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15/06/2020 | BELGIQUE | N°S.19.0041.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 juin 2020, S.19.0041.N


N° S.19.0041.N
SCHOLENGROEP ASSE-WEMMEL-HALLE, organisme public doté de la personnalité juridique,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
H. S.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 15 janvier 2019 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Antoine Lievens a fait rapport.
L’avocat général Henri Vanderlinden a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en c

opie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le ...

N° S.19.0041.N
SCHOLENGROEP ASSE-WEMMEL-HALLE, organisme public doté de la personnalité juridique,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
H. S.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 15 janvier 2019 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Antoine Lievens a fait rapport.
L’avocat général Henri Vanderlinden a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
1. En vertu de l’article 32tredecies, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, l’employeur ne peut pas mettre fin à la relation de travail des travailleurs visés au § 1er/1, ni prendre une mesure préjudiciable après la cessation des relations de travail à l’égard de ces mêmes travailleurs, sauf pour des motifs étrangers à la demande d’intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail, à la plainte, à l’action en justice ou au témoignage.
L’article 32tredecies, § 1er, alinéa 2, première phrase, de cette loi précise qu’en outre, pendant l’existence des relations de travail, l’employeur ne peut, vis-à-vis de ces mêmes travailleurs, prendre une mesure préjudiciable qui est liée à la demande d’intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail, à la plainte, à l’action en justice ou au témoignage.
Suivant l’article 32tredecies, § 1er/1, 1°, de la même loi, bénéficie de la protection du premier paragraphe le travailleur qui a introduit une demande d’intervention psychosociale formelle pour faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au travail au niveau de l’entreprise ou de l’institution qui l’occupe, selon les procédures en vigueur.
L’article 32tredecies, § 2, alinéa 1er, prévoit que la charge de la preuve des motifs et des justifications visés au premier paragraphe incombe à l’employeur lorsque la rupture de la relation de travail ou les mesures interviennent dans les douze mois qui suivent le dépôt de la demande d’intervention, le dépôt d’une plainte ou la déposition d’un témoignage.
2. Les dispositions légales précitées, qui interdisent à l’employeur de mettre fin à la relation de travail avec le travailleur ou de prendre à son égard une mesure préjudiciable en raison de l’introduction d’une demande d’intervention psychosociale formelle, n’excluent pas que le licenciement ou la mesure préjudiciable puisse se justifier par des motifs déduits de faits qualifiés de harcèlement moral dans la demande d’intervention.
3. Les juges d’appel ont constaté que :
- après le licenciement avec effet immédiat du directeur financier par le défendeur le 25 juin 2015, une quinzaine de directeurs ont, le 2 juillet 2015, adressé au conseil d’administration une « motion de défiance » critiquant le style de direction du défendeur ;
- les objections des directeurs ainsi préoccupés ont été discutées en septembre 2015 à l’occasion de différentes réunions avec le conseil d’administration, dont le président a ensuite confirmé, par courrier du 6 octobre 2015, qu’il maintenait sa confiance au défendeur, tout en l’invitant à adapter son style de communication et à faire preuve de l’empathie nécessaire et de discrétion ;
- lors d’une réunion du collège de directeurs, le défendeur a affirmé que le conseil d’administration considérait ainsi que le dossier était clos et que celui qui n’était pas d’accord n’avait qu’à aller chercher du travail ailleurs ;
- à l’assemblée générale annuelle du groupe scolaire, qui s’est tenue le 19 octobre 2015, le budget 2015 n’a pas été approuvé, la discussion de la « motion de défiance à l’égard du directeur général », souhaitée par les directeurs concernés, a été refusée car ce point n’avait pas été préalablement inscrit à l’ordre du jour et, à l’issue de cette assemblée, un certain nombre de participants se sont plaints de son déroulement ;
- le 24 octobre 2015, le défendeur a introduit auprès du conseiller en prévention aspects psychosociaux une demande d’intervention psychosociale formelle pour harcèlement moral contre six des directeurs ayant exprimé des préoccupations, dans laquelle il donnait une vue d’ensemble des incidents survenus entre le dépôt de la motion de défiance le 2 juillet 2015 et l’assemblée générale du 19 octobre 2015 ;
- plusieurs assemblées générales ont eu lieu par la suite, lors desquelles il a été tenté à chaque fois d’inscrire le licenciement du directeur général à l’ordre du jour, ces tentatives s’étant révélées infructueuses pour diverses raisons :
- dans son rapport, le conseiller externe en prévention a décrit la situation qui régnait alors comme la transformation d’un conflit en un hyperconflit dans lequel les opposants s’affrontent à tout-va ;
- lors d’un conseil d’administration informel tenu le 9 décembre 2015, une solution a été débattue avec le défendeur, mais les membres du conseil ont refusé d’envisager les modalités de départ proposées, parce que le défendeur ne voulait pas démissionner avant l’assemblée générale ;
- le 24 décembre 2015, le conseil d’administration a décidé de démettre le défendeur de son mandat de directeur général pour diverses raisons, parmi lesquelles les demandes répétées en ce sens exprimées par les assemblées générales et le déroulement de ces assemblées, le rapport du collège de directeurs du 13 octobre 2015 et la déclaration du défendeur quant à la décision du conseil d’administration du 24 septembre 2015, le courrier de l’administrateur délégué de l’organisme public GO! du 14 décembre 2015 faisant état des courriels envoyés par le défendeur et les réactions de désespoir de parents, membres du personnel et directions relayées à l’occasion de l’assemblée générale du 10 décembre 2015, révélatrices de la perte de confiance.
Ils ont considéré que la preuve n’a pas été rapportée que la résiliation du mandat de directeur général est sans lien avec la demande d’intervention formelle aux motifs que :
- la protection n’est pas liée au fondement de la demande, mais au dépôt de la demande auprès du conseiller externe en prévention ;
- le législateur a également voulu protéger le travailleur, pendant la durée de l’examen des plaintes, à l’égard de mesures qui feraient suite aux faits mentionnés dans la plainte et prolongeraient ainsi le harcèlement moral dénoncé ;
- en ce sens, le juge doit vérifier si la mesure préjudiciable est liée aux griefs énoncés dans la demande d’intervention formelle déposée ; il ne doit pas, toutefois, examiner le fondement des griefs mais le lien existant entre la mesure préjudiciable et les griefs élevés à juste titre ou non, tels qu’ils découlent du dépôt de la plainte ;
- la charge de la preuve quant à l’absence de ce lien incombe à l’employeur ;
- il n’est pas contesté qu’une période inférieure à douze mois s’est écoulée entre la demande et la mesure préjudiciable ;
- la décision du 24 décembre 2015 récapitule tous les points de discussion relatifs à l’hyperconflit pour motiver le retrait du mandat, mais se concentre exclusivement sur la part de responsabilité du défendeur à cet égard, alors que le conflit était dû tout autant à l’attitude du groupe entourant les directeurs soi-disant préoccupés, de sorte que la mesure finale était effectivement en lien avec la demande d’intervention psychosociale formelle et n’y est pas étrangère ;
- en outre, cette mesure, qui était évitable, n’était pas nécessaire pour rétablir le calme au sein du groupe scolaire, dès lors qu’il résulte du conseil d’administration informel du 9 décembre 2015 que le défendeur était disposé à accepter des modalités de départ à condition que ne soit pas prise la mesure préjudiciable, ce qui aurait permis de répondre à la demande de l’administrateur délégué et à l’inquiétude de ceux qui dénonçaient la perte de confiance ;
- de ce fait, le demandeur ne démontre pas que la décision de son conseil d’administration visait uniquement à rétablir le calme ;
- cette décision poursuivait donc expressément la résiliation du mandat de directeur général, indépendamment de la possibilité de rétablir le calme dans l’école par les modalités de départ proposées ; en conséquence, le demandeur ne prouve pas que la mesure préjudiciable prise à l’égard du défendeur était sans lien avec la demande d’intervention formelle ;
- le conseil d’administration n’a pas davantage voulu attendre les avis du conseiller en prévention, ce qui aurait permis l’application de l’article 32septies en combinaison avec l’article 13tredecies, § 1er, in fine, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail ;
- les propositions finalement formulées par le conseiller en prévention ne comprenaient pas la résiliation du mandat, mais des pistes pour l’organisation d’une communication plus sereine ;
- le conseiller en prévention a certes constaté que la décision du conseil d’administration a mis fin « à la situation », sans s’intéresser toutefois à la question de savoir qui a su apparemment en tirer durablement profit. Or la situation aurait pu tout autant prendre fin par la mise en œuvre des modalités de départ, qui présentaient l'avantage de ne favoriser personne.
4. En excluant par les motifs précités qu’une mesure préjudiciable puisse se justifier par des raisons déduites de faits qualifiés de harcèlement moral dans la demande d’intervention, les juges d’appel n’ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur les autres griefs :
5. Les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué, sauf en tant qu’il reçoit l’appel du défendeur ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail d’Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Beatrijs Deconinck, président, le président de section
Koen Mestdagh, les conseillers Antoine Lievens, Ilse Couwenberg et
Sven Mosselmans, et prononcé en audience publique du quinze juin deux mille vingt par le premier président Beatrijs Deconinck, en présence de l’avocat général Henri Vanderlinden, avec l’assistance du greffier Mike Van Beneden.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Françoise Roggen et transcrite avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3n - derde kamer
Numéro d'arrêt : S.19.0041.N
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Droit du travail

Analyses

Les articles 32tredecies, § 1er, alinéa 1er et 2, première phrase, 32tredecies, §1er/1, 1°, et § 2, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, qui interdisent à l'employeur de mettre fin à la relation de travail avec le travailleur ou de prendre à son égard une mesure préjudiciable en raison de l'introduction d'une demande d'intervention psychosociale formelle, n'excluent pas que le licenciement ou la mesure préjudiciable puisse se justifier par des motifs déduits de faits qualifiés de harcèlement moral dans la demande d'intervention (1). (1) Comp. Cass. 20 janvier 2020, RG S.19.0019.F, Pas. 2020, n° 56.

TRAVAIL - PROTECTION DU TRAVAIL - Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail - Demande d'intervention psychosociale - Protection - Objet - Conséquence


Composition du Tribunal
Président : DECONINCK BEATRIJS
Greffier : VAN BENEDEN MIKE
Ministère public : VANDERLINDEN HENRI
Assesseurs : MESTDAGH KOEN, LIEVENS ANTOINE, COUWENBERG ILSE, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-06-15;s.19.0041.n ?

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