(4ème chambre)
VU le recours enregistré au greffe de la cour le 29 avril 1996 sous le n 96PA01237 présenté par le MINISTRE DE L'INTERIEUR ; le ministre demande à la cour :
1 ) d'annuler le jugement en date du 14 décembre 1995 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé sa décision du 23 novembre 1993 portant refus d'abrogation de l'arrêté ministériel du 25 août 1988 enjoignant à M. X... de sortir du territoire français ;
2 ) de rejeter la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Versailles ;
VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;
VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment son article 8 ;
VU l'ordonnance n 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 9 janvier 1997 :
- le rapport de Mme ADDA, conseiller,
- et les conclusions de M. SPITZ, commissaire du Gouvernement ;
Sur le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR :
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "1 ) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, 2 ) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" ;
Considérant que M. X..., de nationalité algérienne, qui s'était rendu coupable de diverses infractions pénalement constatées et sanctionnées, de vol, recel, escroquerie, contrefaçons et falsifications, a fait l'objet le 25 août 1988 d'un arrêté d'expulsion pris par le MINISTRE DE L'INTERIEUR ; que pour rejeter, par la décision attaquée, la demande de M. X... tendant à l'abrogation de cet arrêté, le MINISTRE DE L'INTERIEUR s'est fondé sur la gravité des faits reprochés et sur ce que l'intéressé ayant fait l'objet d'une nouvelle condamnation le 28 octobre 1992 à cinq ans d'emprisonnement pour vol, contrefaçons de chèques, complicité de vols de documents administratifs, usage et falsification, constituait toujours une menace grave pour l'ordre public ;
Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier que M. X... a toujours vécu en France où réside également sa famille proche ; qu'à la date de la décision litigieuse, il était père de deux enfants de nationalité française et concubin de leur mère française ; que, par suite, la décision du ministre refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. X... le 25 août 1988 a, dans les circonstances de l'espèce, porté à la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que dans ces conditions, elle a été prise en violation de l'article 8 de la Convention précitée ; que le MINISTRE DE L'INTERIEUR n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé sa décision susvisée en date du 23 novembre 1993 refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. X... le 25 août 1988 ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des articles L.8-2 aliéna 1, L.8-2 alinéa 2 et L.8-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'aux termes de l'alinéa 1 de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit cette mesure, assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution, par le même jugement ou le même arrêt" ; qu'aux termes de l'alinéa 2 du même article : "Lorsqu'un jugement ou un arrêt implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ... doit à nouveau prendre une décision après une nouvelle instruction, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, saisi de conclusions en ce sens, prescrit par le même jugement ou le même arrêt que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé" ; et qu'aux termes de l'article L.8-3 du même code : "Saisi de conclusions en ce sens, le tribunal ou la cour peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application de l'article L.8-2 d'une astreinte qu'il prononce dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article L.8-4 et dont il fixe la date d'effet" ;
Considérant, d'une part, que la confirmation par le présent arrêt de l'annulation du refus d'abrogation d'arrêté d'expulsion prononcée par le jugement attaqué implique nécessairement que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, dès lors qu'il ne fait pas valoir de circonstances postérieures à sa décision du 23 novembre 1993 s'opposant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de M. X... le 25 août 1988, abroge ledit arrêté ; qu'il y a lieu pour la cour d'enjoindre au MINISTRE DE L'INTERIEUR de procéder à cette abrogation dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions tendant à ce que cette injonction soit assortie d'une astreinte ;
Considérant, d'autre part, que l'exécution du présent arrêt n'implique pas qu'en vertu de l'alinéa 1 de l'article L.8-2 précité l'administration délivre à M. X... un certificat de résidence de ressortissant algérien valable 10 ans ; que l'exécution du présent arrêt n'implique pas non plus qu'en vertu de l'alinéa 2 de l'article L.8-2 précité la cour enjoigne à l'administration de prendre à nouveau une décision après une nouvelle instruction de la demande de certificat de résidence présentée par M. X... ;
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR est rejeté.
Article 2 : Il est enjoint au MINISTRE DE L'INTERIEUR d'abroger l'arrêté d'expulsion en date du 25 août 1988 pris à l'encontre de M. X... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. X... est rejeté.