N° P.20.1191.N
A. K.,
prévenue,
demanderesse en cassation,
Mes Willy Huber, avocat au barreau d’Anvers, et Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
contre
K. V.B.,
partie civile,
défenderesse en cassation.
Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Flandre occidentale.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 4 novembre 2020 par la cour d’appel d’Anvers, chambre correctionnelle, statuant en tant que juridiction de renvoi ensuite de l’arrêt de la Cour du 12 mars 2019.
La demanderesse invoque six moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme. Elle a également déposé un écrit intitulé « mémoire en réplique ».
Le 1er février 2021, la demanderesse a déposé au greffe un acte de demande d’inscription en faux.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L’avocat général Alain Winants a conclu.
Le 4 février 2021, la demanderesse a déposé au greffe une note en réponse, conformément à l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire, intitulée « mémoire en réponse aux conclusions verbales de l’avocat général ».
À l’audience du 9 février 2021, la demanderesse a déposé un acte de récusation contre l’avocat général Alain Winants. Cette demande de récusation a été rejetée par l’arrêt de la Cour du 16 février 2021.
À l’audience du 16 février 2021, la demanderesse a été entendue en ses explications concernant la note qu’elle a déposée le 4 février 2021 et en ses observations concernant les conclusions de l’avocat général.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur la recevabilité de la note en réponse visée à l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire
1. Il résulte de l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire qui, conformément à l’article 432 du Code d’instruction criminelle, est applicable en matière pénale, que le demandeur en cassation peut répondre aux conclusions du ministère public dans une note. De nouveaux moyens ne peuvent pas être soulevés dans cette note. Une note, au sens de l’article 1107, alinéa 3, du Code judiciaire ne peut donc aucunement prétendre soumettre à l’appréciation de la Cour des moyens soulevés dans un mémoire irrecevable.
2. Dans la mesure où elle comprend des moyens excédant le cadre d’une réponse aux conclusions verbales de l’avocat général, la note en réponse de la demanderesse est irrecevable.
Sur la recevabilité du pourvoi :
3. La défenderesse invoque l'irrecevabilité du pourvoi de la demanderesse au motif que cette dernière n’exerce plus en tant qu’avocate.
4. Conformément à l’article 425, § 1er, du Code d’instruction criminelle, le pourvoi en matière pénale doit, hormis dans des cas non applicables en l’espèce, être formé par un avocat titulaire d'une attestation de formation en procédure en cassation visée par le livre II, titre III, du Code d’instruction criminelle, aux termes d’une déclaration de pourvoi au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.
5. Il ressort de la déclaration de pourvoi que le pourvoi a été formé au nom de la demanderesse par Me Willy Huber, avocat au barreau d’Anvers, titulaire d'une attestation de formation en procédure en cassation en matière pénale, comme le requiert l’article 425, § 1er, du Code d’instruction criminelle. La non-signature du mémoire contenant les moyens de cassation par un avocat titulaire de l’attestation visée n’empêche pas que la condition prévue à l’article 425, § 1er, du Code d’instruction criminelle soit remplie.
Le pourvoi est recevable.
6. Il s’ensuit que la Cour, s’agissant de la décision rendue sur l’action publique, et ce, que les écrits déposés par la demanderesse soient recevables ou non, examinera d’office si les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et si la décision est conforme à la loi.
Sur la recevabilité des écrits déposés par ou au nom de la demanderesse
7. La demanderesse a déposé au greffe un écrit intitulé « mémoire », signé de sa main (ci-après : mémoire). Le mémoire a été reçu au greffe le 11 janvier 2021.
8. La Cour pense pouvoir inférer du mémoire que, s’agissant de la recevabilité de celui-ci, la demanderesse fait valoir, en résumé :
- qu’elle est avocate de profession, qu’elle agit en son nom propre et qu’elle a signé ledit mémoire en application de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 février 2014, rendu dans l’affaire Masirevic contre Serbie. Elle déduit de cet arrêt qu’elle a bel et bien le droit de se représenter elle-même, sans quoi il y aurait violation de l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- qu’elle est avocate au barreau de Bruxelles depuis février 1999 et qu’elle a été radiée du tableau en février 2014, sans notification, enquête ou procès. Un avocat général près la Cour de cassation aurait confirmé qu’elle pourrait continuer à utiliser son titre professionnel ;
- qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que l’accès à un tribunal ne peut pas être entravé par un formalisme excessif ni par des règles qui ne peuvent pas être justifiées par l’impératif de sécurité juridique et de bonne administration de la justice ;
- qu’elle se prévaut du principe « nécessité fait loi », ainsi que du principe de proportionnalité : il ressort de la plainte BR.53.98.1592-17/D1, déposée par la demanderesse, que celle-ci a tout mis en œuvre pour trouver un avocat, mais que les avocats qui acceptent de la défendre font l’objet de menaces visant à les dissuader de le faire.
9. Le 29 janvier 2021, le greffe a reçu un écrit intitulé « mémoire en réplique » (ci-après : mémoire en réplique). Selon le mémoire en réplique, la demanderesse est assistée et représentée par Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour. Il semble avoir signé le mémoire en réplique avec la mention qu’il agit « sur réquisition et projet ». Les six moyens invoqués par la demanderesse dans le mémoire sont repris dans le mémoire en réplique, auquel est en outre annexée une copie de ce mémoire. Dans le mémoire en réplique, la demanderesse réitère sa position concernant la recevabilité des écrits déposés par elle ou en son nom. Elle fait également valoir que Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour, s’est déclaré disposé à signer le mémoire en réplique avec la mention qu’il agit sur réquisition et projet, régularisant ainsi les moyens contenus dans le mémoire et obligeant la Cour à y répondre.
10. En vertu des articles 425, § 1er, et 429, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, le pourvoi en matière pénale ne peut, hormis dans des cas non applicables en l’espèce, être formé que par un avocat titulaire d'une attestation de formation en procédure en cassation, visée par le livre II, titre III, du Code d’instruction criminelle, et le demandeur en cassation ne peut indiquer ses moyens que dans un mémoire signé par un avocat titulaire d’une telle attestation.
11. Par cette obligation, le législateur souhaitait éviter qu’il soit fait preuve de légèreté dans l’introduction de pourvois en matière pénale et dans la rédaction des mémoires contenant des moyens de cassation. Il est attendu d'un avocat titulaire de l’attestation qu'il fasse remarquer aux parties qui souhaitent former un pourvoi en cassation et introduire un mémoire le caractère spécifique du pourvoi en cassation et la mission particulière confiée par le constituant à la Cour de cassation en sa qualité d’instance qui examine la légalité de la décision judiciaire attaquée sans connaître du fond des affaires. L’objectif était que seuls des moyens en cassation bien structurés et étayés juridiquement soient soumis à la Cour afin qu’elle ne doive pas s’attarder sur des moyens en cassation qui n’ont quasiment aucune chance d’être accueillis.
12. Une partie qui exerce en tant qu’avocat doit, même si elle est titulaire de l’attestation de formation en procédure en cassation en matière pénale, également faire appel à un autre avocat titulaire de l’attestation visée. En l’absence d'un quelconque intérêt personnel dans l’affaire qui puisse fausser sa perception des faits et du droit, seul un tel avocat est susceptible d’élever, avec suffisamment de distance et de réserve, des moyens en cassation avec une chance raisonnable de succès.
13. Comme exposé ci-dessus, eu égard à la nature et au rôle particuliers de la Cour de cassation en matière pénale, l’obligation déduite des articles 425, § 1er, et 429, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, en vertu de laquelle chacun, même un avocat s’il est partie et donc intéressé dans une affaire, doit se faire assister d’un autre avocat titulaire de l’attestation visée dans le cadre de l’introduction d’un mémoire en cassation en matière pénale, sert un objectif légitime, à savoir une bonne administration de la justice. Cette obligation n’est pas disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.
14. Les avocats à la Cour, qui sont des officiers ministériels, peuvent, dans les cas où leur intervention est requise par la loi, signer des pourvois ou des écrits y afférents avec la mention « sur réquisition et projet ». En matière pénale, l’intervention d'un avocat à la Cour n’est toutefois pas requise et l’avocat n’est pas un officier ministériel, de sorte qu’il n’a pas la qualité pour signer un mémoire avec la mention « sur réquisition et projet ». En outre, la signature du mémoire sous la mention « sur projet et réquisition » indique que l'avocat n'a pas rédigé lui-même le mémoire, de sorte qu'il n'est pas établi qu'il s'approprie le contenu de celui-ci. Ce fait n’est pas compatible avec l'objectif susmentionné de la loi, à savoir que l'avocat signataire consent de manière éclairée au contenu du mémoire qu'il fait sien.
15. Selon l’article 429, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle, le demandeur en cassation doit produire son mémoire dans les deux mois qui suivent la déclaration de pourvoi en cassation et au plus tard quinze jours avant l’audience. Ces délais sont indispensables afin que la partie adverse puisse opposer une défense, que l’avocat général et la Cour disposent de suffisamment de temps pour examiner les moyens et que la Cour puisse se prononcer dans un délai raisonnable. Ces délais sont contraignants et les parties à la procédure en cassation ne peuvent pas y déroger d’un commun accord, ce qui n’apparait en outre pas être le cas dans la présente affaire. Le délai, dont le non-respect est sanctionné par la non-recevabilité du mémoire, sert un objectif légitime, à savoir une bonne administration de la justice, et l’obligation n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi.
16. Il ne ressort d’aucune pièce à laquelle la Cour peut avoir égard que la demanderesse avait la qualité d’avocate au moment du dépôt de son mémoire. Il appartient à la demanderesse, si sa qualité d’avocate est contestée, de prouver qu’elle avait cette qualité. Le contraire ne ressort pas de la simple allégation de la demanderesse selon laquelle elle serait toujours avocate.
17. Du reste, il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard :
- que la demanderesse, qui, en l’espèce, est poursuivie du chef de coups portés volontairement à un avocat à l’occasion d’un procès dans un tribunal, a, au cours des diverses phases de la procédure, déjà fait appel à plusieurs avocats, membres de différents barreaux ;
- qu’aucun avocat contacté par la demanderesse ne souhaitait finalement poursuivre sa défense ;
- que le conseil qui a formé le pourvoi au nom de la demanderesse ne souhaitait pas davantage introduire de mémoire en son nom, et ce, malgré les insistances manifestes de cette dernière ;
- que la demanderesse a déposé plainte contre de nombreuses personnes - entre autres des avocats, des magistrats et des agents de police - qui n’approuvent pas sa lecture et son interprétation des faits et du droit - et que ces plaintes, qui auraient été regroupées dans un dossier référencé sous le numéro BR.53.98.1592-17/D1, n’ont fait l’objet d’aucune suite, et ce, à tort, d’après la demanderesse.
18. L’allégation de la demanderesse selon laquelle des avocats souhaitent bel et bien la défendre mais se désistent sous la menace, se limite à une simple allégation, non appuyée par des éléments de fait qui la rendraient un tant soit peu plausible. La Cour n’a donc pas d’autre choix que de constater qu’aucun avocat n’a souhaité assurer la défense de la demanderesse, telle que celle-ci l’envisage et sous sa propre interprétation des faits et du droit.
19. L'impossibilité avancée par la demanderesse de trouver un avocat titulaire de l’attestation visée, disposé à introduire un mémoire en son nom, résulte de ses propres actes et ne peut donc pas, dans les circonstances mentionnées, être considérée comme un cas de force majeure. Statuer autrement annihilerait l’objectif du législateur, selon lequel les moyens en cassation en matière pénale peuvent uniquement être soulevés par un avocat ayant suivi une formation en la matière et ayant apprécié, en toute indépendance, leurs chances de succès.
20. La circonstance que la Cour a déclaré irrecevables les demandes en dessaisissement pour cause de suspicion légitime, introduites par la demanderesse elle-même, ne permet pas de statuer autrement. Pour cette procédure extraordinaire, le législateur n’a en effet pas prescrit d’assistance obligatoire par un avocat titulaire d’une attestation.
21. Le mémoire de la demanderesse, uniquement signé de sa main et n'apparaissant pas avoir été introduit par un avocat titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation, est irrecevable.
22. Le mémoire en réplique, introduit au nom de la demanderesse, est, dans la mesure où il constitue une répétition ou une réitération des moyens de cassation soulevés par la demanderesse dans le mémoire déposé contre l’arrêt, a été introduit en dehors des délais fixés à l’article 429, alinéa 2, du Code d'instruction criminelle. Son caractère tardif le rend donc irrecevable.
23. En outre, la Cour constate que ce mémoire en réplique est également irrecevable puisqu'il n’a pas été signé par un avocat titulaire, ou réputé titulaire, d’une attestation de formation en procédure en cassation en matière pénale. La signature d’un avocat à la Cour dotée de la mention « sur réquisition et projet » ne satisfait pas à cette condition.
La demande d’inscription en faux formulée devant la Cour par la demanderesse
24. Le 1er février 2021, la demanderesse a déposé une demande en faux au greffe. La demande a été signée par la demanderesse elle-même et par Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour, qui a signé avec la mention « sur réquisition et projet ». Cette demande apparait avoir été signifiée à la défenderesse le 28 janvier 2021. D’après cet écrit, la défenderesse introduit la demande en faux contre des pièces plus amplement précisées dans le dossier répressif qui avait conduit à l’arrêt contre lequel elle a formé un pourvoi et contre des pièces qu’elle met en rapport avec celui-ci.
25. Une demande en faux, formulée comme un incident dans le cadre d'un pourvoi en matière pénale, doit être introduite dans les délais prévus pour introduire un mémoire, fixés à l’article 429 du Code d’instruction criminelle. Cette condition de délai ne témoigne pas d'un formalisme excessif, mais vise à un examen efficace dans un délai raisonnable. Elle se justifie donc par l’exigence d’une bonne administration de la justice.
26. La demanderesse a introduit la demande en faux en dehors de ce délai.
27. L’exigence de l'intervention d'un avocat spécialisé pour l’introduction d'un pourvoi en matière pénale et pour le dépôt de mémoires, eu égard, comme exposé ci-dessus, au caractère technique et spécifique de la procédure devant la Cour, vaut également pour une demande en faux introduite à l'occasion d'un pourvoi en matière pénale. Une telle demande est donc uniquement recevable si elle est signée par un avocat titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation.
28. La demande en faux formulée par la demanderesse a été signée par elle, ainsi que par un avocat à la Cour, avec la mention « sur réquisition et projet ». Comme exposé ci-dessus s’agissant du mémoire en réplique, une telle signature ne satisfait pas à la condition que l’écrit soit signé par un avocat titulaire d’une attestation de formation en procédure en cassation.
29. Une demande en faux, formulée comme un incident dans le cadre d'un pourvoi en matière pénale, n’est recevable que lorsque les pièces arguées de faux ne pouvaient pas l’être devant le juge du fond en dernier ressort. La demande en faux n’est pas davantage recevable si elle a été soumise au juge du fond en dernier ressort et qu'il a statué sur celle-ci. Ces conditions ne témoignent pas non plus d'un formalisme excessif, mais sont liées au rôle de la Cour de cassation en sa qualité d’instance dont la mission essentielle consiste en l’appréciation de la légalité des décisions judiciaires rendues en dernière instance et qui ne connait pas du fond des affaires. Cette condition se justifie également par l’exigence d’une bonne administration de la justice.
30. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que la demanderesse a, dans sa défense devant la cour d’appel d’Anvers, qualifié de faux certaines pièces qu’elle argue de faux actuellement et que l’arrêt rendu par cette cour d’appel a rencontré cette défense.
31. S’agissant des autres pièces arguées de faux dans la demande en faux formulée devant la Cour, il n’apparait pas que la demanderesse ait introduit une telle demande devant la cour d’appel d’Anvers.
32. La Cour n’aperçoit aucun motif pour lequel la demanderesse n’aurait pas pu arguer de faux, devant la cour d’appel d’Anvers, les pièces arguées de faux actuellement. Son allégation selon laquelle elle n’avait pas pu contester efficacement ces pièces devant le juge du fond en dernier ressort, parce que tous les parquets dans la région de langue néerlandaise avaient refusé sa demande d’examen, ne peut pas justifier l’absence d’une demande en faux devant le juge du fond en dernier ressort concernant les pièces visées.
33. La demande en faux de la demanderesse est irrecevable.
Le contrôle d'office
34. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette la demande en faux ;
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Sidney Berneman et Steven Van Overbeke, conseillers, et prononcé en audience publique du seize février deux mille vingt et un par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l’avocat général Alain Winants, avec l’assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Frédéric Lugentz et transcrite avec l’assistance du greffier Tatiana Fenaux.