N° C.17.0114.N
E. DE KOCK, s.a.,
demanderesse en cassation,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. MILIEUSTEUNPUNT HULDENBERG, a.s.b.l., représentée en justice par son président, Guido Wyseure,
première défenderesse en cassation,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
2. RÉGION FLAMANDE, représentée par le gouvernement flamand, en la personne du ministre-président,
seconde défenderesse, à tout le moins partie appelée en déclaration d’arrêt commun,
Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 31 janvier 2017 par le Conseil d’État, section du contentieux administratif.
Le 17 juillet 2020, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Koen Mestdagh a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 13, 144 et 145 de la Constitution ;
- articles 7, 14, § 1er, 17 et 33 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 ;
- article 556 du Code judiciaire ;
- articles 23 et 24, § 3, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 relatif à l’autorisation antipollution ;
- article 39, § 3, de l’arrêté de l’Exécutif flamand du 6 février 1991 fixant le règlement flamand relatif à l’autorisation écologique, ci-après « Vlarem I » ;
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué :
« 2. Le Conseil d’État ordonne la suspension, en extrême urgence, de l’exécution de l’arrêté du ministre flamand de l’Environnement, de la Nature et de l’Agriculture du 14 décembre 2016 déclarant partiellement fondé le recours formé contre la décision du contrôleur de la division Inspection de l’environnement du 5 octobre 2016 imposant une mesure administrative à [la demanderesse], et réformant la mesure administrative ;
Le Conseil d’État enjoint à [la seconde défenderesse], dans les 24 heures suivant la notification de cet arrêt et jusqu’à la date à laquelle la décision de [la seconde défenderesse] concernant la demande de permis d’environnement aura été portée à la connaissances de toutes les parties :
- de cesser immédiatement tous travaux, actes et activités dans la carrière de sable située à Neerijse, Ganzemanstraat, s/n ;
- de ne plus utiliser tous les bâtiments, installations, machines, engins, moyens de transport, conteneurs, terrains et tout ce qui s’y trouve en surface et en sous-sol, présents dans la carrière de sable située à Neerijse, Ganzemanstraat, s/n ;
sous peine d’une astreinte d’un montant de 15.000 euros par jour lorsqu’il est constaté par un huissier de justice que la [seconde défenderesse] omet d’imposer ces mesures ou omet d’agir contre les infractions à ces mesures. »
sur la base des motifs énoncés aux pages 7 et 8 :
« V. Pourvoi de juridiction du Conseil d’État
Position de la [demanderesse]
5. [La demanderesse] fait valoir qu’il ne relève pas de la juridiction/compétence du Conseil d’État de statuer sur le sort de l’exploitation de la carrière de sable à la suite de l’arrêt n° 236.696 du Conseil d’État du 8 décembre 2016, qui annule le permis d’environnement octroyé par le ministre en degré d’appel le 15 octobre 2015.
Cet aspect est du ressort exclusif des cours et tribunaux.
Appréciation
6. La demande de suspension et la requête en mesures provisoires, accessoires du recours en annulation, sont dirigées contre un acte exécutoire de l’autorité administrative, qui en est l’objet véritable et direct. Elles relèvent, conformément à l’article 114, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, de la juridiction du Conseil d’État. La circonstance que l’annulation (ou à titre provisoire, le référé) limite le droit subjectif de l’intéressé n’y fait pas obstacle.
Le déclinatoire est rejeté. »
et aux pages 12 à 14 :
« Appréciation
12.1. Le moyen est suffisamment clair pour être apprécié dans le cadre d’une procédure de recours en suspension de l’exécution en cas d’extrême urgence.
12.2. Il convient de déduire des antécédents de la décision entreprise, dont le Conseil d’État est au fait depuis plusieurs années, que les arrêts rendus ont conclu à plusieurs reprises à la suspension et à l’annulation, tout en soulignant que le permis délivré en première instance ne ressuscitait pas à la suite de l’annulation du permis d’environnement octroyé en degré d’appel. Le dernier arrêt rendu, qui fait également l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation, formé par [la demanderesse], constate que [la seconde défenderesse] l’avait également compris de cette manière et avait décidé d’imposer une mesure administrative visant l’arrêt des activités. La décision ici entreprise est celle qui a été adoptée à la suite du recours introduit par l’exploitant contre la décision initiale visant l’arrêt des activités. Cette décision considère, à juste titre, qu’il existe des raisons de confirmer la mesure administrative d’arrêt imposée mais y lie une condition. Cette condition, à savoir le sursis de la mesure administrative jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision sur le recours, revient en substance à autoriser l’exécution d’activités soumises à autorisation sans l’existence du permis d’environnement nécessaire.
[La seconde défenderesse] invoque, à cet effet, dans sa décision toutes sortes de principes généraux de bonne administration, sans indiquer dans la décision elle-même la raison pour laquelle elle estime que ces principes seraient violés si elle devait appliquer immédiatement la mesure administrative. La décision entreprise n’est donc pas suffisamment motivée.
En outre s’applique en Région flamande la règle selon laquelle nul ne peut, sans autorisation préalable et écrite de l’autorité compétente, exploiter ou transformer un établissement classé comme incommode (art. 4, § 1er, alinéa 1er, du décret du 28 juin 1985 relatif à l’autorisation anti-pollution). Cette règle est claire et offre une sécurité juridique suffisante.
Le fait que l’autorité dispose d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard ne la dispense pas de l’interdiction d’agir illégalement.
De surcroît, la décision entreprise semble également contraire au contenu des arrêts que le Conseil d’État a rendus dans cette affaire par le passé. En tout cas, l’on ne comprend nullement en quoi le principe de sécurité juridique en Région flamande serait violé selon [la seconde défenderesse], dès lors que les décisions précédemment annulées concernaient toutes un recours formé contre la décision d’octroi de l’autorisation en 2009 par la députation du conseil provincial du Brabant flamand. Durant toute cette période, l’exploitation doit être réputée non autorisée, eu égard aux conséquences d’un arrêt d’annulation.
De plus, le Conseil d’État relève qu’il est inhabituel qu’un organe de l’administration active critique, dans une décision, l’opinion de la juridiction administrative suprême. Il convient de rappeler encore une fois qu’en raison de l’effet dévolutif de principe du recours administratif organisé, la décision d’appel s’est substituée, en principe, à la décision rendue en première instance, qui a disparu de l’ordre juridique.
Le moyen invoqué est, dès lors, sérieux. »
Griefs
1. En vertu des articles 7,14, § 1er, 1°, et 17 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, la section du contentieux administratif du Conseil d’État statue par voie d’arrêts sur les recours en annulation ou suspension pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives.
La compétence du Conseil d’État est déterminée par l’objet véritable et direct du recours en annulation ou suspension.
Ainsi, suivant les articles 144 et 145 de la Constitution, le Conseil d’État est sans juridiction lorsque la demande tend à l’annulation d’un acte juridique administratif par lequel l’autorité administrative assure ou méconnaît une obligation juridique qui correspond à un droit subjectif dont le justiciable prétend être titulaire, et que le moyen se fonde sur une règle de droit matériel qui crée cette obligation et détermine le fond de la contestation.
2. L’objet véritable et direct de la décision entreprise devant le Conseil d’État porte, en l’occurrence, essentiellement sur la question de savoir si la partie intervenante dans la procédure menée devant le Conseil d’État, à savoir la requérante, dispose du droit subjectif de poursuivre son exploitation conformément aux conditions prescrites dans le permis d’environnement octroyé en première instance le 19 novembre 2009 par la députation permanente de la province du Brabant flamand, dès lors que ce permis d’environnement ressuscite à la suite de l’annulation, par le Conseil d’État, de toutes les décisions du ministre flamand compétent ayant déclaré à chaque fois irrecevable le recours formé contre l’octroi de ce permis et ce, dans l’attente d’une nouvelle décision du ministre flamand compétent sur le recours.
L’article 39, § 3, du Vlarem I dispose en effet : « Par dérogation à l’article 5, l’exploitation d’un établissement qui fait l’objet d’une demande d’autorisation visée au paragraphe 1er peut être continuée jusqu’à ce qu’une décision définitive, tacite ou non, soit prise sur la demande introduite dans le délai visé au paragraphe 1er. »
Les articles 23 et 24 du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 prévoient que les recours formés contre les décisions relatives aux demandes de permis d’environnement n’ont pas d’effet suspensif, sauf dans les cas contraires expressément prévus. En l’espèce, seuls ont été formés des recours dénués d’effet suspensif, de sorte que la cause et les parties, après l’annulation prononcée par le Conseil d’État, sont replacées dans la situation précédant l’annulation, à savoir celle créée par le permis d’environnement octroyé en première instance le 19 novembre 2009 par la députation permanente qui confère le droit de poursuivre l’exploitation conformément aux conditions qui y sont fixées.
La demanderesse le précisait dans les termes suivants aux pages 10 et 11 de sa « requête en intervention dans la procédure de suspension en extrême urgence, en mesures provisoires et en annulation » : « […] 43. Il s’ensuit dès lors qu’à la suite de l’annulation de la décision d’appel du ministre (ex impossibile), [la demanderesse] peut toujours faire valoir le permis d’environnement délivré le 19 novembre 2009 par la députation et poursuivre sans entraves son exploitation en vertu de ce permis. Cela, bien entendu, dans l’attente d’une décision définitive du ministre, c’est-à-dire une décision de refus définitive ou une décision d’autorisation qui résiste au contrôle de légalité. 44. […] [La seconde défenderesse] ne dispose donc pas de la moindre liberté d’action pour procéder ou non à la mise à l’arrêt de l’exploitation de [la demanderesse] puisque [la demanderesse] dispose d’un droit subjectif à l’exploitation qui trouve son fondement dans les articles 24, § 3, alinéa 2, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 (limitation dans le temps de l’effet suspensif du recours administratif) et 39, § 3, du Vlarem I (possibilité de poursuite de l’exploitation dans l’attente de la décision d’autorisation définitive). [La demanderesse] peut poursuivre son exploitation, bien évidemment dans l’hypothèse où la législation en vigueur est respectée (ce qui est le cas) et les conditions du permis octroyé le 19 novembre 2009 par la Députation de la province du Brabant flamand sont observées (ce qui est également le cas). Les compétences de l’administration et des services de contrôle sont liées à cet égard.
La question du droit d’exploitation du demandeur et titulaire du permis étant un droit subjectif au regard des dispositions précitées, le Conseil d’État est sans juridiction concernant cette matière. (…) »
La demanderesse concluait, à la page 13 de sa requête en intervention précitée : « 19. Dans la mesure où le moyen unique de la requête en suspension d’extrême urgence, en mesures provisoires et en annulation invoque encore une fois que l’exploitation de la carrière de sable ne saurait se poursuivre après la prononciation de l’arrêt d’annulation précité concernant le permis d’environnement octroyé en degré d’appel, nonobstant le droit subjectif à la poursuite de l’exploitation sous l’empire du permis d’environnement octroyé en première instance, dans l’attente d’une nouvelle appréciation en degré d’appel par l’autorité chargée de la délivrance des permis, votre Conseil est à nouveau invité à statuer sur le sort de cette exploitation après l’arrêt d’annulation » et, à la page 15 : « 22. Il s’agit, en l’occurrence, de mesures qui touchent aux droits subjectifs expressément invoqués par [la demanderesse] et directement liés au bénéfice légal de poursuivre l’exploitation dans l’attente d’un réexamen de la demande de permis d’environnement en degré d’appel. […] En réclamant ces mesures, [la première défenderesse] tente, en effet, de s’opposer à l’exploitation, alors que [la demanderesse] a le droit de poursuivre cette exploitation sous le couvert du permis d’environnement délivré en première instance, contre lequel le recours administratif a été rouvert par le simple fait de l’annulation du permis d’environnement délivré en degré d’appel. »
3. Il s’ensuit que l’arrêt attaqué, en décidant à la page 17 qu’« il est possible de faire droit à la demande de mise à l’arrêt immédiate de l’exploitation et de l’utilisation des installations et bâtiments présents », en réalité, tranche un litige civil, qui est du ressort exclusif des cours et tribunaux, dès lors qu’il concerne le droit subjectif de la demanderesse de poursuivre sans entraves son exploitation, après l’annulation par le Conseil d’État de la décision entreprise du ministre flamand, en vertu du permis d’environnement délivré le 19 novembre 2009 par la députation permanente, dans l’attente d’une décision définitive, c’est-à-dire une décision définitive de refus ou une décision d’autorisation résistant au contrôle de légalité, et rejette illégalement le déclinatoire de compétence élevé sur ce point par la demanderesse (violation de toutes les dispositions légales citées).
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. En vertu de l’article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, la section du contentieux administratif du Conseil d’État statue par voie d’arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives.
L’article 17, § 1er, de ces lois dispose que la section du contentieux administratif est seule compétente pour ordonner par arrêt, les parties entendues ou dûment appelées, la suspension de l’exécution d’un acte ou d’un règlement susceptible d’être annulé en vertu de l’article 14, §§ 1er et 3, et pour ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire.
La compétence du Conseil d’État est déterminée par l’objet véritable et direct du recours en annulation ou de la demande de suspension.
Suivant les articles 144 et 145 de la Constitution coordonnée, le Conseil d’État est sans juridiction lorsque la demande tend à l’annulation ou à la suspension d’un acte juridique administratif par lequel une autorité administrative refuse d’exécuter une obligation qui correspond à un droit subjectif du requérant, et que le moyen d’annulation ou le moyen de suspension invoqué se fonde sur une règle de droit matériel qui crée cette obligation et détermine le fond de la contestation.
2. L’arrêt constate que la demande émanant de la première défenderesse tend à la suspension de l’exécution en extrême urgence de l’arrêté du ministre flamand de l’Environnement, de la Nature et de l’Agriculture du 16 décembre 2016 qui déclare partiellement fondé le recours formé par la demanderesse contre la décision du contrôleur de la division Inspection de l’environnement du 5 octobre 2016 imposant une mesure administrative à la demanderesse et qui réforme la mesure administrative, mais vise également l’imposition de mesures provisoires.
L’arrêt considère que :
- la demande de suspension et la requête en mesures provisoires, accessoires du recours en annulation, sont dirigées contre un acte exécutoire de l’autorité administrative, qui en est l’objet véritable et direct ;
- conformément à l’article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, elles relèvent de la juridiction du Conseil d’État et que la circonstance que l’annulation ou, à titre provisoire, le référé limite le droit subjectif de la demanderesse n’y fait pas obstacle.
Il enjoint à titre de mesure provisoire, à la seconde défenderesse, dans les 24 heures suivant la notification de l’arrêt et jusqu’à la date à laquelle la décision de la seconde défenderesse concernant la demande de permis d’environnement aura été portée à la connaissance de toutes les parties :
- de faire cesser immédiatement tous travaux, actes et activités dans la carrière de sable située à Neerijse, Ganzemanstraat, s/n ;
- de ne plus laisser utiliser tous les bâtiments, installations, machines, engins, moyens de transport, conteneurs, terrains et tout ce qui s’y trouve en surface et en sous-sol, présents dans la carrière de sable située à Neerijse, Ganzemanstraat, s/n ;
- sous peine d’une astreinte d’un montant de 15.000 euros par jour lorsqu’il est constaté par un huissier de justice que la seconde défenderesse omet d’imposer ces mesures ou omet d’agir contre les infractions à ces mesures.
3. L’objet véritable et direct de la demande de suspension tendait ainsi à la suspension de l’exécution de l’arrêté du ministre flamand de l’Environnement, de la Nature et de l’Agriculture du 14 décembre 2016 et non à l’annulation ou à la suspension d’un acte juridique administratif par lequel une autorité administrative refuse d’exécuter une obligation qui correspond à un droit subjectif du requérant.
La circonstance que la décision rendue sur la suspension et la requête en mesures provisoires requiert que le Conseil d’État statue également sur l’existence et l’étendue du droit de la demanderesse de se prévaloir d’une autorisation octroyée par la députation permanente ne fait pas obstacle au pouvoir juridictionnel du Conseil d’État.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
siégeant en chambres réunies,
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambres réunies, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Beatrijs Deconinck, président, le président chevalier Jean de Codt, les présidents de section Christian Storck, Koen Mestdagh, Geert Jocqué et Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Bart Wylleman, Marie-Claire Ernotte, Koenraad Moens et Ilse Couwenberg, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt par le premier président Beatrijs Deconinck, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier-chef de service Johan Pafenols.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Mireille Delange et transcrite avec l’assistance du greffier-chef de service Johan Pafenols.