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23/06/2021 | BELGIQUE | N°P.21.0334.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 juin 2021, P.21.0334.F


N° P.21.0334.F
1. B. S.
2. V E. Ch.
prévenus, détenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
1. D.G.
2. D. E.
3. D. M.
4. M. C.
5. Maître Bruno PUTZEYS, avocat, agissant en qualité de tuteur ad hoc de L. D.
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent cinq moyens dans

un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 7 juin 2021, l’avocat général Damien Va...

N° P.21.0334.F
1. B. S.
2. V E. Ch.
prévenus, détenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Laurent Kennes, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
1. D.G.
2. D. E.
3. D. M.
4. M. C.
5. Maître Bruno PUTZEYS, avocat, agissant en qualité de tuteur ad hoc de L. D.
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d’appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 7 juin 2021, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des conclusions au greffe.
Le 23 juin 2021, le président chevalier Jean de Codt a fait rapport et l’avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur l’action publique :
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches réunies :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, et 32 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Les demandeurs critiquent la décision de la cour d’appel d’écarter le rapport d’expertise du médecin-psychiatre Cr. Ils font valoir que le fondement légal de cette exclusion n’est pas indiqué, que la cour d’appel aurait dû réserver l’utilisation de cet élément de preuve à décharge, et que l’écartement repose sur des motifs contradictoires et ambigus.
Mais aux pages 14 à 16 de leurs secondes conclusions de synthèse, déposées à l’audience du 18 janvier 2021 de la cour d’appel, les demandeurs, soutenant que leur personnalité n’est pas un élément apte à faire preuve, ont fait valoir que le docteur Cr. s’est endormi au cours d’un entretien avec S. B., qu’il n’a pas effectué de test psychologique pour objectiver son travail parce que, selon lui, cela ne servait à rien, qu’il n’a pas été capable d’expliquer sa technique de travail, qu’il n’a rencontré Ch. V E. qu’une seule fois, et que son rapport contient des passages incompréhensibles.
Les demandeurs en ont conclu que cela suffisait à « disqualifier définitivement les conclusions hasardeuses tirées par cet ‘expert’ ».
L’arrêt accueille cette défense : il considère que le médecin-psychiatre Cr. n’a, en effet, pas mené sa mission de manière consciencieuse, ce qui suffit à disqualifier le contenu de son rapport et à justifier son écartement.
Le dispositif attaqué est donc conforme aux conclusions des demandeurs.
Reniant les écritures soumises aux juges du fond, le moyen est irrecevable à défaut d’intérêt.
Sur le deuxième moyen :
Aucune contradiction n’entache la décision d’écarter des déclarations après avoir dit qu’il n’y avait pas lieu d’y avoir égard.
L’écartement critiqué par le moyen ne viole pas l’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale : la décision du juge suivant laquelle un élément de preuve ne doit pas être retenu faute de fiabilité ou de crédibilité suffisante, ressortit à la libre appréciation de la preuve par le juge du fond. Pareille décision n’est pas tributaire des conditions à observer pour prononcer la nullité d’une preuve obtenue irrégulièrement.
Pour retenir la culpabilité des demandeurs, l’arrêt se fonde notamment, et en les développant, sur les éléments suivants :
- les événements ayant conduit au décès de M. D. se sont produits dans la nuit du 6 au 7 juillet 2014, entre 23.19 heures et 03.06 heures ;
- les prévenus ont quitté les lieux le 7 juillet 2014 à 01.20 heure ;
- la victime a été abattue sur son lit, d’une balle dans la tête, vraisemblablement durant son sommeil ;
- aucun objet n’a été dérobé sur les lieux ; par contre, une mise en scène a été opérée pour faire croire à un vol ;
- aucune trace d’effraction n’a été relevée sur la porte d’entrée de l’appartement ;
- le volet de la fenêtre du salon ainsi que la fenêtre elle-même ont été ouverts de l’intérieur ; il en va de même pour la moustiquaire de cette fenêtre ; ces manipulations n’ont pu être effectuées que par les prévenus ;
- la configuration des lieux rend totalement invraisemblable l’hypothèse de la pénétration d’un tiers par une des baies de l’appartement ;
- M. D. ne se couchait jamais en laissant ouverte la fenêtre de l’appartement situé au rez-de-chaussée de l’immeuble ;
- l’enquête n’a pas révélé qu’en dehors des prévenus, quelqu’un aurait pu en vouloir à M. D.au point d’attenter à sa vie ;
- en revanche, un contentieux familial intense et de vives tensions opposaient les prévenus à la victime.
En opposant ces éléments de fait, différents ou contraires, aux conclusions des demandeurs relatives aux déclarations de Ludwine Chevalier et aux déductions que ces derniers affirment pouvoir en tirer, l’arrêt répond à la défense visée au moyen.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, et 32 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale.
Quant à la première branche :
Selon les demandeurs, l’arrêt se contredit. D’une part, il énonce que la procédure est régulière. D’autre part, il admet qu’une des questions posées à la demanderesse dans le cadre du test du polygraphe pourrait méconnaître la présomption d’innocence.
Les motifs critiqués soutiennent la décision des juges d’appel de ne pas avoir égard au test du polygraphe et à son résultat au moment de se prononcer sur la culpabilité des prévenus.
A la page 84 de leurs conclusions de synthèse, les demandeurs ont sollicité qu’en raison de l’atteinte portée à la présomption d’innocence, le résultat du test soit écarté du dossier répressif, toute allusion à son résultat constituant une violation du droit à un procès équitable.
A la supposer avérée, la contradiction invoquée ne grève qu’un dispositif conforme aux conclusions des demandeurs.
Dénué d’intérêt, le moyen est irrecevable.
Quant à la deuxième branche :
En tant qu’il reproche à l’arrêt de ne pas annuler tout autre élément qui serait le fruit des résultats du test du polygraphe, le moyen est nouveau et, partant, irrecevable.
Ne méconnaît pas le droit de ne pas s’incriminer soi-même le juge qui, plutôt que de prononcer la nullité d’un élément de preuve, décide qu’il n’aura pas égard à cet élément.
A cet égard, le moyen manque en droit.
Quant à la troisième branche :
La réponse que les demandeurs disent ne pas trouver dans l’arrêt réside dans la décision des juges d’appel de n’avoir égard, pour la raison évoquée par les prévenus, ni au test du polygraphe ni à son résultat.
Le moyen manque en fait.
Sur le quatrième moyen :
Pris de la violation du droit à un procès équitable, le moyen reproche à l’arrêt de fonder la condamnation des demandeurs sur des éléments jugés constitutifs d’un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes, alors que la culpabilité d’un accusé ne peut être jugée établie que sur la base d’une preuve excluant tout doute raisonnable.
Les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve reconnu par la raison et l’expérience comme apte à produire la certitude judiciaire.
Ni l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni aucune disposition légale n’interdisent au juge de puiser son opinion dans un faisceau de présomptions dont la qualité et la convergence ont pour conséquence qu’il n’est plus raisonnable de douter de la réalité d’un fait.
Le moyen manque en droit.
Sur le cinquième moyen :
Pour satisfaire à l’obligation de motivation de la peine, prescrite par l’article 195 du Code d’instruction criminelle, le juge ne peut violer les droits de la défense du prévenu en aggravant la peine à cause de son attitude de dénégation persistante, de la manière dont il a entendu soutenir son innocence, de la duplicité de sa défense, ou du fait qu’il refuse d’admettre sa participation criminelle.
L’arrêt porte de vingt-trois à vingt-sept ans la peine d’emprisonnement infligée à chacun des demandeurs du chef d’assassinat.
Pour justifier cette aggravation, l’arrêt énonce que
- les premiers juges avaient espéré que, n’étant pas sanctionnés de la peine maximale, les prévenus entameraient une réelle remise en question ;
- à l’issue des débats devant la cour d’appel, il apparaît que cet espoir était vain, les prévenus étant demeurés figés dans la posture qui est la leur depuis l’exécution de leur crime ;
- les prévenus ne se sont pas montrés dignes de la confiance que les premiers juges ont placée dans leur capacité d’amendement ;
- il y a lieu de sanctionner leur absence « persistante » de prise de responsabilité.
En décidant qu’il résulte des débats devant la juridiction que les prévenus, nonobstant les espérances du premier juge, ne se remettent toujours pas en question, ne prennent pas leurs responsabilités, mais se figent dans une posture de déni, les juges d’appel ont atteint la manière dont les demandeurs ont cru, devant eux, devoir soutenir leur innocence.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
Le contrôle d’office
Sauf l’illégalité à censurer ci-après, les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
L’étendue de la cassation
La cassation ne s’étend pas à la décision par laquelle les juges d’appel ont déclaré le crime établi, lorsque l’annulation est encourue pour un motif étranger à ceux qui justifient cette décision. Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, l’irrégularité ne gît que dans la détermination de la sanction à infliger.
Ensuite de la cassation de la décision rendue sur la peine infligée aux demandeurs, l’arrestation immédiate ordonnée à leur charge par les juges d’appel devient sans effet.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions rendues sur les actions civiles exercées par les quatre premiers défendeurs :
Les demandeurs ne font valoir aucun moyen spécifique.
C. En tant que les pourvois sont dirigés contre la décision qui, rendue sur l’action civile exercée par le cinquième défendeur, statue sur
1. le principe de la responsabilité :
Les demandeurs n’invoquent aucun moyen spécifique.
2. l’étendue du dommage :
L’arrêt alloue une indemnité provisionnelle au défendeur et réserve à statuer sur le surplus.
Pareille décision n’est pas définitive au sens de l’article 420, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, et est étrangère aux cas visés par le second alinéa de cet article.
Prématuré, le pourvoi est irrecevable.

PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la peine à appliquer aux demandeurs et qu’il les condamne au payement de la contribution au Fonds spécial pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne chacun des demandeurs à la moitié des frais de son pourvoi et réserve l’autre moitié pour qu’il y soit statué par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d’appel de Mons.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de mille deux cent sept euros septante-cinq centimes dont trois cent cinquante-neuf euros quarante-trois centimes dus et huit cent quarante-huit euros trente-deux centimes payés par ces demandeurs.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section faisant fonction de président, le chevalier Jean de Codt, président, Françoise Roggen, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt et un par Benoît Dejemeppe, président de section faisant fonction de président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l’assistance de Tatiana Fenaux, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre 2f - deuxième chambre
Numéro d'arrêt : P.21.0334.F
Date de la décision : 23/06/2021
Type d'affaire : Autres - Droit pénal

Analyses

Lorsqu’il critique un dispositif conforme aux conclusions du demandeur, le moyen est irrecevable à défaut d’intérêt (1). (1) Voir les concl. du MP.

MOYEN DE CASSATION - MATIERE REPRESSIVE - Intérêt

Les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve reconnu par la raison et l’expérience comme apte à produire la certitude judiciaire; ni l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni aucune disposition légale n’interdisent au juge de puiser son opinion dans un faisceau de présomptions dont la qualité et la convergence ont pour conséquence qu’il n’est plus raisonnable de douter de la réalité d’un fait (1). (1) Voir les concl. du MP.

PREUVE - MATIERE REPRESSIVE - Présomptions

Pour satisfaire à l’obligation de motivation de la peine, prescrite par l’article 195 du Code d’instruction criminelle, le juge ne peut violer les droits de la défense du prévenu en aggravant la peine à cause de son attitude de dénégation persistante, de la manière dont il a entendu soutenir son innocence, de la duplicité de sa défense, ou du fait qu’il refuse d’admettre sa participation criminelle (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE REPRESSIVE - MOTIFS DES JUGEMENTS ET ARRETS - PAS DE CONCLUSIONS - Matière répressive (y compris les boissons spiritueuses et les douanes et accises) - PEINE - GENERALITES. PEINES ET MESURES. LEGALITE [notice4]


Références :

[notice4]

Code d'instruction criminelle - 17-11-1808 - Art. 195 - 30 / No pub 1808111701


Composition du Tribunal
Président : DE CODT JEAN
Greffier : FENAUX TATIANA
Ministère public : VANDERMEERSCH DAMIEN
Assesseurs : DEJEMEPPE BENOIT, ROGGEN FRANCOISE, LUGENTZ FREDERIC, STEVENART MEEUS FRANCOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-06-23;p.21.0334.f ?

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