N° C.11.0199.N
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
contre
VILLE D'ANVERS,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2010 par la cour d'appel d'Anvers.
Le 6 décembre 2011, l'avocat général Dirk Thijs a déposé des conclusions écrites.
Le conseiller Geert Jocqué a fait rapport et l'avocat général Dirk Thijs a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Quant à la première branche :
1. La directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité (ci-après dite directive 2003/96) dispose à l'article 5, troisième (lire : deuxième) tiret, que des taux de taxation différenciés peuvent être appliqués sous contrôle fiscal par les États membres pour les transports publics locaux de passagers (y compris les taxis), la collecte des déchets, les forces armées et l'administration publique, les personnes handicapées, les ambulances, à condition que ces taux de taxation respectent les niveaux minima de taxation prévus par cette directive et soient conformes au droit communautaire.
L'article 7 de la directive 2003/96 dispose que :
« 1. À partir du 1er janvier 2004 et du 1er janvier 2010, les niveaux minima de taxation applicables aux carburants sont fixés conformément à l'annexe I, tableau A. (...)
2. Les États membres peuvent établir une différence entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé utilisé comme carburant, à condition que les niveaux minima communautaires soient respectés et que le taux fixé pour le gazole à usage commercial utilisé comme carburant ne soit pas inférieur au niveau national de taxation en vigueur au 1er janvier 2003, nonobstant toute dérogation à cette utilisation prévue dans la présente directive.
3. Par ‘gazole à usage commercial utilisé comme carburant', on entend le gazole utilisé comme carburant aux fins ci-après : a) le transport de marchandises, pour compte d'autrui ou pour compte propre, par un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules couplés destinés exclusivement au transport de marchandises par route et ayant un poids maximum en charge autorisé égal ou supérieur à 7,5 tonnes (...) ».
Suivant le considérant 19 de la directive 2003/96, la taxation du carburant diesel utilisé par les transporteurs routiers, notamment ceux qui exercent des activités intracommunautaires, exige la possibilité d'un traitement spécifique, y compris des mesures permettant l'introduction d'un système de redevances sur les infrastructures routières, afin de limiter les distorsions de concurrence auxquelles les opérateurs pourraient avoir à faire face.
Le considérant 20 de la directive 2003/96 énonce que les États membres peuvent être contraints d'établir une différence entre le gazole à usage commercial et le gazole à usage privé. Ils peuvent mettre cette situation à profit pour réduire l'écart entre la taxation du gazole à usage privé comme carburant et celle de l'essence.
2. Il suit du considérant 19 de la directive 2003/96 et de sa genèse que le législateur européen a entendu remédier aux différences de traitement fiscal des produits énergétiques dans les États membres auxquelles sont confrontées les entreprises, notamment les transporteurs professionnels de marchandises et de personnes par route. L'objectif de la directive est de servir de fondement à un marché efficace et à une concurrence plus loyale.
Outre le traitement différencié possible en cas d'usage commercial de gazole, tel qu'il est déterminé à l'article 7 de la directive 2003/96, l'article 5 de cette directive permet l'application de taux de taxation différenciés aux transports publics de passagers, à la collecte des déchets, aux forces armées et à l'administration publique, aux personnes handicapées et aux ambulances. Il s'agit de formes d'usages qui sont, en règle, assurées par l'autorité publique.
Il apparaît manifestement de la directive même et de sa genèse que le gazole à usage commercial, tel qu'il est défini à l'article 7.3 de la directive 2003/96, ne vise pas le gazole utilisé par l'autorité publique pour le transport de marchandises par route.
3. La directive 2003/96 a été transposée en droit belge par l'arrêté royal du 29 février 2004 portant des dispositions diverses en matière d'accise et par la loi-programme du 27 décembre 2004.
L'article 3, b) de l'arrêté royal du 29 février 2004 et l'article 429, § 5, 1), c) de la loi-programme du 27 décembre 2004, tels qu'applicables en l'espèce, disposent que du gazole déterminé d'une teneur en souffre ne dépassant pas 50mg/kg, utilisé comme carburant, est exempté de l'augmentation du droit d'accise spécial intervenant après le 1er janvier 2004, lorsqu'il est utilisé aux fins du « transport de marchandises, pour compte d'autrui ou pour compte propre, par un véhicule à moteur ou un ensemble de véhicules couplés destinés exclusivement au transport de marchandises par route et dont la masse maximale autorisée est égale ou supérieure à 7,5 tonnes ».
Le rapport au Roi précédant l'arrêté royal du 29 février 2004 explique l'article 3 de l'arrêté royal comme suit : « L'article 3 du présent arrêté concerne la création d'un taux d'accise spécifique pour le secteur du transport des personnes et des marchandises. En l'occurrence, ces secteurs professionnels seront exemptés, pour le gazole à faible teneur en soufre qu'ils utilisent, des augmentations du droit d'accise spécial intervenant après le 1er janvier 2004 ».
Il en ressort que l'exemption visée de l'augmentation du droit d'accise ne s'applique pas au gazole utilisé par l'autorité publique pour le transport de marchandises par route.
4. En considérant que l'exemption de l'article 429, § 5, 1), c) de la loi-programme du 27 décembre 2004 s'applique aussi à la défenderesse, les juges d'appel ont violé cette disposition légale.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la question préjudicielle posée à la Cour constitutionnelle :
5. Les personnes morales de droit public ne peuvent pas constituer une catégorie de personnes comparables aux personnes morales de droit privé, même si elles fournissent des services comparables.
L'inégalité alléguée ne concerne, dès lors, pas des situations égales.
6. Il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président faisant fonction Edward Forrier, le président de section Eric Dirix, les conseillers Beatrijs Deconinck, Alain Smetryns et Geert Jocqué, et prononcé en audience publique du dix-neuf avril deux mille douze par le premier président faisant fonction Edward Forrier, en présence de l'avocat général Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sylviane Velu et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,