N° C.17.0010.N
E. DE KOCK, s.a.,
demanderesse en cassation,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. T. D.,
défendeur,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
2. RÉGION FLAMANDE, représentée par le gouvernement flamand, en la personne du ministre-président,
défenderesse, à tout le moins partie appelée en déclaration d’arrêt commun,
Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 8 décembre 2019 par le Conseil d’État, section du contentieux administratif.
Le 17 juillet 2020, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Koen Mestdagh a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 13, 144 (tant avant qu’après sa modification le 6 janvier 2014) et 145 de la Constitution ;
- articles 7, 14, § 1er, 1°, 33 et 35/1 des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973 ;
- article 556 du Code judiciaire ;
- articles 23 et 24, § 3, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 relatif à l’autorisation antipollution ;
- article 39, § 3, de l’arrêté de l’Exécutif flamand du 6 février 1991 fixant le règlement flamand relatif à l’autorisation écologique, ci-après « Vlarem I » ;
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué :
1. [...] annule l’arrêté de [la défenderesse] du 15 octobre 2015 déclarant partiellement recevables les recours introduits contre la décision de la Députation de la province du Brabant flamand du 19 novembre 2009 octroyant à [la demanderesse] le permis d’environnement pour la poursuite de l’exploitation et la transformation d’une carrière de sable sise à Neerijse, Ganzemanstraat, et réformant la décision entreprise ;
2. [...] ordonne [à la défenderesse] de prendre, dans les cinq mois de la notification de cet arrêt d’annulation, une nouvelle décision sur les recours introduits contre la décision de la Députation de la province du Brabant flamand du 19 novembre 2009, octroyant à [la demanderesse] le permis d’environnement pour la poursuite de l’exploitation et la transformation d’une carrière de sable sise à Neerijse, Ganzemanstraat ;
3. [...] rejette la requête visant à imposer une astreinte ;
4. [...] » ;
sur la base des motifs énoncés aux pages 31 à 37 :
« VIII Demande de précisions
Position de la partie requérante
19. [Le défendeur] demande que le Conseil d’État précise à [la défenderesse] « [que] cette suspension emporte obligatoirement la mise à l’arrêt de l’exploitation de la carrière de sable au motif que l’exploitant ne dispose plus d’un permis d’environnement valable ».
Dans son dernier mémoire, il demande de « préciser » un certain nombre d’autres points.
20. La [défenderesse] indique qu’il n’est pas nécessaire de donner suite à cette demande. Elle a, selon ses propres termes, donné un « parfait aperçu » des faits et, à nouveau selon ses propres termes, « comprend parfaitement » le droit. Elle dit ne pas avoir besoin d’autres précisions.
21. [La demanderesse] présente une argumentation libellée dans les termes suivants :
« 38. [Le défendeur] tente [...], sous le couvert d’une demande de précisions, de débattre des effets juridiques qu’entraînerait une suspension de la décision entreprise sur le permis octroyé en première instance le 19 novembre 2009 par la députation de la province du Brabant flamand.
39. À l’occasion de la précédente procédure, votre Conseil a constaté à juste titre qu’il n’est pas compétent pour connaître d’une décision rendue en première instance administrative.
Conformément au décret du Conseil flamand du 28 juin 1985, un recours administratif est ouvert contre la décision de la députation sur une demande de permis d’environnement de classe 1 auprès du ministre de l’Environnement. Il découle ipso facto de l’existence d’une telle voie de recours administratif que la décision de la députation ne peut être directement attaquée devant votre Conseil.
40. Votre Conseil ne peut davantage statuer indirectement (sous le prétexte d’une demande de précisions) sur la validité ou le caractère exécutoire du permis délivré le 19 novembre 2009 après une annulation éventuelle de la décision attaquée. Ce débat porte, en effet, sur l’existence de droits subjectifs, qui relève de la compétence des cours et tribunaux. Dans le cadre de la procédure en référé menée par ces parties, le président du tribunal de première instance de Louvain a estimé, en tout cas, que l’exploitation pouvait être poursuivie [...]. [Le défendeur] n’a pas fait appel de cette ordonnance.
41. Il y a lieu de constater incidemment que, dans l’attente d’une nouvelle décision, [la demanderesse] a effectivement le droit de poursuivre son exploitation en vertu du permis d’environnement qui lui a été octroyé en première instance administrative le 19 novembre 2009 par la députation de la province du Brabant flamand.
La décision précitée du 19 novembre 2009 emportait pour [la demanderesse] l’autorisation de procéder, sous conditions, à l’exploitation de la carrière de sable.
Conformément à l’article 23, § 2, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985, un recours contre une telle autorisation peut être introduit auprès du gouvernement flamand qui statuera dans un délai, un délai d’ordre de cinq mois après la réception de la requête. Le recours introduit auprès du ministre a un effet dévolutif, ce qui implique qu’une fois le recours introduit, le dossier est porté devant le ministre qui doit prendre une nouvelle décision d’autorisation.
L’article 24, § 3, de ce décret dispose en outre : « Le recours visé à l’article 23 ne suspend pas la décision sauf s’il est exercé par le gouverneur, le collège des bourgmestre et échevins ou le fonctionnaire dirigeant d’un organisme public consultatif ou, en son absence, son mandataire. »
L’article 14 du décret du 19 mai 2006 (M.B., 20 juin 2006) a ajouté à cette disposition un deuxième alinéa, rédigé comme suit : « Lorsque le recours est formé par le gouverneur, le collège des bourgmestre et échevins ou par des organes publics consultatifs, la décision est suspendue à partir de la notification à l’exploitant de la déclaration de recevabilité du recours pendant un délai d’au maximum 150 jours civils ».
Cet ajout est commenté comme suit dans l’exposé des motifs (Doc. Parl. fl., 2005-2006, 745/1, pp. 8 et 9) :
« L’article 23 du décret du 28 juin 1985 relatif à l’autorisation antipollution dispose qu’un recours est ouvert contre toute décision relative aux demandes d’autorisation rendue en première instance respectivement par le collège des bourgmestre et échevins et la députation permanente du conseil provincial.
L’article 24, § 3, du même décret règle l’effet suspensif de recours introduits contre des décisions relatives à des demandes de permis d’environnement rendues en première instance. Il prévoit que la décision est suspendue (uniquement) lorsque le recours est exercé par le gouverneur, le collège des bourgmestre et échevins ou les organes publics consultatifs.
L’expérience acquise depuis lors dans l’application de ces dispositions montre que celles-ci conduisent parfois à des situations juridiquement inextricables qui entraînent l’insécurité juridique la plus complète. Ces situations résultent principalement de la suspension ou de l’annulation par le Conseil d’État de décisions portant sur des recours exercés contre des décisions prononcées en première instance.
En pareilles occurrences, il faut en effet se demander dans quelle mesure et de quelle manière la décision prononcée en première instance, qui a fait l’objet d’un recours suspensif, est à nouveau exécutoire dans l’attente d’une nouvelle décision sur le recours. À titre illustratif : certains juristes estiment que la décision prononcée en première instance ressuscite avec l’effet suspensif du recours suspensif, alors que pour d’autres, elle est rétablie sans cet effet suspensif.
Le présent projet de décret vise à exclure la possibilité que naissent des situations d’insécurité juridique lors de l’application des dispositions de l’article 24, § 3, du décret du 28 juin 1985 relatif à l’autorisation antipollution en limitant dans le temps le caractère suspensif de ces recours à un maximum de 150 jours civils, soit le délai de recours non prolongé pour les établissements de première classe ou le délai de recours prolongé pour les établissements de deuxième classe.
Ce délai prend cours au moment de la notification à l’exploitant de la déclaration de recevabilité du recours, à savoir, plus concrètement, le jour de la réception par l’exploitant de la déclaration de recevabilité du recours. En tout état de cause, l’effet suspensif du recours ne se prolonge jamais au-delà du jour de l’adoption de la décision en appel.
Il ne faudrait donc pas non plus qu’une suspension ou une annulation de la décision d’appel par le Conseil d’État ressuscite l’effet suspensif du recours administratif et fasse obstacle à une exploitation provisoire en vertu du permis obtenu en première instance ». […]
Par conséquent, le pouvoir décrétal a expressément fait le choix – pour des raisons évidentes de nécessité d’exploitation et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu – de n’attribuer que dans des cas déterminés un effet suspensif aux recours administratifs exercés en matière de permis d’environnement et, en outre, d’en limiter en tout cas l’effet suspensif dans le temps.
Pour autant qu’un recours soit dénué d’effet suspensif ou dans la mesure où l’effet suspensif a pris fin de plein droit (après l’expiration du délai normal et non contraignant de traitement du recours), l’exploitation de l’entreprise peut commencer sur la base du permis d’exploitation délivré en première instance.
Il en va de même lorsque la décision d’appel, pour quelque raison que ce soit, cesse d’exister. Ainsi, il a été admis dans les jurisprudence et doctrine passées que le permis d’environnement délivré en première instance ressuscite lorsque la décision d’appel est annulée par le Conseil d’État (...).
À ce sujet, le Conseil d’État a déjà clairement jugé ‘qu’il n’est pas davantage nécessaire d’accéder à la demande de la partie intervenante de procéder à une mise en balance des intérêts concernant les conséquences d’une suspension sur l’emploi, puisque cette partie – comme décrit précédemment – affirme elle-même qu’une suspension la replacerait dans le statu quo ante, à savoir celui du permis délivré par la députation permanente’.
La doctrine considère dès lors cette jurisprudence du Conseil d’État comme une étant confirmation de ce qu’une décision prononcée en première instance administrative se voit ressuscitée après un arrêt de suspension [...].
À titre complémentaire, il est également utile de relever ce qui suit. Dans trois arrêts, le Conseil d’État a estimé que la requête tendant à suspendre « pour autant que de besoin » la décision prononcée en première instance ne pouvait être examinée eu égard à l’effet dévolutif du recours administratif.
[...]
Dans ces arrêts, le Conseil d’État avait déjà indiqué : ‘« qu’en raison du caractère dévolutif du recours administratif, la décision du ministre flamand s’est en effet entièrement substituée à celle de la députation permanente, de sorte que cette dernière décision ne produit plus d’effets juridiques».
Référence peut, en outre, être faite à l’arrêt du Conseil d’État du 12 novembre 1992 en cause de la société anonyme Syndicaat Machiensteen (n° 41.055), dans lequel le Conseil a considéré que :
« C’est en vain qu’il serait soulevé qu’en présence d’une simple suspension de l’arrêté ministériel concerné, l’injonction de mise à l’arrêt (prononcée en première instance) pourrait être mise à exécution, dès lors que le recours introduit à cet égard est dénué d’effet suspensif ; qu’en effet, la suspension de l’arrêté ministériel concerné n’affecte pas l’existence de cet arrêté qui s’est substitué à l’injonction de mise à l’arrêt ».
Dans l’arrêt De Koninck, le Conseil d’État a considéré que la décision prononcée en première instance ressuscite après la suspension de l’exécution de la décision en appel. On peut y lire que, selon la partie défenderesse, la partie requérante ne subissait, entre autres, pas de préjudice grave difficilement réparable parce que la suspension éventuelle du refus en appel ne donnait pas le droit à la requérante d’exploiter l’établissement prévu et que, par conséquent, la suspension de l’exécution ne permettait pas d’éviter le préjudice. À cet égard, le Conseil a énoncé textuellement que « contrairement à ce que prétend la partie défenderesse, la suspension de la décision attaquée rend sa force exécutoire à la décision d’autorisation délivrée par la députation permanente » (C.E. n° 38.506, 12 janvier 1992, De Koninck).
Le Conseil a ainsi considéré sans contestation possible que la décision rendue en première instance sort à nouveau tous ses effets juridiques après la suspension de l’exécution de la décision en appel.
42. Il ne s’agit là, du reste, que d’une application normale des règles relatives à l’effet dévolutif d’un recours administratif.
Selon la doctrine classique du droit administratif, la juridiction supérieure se substitue à la juridiction inférieure lorsque la première apprécie une cause en degré d’appel. Elle apprécie l’opportunité et la légalité [...]. Sa décision d’appel absorbe, pour ainsi dire, la première décision. La première décision disparaît de l’ordre juridique.
Le fait qu’une décision rendue dans le cadre d’un recours administratif comprenne différentes composantes fournit le principal argument appuyant la thèse selon laquelle, après l’annulation ou la suspension d’une telle décision, la décision qui avait été rendue en première instance administrative acquiert à nouveau tous ses effets juridiques, avec le recours dont elle a fait l’objet. Dans l’hypothèse où le recours est recevable, une décision en appel comporte explicitement ou implicitement trois composantes [...]. La déclaration de recevabilité du recours en constitue la première. En deuxième lieu, la décision comporte l’annulation de la décision rendue en première instance administrative.
Enfin, il y a la décision en appel elle-même (le refus, l’octroi ou la modification du permis d’environnement).
Lorsque le Conseil procède à l’annulation ou à la suspension de l’exécution d’une décision entreprise, il suspend à la fois la déclaration de recevabilité, le retrait de la première décision ainsi que la décision en appel proprement dite.
Si la décision de retrait ne peut plus être exécutée, l’« absorption » de la première décision est gelée, ce qui restitue à la première décision tous ses effets juridiques. En effet, la décision ayant entraîné la disparition de la première décision de l’ordre juridique ne peut plus être exécutée, n’a elle-même plus d’effets juridiques et ne peut, en aucune façon, avoir une incidence sur l’ordonnancement juridique [...].
43. Il s’ensuit dès lors qu’à la suite de l’annulation de la décision d’appel du ministre (ex impossibile), [la demanderesse] peut toujours faire valoir le permis d’environnement délivré le 19 novembre 2009 par la députation et poursuivre sans entraves son exploitation en vertu de ce permis. Cela, bien entendu, dans l’attente d’une décision définitive du ministre, c’est-à-dire une décision de refus définitive ou une décision d’autorisation qui résiste au contrôle de légalité.
44. Dans son arrêt du 14 novembre 2013, votre Conseil n’a donc pas statué sur la question de savoir si [la demanderesse] peut poursuivre l’exploitation à titre provisoire – dans l’attente de la nouvelle décision du ministre – sur la base du permis d’environnement octroyé en première instance par la Députation de la province du Brabant flamand. Seule l’analyse des règles du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 permet de répondre à cette question. Il a été expliqué précédemment à ce sujet que le pouvoir décrétal a expressément fait le choix de limiter dans le temps l’« effet suspensif » des recours. Il s’ensuit logiquement qu’à l’expiration de la « période de suspension », l’exploitation peut avoir lieu en vertu du permis d’environnement délivré en première instance.
[La défenderesse] ne dispose donc pas de la moindre liberté d’action pour procéder ou non à la mise à l’arrêt de l’exploitation de [la demanderesse] puisque [la demanderesse] possède un droit subjectif à l’exploitation qui trouve son fondement dans les articles 24, § 3, alinéa 2, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 (limitation dans le temps de l’effet suspensif du recours administratif) et 39, § 3, du Vlarem I (possibilité de poursuite de l’exploitation dans l’attente de la décision d’autorisation définitive). [La demanderesse] peut poursuivre son exploitation, bien évidemment dans l’hypothèse où la législation en vigueur est respectée (ce qui est le cas) et que les conditions du permis octroyé le 19 novembre 2009 par la députation de la province du Brabant flamand soient observées (ce qui est également le cas). Les compétences de l’administration et des services de contrôle sont liées à cet égard.
La question du droit d’exploitation du demandeur et titulaire du permis étant un droit subjectif au regard des dispositions précitées, le Conseil d’État est sans juridiction concernant cette matière. En effet, le pouvoir juridictionnel du Conseil d’État ne s’étend qu’au « contentieux objectif », qui porte sur la légalité d’actes unilatéraux émanant d’autorités administratives qui les ont posés dans le cadre de leurs pouvoirs discrétionnaires. Le Conseil d’État est sans juridiction en ce qui concerne les actes posés par des autorités administratives dans le cadre de leurs compétences liées (…).
45. Dans ce dossier, il convient en outre de tenir compte du fait que la demande implique le renouvellement du permis RGPT en cours, parallèlement à l’extension de l’exploitation et à l’ajout de nouvelles parcelles.
Le permis RGPT délivré le 4 septembre 1980 pour l’exploitation de la carrière Poels aurait, conformément à l’article 44, alors en vigueur, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 relatif à l’autorisation antipollution, expiré au 1er septembre 2011, de sorte que, suivant la disposition précitée, le renouvellement du permis en cours pouvait être demandé. Le permis en cours ayant fait l’objet d’une demande de renouvellement en temps utile, l’exploitation peut être poursuivie jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise sur la demande (art. 39, § 3, Vlarem I). Tant que la demande de permis d’environnement de la partie intervenante est en cours de traitement, une mise à l’arrêt n’a donc pas lieu d’être’.
Appréciation
22. [La défenderesse], qui, selon ses propres termes, « connaît parfaitement le droit » n’est pas sans savoir que la décision prise après un recours administratif organisé se substitue, en raison de l’effet dévolutif de ce recours, à la décision rendue en première instance. Cette dernière disparaît donc de l’ordre juridique, ne sort plus d’effets juridiques et est réputée n’avoir jamais existé.
Afin de parfaire la compréhension du droit [de la défenderesse] – mais également celle de [la demanderesse], il est opportun de rappeler que l’annulation par le Conseil d’État du permis d’environnement octroyé après un recours administratif ne ressuscite pas la décision d’autorisation prononcée en première instance.
Dans la cause inscrite sous le numéro de rôle 213.261, fixée le même jour que la présente cause, l’avocat de [la défenderesse] déclarait à l’audience que la position de la Région flamande en la matière avait changé et qu’elle avait ordonné la mise à l’arrêt de l’exploitation le 5 octobre 2016.
Pour le surplus, la [défenderesse], qui prétend bien connaître les faits et le droit, pourra déduire sans peine des divers arrêts rendus dans cette affaire la manière dont il lui faudra fournir la réparation en droit ».
Griefs
1. En vertu de l’article 14, § 1er, 1°, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, dans la version applicable au litige, la section du contentieux administratif du Conseil d’État statue par voie d’arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives.
La compétence du Conseil d’État est déterminée par l’objet direct et véritable du recours en annulation.
Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont, en vertu de l’article 144, alinéa 1er, de la Constitution, exclusivement du ressort des tribunaux.
Par conséquent, les précisions que le Conseil d’État fournirait dans son arrêt d’annulation et dont l’objet direct et véritable réside dans la question de savoir si une partie dispose d’un droit subjectif ou le conserve après l’annulation prononcée ne relèvent en aucun cas de sa compétence.
La circonstance que l’article 35/1 des lois sur le Conseil d’État offre expressément la possibilité, à la demande d’une des parties au plus tard dans le dernier mémoire, que soient précisés dans les motifs de l’arrêt d’annulation les mesures à prendre pour remédier à l’illégalité ayant conduit à cette annulation n’affecte donc en rien la compétence exclusive des cours et tribunaux quant aux contestations ayant pour objet des droits civils.
Dès lors, ces précisions éventuelles ne peuvent comprendre que les explications nécessaires sur la portée de l’autorité de chose jugée afin d’indiquer à l’autorité administrative de quelle manière il convient de remédier aux irrégularités ayant conduit à l’annulation.
Cette faculté accordée au Conseil d’État ne l’autorise donc nullement à statuer sur les effets civils de ses décisions et sort ainsi également du cadre de l’article 144, alinéa 2, de la Constitution coordonnée.
2. A la suite de la « demande de précisions » du premier défendeur, dans laquelle celui-ci invite le Conseil d’État à préciser les effets juridiques qu’entraînerait une suspension/annulation de la décision entreprise à l’égard du permis octroyé en première instance le 19 novembre 2019 par la députation de la province du Brabant flamand, la demanderesse a soulevé un déclinatoire de compétence, non seulement s’agissant de la demande de suspension, mais aussi concernant la demande d’annulation, respectivement aux points 74 à 82 et 86 de sa « requête en intervention dans la procédure de suspension en extrême urgence et la procédure d’annulation ».
La demanderesse faisait encore valoir ce déclinatoire de compétence aux points 38 à 45 de son « mémoire ampliatif » dont le texte est repris au point 21 (pages 31 à 36) de l’arrêt attaqué et aux points 24 à 26 de son « dernier mémoire assorti d’une requête en continuation ».
En résumé, la demanderesse soutenait que le Conseil d’État est sans juridiction pour statuer sur le droit subjectif dont elle dispose et qui résulte du permis d’environnement octroyé en première instance le 19 novembre 2009, dès lors que ce permis d’environnement se voit ressuscité ensuite de l’annulation de toutes les décisions du ministre flamand compétent qui, à chaque fois, ont déclaré non fondé le recours exercé par le premier défendeur contre l’octroi de ce permis.
L’article 39, § 3, du Vlarem I dispose en effet : « Par dérogation à l’article 5, l’exploitation d’un établissement qui fait l’objet d’une demande d’autorisation visée au § 1er peut être continuée jusqu’à ce qu’une décision définitive, tacite ou non, soit prise sur la demande introduite dans le délai visé au § 1er ».
Les articles 23 et 24 du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 prévoient que les recours formés contre les décisions relatives aux demandes de permis d’environnement n’ont pas d’effet suspensif, sauf dans les cas contraires expressément prévus. En l’espèce, seuls ont été formés des recours dénués d’effet suspensif, de sorte que la cause et les parties, après l’annulation prononcée par le Conseil d’État, sont replacées dans la situation précédant l’annulation, à savoir celle créée par le permis d’environnement octroyé en première instance par la députation permanente qui confère le droit de poursuivre l’exploitation conformément aux conditions qui y sont fixées.
La demanderesse le précisait dans les termes suivants : « 43. Il s’ensuit, dès lors, qu’à la suite de l’annulation de la décision d’appel du ministre (ex impossibile), (la demanderesse) peut toujours faire valoir le permis d’environnement délivré le 19 novembre 2009 par la députation et poursuivre sans entraves son exploitation en vertu de ce permis. Cela, bien entendu, dans l’attente d’une décision définitive du ministre, c’est-à-dire une décision de refus définitive ou une décision d’autorisation qui résiste au contrôle de légalité. 44. […] [La défenderesse] ne dispose donc pas de la moindre liberté d’action pour procéder ou non à la mise à l’arrêt de l’exploitation de la partie intervenante puisque la partie intervenante dispose d’un droit subjectif à l’exploitation qui trouve son fondement dans les articles 24, § 3, alinéa 2, du décret du Conseil flamand du 28 juin 1985 (limitation dans le temps de l’effet suspensif du recours administratif) et 39, § 3, du Vlarem I (possibilité de poursuite de l’exploitation dans l’attente de la décision d’autorisation définitive).
[La demanderesse] peut poursuivre son exploitation, bien évidemment dans l’hypothèse où la législation en vigueur est respectée (ce qui est le cas) et que les conditions du permis octroyé le 19 novembre 2009 par la députation de la province du Brabant flamand soient observées (ce qui est également le cas). Les compétences de l’administration et des services de contrôle sont liées à cet égard.
La question du droit d’exploitation du demandeur et titulaire du permis étant un droit subjectif au regard des dispositions précitées, le Conseil d’État est sans juridiction concernant cette matière. […]».
3. Il s’ensuit qu’en décidant que l’annulation prononcée « ne ressuscite pas » la décision précitée de la Députation permanente du 19 novembre 2009, l’arrêt attaqué a en réalité tranché un litige civil dont seuls les cours et tribunaux peuvent être saisis, dès lors qu’il concerne le droit subjectif de la demanderesse de poursuivre sans entraves son exploitation, après l’annulation de la décision entreprise du ministre flamand par l’arrêt attaqué, en vertu du permis d’environnement octroyé par la Députation permanente le 19 novembre 2009, dans l’attente d’une décision définitive, c’est-à-dire une décision définitive de refus ou une décision d’autorisation résistant au contrôle de légalité, et a ainsi rejeté illégalement le déclinatoire de compétence élevé sur ce point par la demanderesse (violation de toutes les dispositions légales citées).
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. En vertu des articles 609, 2°, du Code judiciaire et 33, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, peuvent être déférés à la Cour de cassation les arrêts par lesquels la section du contentieux administratif décide de ne pouvoir connaître de la demande par le motif que la connaissance de celle-ci rentre dans les attributions des autorités judiciaires, ainsi que les arrêts par lesquels la section rejette un déclinatoire de compétence fondé sur le motif que la demande relève des attributions de ces autorités.
Il s’ensuit que les arrêts rendus par la section du contentieux administratif du Conseil d’État statuant sur la compétence ou l’incompétence de ladite section ne peuvent être contestés devant la Cour de cassation que lorsqu’il se présente un conflit d’attribution entre le Conseil d’État et l’autorité judiciaire, et que la Cour doit ainsi remplir sa mission de régulation en ce qui concerne les compétences respectives de l’ordre judiciaire et du Conseil d’État.
2. En vertu de l’article 35/1 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, figurant au Chapitre III « De l’exécution des arrêts et de l’astreinte », la section du contentieux administratif précise, à la demande d’une des parties au plus tard dans le dernier mémoire, dans les motifs de son arrêt d’annulation, les mesures à prendre pour remédier à l’illégalité ayant conduit à cette annulation.
Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition légale que, lorsqu’il est prévisible qu’un arrêt d’annulation posera des difficultés d’exécution voire d’interprétation en raison de la complexité de l’affaire, les parties peuvent demander au Conseil d’État de donner, dans le même arrêt, des précisions visant à faciliter son exécution, et que le Conseil d’État est autorisé, sur la base de cette disposition légale, à donner, au moyen de précisions, les explications nécessaires sur la portée de l’autorité de chose jugée pour remédier aux irrégularités ayant conduit à l’annulation.
Les précisions ne sont pas des condamnations et ne sont énoncées que dans les motifs de l’arrêt d’annulation, et donc pas au dispositif. Dès lors qu’elles ne sont pas davantage nécessaires pour fonder l’annulation, elles ne participent pas à l’autorité de chose jugée de l’arrêt d’annulation. En conséquence, elles ne sont pas contraignantes à l’égard du juge civil qui, après l’annulation, sera éventuellement appelé à statuer sur la réparation complémentaire à fournir.
3. Le pourvoi, qui est dirigé contre les motifs d’un arrêt d’annulation du Conseil d’État, section du contentieux administratif, dans lequel celui-ci fournit, conformément à l’article 35/1 des lois coordonnées sur le Conseil d’État, des précisions concernant les mesures à prendre pour remédier à l’illégalité ayant conduit à l’annulation, ne concerne pas un conflit d’attribution.
Le pourvoi est, dès lors, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
siégeant en chambres réunies,
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambres réunies, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Beatrijs Deconinck, président, le président chevalier Jean de Codt, les présidents de section Christian Storck, Koen Mestdagh, Geert Jocqué et Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal, Bart Wylleman, Marie-Claire Ernotte, Koenraad Moens et Ilse Couwenberg, et prononcé en audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt par le premier président Beatrijs Deconinck, en présence du premier avocat général Ria Mortier, avec l’assistance du greffier-chef de service Johan Pafenols.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Mireille Delange et transcrite avec l’assistance du greffier-chef de service Johan Pafenols.