Vu la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 18 décembre 1991, et les mémoires complémentaires, enregistrés le 17 avril 1992 et le 25 mars 1993, présentés pour la S.A. société financière de gestion et d'investissements (Sofige), dont le siège est ... ; la requérante demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 29 octobre 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête aux fins de réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés et des pénalités auxquels elle a été assujettie au titre de chacune des années 1978, 1979 et 1980 ;
2°) de régler l'affaire au fond en lui accordant les réductions sollicitées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de la S.A. Sofige,
- les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure suivie devant la cour administrative d'appel :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que le dernier mémoire présenté devant celle-ci par le ministre du budget, le 29 avril 1991, ne comportait l'articulation d'aucun nouveau moyen de défense qui fût de nature à influer sur le jugement de l'affaire ; que, dès lors, la cour a pu, sans commettre d'irrégularité, s'abstenir de communiquer ledit mémoire à la requérante avant de porter l'affaire au rôle de l'audience au cours de laquelle elle en a délibéré ;
En ce qui concerne le redressement ayant trait à des honoraires versés en rémunération d'expertises :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : 1° Les frais généraux de toute nature ..." ; qu'en vertu de l'article 39 quindecies-I-1 les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé autres que des terrains ou immeubles assimilés, et réalisées à long terme au sens défini à l'article 39 duodecies, font l'objet d'une imposition séparée au taux de 15% ; que l'ensemble de ces dispositions est rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209-I du code susvisé ;
Considérant qu'il ressort du dossier soumis à la cour administrative d'appel que la société financière de gestion et d'investissements (Sofige) a, au cours de l'exercice clos le 31 décembre 1978, procédé à la cession de la participation qu'elle détenait au capital de la SA Royal Monceau Hôtel, et réalisé, à cette occasion, une plus-value dont une partie était à long terme ; que, préalablement à la réalisation de cette cession la Sofige a fait effectuer, par deux cabinets d'expertise, des études immobilière, commerciale et financière ayant pour objet de déterminer la valeur exacte des titres qu'elle projetait de céder ; qu'en rémunération de ces études, elle a acquitté, et comptabilisé parmi ses frais généraux de l'exercice clos le 31 décembre 1978, des honoraires s'élevant à 1 223 040 F ; qu'à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, l'administration a, dans la proportion correspondant à la fraction de la plus-value de cession réalisée à long terme, soit à concurrence de 935 457 F, extourné des frais généraux ces honoraires, pour en imputer le montant sur celui de la plus-value séparément imposable au taux de 15% ;
Considérant que, pour l'application des dispositions susrappelées de l'article 39 quindecies du code général des impôts, le montant d'une plus-value réalisée à long terme et séparément imposable au taux de 15% s'entend de la différence entre la valeur comptable nette pour laquelle l'élément cédé figure au bilan à la date de la cession, et le produit effectivement retiré de cette cession net des frais et taxes qui ont pu grever l'opération de cession elle-même ; que ces dispositions ne sauraient, en revanche, fonder que soit imputées sur la plus-value des charges qui, même exposées en vue de la réalisation de la cession, ne constituent pas des frais inhérents à cette dernière, et, dès lors qu'elles n'ont pas eu pour contrepartie une augmentation de la valeur du bien cédé, restent de la nature des frais généraux visés à l'article 39-1-1° précité du code général des impôts ; qu'il suit de là qu'en jugeant que l'administration avait à bon droit opéré le redressement litigieux, au motif que les honoraires acquittés par la Sofige "correspondent à des frais engagés pour la cession des actions de la SA Royal Monceau", la cour administrative d'appel a fait une inexacte application des dispositions susanalysées du code général des impôts ; que la requérante est, par suite, fondée à demander l'annulation, sur ce point, de l'arrêt attaqué ;
En ce qui concerne la réintégration de frais financiers et d'une provision sur créance au titre de l'exercice clos en 1978 :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel qu'à la suite des difficultés rencontrées, en 1976, par la banque Lair, et qui ont entraîné sa radiation de la liste des banques et sa mise en liquidation, les actionnaires de cette dernière ont fait effectuer par un certain nombre de sociétés dont ils détenaient également le contrôle, au sein d'un ensemble connu sous l'appellation "Groupe de la Cité", diverses opérations destinées à permettre le comblement du passif de la banque défaillante ; qu'à ce titre, la Sofige a, en 1977, mis à la disposition de la société Lair une somme de 605 500 F, et, en 1978, d'une part, mis à la disposition d'une autre société du "groupe", la Société Financière Suisse et Française (SFSF), au nom de laquelle un emprunt avait été contracté pour les besoins de la liquidation de la société Lair, une somme de 19 946 577 F d'autre part, pris en charge une part, s'élevant à 4 323 243 F, des frais financiers afférents à cet emprunt ; qu'au 31 décembre 1978, elle a constitué une provision de 20 552 077 F, ayant pour objet de constater l'irrecouvrabilité de ses créances sur la société Lair et sur la SFSF ; que l'administration, estimant que la Sofige n'avait pas agi dans le cadre d'une gestion normale en consentant les avances et en prenant en charge les frais financiers susindiqués, a rapporté à ses résultats imposables de l'exercice clos en 1978 le montant desdits frais et celui de la provision pour créances irrecouvrables ;
Considérant, en premier lieu, que, les redressements litigieux ayant été approuvés par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, c'est, contrairement à ce que soutient la Sofige, à bon droit que la cour administrative d'appel l'a regardée comme devant apporter la preuve que les actes susdécrits avaient été accomplis par elle en vue de servir ses intérêts propres ;
Considérant, en second lieu, qu'il ressort des mémoires que la Sofige a présenté devant les juges du fond qu'en vue d'apporter la démonstration dont elle avait, ainsi, la charge, la requérante s'est efforcée de faire apparaître que, si le passif de la société Lair n'avait pas été couvert au moyen des opérations auxquelles elle a contribué, la poursuite de sa propre activité ou son existence même aurait été compromise, soit en raison de l'atteinte portée à son renom, soit parce que ses actionnaires eussent été conduits à la dissoudre, soit que l'application de la législation relative au contrôle de la profession bancaire l'eût exposée à une procédure de mise en liquidation ; que, contrairement à ce que la société requérante soutient, la cour, dès lors qu'elle constatait, d'une part, que la Sofige, société holding diversifiée, ne détenait qu'une faible participation indirecte dans le capital de la société financière suisse et française (S.F.S.F.), établissement de crédit, et dans le capital de la banque Lair, et, d'autre part, que cette société holding était étrangère à l'origine des difficultés des sociétés financières et bancaires appartenant au groupe dont elle faisait elle-même partie, a pu, estimant que la Sofige ne justifiait pas que l'aide qu'elle avait apportée à ces sociétés, répondait aux nécessités de sa propre survie ou de la préservation de ses actifs, juger, sans commettre d'erreur de droit, qu'elle ne prouvait pas que cette aide ait été consentie dans le cadre d'une gestion normale ;
En ce qui concerne l'intégration aux résultats imposables des exercices clos en 1978, 1979 et 1980 d'intérêts sur "avances" non stipulés :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que l'administration, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, a réintégré aux bénéfices imposables de l'exercice clos en 1978 la provision constituée par la Sofige eu égard à l'irrecouvrabilité des sommes qu'elle avait mises à la disposition des sociétés Lair et SFSF, au motif que ces avances ne procédaient pas d'une gestion normale, a regardé aussi comme anormal qu'il n'ait pas été stipulé que lesdites avances seraient productives d'intérêts, et a rapporté aux bénéfices de chacun des exercices clos en 1978, 1979 et 1980 le montant des intérêts qui, selon elle, auraient dû échoir à la Sofige, au terme de ces exercices, soit, respectivement les sommes, calculées au taux des avances de la banque de France, de 413 598 F, 2 157 968 F et 2 157 968 F encore ;
Considérant que le rejet de la provision constituée à la clôture de l'exercice 1978, étant motivé par le caractère anormal de l'octroi d'"avances" dont la Sofige était, dès l'origine, certaine de ne jamais être remboursée, implique nécessairement le constat que lesdites "avances" ont, en réalité, constitué des versements à fonds perdus, et n'ont pas fait naître entre la Sofige et les bénéficiaires une relation de prêteur à emprunteur, justifiant normalement la stipulation d'intérêts ; que la requérante est, par suite, fondée à soutenir que l'arrêt attaqué est entaché d'une erreur de droit, en tant que la cour administrative d'appel a jugé que l'administration avait pu légalement rapporter à ses bénéfices les "créances d'intérêts" susmentionnées ; que l'arrêt attaqué doit donc, sur ce point, être annulé ;
En ce qui concerne les pénalités :
Considérant que, pour juger que les impositions litigieuses avaient légalement été majorées des pénalités applicables au cas où la mauvaise foi du contribuable est établie, la cour administrative d'appel s'est uniquement fondée sur la circonstance que l'administration faisait, à juste titre, valoir que le comportement de la Sofige avait "eu pour effet de minorer de manière injustifiée les bases de l'impôt" ; qu'en omettant de rechercher s'il était, en outre, établi par l'administration que la société eût délibérément poursuivi cette fin, la cour n'a pas légalement motivé sa décision sur ce point ; que la requérante est, dès lors, fondée à demander que l'arrêt attaqué soit, à cet égard, annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler immédiatement l'affaire au fond en ce qui concerne les chefs de litige relativement auxquels l'arrêt attaqué doit être annulé ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit plus haut que c'est à tort que l'administration, d'une part, a écarté des frais généraux pour l'imputer sur le montant d'une plus-value de cession à long terme une fraction, s'élevant à 935 457 F, des honoraires d'expertise exposés par la Sofige, au titre de l'exercice clos en 1978, et, d'autre part, a rapporté aux bénéfices imposables des exercices clos en 1978, 1979 et 1980 les sommes respectives de 413 598 F, 2 157 968 F et 2 157 968 F encore, censées correspondre à des intérêts acquis mais anormalement abandonnés ;
Considérant, en second lieu, que la seule circonstance que les écritures de la Sofige qui ont fait l'objet des redressements subsistants ont eu pour effet de minorer les bases de l'impôt n'est pas de nature à établir l'absence de bonne foi de la société, ni, par conséquent, à justifier l'application faite, aux droits correspondants, de la majoration prévue en cas de mauvaise foi du contribuable ;
Considérant qu'il suit de là que la Sofige est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement critiqué du 19 octobre 1989, le tribunal administratif de Paris ne lui a pas accordé les réductions découlant de ce qui précède des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1978, 1979 et 1980, et, dans la limite du montant des pénalités appliquées aux droits subsistants, la substitution à ces pénalités d'intérêts de retard ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 29 octobre 1991 est annulé en tant que la cour a statué sur les chefs de litige ayant trait à l'imputation d'honoraires d'expertise, à la réintégration d'intérêts sur créances et aux pénalités contestées par la Sofige.
Article 2 : Il est accordé à la Sofige la réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre de chacune des années 1978, 1979 et 1980 découlant de la suppression des redressements visés à l'article 1er ci-dessus, la décharge des pénalités correspondantes, et, dans la limite du montant des pénalités appliquées aux droits subsistants, la substitution à ces pénalités des intérêts de retard.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 19 octobre 1989 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Sofige est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société financière de gestion et d'investissements (Sofige) et au ministre de l'économie et des finances.