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23/06/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0710.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 juin 2021, P.21.0710.F


N° P.21.0710.F
K. G.
condamné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Nicolas Cohen et Catherine Forget, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 17 mai 2021 par le tribunal de l'application des peines de Bruxelles.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier mo

yen :
Le moyen est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droit...

N° P.21.0710.F
K. G.
condamné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Nicolas Cohen et Catherine Forget, avocats au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 17 mai 2021 par le tribunal de l'application des peines de Bruxelles.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 12 de la Constitution et 47, § 2, 4°, de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté. Il reproche au jugement de refuser la mise en liberté provisoire en vue de l'éloignement du demandeur vers la Turquie, aux termes d'une motivation qui ne tient pas compte du fait que les efforts fournis par le condamné pour indemniser les parties civiles doivent s'apprécier en fonction de sa situation patrimoniale.
L'article 47, § 2, de la loi précitée prévoit que la mise en liberté provisoire en vue de l'éloignement du territoire ou de la remise peut être accordée au condamné pour autant qu'il n'existe pas de contre-indications dans le chef de celui-ci auxquelles la fixation de conditions particulières ne puisse répondre. Selon le §2, 4°, de cette disposition, ces contre-indications portent sur les efforts fournis par le condamné pour indemniser les parties civiles, compte tenu de sa situation patrimoniale telle qu'elle a évolué par son fait depuis la perpétration des faits pour lesquels il a été condamné.
L'absence de la contre-indication précitée suppose donc que le condamné ait accompli et soit encore disposé à accomplir des efforts de réparation, et que ces efforts soient proportionnés à sa situation financière actuelle.
Après avoir souligné la gravité et l'importance des faits à l'origine des condamnations du demandeur, le tribunal a énoncé que l'indemnisation des parties civiles est un élément capital à prendre en considération pour l'octroi d'une mesure de libération. Il a ensuite considéré que celle-ci, même partielle, constitue un geste symbolique mais essentiel à l'égard des victimes, l'auteur des faits pouvant leur montrer qu'il a pris conscience de la douleur qu'il leur a causée et qu'il souhaite ainsi fournir une forme de réparation, même si elle est très imparfaite. Le jugement souligne encore qu'à l'égard de la société, il s'agit d'une manière de réparer le mal commis et que les montants versés à ce jour apparaissent très faibles, des versements mensuels de 20 euros étant réalisés depuis 2015 et récemment une somme supplémentaire de 50 euros, ayant été payée toutefois par le père du demandeur.
Le jugement considère que le demandeur affirme que s'il est libéré, il poursuivra ses versements mais qu'en cas de retour en Turquie, en l'absence de guidance d'un assistant de probation et de contrôle du ministère public, la vérification de la réalité de cette indemnisation ne sera plus possible. Il retient enfin que les parties civiles rencontreraient des obstacles procéduraux considérables et devraient faire face à des coûts importants en cas d'exécution forcée des décisions leur accordant leur indemnisation, de sorte que celle-ci apparaît quasiment impossible.
Le tribunal a déduit de ce qui précède que la poursuite de l'indemnisation des parties civiles en cas de libération apparaissait, sur la seule foi des affirmations du demandeur, peu probable et que, dès lors, les versements à effectuer avant l'octroi d'une mesure de libération devaient être plus substantiels. La contre-indication relative à l'insuffisance des efforts consentis par le condamné pour indemniser les parties civiles restant, selon le tribunal, établie, le jugement rejette la modalité d'exécution de la peine sollicitée.
Par ces motifs, le tribunal a, au regard de la situation concrète qui lui était soumise, considéré que l'affirmation du demandeur selon laquelle il poursuivrait, après son départ, des versements en faveur des parties civiles, apparaissait peu crédible, mettant ainsi en doute la réalité même de son intention et, partant, des efforts que celui-ci était prêt à consentir.
Cette circonstance suffit à établir la contre-indication visée à l'article 47, § 2, 4°, de la loi du 17 mai 2006.
La circonstance que l'intention même de l'indemnisation ne soit pas rapportée de manière suffisante dans le chef du demandeur rendant sans intérêt l'examen de sa situation patrimoniale, le moyen est, à cet égard, irrecevable.
Par les motifs résumés ci-dessus, le tribunal a par ailleurs légalement justifié sa décision.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 25, § 3, 47, § 2, 55, 56, 59 et 62 à 70 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et 1er de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions.
N'indiquant pas en quoi le jugement attaqué violerait l'article 1er de la loi du 15 mars 1874, le moyen est imprécis et, dans cette mesure, irrecevable.
Dans la mesure où il invoque la violation de l'article 149 de la Constitution en raison du caractère incomplet ou inadéquat de la motivation alors que cette disposition ne prescrit qu'une obligation de forme, étrangère à la valeur des motifs, le moyen manque en droit.
Quant à la première branche :
Le moyen fait grief au jugement de « survaloriser » la condition relative à l'indemnisation des parties civiles en la qualifiant d'élément capital à prendre en considération pour l'octroi d'une mesure de libération.
Cette qualification n'établit aucune hiérarchie entre les contre-indications prévues par la loi. En la retenant, le jugement se borne à relever qu'en l'espèce, compte tenu de l'ampleur du dommage causé par le crime dont le demandeur a été jugé coupable, l'indemnisation des parties civiles constitue un impératif social essentiel.
Procédant d'une lecture inexacte du jugement, le moyen manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Le demandeur fait grief au jugement « de dénaturer la loi en posant un seuil en deçà duquel une personne condamnée n'aurait pas droit à la libération, indépendamment de tout reproche de s'être mis dans une situation limitant sa solvabilité ».
Il ressort des motifs résumés en réponse au premier moyen que c'est la réalité même de la volonté d'indemnisation future du demandeur que le tribunal a mise en doute pour considérer que des versements plus substantiels devaient être effectués avant l'octroi d'une mesure de libération.
Critiquant l'appréciation en fait du tribunal, le moyen est irrecevable.
Quant à la troisième branche :
Aucune disposition légale n'impose au tribunal de l'application des peines une motivation particulière en cas de refus de la modalité d'exécution de la peine qui a fait l'objet d'un avis favorable de la direction de la prison.
Revenant à soutenir le contraire, le moyen manque en droit.
Quant à la quatrième branche :
Le demandeur fait grief au jugement de s'appuyer sur une motivation erronée en droit en considérant que l'absence de guidance d'un assistant de justice et de contrôle du ministère public en cas de départ du demandeur en Turquie ne rendront plus possible une vérification de la réalité de l'indemnisation des parties civiles.
Il allègue en substance que le contrôle d'un assistant de justice n'est légalement pas prévu en cas de libération provisoire en vue d'éloignement tandis que celui du ministère public se poursuit dès lors que la loi l'autorise à requérir la révocation de la modalité de l'exécution de la peine en cas de défaut de respect des conditions qui l'assortissent.
Par les considérations critiquées, le tribunal a relevé les difficultés concrètes d'indemnisation effective que l'éloignement de leur débiteur risque de poser aux parties civiles.
Ces motifs ne violent pas les dispositions de la loi du 17 mai 2006.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la cinquième branche :
Le demandeur soutient que l'existence d'obstacles procéduraux considérables retenus par le tribunal pour refuser la modalité de l'exécution de la peine sollicitée, repose sur une prémisse non établie. Il fait ensuite valoir que, par ce motif, le tribunal a tenté de contourner le critère légal de la contre-indication, à savoir « s'assurer que le demandeur n'a pas, depuis la perpétration des faits, altéré sa situation patrimoniale ».

En tant qu'il critique la circonstance précitée retenue par le tribunal sur la base d'une analyse concrète des données de la cause, le moyen, dirigé contre l'appréciation en fait du juge, est irrecevable.
Il en va de même en tant que le moyen réitère le grief de l'absence d'examen de la proportionnalité des efforts financiers fournis au regard de la situation patrimoniale du condamné, vainement invoqué au premier moyen.
Le demandeur n'ayant par ailleurs pas déposé de conclusions, il ne ressort pas des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, qu'il aurait présenté au tribunal un projet occupationnel concret en Turquie.
Par la considération critiquée, le tribunal n'a pas supposé d'une manière générale que tout éloignement du demandeur altérerait sa situation patrimoniale de sorte que tout éloignement avant indemnisation ne pourrait avoir lieu.
A cet égard, le moyen manque en fait.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de neuf euros quarante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section faisant fonction de président, le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt et un par Benoît Dejemeppe, président de section faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0710.F
Date de la décision : 23/06/2021
Type d'affaire : Droit pénal

Analyses

L’article 47, § 2, de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté prévoit que la mise en liberté provisoire en vue de l'éloignement du territoire ou de la remise peut être accordée au condamné pour autant qu'il n'existe pas de contre-indications dans le chef de celui-ci auxquelles la fixation de conditions particulières ne puisse répondre et selon le paragraphe 2, 4°, de cette disposition, ces contre-indications portent sur les efforts fournis par le condamné pour indemniser les parties civiles, compte tenu de sa situation patrimoniale telle qu'elle a évolué par son fait depuis la perpétration des faits pour lesquels il a été condamné; l’absence de cette contre-indication suppose donc que le condamné ait accompli et soit encore disposé à accomplir des efforts de réparation, et que ces efforts soient proportionnés à sa situation financière actuelle (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

APPLICATION DES PEINES - Portée [notice1]

Aucune disposition légale n’impose au tribunal de l’application des peines une motivation particulière en cas de refus de la modalité d’exécution de la peine qui a fait l’objet d’un avis favorable de la direction de la prison (1). (1) Voir les concl. « dit en substance » du MP.

APPLICATION DES PEINES - Etendue [notice2]


Références :

[notice1]

L. du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine - 17-05-2006 - Art. 47, § 2, 4° - 35 / No pub 2006009456

[notice2]

L. du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine - 17-05-2006 - Art. 54 et 57 - 35 / No pub 2006009456


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DEJEMEPPE BENOIT, ROGGEN FRANCOISE, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-06-23;p.21.0710.f ?

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