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26/07/2018 | FRANCE | N°400758

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 26 juillet 2018, 400758


Vu la procédure suivante :

La société coopérative agricole (SCA) COPEBI a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler le titre de recettes du 29 mars 2013 émis à son encontre par l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), en vue du recouvrement d'une somme de 5 042 768,78 euros correspondant au remboursement d'aides publiques qui lui ont été versées entre 1998 et 2002 et des intérêts correspondants. Par un jugement n° 1301517 du 20 janvier 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.

Par un ar

rêt n° 15MA00981 du 18 avril 2016, la cour administrative d'appel de Marseil...

Vu la procédure suivante :

La société coopérative agricole (SCA) COPEBI a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler le titre de recettes du 29 mars 2013 émis à son encontre par l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), en vue du recouvrement d'une somme de 5 042 768,78 euros correspondant au remboursement d'aides publiques qui lui ont été versées entre 1998 et 2002 et des intérêts correspondants. Par un jugement n° 1301517 du 20 janvier 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15MA00981 du 18 avril 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la SCA COPEBI.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 juin 2016 et 14 septembre 2016 et le 4 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCA COPEBI demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à l'interprétation de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 ;

4°) de mettre à la charge de FranceAgriMer la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CEE) n° 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972 ;

- le règlement (CE) n° 2200/96 du Conseil, du 28 octobre 1996 ;

- la décision 2009/402/CE de la Commission européenne, du 28 janvier 2009 ;

- les arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 27 septembre 2012 dans les affaires T-139/09, France/Commission, et T- 243/09, Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom) /Commission ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 février 2015 dans l'affaire C-37/14, Commission/France ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de la société Copebi et à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel vient FranceAgriMer, a mis en place, entre 1998 et 2002, une incitation conjoncturelle à la contractualisation des approvisionnements des industries de transformation des cerises dites bigarreaux à destination industrielle, sous la forme d'une aide financière à chaque campagne concernée. Cette aide était destinée aux groupements de producteurs ayant procédé au titre de la récolte en cause à des livraisons de bigarreaux aux industriels de la transformation dans le cadre de contrats pluriannuels conclus en application d'un accord interprofessionnel. L'aide versée par l'ONIFLHOR transitait par le Comité économique bigarreau industrie (CEBI), qui reversait les fonds à ses adhérents, dont la SCA COPEBI, laquelle a reçu une somme totale de 2 823 708,83 euros. Saisie d'une plainte, la Commission européenne a, par une décision 2009/402/CE du 28 janvier 2009, concernant les " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France, énoncé que les aides versées au secteur des fruits et légumes français avaient pour but de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur les marchés, que de telles interventions constituaient des aides d'Etat instituées en méconnaissance du droit de l'Union européenne et prescrit leur récupération. Cette décision a été confirmée par deux arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 27 septembre 2012, France/Commission (T-139/09), et Fédération de l'organisation économique fruits et légumes (Fedecom) /Commission (T-243/09). A la suite de ces arrêts, l'administration française a entrepris de récupérer les aides illégalement versées aux producteurs de bigarreaux d'industrie, dont la SCA COPEBI, à l'encontre de laquelle FranceAgriMer a émis, le 29 mars 2013, un titre de recettes en vue du recouvrement d'une somme de 5 042 768,78 euros correspondant au remboursement d'aides publiques versées entre 1998 et 2002 et des intérêts ayant couru. Par un jugement du 20 janvier 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société tendant à l'annulation de ce titre de recettes. Par un arrêt du 18 avril 2016, dont la société demande l'annulation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé contre ce jugement.

2. En premier lieu, il ressort des termes du jugement du tribunal administratif qu'il a écarté le moyen de la société tiré d'une insuffisante motivation du titre de recettes en relevant notamment que ce titre mentionnait que le montant de la somme mise à la charge de la société correspondait aux aides dites " plans de campagne " jugées incompatibles avec le droit communautaire et que la fiche liquidative annexée au même titre de recettes, laquelle faisait référence à la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, indiquait le montant des aides d'Etat versées, à ce titre, à la société COPEBI pour chacune des années concernées entre 1998 et 2002 ainsi que les montants à rembourser augmentés des intérêts. La cour a pu ainsi, sans insuffisance de motivation ni erreur de droit, adopter les motifs retenus par le tribunal administratif pour écarter le moyen repris en appel et tiré de ce que le titre de recettes était insuffisamment motivé.

3. En deuxième lieu, d'une part, il ressort des écritures de la SCA COPEBI devant la cour que, contrairement à ce qu'elle soutient, elle n'a pas soulevé d'autre moyen de légalité interne que celui tiré d'une erreur sur la charge de la preuve. C'est seulement à l'appui de ce moyen qu'elle s'est prévalue du fait qu'en vertu de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, la récupération des aides devait s'effectuer auprès des producteurs, sauf lorsque l'Etat membre serait en mesure de démontrer que l'aide ne leur a pas été transférée. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour aurait omis de répondre au moyen tiré de ce que le titre de recettes aurait dû viser les bénéficiaires finaux des aides, c'est-à-dire les producteurs de bigarreaux d'industrie qui sont membres de la société, doit être écarté.

4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en réponse à la demande de l'administration de lui communiquer le nom de ses membres, producteurs de bigarreaux d'industrie, auxquels elle avait reversé les aides en cause, ainsi que les montants reçus par chacun d'entre eux, la société a indiqué qu'elle n'était pas en mesure de communiquer ces informations, dont elle seule pouvait cependant disposer, et que ces informations ne figuraient pas dans l'attestation de son commissaire aux comptes portant sur le reversement des aides en cause aux producteurs. La cour n'a pas inversé la charge de la preuve en jugeant que l'administration ne pouvait pas, en conséquence, récupérer ces aides auprès des producteurs individuels mais qu'elle pouvait les récupérer auprès de la SCA COPEBI. Par suite, elle n'a ni commis d'erreur de droit ni méconnu la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 et l'arrêt de la Cour de justice du 12 février 2015, Commission/France (C-37/14).

5. En troisième lieu, la SCA COPEBI soutient que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la créance de FranceAgriMer n'était pas prescrite lorsqu'elle a été mise en recouvrement et que le titre de recettes litigieux était légalement fondé, alors que les aides qu'elle a perçues ne relevaient pas de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009.

6. Si la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009 vise, de façon générale, le marché des fruits et légumes, qui relève de l'organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, régie à l'époque des faits par les règlements du Conseil (CEE) n° 1035/72, du 18 mai 1972, puis (CE) n° 2200/96, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes, dont relève la filière des bigarreaux d'industrie et s'il ressort de l'arrêt de la cour, qui n'est pas contesté sur ce point, que le CEBI a perçu les aides litigieuses " en vue de faciliter l'écoulement des produits français en manipulant le prix de vente ou les quantités offertes sur le marché ", comme l'a retenu la Commission, au point 72 de sa décision, le CEBI ne figure toutefois pas parmi les huit comités économiques agricoles mentionnés au point 15 de cette décision et les aides en cause, contrairement au mécanisme de financement décrit aux points 24 à 28 de la décision, ne sont pas financées par des contributions volontaires des producteurs, dites " parts professionnelles ", mais uniquement par des subventions de l'ONIFLHOR. Par ailleurs, si les montants annuels des aides versées par l'ONIFLHOR aux producteurs de bigarreaux d'industrie par l'intermédiaire du CEBI sont effectivement inclus dans les montants figurant dans le tableau du point 29 de la décision de la Commission, ces montants ont été communiqués par les autorités françaises et rien, dans la décision, ne permet de penser qu'ils ont formellement été repris à son compte par la Commission européenne. C'est ainsi que, comme le Tribunal de l'Union européenne l'a relevé au point 31 de son arrêt du 27 septembre 2012, Producteurs de légumes de France/Commission, ce tableau ne figure que dans la partie de la décision destinée à décrire les aides en cause et non dans la partie consacrée à la procédure de récupération.

7. La légalité du titre de recettes émis par FranceAgriMer à l'encontre de la SCA COPEBI, qui est fondé sur l'exigence de récupération des aides visées par la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, dépend ainsi de la réponse à la question de savoir si cette décision doit être interprétée en ce sens qu'elle couvre les aides versées par l'ONIFLHOR au CEBI et attribuées aux producteurs de bigarreaux d'industrie par les groupements de producteurs membres de ce comité, alors que le CEBI ne figure pas parmi les huit comités économiques agricoles mentionnés au point 15 de la décision du 28 janvier 2009 et que les aides en cause, contrairement au mécanisme de financement décrit aux points 24 à 28 de cette décision, étaient financées seulement par des subventions de l'ONIFLHOR et non pas également par des contributions volontaires des producteurs, dites " parts professionnelles ".

8. Cette question présente une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne. Il y a lieu de la renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne et de surseoir à statuer sur le pourvoi de la SCA COPEBI.

D E C I D E :

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Article 1er : La question suivante est renvoyée à la Cour de justice de l'Union européenne :

La décision de la Commission européenne 2009/402/CE du 28 janvier 2009 concernant les " plans de campagne " dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France [C 29/05 (ex NN 57/05] doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle couvre les aides versées par l'office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR) au comité économique agricole du bigarreau d'industrie (CEBI) et attribuées aux producteurs de bigarreaux d'industrie par les groupements de producteurs membres de ce comité, alors que le CEBI ne figure pas parmi les huit comités économiques agricoles mentionnés au point 15 de la décision et que les aides en cause, contrairement au mécanisme de financement décrit aux points 24 à 28 de cette décision, étaient financées seulement par des subventions de l'ONIFLHOR et non pas également par des contributions volontaires des producteurs, dites parts professionnelles '

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la SCA COPEBI jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question énoncée à l'article 1er.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SCA COPEBI, à FranceAgriMer, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 400758
Date de la décision : 26/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2018, n° 400758
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Janicot
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP ORTSCHEIDT ; SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:400758.20180726
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