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18/11/2020 | FRANCE | N°427234

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 18 novembre 2020, 427234


Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 juin 2013 par laquelle l'inspecteur du travail de la 4ème section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé la société Papillon à procéder à son licenciement pour inaptitude. Par un jugement n° 1306320 du 1er février 2016, le tribunal administratif a fait droit à sa demande et annulé la décision du 4 juin 2013.

Par un arrêt n° 16VE00805 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rej

eté l'appel formé par la société Papillon contre ce jugement.

Par un pourvoi ...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 juin 2013 par laquelle l'inspecteur du travail de la 4ème section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a autorisé la société Papillon à procéder à son licenciement pour inaptitude. Par un jugement n° 1306320 du 1er février 2016, le tribunal administratif a fait droit à sa demande et annulé la décision du 4 juin 2013.

Par un arrêt n° 16VE00805 du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Papillon contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 janvier 2019, le 12 avril 2019 et le 13 octobre 2020, la société Papillon demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Grosset, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Papillon et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme B... A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un avis du 21 février 2013, le médecin du travail a déclaré Mme A..., salariée de la société Papillon détenant un mandat de délégué du personnel, " inapte à l'emploi dans l'entreprise ". A la suite de cet avis, la société Papillon a adressé à Mme A... deux propositions de reclassement interne à l'entreprise, nécessitant une ou plusieurs formations qualifiantes préalables, ainsi qu'une proposition de transformation de son poste ou d'aménagement du temps de travail. Le médecin du travail ayant confirmé l'impossibilité d'un reclassement interne et la salariée ayant refusé ces propositions, la société Papillon a sollicité l'autorisation de licencier l'intéressée pour inaptitude physique. Par une décision du 4 juin 2013, l'inspecteur du travail de la 4ème section de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine, bien qu'ayant estimé que l'entreprise n'avait pas sérieusement cherché à reclasser la salariée, a autorisé le licenciement de Mme A..., compte tenu de son état de santé et de l'avis du médecin du travail concluant à l'impossibilité d'un reclassement interne. Par un jugement du 1er février 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision du 4 juin 2013. La société Papillon se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 novembre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. ". Selon l'article R. 4624-31 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou lorsqu'un examen de pré reprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus, l'avis d'inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen. ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé et si, dans l'affirmative, l'employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise ou au sein du groupe, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. La circonstance que l'avis du médecin du travail déclare le salarié protégé " inapte à tout emploi dans l'entreprise " ne dispense pas l'employeur, qui connaît les possibilités d'aménagement de l'entreprise et peut solliciter le groupe auquel il appartient, le cas échéant, de rechercher toute possibilité de reclassement dans l'entreprise ou au sein du groupe. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que, le cas échéant, au sein du groupe auquel elle appartient.

4. Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour inaptitude physique et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le sérieux des recherches de reclassement réalisées par l'employeur, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de cette appréciation.

5. Pour rejeter l'appel de la société Papillon, la cour s'est bornée à constater, comme l'avait fait le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, que l'inspecteur du travail avait autorisé le licenciement de la salariée tout en relevant que la société ne s'était pas acquittée de son obligation de recherche sérieuse de reclassement. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'en s'abstenant de vérifier le bien-fondé de l'appréciation de l'inspecteur du travail sur ce dernier point, que la société contestait, la cour administrative d'appel de Versailles a méconnu son office et entaché son arrêt d'erreur de droit.

6. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la société Papillon est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société Papillon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions ainsi que celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de Mme A....

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt n° 16VE00805 de la cour administrative d'appel de Versailles du 20 novembre 2018 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions présentées par la SCP Matuchansky, Poupot,Valdelièvre au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Papillon est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Papillon et à Mme B... A....

Copie sera adressée à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 427234
Date de la décision : 18/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - DEVOIRS DU JUGE - AUTORISATION ADMINISTRATIVE DE LICENCIER UN SALARIÉ PROTÉGÉ - AUTORISATION ACCORDÉE POUR INAPTITUDE PHYSIQUE DE L'INTÉRESSÉ ET MALGRÉ LA MÉCONNAISSANCE PAR L'EMPLOYEUR - SELON L'INSPECTEUR DU TRAVAIL - DE SON OBLIGATION DE RECHERCHE SÉRIEUSE DE RECLASSEMENT - OBLIGATION DE VÉRIFIER LE BIEN-FONDÉ DE CETTE DERNIÈRE APPRÉCIATION [RJ1].

54-07-01-07 Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour inaptitude physique et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le sérieux des recherches de reclassement réalisées par l'employeur, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de cette appréciation.... ,,Dès lors, méconnaît son office et commet une erreur de droit le juge de l'excès de pouvoir qui, pour déclarer illégale la décision d'un inspecteur du travail, se borne à constater que celui-ci avait autorisé le licenciement du salarié tout en relevant que l'employeur ne s'était pas acquitté de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, sans vérifier le bien-fondé de l'appréciation de l'inspecteur du travail sur ce dernier point, que l'employeur contestait.

TRAVAIL ET EMPLOI - LICENCIEMENTS - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION - MOTIFS AUTRES QUE LA FAUTE OU LA SITUATION ÉCONOMIQUE - INAPTITUDE - MALADIE - AUTORISATION ACCORDÉE MALGRÉ LA MÉCONNAISSANCE PAR L'EMPLOYEUR - SELON L'INSPECTEUR DU TRAVAIL - DE SON OBLIGATION DE RECHERCHE SÉRIEUSE DE RECLASSEMENT - OFFICE DU JUGE - OBLIGATION DE VÉRIFIER LE BIEN-FONDÉ DE CETTE DERNIÈRE APPRÉCIATION [RJ1].

66-07-01-04-035-02 Lorsque le juge administratif est saisi d'un litige portant sur la légalité de la décision par laquelle l'autorité administrative a autorisé le licenciement d'un salarié protégé pour inaptitude physique et qu'il se prononce sur le moyen tiré de ce que l'administration a inexactement apprécié le sérieux des recherches de reclassement réalisées par l'employeur, il lui appartient de contrôler le bien-fondé de cette appréciation.... ,,Dès lors, méconnaît son office et commet une erreur de droit le juge de l'excès de pouvoir qui, pour déclarer illégale la décision d'un inspecteur du travail, se borne à constater que celui-ci avait autorisé le licenciement du salarié tout en relevant que l'employeur ne s'était pas acquitté de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, sans vérifier le bien-fondé de l'appréciation de l'inspecteur du travail sur ce dernier point, que l'employeur contestait.


Références :

[RJ1]

Rappr., s'agissant de l'appréciation de la réalité des motifs économiques lorsque la société fait partie d'un groupe, CE, 29 juin 2020, Société Papeteries du Leman, n° 417940, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 nov. 2020, n° 427234
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Grosset
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/12/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:427234.20201118
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