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12/09/2019 | BELGIQUE | N°C.19.0005.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 12 septembre 2019, C.19.0005.N


N° C.19.0005.N
ESSENT BELGIUM, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. VLAAMSE REGULATOR VAN DE ELEKTRICITEITS- EN GASMARKT (VREG), agence autonomisée externe de droit public dotée de la personnalité juridique,
défenderesse,
2. RÉGION FLAMANDE,
partie citée en intervention,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles (numéro de rôle 2017AR/1473).
Le premier avocat général R

ia Mortier a déposé des conclusions le 27 mai 2019.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
...

N° C.19.0005.N
ESSENT BELGIUM, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. VLAAMSE REGULATOR VAN DE ELEKTRICITEITS- EN GASMARKT (VREG), agence autonomisée externe de droit public dotée de la personnalité juridique,
défenderesse,
2. RÉGION FLAMANDE,
partie citée en intervention,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Bruxelles (numéro de rôle 2017AR/1473).
Le premier avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions le 27 mai 2019.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
Le premier avocat général Ria Mortier a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Quant à la première branche :
1. Conformément à l'article 26, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour constitutionnelle statue, à titre préjudiciel, par voie d'arrêt, sur les questions relatives à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134 de la Constitution, des règles prévues par ou en vertu de la Constitution pour déterminer les compétences différentes de l'État, des Communautés et des Régions.
Aux termes de l'article 26, § 2, alinéa 1er, de la loi spéciale précitée, lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction, celle-ci doit demander à la Cour constitutionnelle de statuer sur cette question.
2. Selon l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les régions exercent leur compétence en matière économique dans le respect des principes de la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux et de la liberté de commerce et d'industrie, ainsi que dans le respect du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire, tel qu'il est établi par ou en vertu de la loi, et par ou en vertu des traités internationaux.
3. La Cour constitutionnelle a reconnu l'union économique et monétaire, telle que consacrée par la disposition susmentionnée, comme principe général de limitation des compétences, limitant toutes les compétences des Communautés et des Régions par rapport à l'État.
La Cour constitutionnelle considère notamment, selon une jurisprudence constante, qu'il ressort de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, précité, de la loi spéciale du 8 août 1980 que la structure de l'État belge repose sur une union économique et monétaire caractérisée par un marché intégré et l'unité de la monnaie. Bien que la disposition précitée s'inscrive dans le cadre de l'attribution de compétences aux régions en ce qui concerne l'économie, cette disposition traduit la volonté du législateur spécial de maintenir une réglementation de base uniforme d'organisation de l'économie dans un marché intégré (C. const. 25 février 1988, n° 47/88; C. const. 15 octobre 1996, n° 55/96; C. const. 12 juin 1997, n° 34/97; C. const. 26 mai 1999, n° 53/99; C. const. 19 juillet 2005, n° 132/2005; C. const. 28 octobre 2010, n° 123/2010; C. const. 10 juillet 2014, n° 104/2014).
4. Il s'ensuit que le principe de l'union économique et monétaire constitue une règle répartitrice de compétence au sens de l'article 26, § 1er, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 relative à la Cour constitutionnelle, dont seule la Cour constitutionnelle peut contrôler la violation par un décret.
5. L'article 23, § 1er, du décret du 17 juillet 2000 relatif à l'organisation du marché de l'électricité dispose que tout opérateur fournissant de l'électricité à des clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau de transport est tenu de remettre à l'autorité de régulation, chaque année avant le 31 mars, le nombre de certificats verts déterminé en application du paragraphe 2.
En vertu de l'article 37 du décret, l'instance de régulation peut enjoindre à toute personne physique ou morale établie en Région flamande de se conformer à la disposition précitée dans le délai qu'elle détermine et elle peut, si cette personne reste en défaut à l'expiration du délai, lui infliger une amende administrative.
6. L'article 25 du décret précité prévoit que, sans préjudice de l'article 23, §§ 1er et 2, le gouvernement flamand est autorisé, après avis de l'autorité de régulation et compte tenu de l'existence de garanties égales ou équivalentes en matière d'octroi de pareils certificats, à accepter des certificats pour l'électricité verte qui n'est pas produite en Région flamande.
Le gouvernement flamand, qui a la liberté, en vertu de la disposition précitée, de faire usage ou non de cette autorisation, n'a pas adopté de décret d'application reconnaissant l'égalité ou l'équivalence de la délivrance de certificats pour l'électricité verte produite dans la Région wallonne ou la Région de Bruxelles-Capitale.
7. Les juges d'appel ont considéré que l'intervention requise du Gouvernement flamand pour accepter, en vertu de l'article 25 du décret précité, l'égalité ou l'équivalence des certificats pour l'électricité verte produite en Région wallonne ou en Région de Bruxelles-Capitale n'est pas contraire au principe de l'union économique et monétaire, sans toutefois avoir soumis une question préjudicielle à ce sujet à la Cour constitutionnelle.
Les juges d'appel se sont ainsi approprié la compétence de la Cour constitutionnelle.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la seconde branche :
8. En vertu de l'article 28 du Traité CE, tel qu'applicable, qui correspond à l'article 11 de l'accord EEE, les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres.
En vertu de l'article 30 du Traité CE, tel qu'applicable, qui correspond à l'article 13 de l'accord EEE, les dispositions des articles 28 et 29 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
9. L'article 23, § 1er, alinéa 1er, du décret du 17 juillet 2000 relatif à l'organisation du marché de l'électricité dispoe que tout opérateur fournissant de l'électricité à des clients finals raccordés au réseau de distribution ou au réseau de transport est tenu de remettre à l'autorité de régulation, chaque année avant le 31 mars, le nombre de certificats verts déterminé en application du paragraphe 2.
En vertu de l'article 37 du décret, l'autorité de régularisation peut enjoindre à toute personne physique ou morale établie en Région flamande de se conformer à la disposition précitée dans le délai qu'elle détermine et elle peut, si cette personne reste en défaut à l'expiration du délai, lui infliger une amende administrative.
10. L'article 25 du décret précité prévoit que, sans préjudice de l'article 23, §§ 1er et 2, le gouvernement flamand est autorisé, après avis de l'autorité de régulation et compte tenu de l'existence de garanties égales ou équivalentes en matière d'octroi de pareils certificats, à accepter des certificats pour l'électricité verte qui n'est pas produite en Région flamande.
Le gouvernement flamand, qui a la liberté, en vertu de la disposition précitée, de faire usage ou non de cette autorisation, n'a pas adopté de décret d'application reconnaissant l'égalité ou l'équivalence de la délivrance de garanties d'origine en provenance d'autres États membres de l'Union ou de pays tiers parties à l'accord EEE.
11. Dans son arrêt du 11 septembre 2014, affaires jointes C-204/12 à C-208/12, Essent Belgium sa / Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt, la Cour de justice de l'Union européenne a, sur question préjudicielle posée par le premier juge, considéré dans ce litige que les articles 28 et 30 du Traité CE et 11 et 13 de l'accord EEE ne s'opposent pas à la réglementation nationale précitée, qui prévoit l'octroi de certificats négociables par l'autorité régionale de régulation compétente pour l'électricité verte produite sur le territoire de la région concernée et qui oblige les fournisseurs d'électricité, sous peine d'une amende administrative, à remettre annuellement à cette autorité de régulation une certaine quantité de ces certificats correspondant à une certaine proportion de leur électricité totale fournie à cette région, ces fournisseurs ne pouvant remplir cette obligation en utilisant des garanties d'origine d'autres États membres de l'Union ou de pays tiers parties à l'accord EEE, pour autant que :
- soient institués des mécanismes qui assurent la mise en place d'un véritable marché des certificats où l'offre et la demande puissent se rencontrer et tendre vers l'équilibre, de sorte qu'il soit possible aux fournisseurs intéressés de s'y approvisionner en certificats de manière effective et dans des conditions équitables ;
- le mode de calcul et le montant de l'amende administrative à acquitter par les fournisseurs n'ayant pas satisfait à cette obligation soient fixés de manière à ne pas excéder ce qui est nécessaire aux fins d'inciter les producteurs à accroître effectivement leur production d'électricité verte et les fournisseurs soumis à ladite obligation à procéder à l'acquisition effective des certificats requis, en évitant, notamment, de pénaliser lesdits fournisseurs d'une manière qui serait excessive (point 116).
La Cour de justice précise qu'il découle en effet de la réglementation nationale que, lorsque des fournisseurs importent de l'électricité verte en provenance d'autres États membres, la commercialisation ou la consommation de cette électricité exigent, en règle générale, qu'ils achètent des certificats verts de la Région flamande à raison de la quantité d'électricité ainsi importée (point 106).
La Cour de justice considère que le bon fonctionnement d'un tel régime national implique ainsi l'existence de mécanismes de marché qui soient de nature à permettre aux opérateurs qui sont soumis à l'obligation de quota et qui ne disposent pas encore des certificats verts requis aux fins de s'acquitter de ladite obligation, de s'approvisionner en certificats de manière effective et dans des conditions équitables (points 111 et 112).
12. En vertu de l'article 267, paragraphe 1er, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation des Traités et sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne rendu sur question préjudicielle lie, non seulement le juge de renvoi, mais également tout autre juge national, en ce qui concerne l'interprétation des dispositions en cause du droit de l'Union, sous réserve de la possibilité pour ce juge national de poser une nouvelle question à la Cour de justice.
13. Les juges d'appel ont considéré que l'intervention requise du Gouvernement flamand pour accepter l'égalité ou l'équivalence de garanties en provenance d'autres États membres de l'Union ou de pays tiers parties à l'accord EEE, en vertu de l'article 25 du décret susmentionné, ne constitue pas une violation du droit de l'Union, sans toutefois vérifier les conditions fixées par la Cour de justice pour s'assurer que la réglementation nationale est conforme aux articles 28 et 30 du Traité CE et aux articles 11 et 13 de l'accord EEE.
14. En ne donnant ainsi pas suite à l'interprétation contraignante donnée par la Cour de justice aux dispositions susmentionnées du droit de l'Union européenne, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il déclare légale la décision de la défenderesse d'infliger une amende administrative et statue sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Alain Smetryns, les conseillers Geert Jocqué, Bart Wylleman et Ilse Couwenberg, et prononcé en audience publique du douze septembre deux mille dix-neuf par le président de section Eric Dirix, en présence de l'avocat général André Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 1n - eerste kamer
Numéro d'arrêt : C.19.0005.N
Date de la décision : 12/09/2019
Type d'affaire : Droit constitutionnel - Droit européen - Droit administratif

Analyses

Il suit de la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle que le principe de l'union économique et monétaire constitue une règle répartitrice de compétence au sens de l'article 26, § 1, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 relative à la Cour constitutionnelle, dont seule la Cour constitutionnelle peut contrôler la violation par un décret (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

ECONOMIE - Union économique et monétaire - Règle répartitrice de compétences - Violation - Conséquence - COUR CONSTITUTIONNELLE [notice1]

Un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne rendu sur question préjudicielle qui a considéré que les articles 28 et 30 du Traité CE et 11 et 13 de l'accord EEE ne s'opposent pas, sous certaines conditions, à une réglementation nationale qui prévoit l'octroi de certificats négociables par l'autorité régionale de régulation compétente pour l'électricité verte produite sur le territoire de la région concernée et qui oblige les fournisseurs d'électricité à lui remettre une certaine quantité de ces certificats, ceux-ci ne pouvant remplir cette obligation en utilisant des garanties d'origine en provenance d'autres États membres de l'Union ou de pays tiers parties à l'accord EEE, lie non seulement le juge de renvoi, mais également tout autre juge national, en ce qui concerne les dispositions en cause du droit de l'Union, sous réserve de la possibilité pour ce juge national de poser une nouvelle question à la Cour de justice, de sorte que les juges d'appel qui considèrent que l'intervention requise du Gouvernement flamand pour accepter l'égalité ou l'équivalence de garanties d'origine en provenance d'autres États membres de l'Union européenne ou de pays tiers parties à l'accord EEE ne constitue pas une violation du droit de l'Union sans vérifier les conditions fixées par la Cour de justice pour cette réglementation n'ont pas légalement justifié leur décision (1). (1) Voir les concl. du MP publiées à leur date dans AC.

UNION EUROPEENNE - QUESTIONS PREJUDICIELLES - Cour de justice - Question préjudicielle - Arrêt - Interprétation du droit de l'union - Conséquence - UNION EUROPEENNE - DROIT MATERIEL - Institutions - ENERGIE - Certificats verts - Réglementation nationale - Compatibilité avec le droit de l'union - Question préjudicielle à la Cour de justice - Arrêt - Conséquence [notice3]


Références :

[notice1]

Loi - 06-01-1989 - Art. 26, § 1er, 1° - 30 / No pub 1989021001

[notice3]

Traité CE - 25-03-1957 - Art. 267, al. 1er - 01 / Lien DB Justel 19570325-01 ;

Décret Conseil flamand - 17-07-2000 - Art. 23, § 1er, al. 1er, et 25 - 77 / No pub 2000035898


Composition du Tribunal
Président : DIRIX ERIC
Greffier : VAN DE SIJPE VANESSA
Ministère public : MORTIER RIA
Assesseurs : SMETRYNS ALAIN, WYLLEMAN BART, COUWENBERG ILSE, JOCQUE GEERT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2019-09-12;c.19.0005.n ?

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