N° C.20.0155.N
FIDEA, s.a.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. KEUKENS VERHAEGHE, s.r.l.,
2. KBC ASSURANCES, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la cour d’appel de Gand.
Le président de section Geert Jocqué a fait rapport.
L’avocat général Els Herregodts a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. En vertu de l’article 17 du Code judiciaire, l’action en justice ne peut être admise si le demandeur n’a pas intérêt pour la former.
La lésion d’un intérêt ne peut donner lieu à une action en justice que si cet intérêt est légitime.
Celui qui ne poursuit, directement ou indirectement, que le maintien d’une situation contraire à l’ordre public ou d’un avantage illicite ne justifie pas d’un intérêt légitime. La seule circonstance que le demandeur se trouve dans une situation illicite n’implique pas qu’il ne puisse se prévaloir de la lésion d’un intérêt légitime.
2. En vertu de l’article 41, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre, devenu l’article 95, alinéa 1er, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, l’assureur qui a payé l’indemnité est subrogé, jusqu’à concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l’assuré ou du bénéficiaire contre le tiers responsable du dommage.
3. Il suit de ce qui précède que l’assureur subrogé dans les droits de son assuré ne peut agir contre le tiers responsable que lorsque l’assuré lui-même a un intérêt légitime à lui demander réparation.
4. Bien que le juge apprécie souverainement en fait si une action en justice ne vise que le maintien d’une situation contraire à l’ordre public ou d’un avantage illicite, la Cour vérifie néanmoins si, de ses constatations, le juge a pu légalement déduire sa décision.
5. Le juge d’appel a constaté et considéré que :
- l’assurée de la demanderesse est propriétaire d’un chalet érigé sans permis, au côté duquel une annexe non autorisée a été construite à la fin 2012 ;
- la demanderesse, subrogée dans les droits de son assurée, réclame la réparation des dommages résultant d’un incendie dont elle allègue qu’il a été provoqué par les fautes commises par la première défenderesse et l’assurée de la seconde défenderesse ;
- la demanderesse, en sa qualité de partie subrogée, ne peut faire valoir plus de droits que son assurée ;
- l’action en responsabilité de l’assurée de la demanderesse contre les défenderesses doit présenter un caractère légitime afin que la demanderesse, en sa qualité de subrogée, puisse obtenir remboursement auprès de ces parties ;
- il est incontestable que le bâtiment de l’assurée de la demanderesse a été érigé sans permis d’urbanisme et ne peut faire l’objet d’une régularisation ;
- le contrôle visant à déterminer la légitimité d’un intérêt consiste à vérifier si une prétention tend au seul maintien d’une situation illicite ;
- si l’assurée de la demanderesse n’avait réclamé que la perte financière subie du fait de la dépréciation de son patrimoine, il n’aurait pas été question d’une action tendant au seul maintien d’une situation illicite ;
- la demanderesse reconnaît cependant que son assurée a reconstruit le bâtiment ravagé par le feu avec les sommes reçues d’elle ;
- ceci trouve confirmation dans le fait que la demanderesse a inclus dans l’indemnité la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que l’article 2.d des conditions générales de la police stipule qu’en cas de dommages causés aux bâtiments, les impôts et taxes sont couverts si ces bâtiments sont reconstruits, comme en l’espèce, ou remplacés ;
- il en ressort clairement l’intention de l’assurée de la demanderesse d’affecter l’indemnisation du dommage subi à la reconstruction et donc au maintien de la situation illicite.
6. Sur la base de ces énonciations, le juge d’appel a pu légalement décider que l’action de la demanderesse, subrogée dans les droits de son assurée, contre les défenderesses, ne tendait, certes indirectement, qu’à obtenir la remise en état, par le biais des dommages et intérêts réclamés, et à perpétuer la situation illicite, de sorte que, dans les circonstances données, il n’y a pas lésion d’un intérêt légitime de l’assurée de la demanderesse et que, par conséquent, l’action de la demanderesse, en sa qualité de subrogée dans les droits de son assurée, est irrecevable.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
7. Pour le surplus, le moyen est tout entier déduit de la violation, vainement alléguée, des articles 17 du Code judiciaire, 41, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre et 95, alinéa 1er, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Koen Mestdagh, président, le président de section
Geert Jocqué, les conseillers Bart Wylleman, Ilse Couwenberg et
Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du onze décembre deux mille vingt par le président de section Koen Mestdagh, en présence de l’avocat général Els Herregodts, avec l’assistance du greffier Mike Van Beneden.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sabine Geubel et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.