Vu, enregistrée le 14 avril 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la requête présentée par :
1°) la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE, dont le siège est mairie de Laruns, 64440 Laruns, représentée par ses co-présidents en exercice ;
2°) le DÉPARTEMENT DE L'ARIÈGE, dont le siège est Hôtel du département - B.P. 23 - 09001 Foix Cedex, représenté par le président du conseil général ;
3°) le SYNDICAT DES ÉLEVEURS AOC DE BARÈGES-GAVARNIE, dont le siège est ..., Luz-Saint-Sauveur ;
4°) la FÉDÉRATION RÉGIONALE DES SYNDICATS D'ÉLEVEURS AGRICOLES DE MIDI-PYRÉNÉES, dont le siège est ... ;
5°) le CENTRE RÉGIONAL DES JEUNES AGRICULTEURS MIDI-PYRÉNÉES, dont le siège est ... ;
6°) le CENTRE RÉGIONAL DES JEUNES AGRICULTEURS AQUITAINE, dont le siège est Maison de l'Agriculture et de la Forêt ... ;
7°) le CENTRE DÉPARTEMENTAL DES JEUNES AGRICULTEURS DES HAUTES-PYRÉNÉES, dont le siège est 20, place du Foirail, 65000, Tarbes ;
8°) le CENTRE DÉPARTEMENTAL DES JEUNES AGRICULTEURS DE L'AUDE, dont le siège est zone d'activité de Sautès, 11878 Carcassonne Cedex 9 ;
9°) le CENTRE DÉPARTEMENTAL DES JEUNES AGRICULTEURS DE LA HAUTE-GARONNE, dont le siège est ... ;
10°) le CENTRE DÉPARTEMENTAL DES JEUNES AGRICULTEURS DE L'ARIÈGE, dont le siège est ..., ...) ;
11°) le CENTRE DÉPARTEMENTAL DES JEUNES AGRICULTEURS DES PYRÉNÉES-ORIENTALES, dont le siège est ... ;
12°) le CENTRE DÉPARTEMENTAL DES JEUNES AGRICULTEURS DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES, dont le siège est ... ;
13°) la FÉDÉRATION DES COMMISSIONS SYNDICALES DU MASSIF PYRÉNÉEN, dont le siège est ... ;
14°) la COMMISSION SYNDICALE DE LA VALLÉE DE BARÈGES, dont le siège est 65120 Sassis ;
15°) la COMMISSION SYNDICALE DU HAUT-OSSAU, dont le siège est ... ;
16°) la FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES SYNDICATS DES EXPLOITANTS AGRICOLES DE LA HAUTE-GARONNE, dont le siège est ... ;
17°) la FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES SYNDICATS DES EXPLOITANTS AGRICOLES DE L'ARIÈGE, dont le siège est ... ;
18°) la FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES SYNDICATS DES EXPLOITANTS AGRICOLES DES HAUTES-PYRÉNÉES, dont le siège est ... ;
19°) l'ASSOCIATION POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DE L'IDENTITE DES PYRÉNÉES, FÉDÉRATION PASTORALE, dont le siège est ... ;
20°) l'ASSOCIATION « LES CHASSEURS BARÉGEOIS », dont le siège est ... ;
lesdits groupements étant représentés par leur président en exercice ;
21°) la COMMUNE DE LARRAU (Pyrénées Atlantiques) ;
22°) la COMMUNE D'ESTERRE (Hautes-Pyrénées) ;
23°) la COMMUNE DE SAZOS (Hautes-Pyrénées) ;
24°) la COMMUNE DE GEDRE (Hautes-Pyrénées) ;
25°) la COMMUNE DE SERS (Hautes-Pyrénées) ;
lesdites communes étant représentées par leur maire en exercice ;
26°) la FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES SYNDICATS DES EXPLOITANTS AGRICOLES DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES, dont le siège est ... ;
la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE ET AUTRES demandent au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la décision de Madame la ministre de l'écologie et du développement durable d'introduire cinq ours slovènes dans les Pyrénées ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
les requérants exposent que le 13 mars 2006 la ministre de l'écologie et du développement durable a pris la décision d'introduire cinq ours slovènes dans les Pyrénées ; que cette décision, qui n'a pas le caractère d'une mesure préparatoire, fait grief ; que les requérants qui sont tous des personnes privées ou publiques directement concernées par la transhumance ou la montagne ont intérêt à en demander l'annulation pour excès de pouvoir ainsi que la suspension ; que le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort dès lors que la décision critiquée produit effet dans le ressort de plusieurs tribunaux administratifs ; qu'il y a urgence à l'intervention du juge des référés au motif que les lâchers des ours slovènes doivent intervenir au moment même où les éleveurs s'apprêtent à transhumer pour placer leurs bêtes dans les prairies d'estive ; que la période suivant un lâcher d'ours est celle pendant laquelle l'animal commet le plus de déprédations ; que la brièveté des délais entre l'annonce de la réintroduction des ours et les lâchers n'a pas permis aux éleveurs de prendre des mesures efficaces de protection de leurs troupeaux ; qu'une fois exécutée la décision litigieuse, aucun recours ne sera plus envisageable à l'encontre d'une espèce protégée ; que les moyens invoqués au soutien du recours en annulation sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision ; que tel est le cas tout d'abord de plusieurs moyens de légalité externe ; qu'il en va ainsi, en premier lieu, du moyen pris de la violation des objectifs de la directive européenne du 21 mai 1992 concernant les habitats naturels ; que les ours slovènes ne constituant pas une espèce indigène il faut admettre que leur introduction volontaire relève du b) de l'article 22 de la directive ; que, contrairement à ce qu'exige ce texte, le gouvernement n'a pas procédé à des « études d'évaluation » pour apprécier l'impact de l'introduction d'ours slovènes sur le massif pyrénéen ; qu'il se devait d'en transmettre les résultats au comité « Habitats » ; qu'au surplus, l'article L. 411-3 du code de l'environnement subordonne l'introduction dans le milieu naturel d'espèces non indigènes à une « évaluation » des conséquences de cette introduction ; que même si l'on admet que l'ours slovène puisse être considéré comme indigène, le gouvernement aurait dû alors se conformer au a) de l'article 22 de la directive et, en conséquence, mener à bien une « enquête » auprès des Etats membres ou d'autres parties concernées, et s'assurer que la réintroduction de l'espèce en cause ait lieu après « consultation appropriée » du public concerné ; qu'aussi bien l'enquête visée au a) que les études d'évaluation prévues au b) de l'article 22 ont été insuffisantes, faute notamment d'estimation fiable des mesures visant à compenser l'introduction de prédateurs supplémentaires dans les Pyrénées ; qu'en outre, la « consultation » ne peut être regardée comme appropriée dès lors qu'elle est intervenue sur des bases incorrectes et qu'il y a eu une modification substantielle entre le projet soumis à concertation et le calendrier des décisions prises ; que la consultation ne peut davantage être tenue comme « appropriée » au regard du principe de participation tel qu'il est régi par la convention d'Aarhus et la charte constitutionnelle de l'environnement ; que la concertation a été indûment limitée à une partie de la chaîne pyrénéenne en excluant les zones de transhumance des pays de Cize ou de la vallée de Baigorry ; que la concertation a été élaborée selon des critères empreints de partialité ; que la ministre chargée de l'écologie s'est estimée liée par les refus des communes de voir des ours lâchés sur leur territoire ; qu'en cela elle a autolimité son pouvoir discrétionnaire et a entaché sa décision d'une incompétence négative ; qu'à supposer qu'il soit légalement possible que l'Etat contractualise le lieu de lâcher des ours avec des communes, celles ci devaient alors s'engager avec l'assistance de l'Etat à adopter les mesure propres à maintenir les ours sur leur territoire ; que la décision contestée est également critiquable sur le plan de la légalité interne ; que l'introduction d'ours slovènes ne préserve nullement la biodiversité ; qu'en termes de biodiversité il est indifférent que les ours slovènes demeurent en Slovénie ou soient déplacés dans les Pyrénées ; qu'ainsi, l'objectif assigné par la directive selon lequel la réintroduction doit contribuer « de manière efficace à rétablir ces espèces dans un état de conservation favorable » n'est pas rempli ; que la seule décision rationnelle aurait consisté à introduire une ou deux femelles au contact des ours pyrénéens lorsque ceux-ci étaient encore en nombre suffisant ; que ne doivent pas être négligés les risques encourus par les ours autochtones entrant en contact avec des ours slovènes ; qu'il s'ensuit qu'aussi bien à l'échelle interspécifique, c'est-à-dire en termes de diversité des espèces, qu'à l'échelle intraspécifique, c'est-à-dire en termes de populations génétiquement différenciées, prétendre contribuer à la préservation de la biodiversité en renforçant la population pyrénéenne avec des ours slovènes est un non-sens écologique ; qu'enfin, ne doit pas être ignorée la véritable biodiversité préservée par le maintien d'un pastoralisme dynamique ; que l'introduction d'ours slovènes dans les Pyrénées entraîne des effets manifestement disproportionnés ; qu'il en va ainsi tout d'abord en ce qui concerne le gardiennage permanent des troupeaux qui induit un profond bouleversement social et qui entrerait au demeurant en contradiction avec les dispositions du décret du 15 septembre 2003 relatif à l'appellation d'origine contrôlée « Barèges-Gavarnie » qui interdisent aux éleveurs de garder leurs bêtes pendant leur séjour dans les estives pyrénéennes ; que le recours aux services d'un chien de la race « patou des Pyrénées » comporte de nombreux inconvénients ; que le soutien financier et matériel prévu par le gouvernement est insuffisant compte tenu des impacts psychologiques et économiques des prédations ; qu'il appartiendra au Conseil d'Etat s'il le juge opportun de désigner un expert tendant à ce que soient évalués la faisabilité et le coût des mesures préconisées par le gouvernement ; qu'une attaque de l'homme par l'ours n'est pas un scénario invraisemblable ; que l'ours constitue un danger pour les animaux séjournant dans les estives pyrénéennes ; que son introduction présente des risques considérables ; que le principe de la sécurité des personnes et des biens qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle est, pour ce qui le concerne, particulièrement mis en cause ;
Vu le texte du discours de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable concernant le plan de restauration de l'ours brun dans les Pyrénées ;
Vu, enregistré le 26 avril 2006, le mémoire complémentaire présenté par la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE et autres qui tend aux mêmes fins que la requête et précise qu'entendent figurer parmi les requérants tant dans la requête en annulation que dans celle en référé suspension, le Syndicat départemental Ovin des Hautes-Pyrénées dont le siège est ..., et le syndicat ELB Confédération paysanne du Pays-Basque dont le siège est ... ;
Vu, enregistré le 2 mai 2006, le mémoire présenté pour la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE et autres qui demandent que la date de l'audience publique de référé soit avancée au motif que deux ours femelles slovènes ont été lâchées dans le plus grand secret, l'une le 26 avril 2006 à Burgalays (Haute Garonne), l'autre le 28 avril à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) ;
Vu, enregistré le 4 mai 2006, le mémoire en intervention présenté par M. Bruno Y..., membre du Groupement pastoral de Sentenac d'Oust, M. Michel Estréré, président du Groupement pastoral Ourdous Sentein et M. Joseph D..., membre du groupement pastoral Houzout, qui conclut aux mêmes fins que la requête en relevant d'une part, que l'accord de coopération entre le Gouvernement français et le Gouvernement slovène pour la capture et le transfert d'ours bruns de la Slovénie vers la France, publié en vertu du décret n° 2006-453 du 19 avril 2006, stipule dans son article 3 que les opérations de capture peuvent débuter à compter du 1er avril 2006, et d'autre part, qu'alors que la convention de Berne du 1er septembre 1979 fait obligation de « consulter les populations concernées en procédant à une étude d'impact en cas d'introduction de nouvelles espèces animales », la concertation qui a eu lieu a été biaisée faute d'intégrer les problèmes sanitaires ;
Vu, enregistré le 5 mai 2006, le mémoire en intervention présenté par l'association pour la sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées, dont le siège est ..., qui conclut aux mêmes fins que la requête aux motifs, en premier lieu, que la réintroduction de l'ours est un contre sens écologique dès lors tout à la fois que l'ours brun n'est pas une espèce menacée, que l'agrosystème dans les Pyrénées représente un bel exemple de biodiversité et que le pastoralisme est l'unique garant de cette biodiversité ; qu'en deuxième lieu, une cohabitation est impossible entre l'ours introduit et l'homme dans la mesure où la sécurité des personnes est en danger, les moyens de protection des troupeaux sont inadaptés et la surveillance permanente des troupeaux engendre des conditions de travail inhumaines pour les bergers ; qu'en troisième lieu, la politique d'introduction entraîne des budgets disproportionnés au regard de l'effet recherché, qui plus est dans un contexte de pénurie budgétaire ; qu'en quatrième lieu, la politique suivie est mise en oeuvre de façon très approximative comme le démontrent l'intervention d'une décision sans concertation préalable, l'adoption d'une démarche sanitaire peu scientifique, une rétention d'informations lors des concertations, l'irrégularité de la procédure en matière de concertation ainsi que des diagnostics de vulnérabilité des estives à la prédation envisagés seulement a posteriori ; qu'en cinquième et dernier lieu, la décision contestée repose sur des orientations politiques contestables qu'il s'agisse de faire des Pyrénées un sanctuaire écologique artificiel, d'une marchandisation généralisée de la nature, d'une fragilisation de l'économie montagnarde ou de l'action d'un lobby-proprédateurs imposant à ce jour une certaine vision du retour à la nature originelle ;
Vu, enregistré le 5 mai 2006, le mémoire en défense présenté par la ministre de l'écologie et du développement durable qui conclut au rejet de la requête ; il est soutenu liminairement que la demande de suspension est irrecevable en ce qu'elle porte sur une décision qui a été partiellement exécutée ; que par ailleurs, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas établie ; qu'en effet, le risque de prédation est faible dans la mesure où l'ours brun est un omnivore opportuniste à dominante végétivore ; qu'en cas d'attaque il tue en moyenne 1,5 moutons ; que les dégâts sont moins importants lorsque les troupeaux sont regroupés et gardés ; que la période de lâcher choisie, loin d'être précoce, contribue en fait au maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable puisqu'il intervient en phase de reproduction ; que des dérogations à la protection des espèces ont été confirmées par l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi d'orientation agricole ; que l'absence de changement d'échelle significatif de la population d'ours pyrénéens avec l'introduction en cours conduit à évaluer l'impact éventuel en matière de dégâts sur les troupeaux de moutons à un ordre de grandeur proche de l'existant ; qu'en outre, aucun des moyens invoqués n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision ; que le moyen tiré du non respect de la procédure prévue au b) de l'article 22 de la directive « Habitats » est inopérant dans la mesure où cette procédure n'est prévue que pour les espèces non indigènes au territoire d'introduction ; qu'à cet égard, la communauté scientifique s'accorde sur l'existence d'une seule et même espèce d'ours brun ; que le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure prévue au a) de l'article 22 de la directive et des conditions fixées au II de l'article L. 411-3 du code de l'environnement n'est pas fondé ; que l'argument pris des modifications prétendument substantielles intervenues après la consultation est inopérant dès lors que, dans son ensemble, la procédure d'introduction a été menée en conformité avec les objectifs de la directive ; que la référence à la convention d'Aarhus est également inopérante au motif que cette convention internationale est dépourvue d'effets directs dans l'ordre juridique interne ; que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation n'est pas fondé dans la mesure où la décision d'introduction a été prise en fonction d'une appréciation équilibrée de l'ensemble des intérêts en présence, en particulier du devoir de l'Etat de veiller à la biodiversité, sans méconnaître les impératifs de la protection des personnes et des biens ou les intérêts agricoles et qu'au surplus sa mise en oeuvre est accompagnée d'un dispositif qui atténue encore les inconvénients qui pourraient en découler ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution modifiée notamment par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 ;
Vu la loi n° 77-1423 du 27 décembre 1977 autorisant l'approbation de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, ensemble le décret n° 78-959 du 30 août 1978 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 89-1004 du 31 décembre 1989 autorisant l'approbation d'une convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, signée à Berne le 19 septembre 1979, ensemble le décret n° 90-756 du 22 août 1990 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 94-477 du 10 juin 1994 autorisant la ratification de la convention sur la diversité biologique adoptée à Rio de Janeiro le 22 mai 1992, ensemble le décret n° 95-140 du 6 février 1995 qui en porte publication ;
Vu la loi n° 2002-285 du 28 février 2002 autorisant l'approbation de la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement faite à Aarhus le 25 juin 1998, ensemble le décret n° 2002-1187 du 12 septembre 2002 qui en porte publication ;
Vu le décret n° 2006-453 du 19 avril 2006 portant publication de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République slovène pour la capture et le transfert d'ours bruns de la Slovénie vers la France ;
Vu la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;
Vu le code de l'environnement, notamment ses articles L. 411-2 et R. 411-8 ;
Vu le code rural, notamment ses articles L. 211-23 et L. 236-1 ;
Vu le décret du 15 septembre 2003 relatif à l'appellation d'origine contrôlée « Barèges-Gavarnie » ;
Vu l'arrêté du 5 septembre 1990 fixant des mesures prises pour prévenir la destruction et favoriser le repeuplement de l'ours des Pyrénées ;
Vu l'arrêté du 17 avril 1981 modifié fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire, notamment son article 3 ter ;
Vu la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 261564 du 20 avril 2005 ;
Vu le code de justice administrative, notamment ses articles L. 511-2, L. 521-1 et L. 761-1 ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE et autres, d'autre part, la ministre de l'écologie et du développement durable ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du samedi 6 mai 2006 à 9h30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Maître X..., avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE et autres ;
- M. Pierre Z... et Mme Madé C..., au nom des requérants ;
- les représentants de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable ;
Sur la détermination de l'acte dont la suspension est demandée :
Considérant que les requérants demandent la suspension de la décision de la ministre de l'écologie et du développement durable, révélée lors d'une conférence de presse tenue le 13 mars 2006, d'introduire cinq ours dans le massif pyrénéen ; qu'ainsi que l'audience de référé l'a mis en évidence la mesure ainsi annoncée a pris juridiquement la forme d'une décision ministérielle d'autorisation exceptionnelle de transport en vue d'une réintroduction dans la nature prise à la date du 19 avril 2006 sur le fondement du premier alinéa de l'article R. 411-8 du code de l'environnement ; que les conclusions de la requête, réitérées par un mémoire complémentaire enregistré le 26 avril 2006, doivent s'entendre comme visant à la suspension de la décision du 19 avril 2006 ;
Sur la fin de non recevoir opposée par la ministre de l'écologie et du développement durable :
Considérant qu'un requérant n'est recevable à demander au juge des référés d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension d'une décision à l'encontre de laquelle il a formé par ailleurs un recours en annulation que pour autant que la mesure dont il sollicite le prononcé a un objet ; que la disparition de cet objet postérieurement à l'introduction du pourvoi conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge des référés d'y statuer ; que toutefois, il n'en va ainsi que si et dans la mesure où la décision dont la suspension est réclamée a produit l'intégralité de ses effets ;
Considérant que si postérieurement à l'enregistrement de la requête de la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE et autres tendant à ce que soit ordonnée la suspension de la décision par laquelle la ministre de l'écologie et du développement durable a autorisé l'introduction de cinq ours en provenance de Slovénie dans les Pyrénées, deux d'entre eux ont été introduits, cette circonstance, qui n'emporte pas exécution de l'intégralité de la décision, ne prive pas d'objet la présente requête ;
Sur la recevabilité de la requête en tant qu'elle émane du Centre départemental des jeunes agriculteurs de l'Aude :
Considérant que le Centre départemental des jeunes agriculteurs de l'Aude dont l'activité est circonscrite à ce département ne justifie pas, au regard des lieux d'implantation de la population d'ours bruns, d'un intérêt lui donnant qualité pour demander la suspension de la décision contestée ;
Sur le mémoire complétant la liste des requérants :
Considérant que si par un mémoire postérieur à l'introduction de la requête, il a été indiqué que le Syndicat départemental ovin des Hautes-Pyrénées et le Syndicat ELB Confédération paysanne du Pays Basque entendaient figurer parmi les requérants tant dans la requête en annulation que dans celle en référé suspension, ce mémoire, sauf à regarder les actions engagées comme irrecevables faute de satisfaire aux exigences de présentation des requêtes prescrites par le code de justice administrative, doit s'analyser comme étant une intervention au soutien de la requête ; que chacune de ces interventions est recevable ;
Sur l'intervention présentée par Messieurs Y..., A... et D... :
Considérant que les intéressés qui sont membres de groupements pastoraux exerçant leur activité dans le massif des Pyrénées justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête ; qu'ainsi leur intervention doit être admise ;
Sur l'intervention présentée par l'association pour la sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées :
Considérant que ce groupement, eu égard à son objet, justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête ; qu'ainsi son intervention est recevable ;
Sur le respect des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
Considérant que l'article L. 521-1 du code de justice administrative subordonne le prononcé de la suspension d'une décision administrative dont l'annulation a été demandée à la double condition que l'urgence le justifie et qu'il soit fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu'au nombre des moyens susceptibles d'être pris en considération figurent non seulement ceux énoncés par le requérant ainsi que tout moyen devant être relevé d'office par le juge, mais également tout moyen invoqué par un intervenant qui repose sur la même cause juridique que la requête ;
-En ce qui concerne le cadre légal s'imposant à l'administration :
Considérant que, sur le fondement des dispositions de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et de l'article 1er du décret n° 77-1295 du 25 novembre 1977 pris pour son application, présentement codifiés sous les articles L. 411-1 et R. 211-1 du code de l'environnement, un arrêté du 10 octobre 1996 des ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture, ajoutant à cet effet un article 3 ter à l'arrêté interministériel du 17 avril 1981, a fait figurer l'ours (ursus arctos) sur la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire national ; que cette espèce bénéficie en conséquence du régime de protection défini par l'article L. 411-1 du code de l'environnement, l'article L. 411-2 de ce code tel qu'il a été modifié par l'article 86 de la loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole ainsi que par les articles R. 211-1 à R. 211-5 pris pour leur application, sous réserve des tempéraments prévus aux articles R. 211-6 à R. 211-12 ; que, par ailleurs, le VI de l'article 56 de la loi du 2 février 1995, présentement codifié à l'article L. 411-3 du code de l'environnement, a posé le principe de l'interdiction d'introduction d'espèces principalement exogènes lorsqu'elle porte préjudice aux milieux naturels ou à la faune et à la flore sauvages ; qu'une telle interdiction, qui comme le précise le II de l'article L. 411-3 du code de l'environnement n'est pas absolue, doit, ainsi qu'il est spécifié au V du même article, être précisée quant à ses conditions d'application par un décret en Conseil d'Etat ;
Considérant que l'article R. 411-8 du même code habilite le ministre chargé de la protection de la nature à accorder des « autorisations exceptionnelles » de capture ou de transport « en vue d'une réintroduction dans la nature, à des fins scientifiques » d'animaux, appartenant à une espèce de vertébrés protégée au titre de l'article L. 411-1 lorsqu'elle est « menacée d'extinction en France en raison de la faiblesse observée ou prévisible de ses effectifs » et dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département ;
Considérant que dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés, le ministre chargé de la protection de la nature doit se conformer aux obligations résultant des engagements internationaux de la France dès lors que ceux-ci produisent des effets directs dans l'ordre juridique interne ou ont été suivis de mesures nationales de transposition ou de mise en oeuvre ; qu'il lui incombe également de veiller à ce que les décisions qu'il prend, tout en permettant la sauvegarde d'une espèce animale menacée d'extinction, n'apportent pas aux autres intérêts en présence une atteinte excessive faute notamment que soient prévues des précautions adéquates ;
Considérant que, s'agissant du respect des engagements internationaux de la France, il y a lieu de relever que les stipulations de la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel créent seulement des obligations entre les Etats parties sans produire d'effets directs dans l'ordre juridique interne ; que si les paragraphes 2 et 3 de l'article 6 de la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sont en raison de leur libellé d'effet direct, ils ne régissent la participation du public au processus décisionnel en matière d'environnement qu'en ce qui concerne les activités particulières mentionnées à l'annexe 1 à cette convention, laquelle ne comprend pas les mesures de réintroduction d'espèces animales menacées de disparition ; que, pour les activités particulières autres que celles énumérées à ladite annexe, la convention laisse au droit interne de chaque Etat le soin de définir les mesures d'application nécessaires ;
Considérant que la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite « Habitats », prévoit que les Etats membres ne procèdent à la réintroduction des espèces menacées que lorsque l'efficacité de la mesure résulte d'une enquête et qu'il a été procédé au préalable à une consultation appropriée du public concerné ; que bien que sur ce point la directive n'ait fait l'objet de mesures nationales de transposition ni à la date du 23 juillet 1994 pourtant fixée par la directive, ni même à ce jour, le programme de réintroduction dans le massif pyrénéen d'ours n'en doit pas moins être compatible avec les objectifs de la directive « Habitats » ;
- En ce qui concerne la mesure de réintroduction contestée :
Considérant que la population d'ours pyrénéens, qui était de l'ordre de cent cinquante ours au début du 20ème siècle puis estimée à environ soixante-dix ours en 1954 a connu une forte chute de telle sorte qu'elle était évaluée à la fin des années 1980 à sept à huit bêtes regroupées dans le noyau central du massif pyrénéen ; que des mesures de réintroduction ont été réalisées en 1996 et 1997 portant sur deux femelles et un mâle capturés en Slovénie ; qu'à la fin de l'année 2005, étaient dénombrés quatorze à dix-huit ours bruns pour l'ensemble des Pyrénées répartis, non seulement sur la partie centrale où sont présents huit à onze animaux mais également sur la partie occidentale où sont recensés trois mâles adultes et un jeune mâle et sur la partie orientale qui compte deux animaux ; que l'introduction de cinq ours en provenance de Slovénie, dont quatre femelles, s'inscrit dans un plan d'ensemble de renforcement de la population d'ours bruns échelonné sur plusieurs années ;
Considérant qu'est seule contestée dans le cadre de la présente instance la réalisation de la première phase de ce plan ; qu'il appartient au juge des référés non d'en apprécier l'opportunité mais de rechercher si les conditions mises par l'article L. 521-1 du code de justice administrative au prononcé d'une décision de suspension sont en l'espèce remplies ;
Considérant que compte tenu en premier lieu, du fait que l'ursus arctos figure aussi bien au nombre des espèces mentionnées à l'annexe II de la convention de Berne vis-à-vis desquelles l'Etat s'est engagé sur le plan international à assurer la « conservation particulière » que parmi celles « d'intérêt communautaire » nécessitant « une protection stricte » énumérées à l'annexe IV de la directive « Habitats », en deuxième lieu, de la concertation conduite à l'égard des élus et des populations elles-mêmes depuis février 2005 et, en troisième lieu, des mesures prises pour prévenir et réparer les conséquences dommageables pouvant résulter du maintien de la population ursine, les différents moyens invoqués à l'encontre de la décision contestée ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité ;
Considérant qu'il suit de là, et alors même qu'il est satisfait à la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative que les conclusions de la requête aux fins de suspension ne peuvent, en l'état, être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le paiement de la somme de 3 000 euros réclamée par l'association requérante au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Les interventions du Syndicat départemental ovin des Hautes-Pyrénées, du syndicat ELB Confédération paysanne du Pays-Basque, de Messieurs Y..., B... et D... et de l'association pour la sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées sont admises.
Article 2 : La requête de la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE ET AUTRES est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la FÉDÉRATION TRANSPYRÉNÉENNE DES ÉLEVEURS DE MONTAGNE ET AUTRES, au Syndicat départemental ovin des Hautes-Pyrénées, au syndicat ELB Confédération paysanne du Pays-Basque, à Messieurs Bruno Y..., Michel B... et Joseph D..., à l'association pour la sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées et à la ministre de l'écologie et du développement durable.