Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 mai et 23 août 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Roland Y..., demeurant Roz X...
Z..., à Beuzec-Cap-Sizun (29790) ; M. Y... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 19 mai 1993 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 21 janvier 1991 du ministre du travail, confirmant la décision du 27 juillet 1990 du directeur régional de l'industrie et de la recherche de Bretagne, qui a autorisé la société Delhommeau à le licencier pour inaptitude physique ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir ces décisions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Musitelli, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. Y...,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'en vertu de l'article L. 412-18 du code du travail, les délégués du personnel, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, des règles applicables au contrat de travail du salarié, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise ; qu'aux termes de l'article L. 122-32-5 du code du travail : "Si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du personnel, un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail" ;
Considérant que la société Delhommeau a demandé l'autorisation de licencier M. Y..., délégué du personnel, employé en qualité d'ouvrier d'entretien à la carrière du Hinguer, au motif qu'à la suite d'une maladie professionnelle, le médecin du travail l'avait déclaré inapte à occuper son poste de travail ou tout poste comportant le port d'outils ou des travaux d'écriture ; que, par une décision du 27 juillet 1990, le directeur régional de l'industrie et de la recherche de Bretagne a autorisé ce licenciement ; que, saisi d'un recours hiérarchique, le ministre du travail a confirmé cette décision, le 21 janvier 1991 ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Delhommeau, qui s'est bornée, par une circulaire du 14 mai 1990, à demander aux autres sociétés du groupe "SCREG" auquel elle appartient, si elles disposaient d'un emploi susceptible d'être proposé à M. Y..., sans rechercher, au préalable, s'il existait dans l'entreprise des emplois compatibles avec l'aptitude physique de M. Y..., après avoir procédé, au besoin, à un réaménagement de certains postes de travail, ainsi que le prévoit l'article L. 122-32-5 du code du travail, ne s'est pas livrée à une recherche sérieuse des possibilités de reclasser l'intéressé ; que, pour ce seul motif, le directeur régional de la recherche et de l'industrie était tenu de ne pas autoriser le licenciement de M. Y... ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... est fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'annulation des décisions précitées du directeur régional de l'industrie et de larecherche de Bretagne et du ministre du travail ;
Article 1er : Le jugement du 19 mai 1993 du tribunal administratif de Rennes, la décision du 21 janvier 1991 du ministre du travail et la décision du 27 juillet 1990 du directeur régional de la recherche et de l'industrie de Bretagne, sont annulés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Roland Y..., à la société Delhommeau et au ministre du travail et des affaires sociales.