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10/12/2014 | FRANCE | N°363202

France | France, Conseil d'État, 4ème / 5ème ssr, 10 décembre 2014, 363202


Vu 1°, sous le n° 363202, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 octobre et 22 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. B...A..., demeurant en fonctions jusqu'à la désignation de leurs successeurs ; M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 août 2012 par laquelle le président de l'université de Poitiers l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de huit mois ;

2°) de mettre à la charge de l'université de Poitiers une somme de 2 500 euros au titre de l'

article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 363373, ...

Vu 1°, sous le n° 363202, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 octobre et 22 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. B...A..., demeurant en fonctions jusqu'à la désignation de leurs successeurs ; M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 août 2012 par laquelle le président de l'université de Poitiers l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de huit mois ;

2°) de mettre à la charge de l'université de Poitiers une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°, sous le n° 363373, l'ordonnance n° 1201627 du 11 octobre 2012, enregistrée le 15 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président du tribunal administratif de Poitiers a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par M. B... A...;

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 29 juin et 10 septembre 2012 au greffe du tribunal administratif de Poitiers, présentés par M. B...A..., demeurant en fonctions jusqu'à la désignation de leurs successeurs ; M. A...demande au juge administratif :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 27 avril 2012 par laquelle le président de l'université de Poitiers l'a suspendu de ses fonctions pour une durée de quatre mois ;

2°) de mettre à la charge de l'université de Poitiers une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 novembre 2014, présentée par M. A... sous le n° 363373 ;

Vu le code de l'éducation, notamment son article L. 951-4 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, avocat de l'université de Poitiers ;

1. Considérant que M.A..., professeur des universités, exerce les fonctions de professeur de physiologie à l'université de Poitiers et est notamment responsable de la licence professionnelle " essais cliniques et validation " (ECV) ; qu'il a fait l'objet les 27 avril et 28 août 2012 de deux mesures de suspension respectivement d'une durée de quatre et huit mois, prononcées par le président de l'université de Poitiers ; que M. A...demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions ; que ses requêtes présentent à juger des questions communes ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 951-4 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut prononcer la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur pour un temps qui n'excède pas un an, sans suspension de traitement " ; que la suspension d'un professeur des universités sur la base de ces dispositions est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service public universitaire ; qu'elle peut être prononcée lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ; qu'en l'absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l'engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction ;

Sur la légalité de la décision de suspension du 27 avril 2012 :

En ce qui concerne la base légale de cette décision :

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 951-4 du code de l'éducation que l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, relatif à la suspension des fonctionnaires, n'est pas applicable aux professeurs d'université ; que, par suite, M. A...est fondé à soutenir que la décision de suspension du 27 avril 2012, qui a été prise au visa de ces dernières dispositions, est fondée sur une base légale erronée ;

4. Considérant, toutefois, que lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée ; qu'en l'espèce, la décision attaquée, motivée par les fautes graves qu'aurait commises M. A...dans la gestion de la licence professionnelle " ECV ", trouve son fondement légal dans les dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation qui peuvent être substituées, comme le demande l'université de Poitiers, à celles de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 dès lors, en premier lieu, que la situation de M. A...relève du champ d'application de l'article L. 951-4 du code de l'éducation, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'absence de base légale de la décision du 27 avril 2012 ne peut être accueilli ;

En ce qui concerne la compétence de l'auteur de l'acte :

6. Considérant que l'article L. 951-3 du code de l'éducation autorise le ministre chargé de l'enseignement supérieur à déléguer aux présidents des universités tout ou partie de ses pouvoirs en matière de recrutement et de gestion des personnels relevant de son autorité ; qu'en application de ces dernières dispositions, l'article 2 de l'arrêté du 10 février 2012 portant délégation de pouvoirs en matière de recrutement et de gestion de certains personnels enseignants des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, prévoit que : " Les présidents et les directeurs des établissements publics d'enseignement supérieur dont la liste est fixée à l'article 3 du présent arrêté reçoivent délégation des pouvoirs du ministre chargé de l'enseignement supérieur pour le recrutement et la gestion des personnels enseignants mentionnés à l'article 1er du présent arrêté en ce qui concerne : / [...] 24. La suspension " ; que l'article 3 du même arrêté vise notamment les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel mentionnés à l'article L. 711-2 du code de l'éducation, dont font partie les universités ; que la suspension est donc au nombre des mesures de gestion pour lesquelles l'article L. 951-3 du code de l'éducation autorise le ministre chargé de l'enseignement supérieur à déléguer ses pouvoirs aux présidents d'université ; que, par suite, les moyens tirés de ce que le président de l'université de Poitiers n'aurait pas reçu délégation du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et de ce que la délégation accordée par l'arrêté du 10 février 2012 aurait excédé le champ autorisé par la loi doivent être écartés ;

En ce qui concerne l'absence de saisine sans délai de l'instance disciplinaire à la suite de l'édiction de la décision du 27 avril 2012 :

7. Considérant que le délai dans lequel l'instance disciplinaire est saisie est sans incidence sur la légalité d'une première mesure de suspension, qui s'apprécie au seul vu des circonstances de fait et de droit existant à la date de son édiction ;

En ce qui concerne le bien fondé de la décision de suspension du 27 avril 2012 :

8. Considérant que, pour justifier la suspension prononcée à l'encontre de M. A... le 27 avril 2012, l'université de Poitiers soutient notamment qu'il a permis l'inscription en licence professionnelle ECV de candidats ne remplissant pas les conditions réglementaires d'équivalence ou de validation des acquis et la délivrance d'un diplôme ne répondant pas, faute d'un volume horaire d'enseignement suffisant, aux exigences de l'habilitation ministérielle ; que M. A...ne conteste pas que de tels dysfonctionnements aient pu avoir lieu, mais se borne à soutenir qu'ils ne lui sont pas imputables car il n'exerçait aucune responsabilité en matière d'inscription à la licence ECV, de validation des acquis professionnels et des acquis de l'expérience, ou de délivrance du diplôme ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant exerçait les fonctions de " directeur d'enseignement " de cette formation et qu'il était membre du jury de " validation des acquis et délivrance du diplôme " ; que, dans ces circonstances, et compte tenu de la condamnation qui avait été prononcée à l'encontre de M. A...le 12 avril 2012 par la section disciplinaire du conseil d'administration de l'université de Poitiers pour des fautes similaires dans la gestion du master ECV dont l'intéressé avait également la responsabilité, les faits qui lui étaient imputés dans la gestion de la licence du même nom présentaient, à la date de la décision litigieuse, un caractère de vraisemblance certain ; que ces faits, qui ont conduit des étudiants à suivre une formation pour laquelle ils ne pourraient finalement pas se voir délivrer de diplôme par l'université de Poitiers et qui sont de nature à porter atteinte à l'image et à la réputation de cette dernière, sont d'une gravité suffisante pour justifier l'éloignement de M. A...du service public universitaire à titre conservatoire ; que, par suite, le président de l'université de Poitiers n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation en prononçant le 27 avril 2012 la suspension de M. A...;

Sur la légalité de la décision du 28 août 2012 :

9. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 2, une mesure de suspension ne peut être prorogée si des poursuites disciplinaires n'ont pas été engagées dans un délai raisonnable après son édiction ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la nouvelle mesure de suspension, soit quatre mois après l'édiction de la première mesure, le président de l'université n'avait pas engagé de poursuites disciplinaires à l'encontre de M. A...; que la circonstance, invoquée par l'université, que la section disciplinaire du conseil d'administration n'avait toujours pas été désignée à la suite des élections universitaires intervenues en avril 2012 ne peut justifier ce délai anormalement long pris par le président de l'université pour engager des poursuites disciplinaires dès lors qu'aux termes de l'article R. 712-21 du code de l'éducation, les membres des sections disciplinaires des conseils d'administration universitaires " demeurent en fonctions jusqu'à la désignation de leurs successeurs" ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas allégué que des poursuites pénales aient été engagées à la date de la décision attaquée ; que, dans ces circonstances, M. A...est fondé à demander l'annulation de la nouvelle mesure de suspension prononcée à son encontre le 28 août 2012 ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'université de Poitiers une somme de 1 500 euros à verser à M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M.A..., qui n'est pas la partie perdante, au titre des frais exposés par l'université de Poitiers et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les conclusions de M. A...dirigées contre la décision de suspension du 27 avril 2012 sont rejetées.

Article 2 : La décision de suspension du 28 août 2012 est annulée.

Article 3 : L'université de Poitiers versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de l'université de Poitiers présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à l'université de Poitiers et à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : 4ème / 5ème ssr
Numéro d'arrêt : 363202
Date de la décision : 10/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ENSEIGNEMENT ET RECHERCHE - QUESTIONS PROPRES AUX DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ENSEIGNEMENT - ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET GRANDES ÉCOLES - UNIVERSITÉS - GESTION DES UNIVERSITÉS - GESTION DU PERSONNEL - PROFESSEURS DES UNIVERSITÉS - DISCIPLINE - SUSPENSION (ART - L - 951-4 DU CODE DE L'ÉDUCATION) - 1) CONDITIONS - FAITS PRÉSENTANT UN CARACTÈRE SUFFISANT DE VRAISEMBLANCE ET DE GRAVITÉ [RJ1] - 2) DURÉE MAXIMALE EN L'ABSENCE D'ENGAGEMENT DE POURSUITES PÉNALES - DURÉE RAISONNABLE - CAS D'ESPÈCE - DÉLAI RAISONNABLE DÉPASSÉ.

30-02-05-01-06-01 La suspension d'un professeur des universités sur la base des dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service public universitaire.... ,,1) Elle peut être prononcée lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.... ,,2) En l'absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l'engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction.,,,En l'espèce, mesure de suspension prorogée quatre mois après l'édiction de la nouvelle mesure, alors qu'aucune poursuite ni pénale ni disciplinaire n'avait été engagée. La circonstance, invoquée par l'université, que la section disciplinaire du conseil d'administration n'avait toujours pas été désignée à la suite des récentes élections universitaires ne peut justifier ce délai anormalement long dès lors qu'il résulte de l'article R. 712-21 du code de l'éducation que les membres des sections disciplinaires demeurent en fonctions jusqu'à la désignation de leurs successeurs.

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - DISCIPLINE - SUSPENSION - RÈGLES APPLICABLES AUX PROFESSEURS DES UNIVERSITÉS (ART - L - 951-4 DU CODE DE L'ÉDUCATION) - 1) CONDITIONS - FAITS PRÉSENTANT UN CARACTÈRE SUFFISANT DE VRAISEMBLANCE ET DE GRAVITÉ [RJ1] - 2) DURÉE MAXIMALE EN L'ABSENCE D'ENGAGEMENT DE POURSUITES PÉNALES - DURÉE RAISONNABLE - CAS D'ESPÈCE - DÉLAI RAISONNABLE DÉPASSÉ.

36-09-01 La suspension d'un professeur des universités sur la base des dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l'intérêt du service public universitaire.... ,,1) Elle peut être prononcée lorsque les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.... ,,2) En l'absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l'engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction.,,,En l'espèce, mesure de suspension prorogée quatre mois après l'édiction de la nouvelle mesure, alors qu'aucune poursuite ni pénale ni disciplinaire n'avait été engagée. La circonstance, invoquée par l'université, que la section disciplinaire du conseil d'administration n'avait toujours pas été désignée à la suite des récentes élections universitaires ne peut justifier ce délai anormalement long dès lors qu'il résulte de l'article R. 712-21 du code de l'éducation que les membres des sections disciplinaires demeurent en fonctions jusqu'à la désignation de leurs successeurs.


Références :

[RJ1]

Rappr., pour la suspension sur le fondement de l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, CE, 11 juin 1997, Nevez, n° 142167, T. p. 905.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 déc. 2014, n° 363202
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: Mme Gaëlle Dumortier
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:363202.20141210
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