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17/12/2019 | BELGIQUE | N°P.19.0845.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 décembre 2019, P.19.0845.N


N° P.19.0845.N
I. S. S.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Karolien Van de Moer, avocat au barreau d'Anvers,
contre
1. J. N.,
2. K. M.,
3. ETAT BELGE,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
4. MICHEL TURLOT ANESTHESIE, société à responsabilité limitée,
5. M. T.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
II. 1. PUBLIBELGIUM, société anonyme,
2. C. S.,
3. K. N.,
4. T. N.,
prévenues,
demanderesses en cassation,
Me Hans Van Bavel, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ETAT BELGE, précité,
d

éfendeur en cassation,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont di...

N° P.19.0845.N
I. S. S.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Karolien Van de Moer, avocat au barreau d'Anvers,
contre
1. J. N.,
2. K. M.,
3. ETAT BELGE,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
4. MICHEL TURLOT ANESTHESIE, société à responsabilité limitée,
5. M. T.,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
II. 1. PUBLIBELGIUM, société anonyme,
2. C. S.,
3. K. N.,
4. T. N.,
prévenues,
demanderesses en cassation,
Me Hans Van Bavel, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ETAT BELGE, précité,
défendeur en cassation,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 5 juillet 2019 par la cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.
Le demandeur I invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse II.1 invoque quatre moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
La demanderesse II.2 invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Les demandeurs II.3 et II.4 invoquent chacun deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Les demandeurs II invoquent un moyen dans un mémoire complémentaire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Les demandeurs II déclarent se désister, sans acquiescement, de leur pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la décision non définitive qui alloue des provisions au défendeur II.
Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
L'avocat général Marc Timperman a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
(...)
Sur le second moyen du demandeur I, sur le troisième moyen du mémoire de la demanderesse II.1 et sur le deuxième moyen du mémoire des demandeurs II.2, II.3 et II.4 :
6. Le moyen est pris de la violation des articles 2, 1025, 1026 et 1027 du Code judiciaire : l'arrêt considère que la demande par laquelle les agents de l'administration fiscale ont sollicité auprès du juge de police l'autorisation de procéder à une visite fiscale, ne doit pas être signée par un avocat parce que les dispositions précitées du Code judiciaire ne sont pas applicables aux articles 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 et 63 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée.
7. L'article 2 du Code judiciaire prévoit que les règles énoncées dans ce code s'appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes de droit dont l'application n'est pas compatible avec celle des dispositions du même code.
L'article 1025 du Code judiciaire précise que, sauf dans les cas où il y est formellement dérogé par la loi, les procédures sur requête unilatérale sont réglées ainsi qu'il est dit au titre V de ce code.
L'article 1026, 5°, du Code judiciaire prévoit que la requête contient, à peine de nullité, la signature de l'avocat de la partie, sauf lorsque la loi en dispose autrement. L'article 1027, alinéa 1er, précise que la requête ne peut être présentée que par un avocat, sauf les exceptions expressément prévues par la loi.
8. L'article 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 régit la visite, par les agents chargés de l'exécution d'un contrôle ou d'une enquête visés audit article, des locaux professionnels et des lieux où des activités sont exercées ou sont présumées l'être. L'article 319, alinéa 2, de ce code prévoit que ces agents, lorsqu'ils sont chargés de ce contrôle ou de cette enquête, ne peuvent avoir accès aux bâtiments ou locaux habités que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement avec l'autorisation du juge de police. L'article 63 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée comporte des dispositions similaires et, au troisième alinéa, une restriction identique pour les agents habilités à contrôler l'application de la taxe sur la valeur ajoutée.
9. La visite fiscale telle que régie par ces articles doit permettre aux agents compétents de procéder aux constatations nécessaires concernant la régularité de la déclaration fiscale et a ainsi pour finalité la juste perception de l'impôt.
L'article 374, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 prévoit qu'aux fins d'assurer l'instruction de la réclamation ou de la demande de rectification, un fonctionnaire visé audit article dispose des moyens de preuve et des pouvoirs conférés à l'administration, notamment, par les articles 315 à 319.
L'article 379 de ce même code et l'article 90 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée disposent que, dans les contestations relatives à l'application d'une loi d'impôt, la comparution en personne au nom de l'État peut être assurée par tout fonctionnaire d'une administration fiscale.
10. Il résulte de la nature et de la finalité propres aux contrôles et enquêtes visés en l'espèce ainsi que des pouvoirs spécifiques conférés par la loi à l'administration fiscale, que l'application des articles 1026, 5°, et 1027, alinéa 1er, du Code judiciaire est inconciliable avec les procédures d'obtention d'une autorisation basées sur les articles 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée.
Déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
Sur le premier moyen du mémoire de la demanderesse II.1 :
11. Le moyen, en ses deux branches, est pris de la violation de l'article 5 du Code pénal.
Quant à la première branche :
12. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arrêt considère, à tort, que les infractions de faux et de fraude fiscale mises à charge de la demanderesse II.1 lui sont matériellement imputables parce qu'elles sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou parce que les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte ; il n'est toutefois satisfait à ces conditions que si les infractions procurent un avantage ou, à tout le moins, ne causent aucun préjudice à la personne morale, ou si elles poursuivent cet objectif ; il ressort des constatations de l'arrêt que le système frauduleux mis au point par J. P. N. consistant en une facturation double ou fictive, visait à ne pas inscrire dans la comptabilité des revenus ou des recettes de la demanderesse II.1 et, ainsi, à les lui soustraire ou, à tout le moins, à faire en sorte que ce détournement soit justifié ou dissimulé dans sa comptabilité ; le fait qu'une partie des recettes dissimulées ait été utilisée pour payer des rémunérations au noir est sans incidence à cet égard.
13. Pour qu'il soit satisfait aux conditions de l'article 5 du Code pénal énoncées par le moyen, en sa première branche, il n'est pas requis que les infractions, commises par la personne physique agissant pour le compte de la personne morale, visent uniquement à procurer un avantage à la personne morale ou, à tout le moins, à ne pas lui porter préjudice, ni qu'elles aient pour seul effet de procurer un avantage à la personne morale ou, à tout le moins, ne lui portent pas préjudice.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
14. L'arrêt considère que le système frauduleux mis au point par l'administrateur de fait J. P. N. visait, par des factures, non seulement à soustraire des revenus à la demanderesse II.1 et à s'octroyer un avantage à lui-même, mais également à créer structurellement un circuit parallèle d'argent au noir permettant à la demanderesse II.1 de payer au noir des rémunérations et des factures à des sous-traitants et de s'acquitter d'un montant d'impôt des sociétés moins élevé, ainsi qu'à justifier l'ensemble de ces pratiques par les besoins de la gestion de la société. Ainsi, l'arrêt considère que les revenus qui n'ont pas été intégrés au chiffre d'affaires comptable de la demanderesse II.1, ont également été affectés à la gestion de la société et ont contribué à son fonctionnement. Par ces motifs, l'arrêt considère ensuite que J. P. N. n'a pas agi à l'encontre des intérêts de la société, mais dans l'intérêt de celle-ci. La décision selon laquelle les infractions visées sont matériellement imputables à la demanderesse II.2 est, dès lors, légalement justifiée.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
15. Le moyen, en cette branche, invoque que l'arrêt considère, à tort, que les infractions mises à charge de la demanderesse II.1 lui sont moralement imputables, alors qu'il se borne à constater que ces infractions ont été commises par un seul organe dirigeant de la demanderesse II.1 qui, de surcroît, ne disposait d'aucun mandat formel, qu'il n'examine pas plus avant la responsabilité autonome ou l'intention de la demanderesse II.1 et qu'il se borne à déduire cette intention du comportement pénalement répréhensible de l'administrateur de fait.
16. Une infraction est moralement imputable à une personne morale, entre autres, si elle résulte d'une décision prise sciemment et volontairement au sein de la structure hiérarchique de cette personne morale.
La structure hiérarchique en question doit être effective. Il n'est pas requis que l'autorité émane nécessairement d'une personne physique titulaire d'un mandat formel pour diriger la personne morale.
Déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
17. Outre ou en rapport avec les motifs exposés en réponse à la première branche, l'arrêt considère notamment ce qui suit :
- dans les faits, J. P. N., même s'il n'était pas titulaire d'un mandat formel, agissait au nom et pour le compte de la demanderesse II.1, négociait en son nom et prenait toutes les décisions importantes, parmi lesquelles la conclusion des contrats en rapport avec la formule 1 et dans le cadre desquels la demanderesse II.1 était le cocontractant juridique ainsi que le bénéficiaire financier effectif ;
- la demanderesse II.1 a elle-même délibérément omis de comptabiliser des revenus pour les affecter ensuite au versement de rémunérations au noir, soit pour financer celles de ses activités qui n'apparaissent pas dans sa comptabilité ;
- la demanderesse II.1 a enregistré de fausses factures dans sa comptabilité et les a utilisées pour établir ses comptes annuels, ainsi qu'à l'égard de l'administration fiscale, des banques et des cocontractants ;
- la demanderesse II.1 a obtenu un avantage économique indu sur ses concurrents ;
- la demanderesse II.1 et J. P. N. étaient animés par l'intention illicite de s'acquitter d'un montant d'impôt des sociétés moins élevé et donc d'éviter cet impôt en partie, ce qui implique l'existence d'une intention frauduleuse spécifique ;
- le système du versement de rémunérations au noir a été structurellement mis en place dans le cadre de la demanderesse II.1 ;
- l'intention frauduleuse de la demanderesse II.1 a été établie pour les infractions mises à sa charge ;
- la réunion de l'ensemble des conditions légales auxquelles l'article 5 du Code pénal subordonne la condamnation de la demanderesse II.1 du chef des infractions qu'elle a commises a été établie, étant entendu que celles-ci ne sont punissables qu'à dater du 3 juillet 1999.
Par ces motifs, l'arrêt ne se borne pas à conclure à la présence de l'élément moral des infractions déclarées établies à charge de la demanderesse II.1 sur la seule base du comportement de son administrateur de fait J. P. N., mais examine également l'existence de cet élément moral dans le chef de la demanderesse II.1 et la considère comme établie. Ainsi, il justifie légalement sa décision.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(...)
Sur le moyen du mémoire complémentaire des demandeurs II :
Quant à la première branche :
21. Le moyen, en cette branche, est pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7, 47, 51 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 15 et 22 de la Constitution, 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 et 63 du Code de la TVA, ainsi que de la méconnaissance des principes généraux du droit relatifs au procès équitable et au respect des droits de la défense : l'arrêt conclut, à tort, à la régularité de la décision par laquelle le juge au tribunal de police a autorisé les agents de l'administration fiscale à procéder à des visites domiciliaires dans les parties habitées des habitations privées des demandeurs II ; en effet, il ne ressort pas de la motivation de ces autorisations que ce juge ait apprécié concrètement s'il existait, à tout le moins, une présomption que des activités ou des activités économiques visées aux articles 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou 63 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée étaient exercées dans lesdites parties de ces habitations ; le fait qu'un bâtiment soit à usage mixte n'est pas suffisant.
22. L'article 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 régit la visite, par les agents chargés de l'exécution d'un contrôle ou d'une enquête visés audit article, des locaux professionnels et des lieux où des activités sont exercées ou sont présumées l'être. L'article 319, alinéa 2, du même code précise que ces agents ne peuvent pénétrer dans les bâtiments ou les locaux habités, pour y réaliser un tel contrôle ou une telle enquête, que de cinq heures du matin à neuf heures du soir et uniquement avec l'autorisation du juge de police. L'article 63 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée contient des dispositions similaires et, au troisième alinéa, une restriction identique pour les agents habilités à contrôler l'application de la TVA.
23. La régularité de la décision par laquelle le juge au tribunal de police autorise l'accès aux locaux habités doit pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel effectif. Par conséquent, la motivation de l'autorisation doit faire ressortir l'évaluation à laquelle ce juge a procédé pour la délivrer, sur la base des éléments qui lui ont été soumis.
24. Le fait qu'une habitation est affectée à un usage mixte tant privé que professionnel peut, selon les circonstances concrètes constatées par l'autorisation, justifier la présomption que sont exercées dans l'ensemble de cette habitation des activités telles que visées aux articles 319 du Code des impôts sur les revenus 1992 ou 63 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée.
Déduit d'une autre prémisse juridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
25. L'arrêt (...) considère ce qui suit :
- toute décision prise par un juge doit être appréciée dans son ensemble ;
- outre les extraits cités par les demanderesses II.I et II.2 dans leurs conclusions de synthèse, la motivation du juge de police concernant l'adresse Hellebeemden, 16, à Hasselt était la suivante : « Les informations claires et concrètes faisant état de possibles irrégularités lourdes/cas de fraude grave, qui tendent à indiquer que des éléments de preuve incriminants se trouvent dans les pièces à usage privatif, et la situation du siège social de [la demanderesse II.1], établi à l'adresse susmentionnée, rendent nécessaire une visite domiciliaire dans les pièces à usage privatif afin d'obtenir un aperçu correct des bases imposables. En effet, l'habitation est affectée à un « usage mixte », ce qui signifie qu'elle est utilisée en partie à des fins professionnelles (un certain nombre de sociétés y ont leur siège social) et en partie comme domicile privé » ;
- en l'espèce, le juge de police a constaté que l'habitation mentionnée était affectée à un usage mixte, en se référant au fait qu'un certain nombre de sociétés avaient leur siège social à cette adresse et que des personnes y vivaient par ailleurs. Sa motivation était circonstanciée. Il a énuméré diverses sociétés ayant leur siège à cette adresse, a fait référence à leurs activités et a constaté que la demanderesse II.2, administrateur de la demanderesse II.1, ainsi que J. P. N. étaient par ailleurs domiciliés à cette adresse ;
- il s'agissait donc d'un bâtiment doté d'une seule adresse et d'un seul numéro de maison (pas de subdivision en numéros A et B). Lorsque le juge de police a délivré l'autorisation, il lui était impossible de savoir, sur la base des informations dont il disposait et pouvait disposer à l'époque, si cette habitation avait été clairement subdivisée ou non en parties utilisées à des fins résidentielles et en parties à usage professionnel. Il ne connaissait pas l'aménagement intérieur de ces habitations et n'était pas en mesure de le connaître. Il y n'avait qu'un numéro de maison, et non deux ;
- il a pu conclure, sur la base de la constatation que plusieurs sociétés étaient établies à cette seule adresse et que des particuliers y vivaient manifestement aussi, que cette adresse était affectée à un usage mixte. Prétendre que, lorsqu'il a mentionné dans sa motivation le fait que l'habitation était utilisée « en partie » à des fins professionnelles et « en partie » comme domicile privé, il se référait uniquement aux pièces séparées de l'habitation plutôt qu'à l'utilisation partagée dans les faits de toutes les pièces de celle-ci, revient à donner à l'autorisation une interprétation ne pouvant être déduite des motifs de l'ensemble de celle-ci ;
- l'article 63 du code de la TVA fait référence aux « bâtiments ou locaux habités ». En l'espèce, il ne s'agissait pas d'un bâtiment habité dès lors que des sociétés y avaient également leur siège social, et il y avait donc également lieu de présumer que des activités (à tout le moins celles desdites sociétés) y étaient exercées, ou des activités économiques. L'autorisation portait donc sur l'accès aux locaux habités de l'immeuble. Pour les locaux qui n'étaient pas habités et qui devaient donc être considérés comme étant uniquement à caractère professionnel, aucune autorisation n'était requise, conformément à l'article 63 ;
- le fait que cette habitation était affectée à un « usage mixte » suffisait à conclure légalement que la demande d'autorisation était fondée et qu'il y avait donc lieu de présumer que des activités et des activités économiques étaient exercées dans des locaux qui étaient par ailleurs habités. Ceci correspond à l'intention du législateur. La loi ne mentionne aucunement que le juge de police, lorsqu'il accorde une telle autorisation de visite, doit littéralement mentionner en toutes lettres qu'une activité économique y est exercée ou est présumée y être exercée, ou que des activités sont présumées y être exercées ;
- il ressort des motifs des autorisations produites par les demandeurs dans leur intégralité, que le juge de police a effectivement examiné les éléments à sa disposition au regard des conditions légales et qu'il a constaté pour chaque bâtiment l'existence d'un usage mixte de l'habitation et, par conséquent, d'une présomption d'exercice d'activités économiques et d'activités dans des locaux par ailleurs habités. La référence, dans la motivation de sa décision, à l'obtention d'un « aperçu correct des bases imposables », alors que telle est la finalité des pouvoirs de visite dont il est question en l'espèce, ne fait d'ailleurs que le confirmer ;
- il n'est pas conforme au contenu de l'ensemble des autorisations du juge au tribunal de police soumises par les demandeurs II.1 et II.2, d'en déduire qu'il les aurait chaque fois délivrées pour vérifier si des activités étaient exécutées dans l'habitation sans décider préalablement qu'il y avait une présomption d'exercice d'activités dans l'habitation. Constater l'« usage mixte » d'une habitation présuppose, à tout le moins, l'existence d'une présomption qu'y sont par ailleurs exercées des activités et des activités économiques ;
- dans les autorisations qu'il a délivrées, le juge de police a clairement fixé les limites des pouvoirs des agents de l'administration fiscale ;
- il ne peut qu'être déduit de la lecture conjointe de l'ensemble des considérations du juge de police, d'une part, que ce dernier n'a pas fait preuve de légèreté au moment d'opérer son contrôle et qu'il a bel et bien établi que les habitations étaient affectées à un « usage mixte » et, d'autre part, qu'on ne lui demandait pas d'autoriser une « fishing expedition » dès lors qu'il a constaté l'existence d'une présomption de fraude. Ce faisant, il a correctement examiné la demande de visite au regard de la protection conférée au domicile par les articles 8 de la Convention et 15 de la Constitution ;
- la visite fiscale a d'ailleurs révélé qu'il n'y avait guère de séparation stricte entre les parties de l'habitation utilisées à des fins privées et celles à usage professionnel ;
- il n'y a donc pas lieu de conclure que l'administration a eu accès, à tort, aux parties habitées de l'habitation où s'est déroulée la visite fiscale du 15 octobre 2013.
Par ces motifs, l'arrêt justifie légalement la décision selon laquelle les visites dans les habitations des demandeurs II ont été effectuées sur la base d'autorisations régulièrement motivées du juge au tribunal de police.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
(...)
Sur le troisième moyen du mémoire de la demanderesse II.2 :
29. Le moyen est pris de la violation des articles 42, 43bis et 505 du Code pénal : l'arrêt considère que les fonds qu'il confisque à charge de la demanderesse II.2 constituent l'objet de l'opération de blanchiment du 10 janvier 2008, visée sous la prévention E.1, à savoir le rachat d'assurances-vie ayant permis que des fonds soient versés aux compte de la demanderesse II.2 ; or, ce rachat est une opération de blanchiment consistant en la conversion d'avantages patrimoniaux illégaux en d'autres biens, à savoir la conversion de contrats d'assurance-vie en argent ; les montants obtenus par cette conversion ne constituent donc pas l'objet des infractions de blanchiment mais un avantage patrimonial provenant de ces infractions.
Sur la recevabilité du moyen :
30. Le défendeur II invoque que le moyen est irrecevable à défaut d'intérêt parce que les montants peuvent être confisqués même s'ils ne constituent pas l'objet de l'infraction de blanchiment mais l'avantage patrimonial provenant de celle-ci, ils, alors qu'il n'est pas allégué que les conditions pour prononcer cette confiscation ne sont pas remplies.
31. La confiscation de l'objet de l'infraction de blanchiment est distincte de la confiscation de l'avantage patrimonial provenant de celle-ci. Ainsi, la confiscation de l'objet de l'infraction de blanchiment est, en principe, obligatoire et le juge n'est pas tenu de motiver sa décision de la prononcer. En revanche, la confiscation de l'avantage patrimonial de l'infraction de blanchiment est facultative et requiert que le juge motive sa décision de l'ordonner sur la base de l'article 195, alinéa 2, du Code de procédure pénale, même si le prévenu ne présente pas de défense sur ce point particulier. Dès lors, la demanderesse a bel et bien intérêt à invoquer le moyen.
La fin de non-recevoir opposée au moyen ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
32. L'arrêt (...) déclare la demanderesse II.2 coupable dans une mesure limitée du chef de la prévention E.I, parce qu'elle a participé à des opérations de blanchiment, menées par J. P. N., qui ont permis de dissimuler la provenance illicite de l'argent noir de la demanderesse II.1. Cette opération de blanchiment s'est déroulée en trois phases successives, dont la dernière consistait à racheter trois assurances-vie le 10 janvier 2008 (la demanderesse II.2 étant le preneur d'assurance) et à transférer la somme des montants de celles-ci, ainsi que le solde d'une autre assurance-vie, rachetée par J. P. N., sur des comptes de la demanderesse II.2 dans le courant du mois de janvier 2008. Le montant total concerné était de 2.903.561,90 euros.
L'arrêt déclare également la demanderesse II.2 coupable du chef de la prévention E.II dans la mesure où elle a transféré une partie de ce dernier montant, soit 200.000 euros, à la société privée à responsabilité limitée Faminvesting, procédant ainsi à une autre opération de blanchiment.
33. En ce qui concerne la confiscation, l'arrêt (...) considère que :
- « Lorsque des fonds dont la provenance est illégale sont investis dans des contrats d'assurance-vie, ils constituent l'avantage patrimonial illégal de l'infraction de blanchiment. Lorsque ces avantages patrimoniaux illégaux, constitués par les montants investis dans des contrats d'assurance-vie, sont à leur tour convertis ou transférés avec l'intention frauduleuse requise, il s'agit d'une autre infraction de blanchiment, consécutive, dont les montants investis dans les contrats d'assurance-vie constituent l'objet » ;
- « Les confiscations du chef des faits sub E portent sur l'objet des infractions et non sur les avantages patrimoniaux illégaux » ;
- « Sous E.I, le montant de l'avantage patrimonial illégal versé à [la demanderesse II.2] lors du rachat des assurances-vie souscrites auprès d'ABN AMRO LIFE LUXEMBOURG s'élève à 2.903.561,90 euros. Il s'agit du montant de l'avantage patrimonial illégal qui constitue l'objet des opérations de blanchiment successives dont [la demanderesse II.2] a été reconnue coupable sous E.I. Il s'agit là de l'objet de l'opération de blanchiment du 10 janvier 2008 qui lui a permis de recevoir cet argent sur ses comptes par le biais du rachat d'assurances-vie ».
L'arrêt ordonne ensuite la confiscation, en tant qu'objet de l'opération de blanchiment du 10 janvier 2008 visée sous la prévention E.I, des montants retrouvés sur les comptes du demandeur II.2 jusqu'à concurrence de 17.318,48 euros, 1.999.875,17 rands sud-africains, 680,80 euros, 337.620,50 euros, 71.898,59 euros et 162.336,80 euros. Il ordonne également la confiscation par équivalent de 1.000.000 euros, soit le solde estimé de la valeur en argent qui constitue l'objet des infractions de blanchiment visées aux préventions E.I et E.II, du chef desquelles la demanderesse II.2 a été condamnée.
34. Lorsque l'infraction de blanchiment consiste à dissimuler ou déguiser la nature, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété d'avantages patrimoniaux illégaux, au sens de l'article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal, et que ce résultat est atteint par la conversion d'avantages patrimoniaux illégaux en d'autres biens, les biens obtenus grâce à cette conversion ne constituent pas l'objet de l'infraction de blanchiment mais un avantage patrimonial provenant de cette infraction au sens de l'article 42, 3° du Code pénal.
35. Le montant de 2.903.561,90 euros que l'arrêt confisque dans la mesure définie ci-avant, résulte de la conversion, le 10 janvier 2008, des trois contrats d'assurance-vie, qui constituent l'objet de la troisième phase de l'infraction de blanchiment, en montants qui ont été retrouvés ou non sur les comptes de la demanderesse II.2. Ces montants ne constituent pas l'objet de la conversion, mais l'avantage patrimonial tiré de celle-ci. L'arrêt, qui statue autrement, ne justifie pas légalement sa décision.
Le moyen est fondé.
Le contrôle d'office pour le surplus
36. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement des pourvois II dans la mesure définie ci-avant ;
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il ordonne, à charge de la demanderesse II.2, la confiscation des montants qui constituent l'objet des préventions E.1 et E.II ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne la demanderesse II.2 aux quatre cinquièmes des frais. Réserve le surplus des frais afin qu'il soit statué sur celui-ci par la juridiction de renvoi ;
Condamne les autres demandeurs aux frais de leur pourvoi.
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Filip Van Volsem, conseiller faisant fonction de président, Peter Hoet, Antoine Lievens, Erwin Francis et Eric Van Dooren, conseillers, et prononcé en audience publique du dix-sept décembre deux mille dix-neuf par le conseiller faisant fonction de président Filip Van Volsem, en présence de l'avocat général Marc Timperman, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.


Synthèse
Formation : Chambre 2n - tweede kamer
Numéro d'arrêt : P.19.0845.N
Date de la décision : 17/12/2019
Type d'affaire : Droit fiscal - Droit constitutionnel - Droit pénal

Analyses

L’application des articles 1026, 5°, et 1027, alinéa 1er, du Code judiciaire est inconciliable avec les procédures d’obtention d’une autorisation de procéder à une visite fiscale basées sur les articles 319, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 et 63, alinéa 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, de sorte que la demande par laquelle des agents de l’administration fiscale sollicitent une telle autorisation auprès du juge de police ne doit pas être signée par un avocat.

IMPOTS SUR LES REVENUS - ETABLISSEMENT DE L'IMPOT - Preuve - Généralités - Visite - Demande d'autorisation adressée au tribunal de police - Signature - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - Preuve - Visite - Demande d'autorisation adressée au tribunal de police - Signature - LOIS. DECRETS. ORDONNANCES. ARRETES - GENERALITES - Lois - Code judiciaire - Article 1026, 5° - Article 1027, alinéa 1er - Demande visant à obtenir une autorisation de procéder à une visite fiscale - Compatibilité - Conséquence [notice1]

Pour qu’il soit satisfait aux conditions de l’article 5 du Code pénal, selon lequel toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte, il n’est pas requis que ces infractions, lorsqu’elles sont commises par la personne physique agissant pour le compte de la personne morale, visent uniquement à procurer un avantage à la personne morale ou, à tout le moins, à ne pas lui porter préjudice, ni qu’elles aient pour seul effet de procurer un avantage à la personne morale ou, à tout le moins, ne lui portent pas préjudice.

INFRACTION - IMPUTABILITE - Personnes morales - Imputabilité matérielle - Conditions [notice4]

Une infraction est moralement imputable à une personne morale, entre autres, si elle résulte d’une décision prise sciemment et volontairement au sein de la structure hiérarchique de cette personne morale; la structure hiérarchique en question devant être effective, il n’est pas requis que l’autorité émane nécessairement d’une personne physique titulaire d’un mandat formel pour diriger la personne morale.

INFRACTION - IMPUTABILITE - Personnes morales - Imputabilité morale - Application [notice5]

La régularité de la décision par laquelle le juge au tribunal de police autorise les agents de l’administration fiscale à accéder à des locaux habités doit faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, de sorte que la motivation de ladite autorisation doit faire ressortir l’évaluation à laquelle ce juge a procédé pour la délivrer, sur la base des éléments qui lui ont été soumis.

IMPOTS SUR LES REVENUS - ETABLISSEMENT DE L'IMPOT - Preuve - Généralités - Visite réalisée par des agents de l'administration fiscale - Autorisation - Contrôle juridictionnel - Finalité - Condition - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTEE - Preuve - Visite réalisée par des agents de l'administration fiscale - Autorisation - Contrôle juridictionnel - Finalité - Condition [notice6]

Lorsque l’infraction de blanchiment consiste à dissimuler ou déguiser la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété d’avantages patrimoniaux illégaux, au sens de l’article 505, alinéa 1er, 4°, du Code pénal, et que ce résultat est atteint par la conversion d’avantages patrimoniaux illégaux en d’autres biens, les biens obtenus grâce à cette conversion ne constituent pas l’objet de l’infraction de blanchiment mais un avantage patrimonial provenant de cette infraction au sens de l’article 42, 3° du Code pénal (1). (1) Cass. 9 septembre 2014, AR P.14.0447.N, Pas. 2014, n° 504; Cass. 27 avril 2010, AR P.10.0104.N, Pas. 2010, n° 287; Cass. 12 janvier 2010, AR P.09.1458.N, Pas. 2010, n° 22.

RECEL - Infraction de blanchiment - Fait de dissimuler ou déguiser des avantages patrimoniaux illégaux - Conversion d'avantages patrimoniaux illégaux en d'autres biens - Biens provenant de cette conversion - Nature [notice8]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1026, 5°, et 1027, al. 1er - 01 / No pub 1967101052 ;

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 319, al. 2 - 30 / No pub 1992003455 ;

Code de la taxe sur la valeur ajoutée - 03-07-1969 - Art. 63, al. 3 - 32

[notice4]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 5, al. 1er - 01 / No pub 1867060850

[notice5]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 5 - 01 / No pub 1867060850

[notice6]

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 319 - 30 / No pub 1992003455 ;

Code de la taxe sur la valeur ajoutée - 03-07-1969 - Art. 63 - 32

[notice8]

Code pénal - 08-06-1867 - Art. 42, 3°, et 505, al. 1er, 4° - 01 / No pub 1867060850


Composition du Tribunal
Président : VAN VOLSEM FILIP
Greffier : VANDEN BOSSCHE KRISTEL
Ministère public : TIMPERMAN MARC
Assesseurs : HOET PETER, LIEVENS ANTOINE, FRANCIS ERWIN, COUWENBERG ILSE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-12-17;p.19.0845.n ?

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