CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par :
- la caisse primaire d'assurances maladie de Dieppe (CPAM), partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 11 mai 1994, qui, l'a déboutée de ses demandes, après relaxe de Patrick X... et Patrick Y... des chefs d'escroquerie et complicité d'escroquerie.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 59, 60 et 405 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale et L. 162-4 du Code de la sécurité sociale, violation de la loi, insuffisance de motivation :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Patrick X... et Patrick Y... des chefs d'escroquerie et de complicité d'escroquerie et débouté en conséquence la CPAM de Dieppe de ses demandes au titre de la partie civile ;
" aux motifs que si la société Hades animée par Patrick X... a été le fournisseur exclusif de la clinique les Fougères et y entretenait des relations avec le docteur Y..., il n'en résultait pas un caractère de fausse entreprise ; que Patrick X... fixait les prix des matériels en concertation avec Patrick Y..., mais il ne ressort pas de la procédure que celui-ci ait imposé un prix plutôt qu'un autre ; que les liens amicaux et de services existant entre Patrick X... et Patrick Y... avaient tissé une situation particulière mais insuffisante pour qualifier la SARL d'entreprise de façade ; que si en application de l'article L. 162-4 du Code de la sécurité sociale, le choix par Patrick Y... de son fournisseur devait se porter vers le coût moindre, il a, à l'égard du patient une obligation civile de moyen incompatible avec cette obligation du coût moindre ; que l'augmentation des prix que pratiquait la société Hades par rapport à ses concurrents correspondait à un service supérieur apporté à ses clients ; que faute d'éléments suffisants permettant de déterminer la part des recettes provenant d'une surfacturation de produits sans services autres, de celle des produits nouveaux commercialisés par Hades, il échet de constater que la preuve de la commission par les prévenus des infractions reprochées n'est pas rapportée ; que le doute leur profitant, il y a lieu de les relaxer des chefs de la prévention ; que le comportement délictueux des prévenus n'étant pas rapporté, la demande de la CPAM de Dieppe, partie civile, en remboursement des sommes indûment versées à la société Hades est mal fondée ; elle doit en être déboutée ;
" alors que la cour d'appel ne pouvait se déterminer ainsi sans s'expliquer sur la portée des propres déclarations des prévenus, régulièrement insérées au dossier pénal et mentionnées dans le jugement, aux termes desquelles ceux-ci reconnaissaient clairement que les surfacturations litigieuses au préjudice de la clinique et par voie de conséquence de la CPAM étaient totalement injustifiées et que leur intention était de se constituer un trésor de guerre " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que sur plainte avec constitution de partie civile de la CPAM de Dieppe, signalant le montant anormalement élevé des remboursements demandés, suivant le système du tiers-payant, par la clinique les Fougères, sur présentation de factures de son fournisseur exclusif de prothèses, la SARL Hades, Patrick X..., gérant de cette société et Patrick Y..., chirurgien spécialisé en orthopédie à la clinique précitée, ont été poursuivis, le premier pour escroquerie au préjudice de la CPAM, le second pour complicité de ce délit ;
Attendu que pour relaxer au bénéfice du doute les deux prévenus, et débouter la CPAM de son action en réparation, la cour d'appel, après avoir admis que la société Hades, constituée le 9 janvier 1990 sur une idée de Patrick Y..., sa mère en étant associée majoritaire et lui-même dirigeant de fait, avait réalisé avec la clinique les Fougères 80 % de son chiffre d'affaires, en appliquant sur l'ensemble de ses reventes un coefficient multiplicateur moyen de 4, 02, énonce qu'une telle situation ne suffit pas à qualifier ladite société de fausse entreprise ; que le fait pour Mme Z..., mère de Patrick Y..., d'avoir indiqué, en tant qu'associée, son seul nom de jeune fille ne peut être constitutif de manoeuvres frauduleuses, l'intéressée n'ayant pas menti en utilisant un nom que le Code civil ne lui a jamais ôté ; que Y..., en sa qualité de chirurgien avait compétence pour choisir son fournisseur de prothèses, sans tenir compte à l'égard du patient de l'obligation d'économie édictée par l'article L. 162-4 du Code de la sécurité sociale ; qu'il est impossible de déterminer la marge exacte de surfacturation de la société Hades, laquelle offrait, comme fournisseur unique de la clinique Les Fougères, un service rapide et des facilités de paiement supérieures à ceux de la concurrence, service qu'il convenait de rétribuer à sa juste valeur ;
Mais attendu qu'en l'état de ces motifs contradictoires et erronés et alors que la loi n'exige pas que les fonds aient été remis directement par la victime entre les mains de l'escroc, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales quelles imposaient, tant au regard de l'article 405 du Code pénal alors applicable que de l'article 313-1 du Code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 11 mai 1994, en ses seules dispositions concernant l'action civile ;
Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Amiens.