Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 17 janvier 1992) qu'à la suite d'une grève observée par une partie de son personnel, la société Nozal a signé le 27 mars 1990 deux protocoles d'accord, l'un avec une délégation du personnel non gréviste, l'autre avec le personnel gréviste ; qu'en exécution du premier de ces protocoles, elle a accordé au personnel non gréviste une prime de reprise d'un montant de 2 400 francs versée par moitiés en avril 1990 et en juin 1990, et qu'en exécution du second protocole, elle a accordé au personnel gréviste une prime de reprise d'un montant de 1 200 francs, elle aussi versée par moitiés en avril 1990 et en juin 1990, ainsi que le paiement du tiers des heures de grève ; qu'à l'annonce de ces deux protocoles, une grève de 3 heures a été observée le 30 mars 1990 ; que M. X... et 17 autres salariés grévistes ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de complément de prime de reprise et des heures d'arrêt de travail du 30 mars 1990 ;
Sur le premier moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli la demande des salariés, alors, selon le moyen, d'une part, que ne constitue pas une mesure discriminatoire interdite par l'article L. 521-1 du Code du travail le fait pour un employeur, à la fin d'une grève, d'octroyer une prime aux salariés grévistes, et une prime d'un montant plus élevé aux salariés non grévistes, dès lors que l'octroi de ces primes est purement gracieux et ne peut donc en aucun cas être considéré comme une sanction ; qu'en estimant qu'il y avait eu discrimination prohibée en l'espèce, l'arrêt attaqué a violé l'article L. 521-1 du Code du travail ; alors, d'autre part, que l'employeur peut, sans commettre de discrimination prohibée, faire bénéficier le personnel non gréviste d'une gratification occasionnelle en considération de l'avantage retiré par l'entreprise de son assiduité durant le conflit ; qu'il résulte des motifs des juges du fond eux-mêmes que la prime accordée aux non-grévistes avait pour but, aux termes du protocole, de " récompenser l'effort " collectif fourni pour récupérer l'image commerciale de la succursale, face à son fonds de commerce, permettant ainsi une performance nécessaire ; que l'avantage accordé aux salariés non grévistes trouvait donc son fondement dans l'avantage retiré par l'entreprise de leur travail durant le conflit ; qu'en le faisant tomber sous le coup de l'article L. 521-1 du Code du travail, l'arrêt attaqué a violé ledit texte ; alors, enfin, et en toute hypothèse, que la sanction de la discrimination pour faits de grève, prohibée par l'article L. 521-1 du Code du travail, est la nullité des mesures discriminatoires, mais non l'application automatique aux salariés grévistes des avantages différents consentis aux salariés non grévistes ; qu'en condamnant l'employeur à payer aux salariés grévistes des primes prévues par un protocole signé exclusivement avec les salariés non grévistes, auquel les premiers n'étaient pas partie et à l'application duquel ils n'avaient aucun droit, l'arrêt attaqué a violé les articles L. 521-1 du Code du travail et 1165 du Code civil ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt constate que la quantité de tâches demandée au personnel non gréviste pendant la période de grève, n'avait pas été plus importante qu'à l'accoutumée ;
Et attendu, ensuite, que la cour d'appel a fait ressortir que l'employeur avait décidé, après le déclenchement de la grève, de créer une prime et d'en faire varier le montant suivant que les salariés avaient fait grève ou non ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu décider que l'employeur avait pris une mesure discriminatoire ;
Que le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur la première branche du second moyen :
Vu l'article L. 521-1 du Code du travail ;
Attendu que la grève ayant pour effet de suspendre l'exécution du contrat de travail, l'employeur n'est pas tenu de payer le salaire pendant la période de cessation du travail, que ce n'est que dans le cas où les salariés se sont trouvés dans une situation contraignante telle qu'ils ont été obligés de cesser le travail pour faire respecter leurs droits essentiels, directement lésés par suite d'un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations, que celui-ci peut être condamné à payer aux grévistes une indemnité compensant la perte de leurs salaires ;
Attendu que M. X... et dix-sept autres salariés de la société Nazal ont observé un arrêt de travail d'une durée de 3 heures, le 30 mars 1990, à la suite de l'annonce par l'employeur du montant de la prime de reprise versée pour mettre fin à un précédent mouvement de grève ; qu'ils ont réclamé, devant la juridiction prud'homale, le paiement de ces 3 heures d'arrêt de travail ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l'arrêt énonce que les motifs de cet arrêt du travail concerté, constitutif d'une grève, ont eu pour objet de faire respecter un droit déjà acquis, et que l'employeur en se refusant de respecter ses propres engagements par le biais de l'institution d'une prime de reprise au profit du personnel non-gréviste a commis une faute contractuelle qui justifie sa condamnation au paiement de la perte de salaire entraînée par la grève ainsi mise en oeuvre ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les faits reprochés à l'employeur, s'ils étaient fautifs, ne constituaient pas un manquement grave et délibéré à ses obligations et n'étaient pas de nature à contraindre les salariés à une cessation concertée du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du second moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt a condamné l'employeur au paiement des 3 heures d'arrêt de travail du 30 mars 1990, l'arrêt rendu le 17 janvier 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.