La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/04/2018 | FRANCE | N°407989

France | France, Conseil d'État, 1ère et 4ème chambres réunies, 26 avril 2018, 407989


Vu la procédure suivante :

Le préfet du Val-d'Oise a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction, révélée par une lettre du 30 juin 2014, par laquelle le président du conseil général du Val-d'Oise a demandé à ses services d'orienter systématiquement vers le service intégré d'accueil et d'orientation (115) du Val-d'Oise toute demande d'hébergement d'urgence à compter du 1er septembre 2014, et d'évaluer la situation des femmes isolées, enceintes ou accompagnées d'enfants âgés de moins de trois ans " dans le seul c

adre d'une information préoccupante ". Par un jugement n° 1410500 du 9 juil...

Vu la procédure suivante :

Le préfet du Val-d'Oise a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction, révélée par une lettre du 30 juin 2014, par laquelle le président du conseil général du Val-d'Oise a demandé à ses services d'orienter systématiquement vers le service intégré d'accueil et d'orientation (115) du Val-d'Oise toute demande d'hébergement d'urgence à compter du 1er septembre 2014, et d'évaluer la situation des femmes isolées, enceintes ou accompagnées d'enfants âgés de moins de trois ans " dans le seul cadre d'une information préoccupante ". Par un jugement n° 1410500 du 9 juillet 2015, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cette instruction.

Par un arrêt n° 15VE02924 du 15 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le département du Val-d'Oise contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 février 2017, 15 mai 2017 et 15 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département du Val-d'Oise demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la département du Val-d'Oise ;

Considérant ce qui suit :

1. En premier lieu, l'interprétation que l'autorité administrative donne, notamment par voie de circulaires ou d'instructions, des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief. En revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par l'instruction portée à la connaissance du préfet du département par courrier du 30 juin 2014, le président du conseil général du Val-d'Oise a demandé aux services du département d'orienter systématiquement vers le service intégré d'accueil et d'orientation (115), à compter du 1er septembre suivant, toute demande d'hébergement d'urgence et d'évaluer la situation des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans exclusivement " dans le cadre d'une information préoccupante ", telle que prévue au 5° de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles. La cour administrative d'appel de Versailles n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que cette instruction revêtait un caractère impératif et général et en en déduisant qu'elle pouvait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

3. En second lieu, aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique (...) aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social (...) / (...) / 3° Mener en urgence des actions de protection en faveur des mineurs mentionnés au 1° du présent article ; / (...) / 5° (...) organiser le recueil et la transmission, dans les conditions prévues à l'article L. 226-3, des informations préoccupantes relatives aux mineurs dont la santé, la sécurité, la moralité sont en danger ou risquent de l'être ou dont l'éducation ou le développement sont compromis ou risquent de l'être, et participer à leur protection (...) ". Aux termes de l'article L. 222-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'instruction en litige: " (...) les prestations d'aide sociale à l'enfance mentionnées au présent chapitre sont accordées par décision du président du conseil général du département où la demande est présentée ". Aux termes de l'article L. 222-5 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : / (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. (...) ". Enfin, il résulte de l'article L. 221-2 de ce code que le département doit notamment disposer de " possibilités d'accueil d'urgence " ainsi que de " structures d'accueil pour les femmes enceintes et les mères avec leurs enfants " et de son article L. 222-3 que les prestations d'aide sociale à l'enfance peuvent prendre la forme du versement d'aides financières.

4. Aux termes de l'article L. 121-7 du code de l'action sociale et des familles : " Sont à la charge de l'Etat au titre de l'aide sociale : (...) 8° Les mesures d'aide sociale en matière de logement, d'hébergement et de réinsertion, mentionnées aux articles L. 345-1 à L. 345-3 ". Aux termes de l'article L. 345-1 du même code : " Bénéficient, sur leur demande, de l'aide sociale pour être accueillies dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2 de ce code : " Dans chaque département est mis en place, sous l'autorité du représentant de l'Etat, un dispositif de veille sociale chargé d'accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu'appelle leur état. Cette orientation est assurée par un service intégré d'accueil et d'orientation, dans les conditions définies par la convention conclue avec le représentant de l'Etat dans le département prévue à l'article L. 345-2-4. (...) ". Aux termes de l'article L. 345-2-2 du même code : " Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. (...) ".

5. D'une part, s'il résulte des dispositions citées au point 4 que sont en principe à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement des personnes qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, ainsi que l'hébergement d'urgence des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, il résulte des dispositions citées au point 3 que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département en vertu de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. Si toute personne peut s'adresser au service intégré d'accueil et d'orientation prévu par l'article L. 345-2 du même code et si l'Etat ne pourrait légalement refuser à ces femmes un hébergement d'urgence au seul motif qu'il incombe en principe au département d'assurer leur prise en charge, l'intervention de l'Etat ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où le département n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent et ne fait d'ailleurs pas obstacle à ce que puisse être recherchée la responsabilité du département en cas de carence avérée et prolongée.

6. D'autre part, si l'article L. 223-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit que l'attribution d'une prestation d'aide sociale à l'enfance " est précédée d'une évaluation de la situation prenant en compte l'état du mineur, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement ", ces dispositions ne s'opposent pas à ce que le service de l'aide sociale à l'enfance réalise en urgence des actions de protection nécessaires à l'égard des personnes qu'il doit prendre en charge, ainsi que le prévoit le 3° de l'article L. 221-1 du même code cité au point 3. En outre, il ne résulte pas des dispositions des articles L. 226-3 et R. 226-2-2 du même code, qui prévoient le recueil, le traitement et l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, que la compétence du département au titre de l'aide sociale à l'enfance pourrait être limitée aux situations dans lesquelles un enfant a fait l'objet d'une telle information.

7. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que l'hébergement d'urgence des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombait au département dans le cadre de sa mission d'aide sociale à l'enfance.

8. Il résulte de ce qui précède que le département du Val-d'Oise n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué. Dans ces conditions, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du département du Val-d'Oise est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au département du Val-d'Oise et à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère et 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407989
Date de la décision : 26/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

AIDE SOCIALE - ORGANISATION DE L'AIDE SOCIALE - DÉTERMINATION DE LA COLLECTIVITÉ AYANT LA CHARGE DE L'AIDE - AIDE SOCIALE À L'ENFANCE - PRISE EN CHARGE DES FEMMES ENCEINTES ET DES MÈRES ISOLÉES AVEC LEURS ENFANTS DE MOINS TROIS ANS - 1) COMPÉTENCE DE PRINCIPE DU DÉPARTEMENT - Y COMPRIS S'AGISSANT DE L'HÉBERGEMENT - COMPÉTENCE SUPPLÉTIVE DE L'ETAT [RJ1] - 2) OBLIGATIONS DU DÉPARTEMENT FACE À UNE SITUATION D'URGENCE - PROTECTION DES MINEURS QU'IL DOIT PRENDRE EN CHARGE - NONOBSTANT L'ABSENCE D'ÉVALUATION PRÉALABLE ET DE RECUEIL DES INFORMATIONS PRÉOCCUPANTES.

04-01-005 1) S'il résulte des articles L. 121-7, L. 345-1, L. 345-2 et L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles (CASF) que sont en principe à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement des personnes qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, ainsi que l'hébergement d'urgence des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, il résulte des articles L. 221-1, L. 222-1, L. 222-5 et L. 221-2 du même code que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département en vertu de l'article L. 222-5 du CASF. Si toute personne peut s'adresser au service intégré d'accueil et d'orientation prévu par l'article L. 345-2 du même code et si l'Etat ne pourrait légalement refuser à ces femmes un hébergement d'urgence au seul motif qu'il incombe en principe au département d'assurer leur prise en charge, l'intervention de l'Etat ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où le département n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne fait d'ailleurs pas obstacle à ce que puisse être recherchée la responsabilité du département en cas de carence avérée et prolongée.,,,2) Si l'article L. 223-1 du CASF prévoit que l'attribution d'une prestation d'aide sociale à l'enfance est précédée d'une évaluation de la situation prenant en compte l'état du mineur, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement, ces dispositions ne s'opposent pas à ce que le service de l'aide sociale à l'enfance réalise en urgence des actions de protection nécessaires à l'égard des personnes qu'il doit prendre en charge, ainsi que le prévoit le 3° de l'article L. 221-1 du même code. En outre, il ne résulte pas des dispositions des articles L. 226-3 et R. 226-2-2 du même code, qui prévoient le recueil, le traitement et l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, que la compétence du département au titre de l'aide sociale à l'enfance pourrait être limitée aux situations dans lesquelles un enfant a fait l'objet d'une telle information.

AIDE SOCIALE - DIFFÉRENTES FORMES D'AIDE SOCIALE - AIDE SOCIALE À L'ENFANCE - PRISE EN CHARGE DES FEMMES ENCEINTES ET DES MÈRES ISOLÉES AVEC LEURS ENFANTS DE MOINS TROIS ANS - 1) COMPÉTENCE DE PRINCIPE DU DÉPARTEMENT - Y COMPRIS S'AGISSANT DE L'HÉBERGEMENT - COMPÉTENCE SUPPLÉTIVE DE L'ETAT [RJ1] - 2) OBLIGATIONS DU DÉPARTEMENT FACE À UNE SITUATION D'URGENCE - PROTECTION DES MINEURS QU'IL DOIT PRENDRE EN CHARGE - NONOBSTANT L'ABSENCE D'ÉVALUATION PRÉALABLE ET DE RECUEIL DES INFORMATIONS PRÉOCCUPANTES.

04-02-02 1) S'il résulte des articles L. 121-7, L. 345-1, L. 345-2 et L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles (CASF) que sont en principe à la charge de l'Etat les mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement des personnes qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement, ainsi que l'hébergement d'urgence des personnes sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, il résulte des articles L. 221-1, L. 222-1, L. 222-5 et L. 221-2 du même code que la prise en charge, qui inclut l'hébergement, le cas échéant en urgence, des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile, incombe au département en vertu de l'article L. 222-5 du CASF. Si toute personne peut s'adresser au service intégré d'accueil et d'orientation prévu par l'article L. 345-2 du même code et si l'Etat ne pourrait légalement refuser à ces femmes un hébergement d'urgence au seul motif qu'il incombe en principe au département d'assurer leur prise en charge, l'intervention de l'Etat ne revêt qu'un caractère supplétif, dans l'hypothèse où le département n'aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne fait d'ailleurs pas obstacle à ce que puisse être recherchée la responsabilité du département en cas de carence avérée et prolongée.,,,2) Si l'article L. 223-1 du CASF prévoit que l'attribution d'une prestation d'aide sociale à l'enfance est précédée d'une évaluation de la situation prenant en compte l'état du mineur, la situation de la famille et les aides auxquelles elle peut faire appel dans son environnement, ces dispositions ne s'opposent pas à ce que le service de l'aide sociale à l'enfance réalise en urgence des actions de protection nécessaires à l'égard des personnes qu'il doit prendre en charge, ainsi que le prévoit le 3° de l'article L. 221-1 du même code. En outre, il ne résulte pas des dispositions des articles L. 226-3 et R. 226-2-2 du même code, qui prévoient le recueil, le traitement et l'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, que la compétence du département au titre de l'aide sociale à l'enfance pourrait être limitée aux situations dans lesquelles un enfant a fait l'objet d'une telle information.


Références :

[RJ1]

Rappr. CE, 27 juillet 2016, Département du Nord c/ M. Badiaga, n° 400055, p. 387 ;

CE, 8 novembre 2017, Groupement d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) et autres, n° 406256, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2018, n° 407989
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Sirinelli
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:407989.20180426
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award