La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/11/2016 | FRANCE | N°401321

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 16 novembre 2016, 401321


Vu la procédure suivante :

La société Opale Dmcc a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'ordonner la suspension de l'exécution de la délibération du 2 mai 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Erstein a prononcé la résiliation pour faute, avec effet au 15 juin 2016, de la délégation de service public conclue avec cette société pour l'exploitation du camping de Wagelrott.

Par une ordonnance n° 1603094 du 23 juin 2016, le juge des référés de ce tribunal, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative,

a suspendu cette délibération et a ordonné à la commune d'Erstein de reprend...

Vu la procédure suivante :

La société Opale Dmcc a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'ordonner la suspension de l'exécution de la délibération du 2 mai 2016 par laquelle le conseil municipal de la commune d'Erstein a prononcé la résiliation pour faute, avec effet au 15 juin 2016, de la délégation de service public conclue avec cette société pour l'exploitation du camping de Wagelrott.

Par une ordonnance n° 1603094 du 23 juin 2016, le juge des référés de ce tribunal, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu cette délibération et a ordonné à la commune d'Erstein de reprendre les relations contractuelles avec la société Opale Dmcc à titre provisoire.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8, 25 juillet et 17 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune d'Erstein demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Opale Dmcc ;

3°) de mettre à la charge de la société Opale Dmcc la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune d'Erstein et à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la société Opale Dmcc ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la commune d'Erstein a confié à la société Opale Dmcc, par une convention de délégation de service public signée le 23 septembre 2013, l'exploitation du camping municipal " Wagelrott ", auparavant géré en régie par la commune ; que, par la délibération attaquée du 2 mai 2016, le conseil municipal de la commune a décidé de résilier pour faute cette convention avec effet au 15 juin 2016 ; que la commune d'Erstein se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 23 juin 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit aux conclusions de la société Opale Dmcc tendant à la suspension de l'exécution de la délibération litigieuse et a ordonné à la commune d'Erstein de reprendre les relations contractuelles avec cette société à titre provisoire ;

3. Considérant qu'il incombe au juge des référés saisi, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à la suspension d'une mesure de résiliation, après avoir vérifié que l'exécution du contrat n'est pas devenue sans objet, de prendre en compte, pour apprécier la condition d'urgence, d'une part, les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l'exercice même de son activité, d'autre part, l'intérêt général ou l'intérêt de tiers, notamment du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s'attacher à l'exécution immédiate de la mesure de résiliation ;

4. Considérant que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a estimé qu'en faisant valoir la perte de revenus qui résulterait pour elle de la décision de résiliation contestée, la société requérante avait suffisamment justifié de la condition d'urgence ; qu'en se limitant à la prise en compte de ce seul élément pour caractériser l'atteinte grave et immédiate portée à ses intérêts par la résiliation de la convention, sans le rapporter aux autres données permettant d'évaluer sa situation financière et la menace pesant sur sa pérennité, notamment à son chiffre d'affaires global, alors d'ailleurs qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'elle exploitait d'autres campings, il a entaché son ordonnance d'erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la commune d'Erstein est fondée à en demander l'annulation ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Opale Dmcc en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant, d'une part, qu'indépendamment de la condition d'urgence, il incombe au juge des référés, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise à titre provisoire des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation ; que, d'autre part, pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise à titre provisoire des relations contractuelles, il incombe au juge d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation; que si tel est le cas, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles ;

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commune d'Erstein a résilié pour faute la convention de délégation de service public qu'elle a conclue avec la société Opale Dmcc aux motifs que la société délégataire n'avait pas réalisé les investissements contractuellement prévus, que de nombreuses plaintes d'usagers du camping avaient été déposées quant aux conditions d'accueil et au comportement de son gérant et que la société Opale Dmcc avait omis de collecter la taxe de séjour, refusé de pratiquer les tarifs validés par la commune et failli à sa mission en matière de sécurité, d'entretien et de nettoyage du camping ; que, compte tenu notamment des attestations d'usagers, corroborées par les services de l'Etat et du département, produites par la commune, la matérialité d'une partie des faits reprochés à la société n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, sérieusement contestable ; qu'ainsi, si la société requérante soutient que les fautes commises n'auraient pas atteint un degré de gravité tel qu'il justifiât une résiliation aux torts exclusifs de celle-ci, une reprise des relations contractuelles à titre provisoire serait, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par la commune d'Erstein ni sur la condition tenant à l'existence d'une situation d'urgence, que la demande de la société Opale Dmcc doit être rejetée ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par la société Opale Dmcc soient mises à la charge de la commune d'Erstein qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu, en revanche, en application des mêmes dispositions et au titre de l'ensemble de la procédure, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 4 500 euros à verser à la commune d'Erstein ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg du 23 juin 2016 est annulée.

Article 2 : La demande de la société Opale Dmcc présentée devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est rejetée.

Article 3 : La société Opale Dmcc versera à la commune d'Erstein une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par la société Opale Dmcc sur le même fondement sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Erstein et à la société Opale Dmcc.

Copie en sera adressée au ministre de l'aménagement des territoires, de la ruralité et des collectivités territoriales.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 401321
Date de la décision : 16/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

MARCHÉS ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES - PROCÉDURES D'URGENCE - RÉSILIATION D'UN CONTRAT ADMINISTRATIF - RECOURS TENDANT - SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE L - 521-1 DU CJA - À LA REPRISE PROVISOIRE DES RELATIONS CONTRACTUELLES - 1) OFFICE DU JUGE DES RÉFÉRÉS [RJ1] - 2) ESPÈCE.

39-08-015 1) Indépendamment de la condition d'urgence, il incombe au juge des référés, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise à titre provisoire des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation.,,,D'autre part, pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise à titre provisoire des relations contractuelles, il incombe au juge d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation. Si tel est le cas, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à une telle reprise des relations contractuelles.,,,2) Commune ayant résilié pour faute une convention de délégation de service public d'un camping aux motifs que le délégataire n'avait pas réalisé les investissements contractuellement prévus, que de nombreuses plaintes d'usagers avaient été déposées et que le délégataire avait omis de collecter la taxe de séjour, refusé de pratiquer les tarifs validés par la commune et failli à sa mission en matière de sécurité, d'entretien et de nettoyage. La matérialité d'une partie des faits reprochés à la société n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, sérieusement contestable.,,,Ainsi, si la société requérante soutient que les fautes commises n'auraient pas atteint un degré de gravité tel qu'il justifiât une résiliation à ses torts exclusifs, une reprise des relations contractuelles à titre provisoire serait, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général.

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART - L - 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - RÉSILIATION D'UN CONTRAT ADMINISTRATIF - RECOURS TENDANT À LA REPRISE PROVISOIRE DES RELATIONS CONTRACTUELLES [RJ1].

54-035-02-04 Indépendamment de la condition d'urgence, il incombe au juge des référés, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise à titre provisoire des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation.,,,Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise à titre provisoire des relations contractuelles, il incombe au juge d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation. Si tel est le cas, il doit, quels que soient les vices dont la mesure de résiliation est, le cas échéant, entachée, rejeter les conclusions tendant à une telle reprise des relations contractuelles.


Références :

[RJ1]

Cf., en précisant, CE, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, p. 117.


Publications
Proposition de citation : CE, 16 nov. 2016, n° 401321
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Rapporteur public ?: M. Olivier Henrard
Avocat(s) : SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:401321.20161116
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award