N° P.21.0072.F
1. I.C.,
2. DE SOETE COMPANY, société de droit roumain,
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Jean Paul Reynders, avocat au barreau de Liège, et Mathias Dendievel, avocat au barreau de Flandre occidentale, dont le cabinet est établi à Hooglede, Bruggesteenweg, 315, où il est fait élection de domicile.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un jugement rendu le 26 octobre 2020 par le tribunal correctionnel de Liège, division Liège, statuant en degré d'appel.
La demanderesse invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. Sur le pourvoi de C. I. :
Le demandeur se désiste de son pourvoi.
B. Sur le pourvoi de la société de droit roumain De Soete Company :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6.1, 6.2 et 6.3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la méconnaissance du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Aux termes de la citation à comparaître, la demanderesse est prévenue d'avoir, le 30 décembre 2015, sous le couvert d'une immatriculation en Belgique, mis sur la voie publique un véhicule soumis au contrôle technique qui n'était pas pourvu d'un certificat de visite accompagné d'une vignette de contrôle en cours de validité. Cette prévention est visée à l'article 24, § 1er, de l'arrêté royal du 15 mars 1968 portant règlement général sur les conditions techniques auxquelles doivent répondre les véhicules automobiles, leurs remorques, leurs éléments ainsi que les accessoires de sécurité.
Le jugement attaqué requalifie les faits sur la base de l'article 3, § 1er, 2°, de l'arrêté royal du 1er septembre 2006 instituant le contrôle technique routier des véhicules utilitaires, immatriculés en Belgique ou à l'étranger, et dit la prévention ainsi requalifiée établie.
La demanderesse reproche aux juges d'appel de ne pas l'avoir invitée à se défendre de la nouvelle qualification.
Il ressort de la procédure qu'à l'audience du tribunal correctionnel du 15 juin 2020, la demanderesse a déposé des conclusions dans lesquelles elle a fait valoir l'absence de base légale pour une condamnation, le véhicule étant immatriculé en Roumanie, que la cause a été remise à l'audience du 28 septembre 2020 afin de permettre au ministère public de conclure sur la question litigieuse et qu'à cette dernière date, les deux parties ont déposé des conclusions relatives à la nouvelle qualification des faits sur la base de l'article 3 de l'arrêté royal du 1er septembre 2006.
Le juge n'est pas tenu, pour modifier la qualification, de réitérer l'avertissement déjà donné à cet égard au prévenu par les conclusions du ministère public ayant envisagé pareille modification et il ressort de ce qui précède que la nouvelle qualification proposée par le ministère public a fait l'objet d'un débat contradictoire.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
Pris de la violation des articles 12 et 14 de la Constitution, 2 du Code pénal et 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le moyen fait grief au jugement de fonder la condamnation de la demanderesse sur l'article 3.1 de la directive 2009/40/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 relative au contrôle technique des véhicules à moteur et de leurs remorques alors que celle-ci n'a pas d'effet direct dans l'ordre juridique belge.
Après avoir énoncé le libellé de l'infraction requalifiée, les juges d'appel ont indiqué, outre la disposition critiquée, les articles 3, § 1er, 2°, de l'arrêté royal du 1er septembre 2006 instituant le contrôle technique routier des véhicules utilitaires immatriculés en Belgique ou à l'étranger et 4, § 1er, de la loi du 21 juin 1985 relative aux conditions techniques auxquelles doivent répondre tout véhicule de transport par terre, ses éléments ainsi que les accessoires de sécurité.
Le jugement s'en explique en considérant que, nonobstant l'absence d'obligation légale, en droit belge, de disposer à tout moment des documents utiles relatifs au contrôle technique périodique institué par la directive 2009/40, il y a lieu d'interpréter l'article 3 de l'arrêté royal précité selon le principe de l'interprétation conforme au droit de l'Union européenne.
A cet égard, le jugement relève que la matière du contrôle technique des véhicules de transport est régie par des normes européennes, transposées en droit belge. Il précise que l'article 3 de l'arrêté royal précité prévoit, pour les véhicules immatriculés ou mis en circulation dans un Etat membre, le contrôle du document qui atteste que le véhicule utilitaire a été soumis au contrôle technique obligatoire de la directive 96/96/CE du Conseil du 20 décembre 1996 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au contrôle technique des véhicules à moteur et leurs remorques. Le jugement ajoute que ce texte est inspiré de l'article 4.1 de la directive n° 2000/30, selon lequel le contrôle technique routier comporte soit un, soit deux, soit l'ensemble des éléments qu'il énumère, dont un contrôle du rapport de contrôle technique routier visé à l'article 5, établi récemment, ou un contrôle des documents attestant la conformité à la règlementation technique applicable au véhicule, et, en particulier, pour les véhicules immatriculés ou mis en circulation dans un Etat membre, du document attestant que le véhicule utilitaire a été soumis au contrôle technique obligatoire, conformément à la directive 96/96/CE.
Le jugement en déduit qu'à peine de vider de son sens le contrôle routier, en méconnaissance totale des objectifs de sécurité routière, il y a lieu d'interpréter l'article 3 de l'arrêté royal du 1er septembre 2006 en ce sens qu'il impose de produire lesdits documents, si ce n'est lors du contrôle routier, à tout le moins à l'issue de celui-ci.
De ces considérations, il résulte que le tribunal correctionnel ne fonde pas la condamnation de la demanderesse sur l'article 3.1 de la directive 2009/40/CE mais sur l'article 3, § 1er, 2°, de l'arrêté royal du 1er septembre 2006, interprété à la lumière de la première disposition.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
Le moyen est pris de la violation des articles 3, § 1er, 2°, de l'arrêté royal du 1er septembre 2006 instituant le contrôle technique routier des véhicules utilitaires immatriculés en Belgique ou à l'étranger et 4, § 1er, de la loi du 21 juin 1985 relative aux prescriptions techniques auxquelles doivent satisfaire tous les véhicules de transport terrestre, leurs composants et leurs accessoires de sécurité, ainsi que de la méconnaissance du principe de légalité en matière pénale. Il reproche au jugement de dire la prévention établie telle qu'elle a été requalifiée par les juges d'appel.
Selon la demanderesse, l'article 3, § 1er, 2°, de l'arrêté royal précité ne contient pas de prescription qui puisse être sanctionnée en vertu de l'article 4, § 1er, de la loi du 21 juin 1985, dès lors qu'il n'impose pas au conducteur de présenter, lors du contrôle, un document dont il résulte que le véhicule utilitaire a été soumis au contrôle technique, ni ne requiert qu'un tel document soit produit ultérieurement.
Le principe de légalité des délits et peines est consacré par les articles 7.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 49 de la Charte des droits fondamentaux et 12, alinéa 2, de la Constitution.
Il résulte de ces dispositions qu'une infraction ne peut être sanctionnée pénalement qu'à la condition d'être définie par une loi et de l'être dans des termes suffisamment précis, compréhensibles et répondant aux exigences de la sécurité juridique, pour permettre à celui qui adopte un comportement de déterminer quels sont les actes ou omissions susceptibles d'engager une responsabilité pénale.
L'article 3, § 1er, de l'arrêté royal instituant le contrôle technique routier des véhicules utilitaires immatriculés en Belgique ou à l'étranger dispose :
« Le contrôle technique se compose d'un ou de plusieurs des éléments suivants :
[...]
2° le contrôle, soit du rapport de contrôle technique routier, tel que visé à l'article 4 du présent arrêté et rédigé dans le courant des trois derniers mois, soit des documents sur lesquels apparaisse la correspondance avec les prescriptions techniques qui sont d'application sur le véhicule, et plus particulièrement, pour les véhicules immatriculés ou mis en circulation dans un Etat membre, le contrôle du document qui atteste que le véhicule utilitaire a été soumis au contrôle technique obligatoire de la directive 96/96/CE du Conseil du 20 décembre 1996 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au contrôle technique des véhicules à moteur et de leurs remorques ; [...] ».
Il résulte de cette disposition que tout véhicule utilitaire immatriculé et mis en circulation dans un Etat membre de l'Union européenne est soumis au contrôle technique, que ledit contrôle technique est attesté par un document et que le document peut faire l'objet d'un contrôle par l'autorité compétente.
Ce libellé est suffisamment précis pour permettre au propriétaire du véhicule utilitaire de comprendre que la production du document attestant que le véhicule a été soumis au contrôle technique et répond aux normes de sécurité peut être requise par l'autorité compétente et de prévoir, en application de l'article 4, § 1er, de la loi du 21 juin 1985, que l'omission de répondre à cette demande engage sa responsabilité pénale.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
La demanderesse soutient qu'en considérant que l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal du 1er septembre 2006 impose à tout le moins que les documents techniques soient produits ultérieurement lorsqu'ils ne se trouvent pas dans le véhicule au moment du contrôle, le jugement, d'une part, fonde sa décision sur un motif inconciliable avec le libellé de cette disposition et, d'autre part, ajoute une condition à celle-ci.
Revenant à réitérer l'allégation vainement invoquée à la deuxième branche, le moyen est irrecevable.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi du demandeur ;
Rejette le pourvoi de la demanderesse ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de nonante euros quatre-vingt-un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, président de section, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-six mai deux mille vingt et un par Benoît Dejemeppe, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.