N° P.20.0603.F
Z. Y.,
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège, dont le cabinet est établi à Liège, Mont Saint Martin, 22, où il est fait élection de domicile,
contre
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard Pachéco, 44,
défendeur en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le président chevalier Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Le demandeur reproche à l'arrêt de considérer que la décision privative de liberté du 27 février 2020 constitue un titre autonome de rétention, ce qu'elle n'est pas, d'après le moyen, dès lors que ce titre, à l'instar du précédent, repose sur la même base légale, soit l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers. Le demandeur en déduit que, calculée sur la base d'un précédent ordre de quitter le territoire, la durée primaire de la détention est épuisée sans que les démarches entreprises en vue d'assurer l'éloignement puissent être créditées de la diligence requise pour fonder une prolongation de la rétention.
Constitue un titre autonome de rétention la décision qui traduit une modification du statut administratif de l'étranger maintenu dans un lieu déterminé, même si cette décision n'est pas consécutive à une demande de séjour ou à un refus d'obtempérer à une mesure d'éloignement.
Il ressort des constatations de l'arrêt et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que le demandeur a fait successivement l'objet de trois mesures privatives de liberté.
Le 31 janvier 2020, il s'est vu délivrer un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d'éloignement, fondé sur l'article 7, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980.
Le 12 février 2020, il a été maintenu sur la base des articles 24 et 28 du Règlement 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale. La mise en œuvre de cette procédure, dite Dublin, déclenchée par l'identification du demandeur comme ayant déjà introduit une demande de protection internationale dans un autre Etat membre, a rendu la première mesure privative de liberté caduque.
A la suite du refus de cet Etat de reprendre le demandeur en charge, celui-ci s'est vu notifier, le 28 février 2020, une troisième décision, datée du 27, étant une mesure de maintien fondée, à nouveau, sur l'article 7, alinéa 3, de la loi.
La troisième mesure ne peut pas être considérée comme une confirmation de la première, vu la caducité de celle-ci ensuite de l'engagement de la procédure fondée sur le Règlement du 26 juin 2013.
Les juges d'appel ont, dès lors, légalement justifié leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen :
Le demandeur soutient, d'une part, que la chambre des mises en accusation n'a pas pu qualifier d'adéquatement motivée une décision administrative de privation de liberté qui ne dit mot quant à la possibilité d'éloigner effectivement l'étranger dans un délai raisonnable et, d'autre part, que les juges d'appel ne pouvaient pas suppléer à cette lacune en procédant par eux-mêmes à la vérification manquante.
La détention du demandeur se fonde sur l'ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d'éloignement, qui lui a été notifié le 28 février 2020 et a été prolongé par une décision du 27 avril 2020 prise sur la base de l'article 7, alinéa 5, de la loi.
En vertu de cette disposition, le ministre ou son délégué peut prolonger la détention par période de deux mois lorsque les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l'étranger, qu'elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu'il subsiste toujours une possibilité d'éloigner effectivement l'étranger dans un délai raisonnable.
Il n'est pas requis que la décision de prolongation contienne l'affirmation littérale que cette dernière condition est rencontrée, celle-ci pouvant être déduite des éléments de faits y indiqués.
La décision de prolongation mentionne que l'administration a obtenu l'accord du Consulat général du Maroc pour la délivrance d'un document de voyage permettant l'éloignement effectif du demandeur, que ce document a été obtenu le 6 mars 2020, qu'un vol à destination de Casablanca a été prévu pour le 12 mars, que l'intéressé a refusé l'embarquement, et qu'un rappel de la proposition pour un vol sous escorte vers le Maroc a été envoyé à la police fédérale le 27 avril 2020.
La recension des mesures prises pour assurer l'éloignement, et la constatation que le refus du demandeur en a empêché initialement l'exécution, constituent la motivation que les juges d'appel ont pu qualifier d'adéquate.
Par ailleurs, il ressort de l'article 15, §§ 1 et 5, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, que la rétention d'une personne à des fins d'éloignement ne peut être maintenue que pendant le temps où le dispositif d'éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise.
Il faut donc qu'au moment de l'examen de la légalité de la rétention par la juridiction nationale, la possibilité subsiste d'une réelle perspective que l'éloignement soit mené à bien.
Il en résulte que, contrairement à ce que le moyen revient à soutenir, l'appréciation du caractère raisonnable ou non des perspectives d'éloignement n'appartient pas seulement à l'administration au moment où elle prend la mesure mais également au pouvoir judiciaire au moment où il est saisi du contrôle de sa légalité.
Partant, rien n'interdit à la juridiction d'instruction de valider une décision administrative de privation de liberté, fût-elle muette quant aux perspectives d'éloignement, en considérant que celles-ci existaient bien au moment de la décision et qu'elles subsistent toujours au moment de son examen.
En déduisant, de la levée progressive des mesures de confinement de la population, la possibilité qu'un rapatriement effectif du demandeur intervienne avant l'expiration du terme légal de sa privation de liberté, les juges d'appel n'ont pas méconnu la notion de présomption de l'homme.
L'arrêt statue en l'absence du demandeur eu égard à l'ordonnance du premier président de la cour d'appel qui, « en considération de la pandémie actuelle », met fin aux transferts des détenus. Il n'en résulte toutefois aucune violation des droits de la défense, puisque l'avocat du demandeur a accepté de le représenter, ce que l'arrêt constate.
Enfin, il n'est pas contradictoire d'énoncer, d'une part, qu'à la date de l'arrêt, les transferts de détenus n'ont pas repris leur cours et, d'autre part, qu'un éloignement du demandeur reste possible dans un délai raisonnable, au vu de la diminution du risque de contagion.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le troisième moyen :
Le demandeur reproche à l'arrêt de ne pas « démontrer » que le maintien critiqué respecte les principes de nécessité et de proportionnalité ni que la décision de retour soit compromise en raison du comportement du demandeur.
Par adoption des motifs de l'avis du ministère public, l'arrêt constate que le demandeur, qui a fait usage de plusieurs identités différentes, est arrivé sur le territoire belge à une date indéterminée, qu'il a fait l'objet de plusieurs rapports administratifs pour séjour illégal, qu'à deux reprises, il a été condamné du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, que ses empreintes sont enregistrées dans plusieurs Etats membres de l'Union européenne, que le rapatriement prévu le 12 mars 2020 n'a pas abouti car le demandeur s'y est opposé et qu'il n'apparaît pas que le demandeur bénéficie d'une résidence fixe.
En concluant, sur le fondement de ces faits, à la légalité de la mesure privative de liberté, les juges d'appel n'ont pas méconnu les conditions de nécessité et de proportionnalité auxquelles l'article 15 de la directive 2008/115 subordonne le placement en rétention d'un étranger en séjour illégal.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-trois euros cinquante-cinq centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, président, Benoît Dejemeppe, président de section, Tamara Konsek, Frédéric Lugentz et François Stévenart Meeûs, conseillers, et prononcé en audience publique du dix juin deux mille vingt par le chevalier Jean de Codt, président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.