AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches :
Attendu, selon l'arrêt déféré, que, par acte notarié du 19 décembre 1991, la société Banco di Roma, aux droits de laquelle est venue la Banque générale du commerce (la banque), a consenti à la société Unicof (la société) une ouverture de crédit en compte courant d'un montant de 1 000 000 francs, garantie par le cautionnement hypothécaire de Mme X... et de M. Y... donné dans le même acte ; que Mme Z... et M. A... se sont portés cautions envers la banque par actes sous seing privé ; que la société ayant été mise en redressement judiciaire, la banque a assigné les cautions en exécution de leurs engagements ;
Attendu que Mme Y... et M. Y... reprochent à l'arrêt qui a fixé la créance de la banque contre la société à la somme principale de 1 881 198 francs, de les avoir condamnés, solidairement avec Mme Z... et M. A..., à payer cette somme à la banque, alors, selon le moyen :
1 / que le cautionnement doit être exprès et ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté, et que la tacite reconduction n'entraîne pas prorogation du contrat primitif mais donne naissance à un nouveau contrat ; qu'en condamnant les cautions à payer le solde débiteur du compte courant parce qu'elles s'étaient engagées à garantir les opérations définies par le contrat d'ouverture de crédit initial, sans que le cautionnement accessoire au contrat initial ait été reconduit, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 2015 du Code civil ;
2 / que la cour d'appel constatait non seulement que depuis août 1990 au moins, le solde du compte courant était en permanence débiteur de plus de 1 000 000 francs, et qu'après la formalisation de l'autorisation de découvert, ce dernier avait encore augmenté pour atteindre une somme de 1 880 000 francs en janvier 1993, soit près du double du découvert autorisé ; qu'il en ressortait que, quel que soit le résultat d'exploitation, l'endettement de la société vis-à-vis de la banque non seulement ne diminuait pas mais n'avait même cessé de s'aggraver ;
qu'en considérant néanmoins sur la base de généralités, que la banque n'avait commis aucune imprudence en laissant le découvert atteindre la somme de 1 880 000 francs, avant de dénoncer son soutien, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
3 / que ni la qualité d'associé majoritaire d'une entreprise, ni l'exercice des fonctions habituelles de secrétaire comptable, ne sont assimilables à la qualité de dirigeant en ce qui concerne en particulier la connaissance de la situation financière et économique de cette entreprise en vue d'apprécier les risques d'un cautionnement ; qu'en se prononçant comme elle a fait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
4 / que Mme Y... produisait aux débats les statuts de la société à jour au 5 octobre 1990 d'où il ressortait qu'elle possédait 62 parts sur les 252 parts sociales, tout comme d'ailleurs deux autres associés, Mme Z... et M. Y..., tandis que M. A... en possédait 66 ; qu'en affirmant cependant qu'elle était la principale associée, sans expliquer sur la base de quel document autre que celui produit par l'intéressée elle se fondait, le cas échéant, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que l'engagement d'ouverture de crédit avait été conclu pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, l'arrêt retient que le cautionnement hypothécaire dont il est assorti par le même acte garantit le solde dû à la clôture du compte courant et se réfère aux "opérations ci-dessus", lesquelles comprennent le renouvellement éventuel du contrat ; qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a fait ressortir que la caution avait consenti au renouvellement de son engagement dans le cas où l'ouverture de crédit serait tacitement reconduite ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que M. Y... était le co-gérant de la société cautionnée et le signataire de l'engagement du 19 décembre 1991 pour le compte de la société, ce dont il résulte qu'il était présumé avoir connaissance de la situation de la société cautionnée ; qu'il retient encore que Mme Y... était associée de la société, employée depuis le 30 septembre 1989 comme secrétaire comptable dans l'entreprise et qu'il résulte des documents versés aux débats qu'elle signait les correspondances destinées à la banque et lui adressait les ordres à exécuter ; qu'il en déduit que Mme Y... était parfaitement informée de la situation financière de la société ;
D'où il suit qu'abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième et quatrième branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 1134 et 1907, alinéa 2, du Code civil, 4, de la loi du 28 décembre 1966 et 2 du décret du 4 septembre 1985 ;
Attendu que pour condamner Mme Y... et M. Y... à la somme de 1 881 198,14 francs, l'arrêt retient qu'il résulte de la convention d'ouverture de crédit en date du 19 décembre 1991 que la société avait, dès avant cette date, un compte courant auprès de la même banque, dont ladite convention n'a eu pour objet que de fixer par écrit les conditions de fonctionnement tout en prévoyant une ouverture de crédit d'un montant de 1 000 000 francs en principal et qu'il est clair que, par cette convention, la société a entériné le mode de calcul et le montant des intérêts que la banque avait jusqu'alors prélevés sur le compte courant ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que pour la période postérieure à l'entrée en vigueur du décret du 4 septembre 1985, à défaut d'écrit fixant le taux de l'intérêt conventionnel, le taux légal est seul applicable au solde débiteur d'un compte courant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que Mme Y... et M. Y... étaient tenus au règlement au profit de la Banque générale du commerce de la somme de 1 881 198,14 francs et en ce qu'il les a condamnés à payer cette somme à ladite banque, l'arrêt rendu le 22 juin 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille trois.