LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant, tant sur le pourvoi principal formé par la société Destouches Dominique, que sur le pourvoi provoqué relevé par la société Bellevue distribution ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'une saisie contrefaçon pratiquée à la demande de la société Champagne Louis Roederer, titulaire de la marque "Louis Roederer Brut premier", a amené la découverte, dans les locaux de la société Bellevue distribution, de bouteilles de champagne fournies par la société Destouches Dominique, revêtues de cette marque, et dont le code apposé par le producteur sur l'étiquette afin d'identifier spécifiquement chacune de ses bouteilles, avait été masqué par un trait noir ; que la société Champagne Louis Roederer a agi à l'encontre de ces deux sociétés sur le fondement des articles L. 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle et L. 217-3 du code de la consommation ;
Sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi principal et les deux dernières branches du pourvoi provoqué, les moyens étant réunis :
Attendu que les sociétés Destouches Dominique et Bellevue distribution font grief à l'arrêt d'avoir dit qu'elles avaient commis une faute portant atteinte aux droits de la société Champagne Louis Roederer, par altération d'un élément d'identification de la marchandise, alors, selon le moyen :
1°/ que les dispositions de l'article L. 217-3 du code de la consommation qui répriment le fait d'exposer, de mettre en vente, de vendre ou de détenir dans des locaux commerciaux des marchandises dont les signes ont été altérés ne sont applicables que si l'altération porte sur un élément d'identification de la marchandise ; qu'en retenant que l'apposition d'un trait noir masquant les chiffres composant le code client apposé sur l'étiquette des bouteilles de champagne litigieuses caractérisait une altération de marchandise au sens de L. 217-3 du code de la consommation tout en constatant que ce code était seulement destiné à contrôler le circuit de commercialisation des bouteilles, ce dont il résultait qu'il ne constituait pas un élément d'identification de ces marchandises, la cour d'appel a violé ce texte,
2°/ que l'exposition, la mise en vente et la vente de marchandises dont les signes sont altérés n'est prohibée que si l'altération porte sur un élément d'identification de la marchandise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a cependant retenu à la charge des sociétés Bellevue distribution et Destouches Dominique la commercialisation de bouteilles de champagne dont les signes avaient été altérés, quand l'altération en cause ne concernait que le code client des marchandises, servant à identifier le distributeur ayant revendu le produit, ce dont il résultait qu'aucun signe distinctif de la marchandise n'avait été altéré, a violé l'article L. 217-3 du code de la consommation,
3°/ que l'exposition, la mise en vente et la vente de marchandises dont les signes sont altérés n'est prohibée que si l'altération a été sciemment opérée ; qu'en l'espèce, la cour, qui a retenu à la charge des sociétés Bellevue distribution et Destouches Dominique la mise en vente de bouteilles de champagne dont les signes avaient été altérés, sans constater que les appelantes étaient les auteurs de l'altération en cause, a violé l'article L. 217-3 du code de la consommation ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt constate que le code en question permet d'identifier chaque bouteille, de façon à assurer la traçabilité du produit ; qu'il s'en déduit que cette mention fait partie des signes que l'article L. 217-2 du code de la consommation interdit de supprimer, masquer, altérer ou modifier ;
Attendu, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 217-3 du code de la consommation ne s'appliquent pas au seul auteur de l'altération, mais à toute personne qui, sciemment, a exposé, mis en vente, vendu ou aura été trouvée détentrice dans des locaux commerciaux de marchandises portant le signe altéré ;
Et attendu, enfin, qu'ayant relevé, par motifs adoptés, que l'altération répétée du code ne pouvait être le fait d'une inadvertance, la cour d'appel a caractérisé l'élément intentionnel de cette infraction ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
Mais sur la première branche du moyen unique du pourvoi principal et la première branche du moyen unique du pourvoi provoqué, les moyens étant réunis :
Vu l'article L. 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour dire que les sociétés Destouches Dominique et Bellevue distribution ont commis une faute portant atteinte aux droits de la société Champagne Louis Roederer, par suppression ou modification d'une marque et les condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt relève que si le code en lui-même n'est pas protégé par le dépôt de marque, l'étiquette qui en constitue le support est au contraire reproduite au certificat d'enregistrement et est dès lors couverte par la protection attachée à la marque ; qu'il retient que l'apposition du trait litigieux, qui constitue une modification de la marque sans autorisation de son propriétaire, entre bien dans les prévisions du texte susvisé ;
Attendu qu'en statuant ainsi, au seul motif que le signe supprimé se trouvait apposé sur une étiquette enregistrée en tant que marque, alors qu'elle constatait que ce signe n'était pas en lui-même protégé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a prononcé condamnation des sociétés Destouches Dominique et Bellevue distribution en application de l'article L. 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle, et en ce qu'il a condamné ces sociétés au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 1er avril 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne les sociétés Destouches Dominique et Bellevue distribution aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé et signé par Mme Tric, conseiller doyen, en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux conseils pour la société Destouches Dominique
La société Destouches Dominique reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'elle avait commis une faute portant atteinte aux droits de la société Champagne Louis Roederer en commercialisant des produits revêtus de cette marque porteurs d'une altération du code d'identification apposé sur les bouteilles et de l'avoir condamnée in solidum avec la société Bellevue Distribution à payer une indemnité de 5.000 euros à la société CLR en réparation du préjudice subi ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle interdit la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ; que la marque graphique n° 97/693959 appartenant à CLR comporte une collerette et une étiquette sur fond or ; que dans le coin inférieur droit de l'étiquette, CLR inscrit habituellement un code composé de chiffres, improprement qualifié par les premiers juges de « code barre », dont il n'est pas contesté qu'il lui sert à identifier ses produits et à en assurer la traçabilité ; que c'est sur ce code qu'a été apposée la rature litigieuse, qui consiste en un épais trait noir masquant les chiffres composant le code ; que si le code en lui-même n'est pas protégé par le dépôt de marque, l'étiquette qui en constitue le support est au contraire reproduite au certificat d'enregistrement et est dès lors couverte par la protection attachée à la marque ; que l'apposition du trait litigieux, qui constitue une modification de la marque sans autorisation de son propriétaire, entre bien dans les prévisions du texte précité d'autant plus qu'elle constitue incontestablement une atteinte à l'esthétique de l'étiquette en lui donnant un aspect taché ; qu'en second lieu, l'article L. 217-3 du code de la consommation réprime la vente, la mise en vente ou la simple détention dans des locaux commerciaux de marchandises dont les signes distinctifs servant à les identifier ont été altérés d'une façon quelconque ; que les pièces produites par CLR établissent qu'elle a mis en place un identifiant unique sur chaque bouteille qui lui permet d'établir la traçabilité du produit, et notamment son circuit de commercialisation, par l'apposition d'un code client ; qu'ainsi l'apposition de la rature litigieuse porte un préjudice commercial certain à CLR qui se trouve ainsi privée du moyen de contrôle de la qualité des produits revêtus de la marque et de l'étanchéité de ses circuits de distribution ; que la dissimulation de cet identifiant ne peut, dès lors, être le fait du hasard et révèle ainsi en elle-même son caractère intentionnel ; que la société Destouches reconnaît d'ailleurs que cette altération, qu'elle impute à d'autres, était la conséquence du refus de CLR de voir ses produits vendus en grande distribution ; que l'éventualité du changement d'emballage ne pouvant être exclue, seule l'apposition du code sur la bouteille elle-même est susceptible de répondre au but recherché de sorte que les sociétés Destouches et Bellevue Distribution ne peuvent se prévaloir du fait que le code était intact sur le coffret contenant la bouteille ; qu'est ainsi démontrée la réalité d'une atteinte fautive tant à la marque de CLR qu'aux mentions d'identification qu'elle appose sur ses produits marqués ;
1°) ALORS QUE le délit de contrefaçon par suppression ou modification d'une marque régulièrement apposée suppose, pour être caractérisé, que la suppression ou la modification porte sur le signe protégé luimême ; que, dès lors, en retenant que l'apposition d'un trait noir masquant les chiffres composant le code client apposé sur l'étiquette des bouteilles de champagne litigieuses constituait une modification de la marque tout en constatant que ce code n'était pas protégé par le dépôt de marque, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et, partant, a violé l'article L. 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle.
2°) ALORS QUE les dispositions de l'article L. 217-3 du code de la consommation qui répriment le fait d'exposer, de mettre en vente, de vendre ou de détenir dans des locaux commerciaux des marchandises dont les signes ont été altérés ne sont applicables que si l'altération porte sur un élément d'identification de la marchandise ; qu'en retenant que l'apposition d'un trait noir masquant les chiffres composant le code client apposé sur l'étiquette des bouteilles de champagne litigieuses caractérisait une altération de marchandise au sens de L. 217-3 du code de la consommation tout en constatant que ce code était seulement destiné à contrôler le circuit de commercialisation des bouteilles, ce dont il résultait qu'il ne constituait pas un élément d'identification de ces marchandises, la cour d'appel a violé ce texte.
Moyen produit au pourvoi provoqué par Me Odent, avocat aux conseils pour la société Bellevue distribution
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé qu'un distributeur (la société BELLEVUE DISTRIBUTION) et un fournisseur (la SARL DESTOUCHES DOMINIQUE) avaient commis une faute, à l'égard d'un producteur de champagne (la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER), en commercialisant des produits revêtus de cette marque et porteurs d'une altération du code d'identification apposé sur les bouteilles,
AUX MOTIFS QUE l'article L 713-2 b) du code de la propriété intellectuelle interdit la suppression ou la modification d'une marque régulièrement apposée ; que la marque graphique 97/693959 appartenant à la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, déposée en couleurs, comportait une collerette et une étiquette sur fond or ; que, dans le coin inférieur droit de l'étiquette, la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER inscrivait habituellement un code composé de chiffres, improprement qualifié par les premiers juges de « code barre », dont il n'était pas contesté qu'il lui servait à identifier ses produits et à en assurer la traçabilité ; que c'était sur ce code qu'avait été portée la rature litigieuse, qui consistait en un épais trait noir masquant les chiffres composant le code ; que si le code en lui-même n'était pas protégé par le dépôt de marque, l'étiquette qui en constituait le support était, au contraire, reproduite au certificat d'enregistrement, et était dès lors couverte par la protection attachée à la marque ; que l'apposition du trait litigieux, qui constituait une modification de la marque sans autorisation de son propriétaire, entrait bien dans les prévisions du texte susvisé, d'autant plus qu'elle constituait incontestablement une atteinte à l'esthétique de l'étiquette, en lui donnant un aspect taché ; qu'en second lieu, l'article L 217-3 du code de la consommation réprime la vente, la mise en vente ou la simple détention dans des locaux commerciaux de marchandises dont les signes distinctifs servant à les identifier ont été altérés d'une façon quelconque ; que les pièces produites par la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, non contestées par les appelantes, établissaient qu'en effet, elle avait mis en place un identifiant unique sur chaque bouteille qui lui permettait d'établir la traçabilité du produit, et notamment son circuit de commercialisation, par l'apposition d'un code client ; qu'ainsi, l'apposition de la rature litigieuse portait un préjudice commercial certain à la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, qui se trouvait ainsi privée du moyen de contrôle de la qualité des produits revêtus de la marque et de l'étanchéité de ses circuits de distribution ; que la dissimulation de cet identifiant ne pouvait dès lors être le fait du hasard, et révélait ainsi en elle-même son caractère intentionnel ; que la société DESTOUCHES DOMINIQUE reconnaissait d'ailleurs que cette altération, qu'elle imputait à d'autres, était la conséquence du refus de la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER de voir ses produits vendus en grande distribution ; que l'éventualité d'un changement d'emballage ne pouvant être exclue, seule l'apposition du code sur la bouteille elle-même était susceptible de répondre au but recherché, et les sociétés appelantes ne pouvaient donc utilement se prévaloir du fait que le code était intact sur le coffret contenant la bouteille ; qu'était ainsi démontrée la réalité d'une atteinte fautive, tant à la marque de la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, qu'aux mentions d'identification qu'elle apposait sur ses produits marqués ; que les premiers juges avaient exactement retenu que rien n'établissait que les appelantes en étaient l'auteur ; qu'il était cependant constant que les marchandises litigieuses avaient été vendues par la société DESTOUCHES DOMINIQUE à la société BELLEVUE DISTRIBUTION, et détenues dans les locaux commerciaux des appelantes dans le cadre de ces opérations ; que le fait que la rature n'ait porté que sur l'étiquette habillant la bouteille et n'ait pas été apparente, compte tenu de l'existence d'un emballage clos intact était indifférent, les sociétés appelantes étant, en leur qualité de professionnelles, et qu'elles soient ou non les auteurs de la modification prohibée, tenues de vérifier la conformité des marchandises qu'elles revendent ou proposent au public, soit en l'espèce l'absence d'altération des marques et codes d'indentification figurant sur la bouteille, nonobstant l'existence d'un emballage ; qu'il devait d'ailleurs être observé qu'il était habituel, en grande distribution, que l'adéquation entre la bouteille achetée et son emballage soit vérifiée lors du passage en caisse du consommateur, et qu'il n'était ainsi pas admissible que la même vigilance ne soit pas mise en ..uvre en amont par les revendeurs successifs ; que c'était à juste titre que les premiers juges avaient retenu l'existence d'une faute à l'encontre des deux appelantes, à l'origine d'une atteinte aux droits de la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER,
1° ALORS QUE l'altération d'une marque, entraînant sa contrefaçon, suppose la modification d'un des éléments déposés de celle-ci ; qu'en l'espèce, la cour qui, après avoir constaté que le code client (servant à identifier le distributeur du produit), altéré par un trait noir, n'était pas protégé par la marque déposée par la société CHAMPAGNE LOUIS ROEDERER, a cependant ensuite décidé que la contrefaçon par modification de marque était caractérisée à la charge des sociétés BELLEVUE DISTRIBUTION et DESTOUCHES DOMINIQUE, a violé l'article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle,
2° ALORS QUE l'exposition, la mise en vente et la vente de marchandises dont les signes sont altérés n'est prohibée que si l'altération porte sur un élément d'identification de la marchandise ; qu'en l'espèce, la cour, qui a cependant retenu à la charge des sociétés BELLEVUE DISTRIBUTION et DESTOUCHES DOMINIQUE la commercialisation de bouteilles de champagne dont les signes avaient été altérés, quand l'altération en cause ne concernait que le code client des marchandises, servant à identifier le distributeur ayant revendu le produit, ce dont il résultait qu'aucun signe distinctif de la marchandise n'avait été altéré, a violé l'article L 217-3 du code de la consommation,
3° ALORS QUE l'exposition, la mise en vente et la vente de marchandises dont les signes sont altérés n'est prohibée que si l'altération a été sciemment opérée ; qu'en l'espèce, la cour, qui a retenu à la charge des sociétés BELLEVUE DISTRIBUTION et DESTOUCHES DOMINIQUE la mise en vente de bouteilles de champagne dont les signes avaient été altérés, sans constater que les appelantes étaient les auteurs de l'altération en cause, a violé l'article L 712-3 du code de la consommation.