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09/01/2020 | BELGIQUE | N°C.19.0139.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 janvier 2020, C.19.0139.N


N° C.19.0139.N
AUTOMOTIVE GROUP D.O.O.E.L, société de droit macédonien,
Me Beatrix Vanlerberghe, avocat à la Cour de cassation,
contre
UNION EUROPÉENNE, représentée par la Commission européenne,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 23 octobre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et le premier avocat général

Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en c...

N° C.19.0139.N
AUTOMOTIVE GROUP D.O.O.E.L, société de droit macédonien,
Me Beatrix Vanlerberghe, avocat à la Cour de cassation,
contre
UNION EUROPÉENNE, représentée par la Commission européenne,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 23 octobre 2019, le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport et le premier avocat général Ria Mortier a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. Suivant l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire, le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi.
En vertu du deuxième alinéa de cet article, le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi, sauf exceptions prévues par ledit code.
2. Il suit de cette disposition que le juge, qui statue sur une question litigieuse dont il n'est plus saisi parce qu'il a déjà rendu auparavant une décision dans la même cause et entre les mêmes parties sur cette question litigieuse et a ainsi épuisé sa juridiction, commet un excès de pouvoir.
3. Dans l'arrêt interlocutoire du 10 janvier 2018, les juges d'appel ont considéré que :
- « il est impossible de se ranger au point de vue de [la défenderesse] selon lequel l'offre a été retirée pour cause d'irrégularités dans la procédure. La possibilité de retrait de l'offre, visée à l'article 24 des ‘Instructions destinées aux soumissionnaires' et à l'article 103, § 1er, du règlement financier, ne s'applique qu'à la procédure d'adjudication, en d'autres termes, tant que le contrat n'a pas été formé » ;
- « la décision de retrait relative à la procédure d'adjudication a été prise le 13 février 2009, alors que le contrat avait été formé dès le 7 février 2009. La décision de retrait était donc sans objet. Le soi-disant retrait constitue une rupture unilatérale du contrat » ;
- « par conséquent, [la demanderesse] affirme à juste titre qu'il n'y avait pas lieu de contester la décision de retrait du 13 février 2009 ».
4. Les juges d'appel ont ainsi considéré dans l'arrêt interlocutoire du 10 janvier 2018 qu'il n'y avait plus lieu de contester la décision de retrait du 13 février 2009, qualifiée de décision mettant fin à la procédure d'adjudication, sur la base de l'article 103, § 1er, du règlement financier, devant la Cour de justice de l'Union européenne en vertu de l'article 263 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors qu'un contrat mettant fin à la procédure d'adjudication avait été formé dès le 7 février 2009.
5. Dans l'arrêt du 26 septembre 2018, les juges d'appel ont considéré que :
- « la décision de retrait du 13 février 2009 est une décision susceptible de recours au sens de l'article 263, alinéa 4, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » et « [la demanderesse] n'a pas formé de recours ainsi que le prévoit l'article 263 du traité » ;
« [la défenderesse] estime à juste titre que la validité de la décision de retrait du 13 février 2009, qui a mis fin au contrat conclu avec la demanderesse en n'octroyant aucune indemnité à la demanderesse, ne peut plus être mise en question devant le juge national » ;
« la cour est liée par la décision de retrait du 13 février 2009 et ne peut plus se prononcer sur la question de savoir si l'article 103, § 2, du règlement financier s'applique, ni sur celle de savoir si [la demanderesse] peut prétendre à une quelconque indemnité ».
6. Les juges d'appel ont ainsi considéré dans l'arrêt du 26 septembre 2018 que la demanderesse aurait dû contester la décision de retrait du 13 février 2009, qualifiée de décision mettant fin au contrat déjà formé, sur la base de l'article 103, § 2, du règlement financier, devant la Cour de justice de l'Union européenne conformément à l'article 263 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et qu'à défaut, le juge national ne peut plus statuer sur la validité de ce retrait.
7. Par cette considération, les juges d'appel ne se sont pas prononcés sur une question litigieuse dont ils n'étaient plus saisis puisqu'ils l'avaient déjà fait dans l'arrêt interlocutoire du 10 janvier 2018, de sorte qu'ils n'ont pas commis d'excès de pouvoir.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
8. L'article 230 du Traité instituant la Communauté européenne, tel qu'il s'applique au litige et actuellement remplacé par l'article 263 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dispose, en son premier alinéa, que la Cour de justice contrôle la légalité des actes adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers.
En vertu du quatrième alinéa de la disposition précitée, toute personne physique ou morale peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

En vertu du cinquième alinéa, les recours prévus à cet article doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance.
9. Dans son arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro AE c. Commission européenne, C-506/13 P, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré qu'« en présence d'un contrat liant le requérant à l'une des institutions, les juridictions de l'Union ne peuvent être saisies d'un recours sur le fondement de [la disposition précitée] que si l'acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l'exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l'institution contractante en sa qualité d'autorité administrative ».
10. Dans l'arrêt du 26 septembre 2018, les juges d'appel ont considéré que :
- la défenderesse s'est prévalue de l'article 103, § 2, du règlement financier pour justifier la décision de retrait du 13 février 2009, qui a mis fin au contrat d'adjudication conclu avec la demanderesse pour cause d'irrégularités dans la procédure ;
- cette disposition confère aux institutions contractantes le pouvoir légal de résilier un contrat d'adjudication déjà formé si, après l'attribution du marché, la procédure de passation ou l'exécution du marché se révèle entachée d'erreurs substantielles, d'irrégularités ou de fraude ;
- la décision de retrait du 13 février 2009 émanant du European Union Planning Team for Kosovo (EUPT Kosovo), agissant au nom de la European Union Rule of Law Mission in Kosovo (EULEX Kosovo), est un acte d'un organe ou d'une institution de l'Union dont la demanderesse est le destinataire et qui la concerne directement et individuellement.
11. Les juges d'appel ont ainsi considéré qu'en adoptant la décision de retrait du 13 février 2009, l'institution contractante, agissant en qualité d'autorité administrative, a exercé les prérogatives de puissance publique et que cette décision vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties.
En considérant, sur ce fondement, que cette décision est une décision susceptible de recours au sens de l'article 230, alinéa 4, du Traité instituant la Communauté européenne et que, dès lors que la demanderesse n'a pas formé de recours contre cette décision auprès de la Cour de justice de l'Union européenne en vertu de la disposition précitée, le juge national ne peut plus en apprécier la validité, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
12. Dans la mesure où il allègue la violation des articles 240 du Traité instituant la Communauté européenne et 274 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le moyen, en cette branche, en est déduit et est, dès lors, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Beatrijs Deconinck, président, le président de section Alain Smetryns, et les conseillers Geert Jocqué, Bart Wylleman et Ilse Couwenberg, et prononcé en audience publique du neuf janvier deux mille vingt par le premier président Beatrijs Deconinck, en présence de l'avocat général Johan Van der Fraenen, avec l'assistance du greffier Vanity Vanden Hende.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.19.0139.N
Date de la décision : 09/01/2020
Type d'affaire : Autres - Droit européen

Analyses

Il suit de l'article 19 du Code judiciaire que le juge commet un excès de pouvoir s'il statue sur une question litigieuse dont il n'est plus saisi parce qu'il a déjà rendu auparavant une décision dans la même cause et entre les mêmes parties sur cette question litigieuse et a ainsi épuisé sa juridiction (1). (1) Cass. 8 mars 2019, AR C.16.0130.N, Pas. 2019, n° 146; voir Cass. 19 février 2018, S.17.0052.F, Pas. 2018, n° 105 ; Cass. 12 juin 2014, C.13.0465.N, Pas. 2014, n° 423.

JUGEMENTS ET ARRETS - MATIERE CIVILE - Généralités - Mission du juge - Question litigieuse - Jugement déjà rendu dans la même cause et entre les mêmes parties - Conséquence - EXCES DE POUVOIR [notice1]

Une décision de retrait d'un contrat, qui émane d'une institution contractante agissant en qualité d'autorité administrative, est une décision susceptible de recours au sens de l'article 230, alinéa 4, du Traité instituant la Communauté européenne dont le juge national, à défaut de recours devant la Cour de justice, ne peut plus apprécier la validité.

UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Généralités - Actes des institutions européennes - Absence de recours auprès de la Cour de justice - Pouvoir du juge national - Etendue [notice3]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 19, al. 1er et 2 - 01 / No pub 1967101052

[notice3]

Traité CE - 25-03-1957 - Art. 230, al. 4 - 38 ;

Traité CE - 25-03-1957 - remplacé par l'art. 263 - 01 / Lien DB Justel 19570325-01


Composition du Tribunal
Président : DECONINCK BEATRIJS
Greffier : VANDEN HENDE VANITY
Ministère public : MORTIER RIA
Assesseurs : SMETRYNS ALAIN, WYLLEMAN BART, COUWENBERG ILSE, JOCQUE GEERT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-01-09;c.19.0139.n ?

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