions ou devoirs professionnels, les fonctionnaires de l’enseignement et notamment les institutrices communales (Liège, 4 juillet 1872, Pas. 1872, II, 389, Cass. fr., 18 mai 1893, D.P. 1895, I, 462, etc., cités par J. LECLERCQ, « Atteintes portées à l'honneur ou à la considération des personnes », Novelles, Droit pénal, t. IV, 1989, p. 151, n° 7217).

CALOMNIE ET DIFFAMATION - PRESCRIPTION - MATIERE REPRESSIVE - Action publique - Délais [notice1]

Le fait de réprimer le délit de calomnie conformément aux articles 443 et 444 du Code pénal ne constitue pas une restriction à l’exercice du droit à la liberté d’expression inconciliable avec l’article 10 de la Convention (1). (1) Cass. 2 mai 2001, RG P.01.0175.F, Pas. 2001, n° 249.

CALOMNIE ET DIFFAMATION - DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 10 [notice3]

Le délit de calomnie par imputation faite en présence de la personne offensée et devant « témoins » peut être déclaré établi quand bien même il n’y en a eu qu’un; pour faire perdre son caractère outrageant à l’imputation faite dans un lieu privé, il faut qu’elle ait été proférée hors de la présence de tous témoins, car elle ne peut plus, dans ce cas, porter atteinte à l’honneur de la victime ni l’exposer au mépris public, alors qu’elle le peut si un tiers est présent (1). (1) Voir les concl. « dit en substance », partiellement contraires, du MP.

CALOMNIE ET DIFFAMATION [notice5]


Références :

[notice1]

Décret du 20 juillet 1831 - 20-07-1831 - Art. 4 - 30 / Lien DB Justel 18310720-30 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 443, 444 et 447 - 01 / No pub 1867060850

[notice3]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 10 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 443 et 444 - 01 / No pub 1867060850

[notice5]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 443 et 444 - 01 / No pub 1867060850


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : GOBERT FABIENNE
Ministère public : NOLET DE BRAUWERE MICHEL
Assesseurs : ROGGEN FRANCOISE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-09-29;p.21.0523.f ?

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